Image de la semaine | 04/02/2013

Érosion alvéolaire dans des calcaires bioclastiques à Chinon (Indre et Loire) et Uzès (Gard)

04/02/2013

Auteur(s) / Autrice(s) :

  • Pierre Thomas
    ENS de Lyon - Laboratoire de Géologie de Lyon

Publié par :

  • Olivier Dequincey
    ENS de Lyon / DGESCO

Résumé

Érosion différentielle et structures alvéolaires semblables à des taffonis.


Érosion alvéolaire dans un calcaire bioclastique servant de soubassement au mur d'une habitation semi-troglodytique, Chinon, Indre et Loire
Figure 1. Érosion alvéolaire dans un calcaire bioclastique servant de soubassement au mur d'une habitation semi-troglodytique, Chinon, Indre et Loire — ouvrir l’image en grand

L'érosion alvéolaire est beaucoup plus visible à droite qu'à gauche, la partie gauche de ce fragment de falaise ayant été "grattée" (et partiellement recouverte d'enduit) par le propriétaire qui en a enlevé quelques centimètres d'épaisseur.

On voit très bien dans la partie gauche que cet affleurement est constitué de différents niveaux, dont le niveau médian (et un peu le niveau supérieur) montre de très belles stratifications obliques (cf. Stratifications obliques dans les grès du Cuisien de La Caunette, Hérault , Progradation et genèse de stratifications obliques et Stratifications en arêtes de poisson dans des tidalites du groupe de Moodies (Afrique du Sud) ). Que les strates soient obliques ou horizontales, on voit que leur résistance à l'érosion est variable, et que certaines strates sont en relief, d'autres en creux. Quelques alvéoles sont visibles dans cette partie gauche, montrant que l'érosion alvéolaire a repris depuis le "grattage" (ou que les alvéoles les plus profondes avaient été épargnées). Dans la partie droite "non grattée" par le propriétaire et qui est en saillie de quelques cm par rapport à la partie gauche, la stratification se devine encore. Les strates résistantes sont beaucoup plus en relief qu'à gauche. Et surtout les strates sont "recoupées" par des "cloisons" et des "piliers" verticaux, vraisemblablement d'anciens terriers remplis d'un matériel relativement résistant à l'érosion. L'érosion alvéolaire, qui a évidé les parties meubles se trouvant entre les strates et paléo-terriers résistants, a façonné ces curieux motifs.

La semaine dernière a été consacrées à des taffonis de bord de mer, cas particulier d'érosion dite alvéolaire car créant des alvéoles creuses dans la roche. Les taffonis sensu stricto sont au moins en partie dus aux sels et aux vents, et sont cantonnés aux zones côtières. Ces cavités se retrouvent dans de nombreux types de roches, même dans des roches résistantes (granite…). Elles seraient dues à l'amplification de l'altération (puis de l'érosion) au niveau de zones initialement légèrement déprimées ou poreuses (fractures, petites dépression…). Ces zones déprimées ou poreuses concentrent l'humidité et sèchent moins vite que les autres. Elles s'altèrent plus que les autres parties de la roche. Si l'altération est très "agressive", en particulier à cause du sel, et si un vent violent accélère l'érosion, ces faibles irrégularités initiales dans l'altérabilité et/ou la morphologie de la surface s'amplifient : plus la cavité est profonde, plus l'humidité y stagne et plus l'altération y est prolongée. Le phénomène peut s'emballer et "dégénérer" (par effet boule de neige = rétroaction positive) en ces cavités si particulières appelées taffonis.

Nous présentons cette semaine deux exemples de morphologies similaires, mais dans des contextes géo-climatiques bien différent : l'un à Chinon (Indre et Loire) et l'autre à Uzès (Gard). La présence de morphologies similaires aux taffonis à Chinon (dans le Val de Loire, région située à 150 km de la mer, pas particulièrement ventée et plus connu pour sa douceur que pour son climat rigoureux) et à Uzès (dans une région ventée, certes, mais située à 65 km au Nord de la Méditerranée) montre que le sel et le vent ne sont pas nécessaires à l'acquisition ce cette morphologie.

Dans la littérature scientifique, certains réservent le terme de taffoni aux dépressions de bord de mer où le sel a joué un rôle. D'autres auteurs utilisent le même terme de taffonis pour toutes les figures d'érosion alvéolaire, même celles ou le sel n'a joué aucun rôle. Nous appellerons ces taffonis du deuxième type « taffonis sens lato (sl) », ceux du premier type « taffonis sensu stricto (ss) ».

Si on recherche les points communs entre les deux exemples traités ici, on n'en trouve qu'un : la nature de la roche où a lieu ce type d'érosion, à savoir un calcaire bioclastique mal consolidé. L'origine de la morphologie en alvéoles est vraisemblablement la même que pour les taffonis sensu stricto, l'absence de sel et même de vent violent étant compensés par la relative incohérence de la roche.

Cette habitation (figures 1 à 5, ci-dessus) se trouve à une centaine de mètres de l'entrée de la citadelle de Chinon. En se dirigeant vers cette citadelle, on longe la même formation géologique, beaucoup moins aménagée (avec seulement un mur au sommet et deux entrées de caves maintenant murées) et permettant d'avoir une vue d'ensemble de l'affleurement.

Localisation de Chinon (punaise rouge) et d'Uzès (punaise verte), deux sites situés loin de la mer et montrant des affleurements avec figures d'érosion alvéolaire
Figure 10. Localisation de Chinon (punaise rouge) et d'Uzès (punaise verte), deux sites situés loin de la mer et montrant des affleurements avec figures d'érosion alvéolaire — ouvrir l’image en grand

On trouve assez souvent en France (et dans les pays limitrophes) de telles morphologies alvéolaires loin de la mer, en particulier dans les grès et autres roches clastiques (siliceuses ou calcaires) mal consolidées. Ces structures sont particulièrement fréquentes dans les grès des Vosges et du Palatinat, et dans les calcaires bioclastiques miocènes du Sud de la France, calcaires connus géologiquement sous le nom de « molasse burdigalienne ». Cette « molasse burdigalienne » est très utilisée dans le bâtiment, et l'est aussi beaucoup pour faire des cheminées d'intérieur. Elle est vendue sous le nom de « pierre du Gard » (cf. Carrières de pierres de taille(lien externe - nouvelle fenêtre) ). Elle a été abondamment utilisée pour la construction des ponts, châteaux et églises depuis les Romains. Sur de très nombreux monuments, cette « pierre du Gard » montre de très belles figures d'érosion alvéolaire. Citons le Pont du Gard, les remparts d'Avignon, la Citadelle des Baux de Provence, et, comme nous le montrons ici, l'église Saint Étienne à Uzès (Gard). Cette église baroque a été construite de 1764 à 1774. Les figures d'érosion montrées ci-après ont donc été faites en moins de 250 ans.