Article | 20/05/2020
Les bouches de Bonifacio (Corse), paradis du naturaliste en vacances – Le causse calcaire de Bonifacio
20/05/2020
Résumé
Les calcaires du causse de Bonifacio : calcaires récifaux, grès calcaires et calcarénites, environnement de dépôt, stratifications entrecroisées, érosion, karstification…
Source - © 2012 D'après LPLT — CC BY-SA 3.0 | |
Nous avons évoqué dans un article précédent les bouches de Bonifacio, détroit séparant la Sardaigne de la Corse, ses archipels de La Maddalena et des Lavezzi, et surtout ses granitoïdes tardi-hercyniens qui forment de spectaculaires chaos semi-immergés (cf. Les bouches de Bonifacio (Corse), paradis du naturaliste en vacances – Les granitoïdes des Lavezzi). Dans cette seconde partie nous évoquerons l'autre roche qui domine les affleurements du secteur : le calcaire gréseux.
Les sédiments gréso-calcaires du Miocène sont en effet abondants au niveau des fonds marins des bouches de Bonifacio, depuis la partie Ouest du détroit ouverte sur le bassin algéro-provençal, jusqu'à l'Est où ces sédiments sont connus par la sismique entre les archipels des Lavezzi et de la Maddalena. On en retrouve de petits affleurements terrestres en Sardaigne, au niveau de Capo Testa. Surtout, ces calcaires gréseux blancs émergent autour de la ville de Bonifacio, où ils forment un véritable causse. Au niveau de ce plateau d'une superficie de 60 km2, d'altitude très constante (entre 60 et 80 mètres), les strates sont peu perturbées, assez tabulaires. Ces roches sédimentaires récentes claires contrastent de façon spectaculaire avec les plutons anciens souvent rougeâtres qui dominent les affleurements en Corse du Sud et en Sardaigne.
En particulier, le découpage net de la côte calcaire tranche sur le modelé granit(oïd)ique aux contours très festonnés. Il s'exprime par une morphologie de falaises abruptes et relativement rectilignes qui limitent le causse de Bonifacio, avec des à-pics qui peuvent atteindre la centaine de mètres au cap Pertusato. Ces falaises sont particulièrement spectaculaires de par leurs vastes surplombs, leurs chaos d'éboulis et leurs larges grottes, résultats assez typiques de l'érosion marine et de la dissolution karstique.
Pour comprendre l'origine de ces calcarénites miocènes, rappelons quelle a été l'histoire géologique de la Corse après l'orogenèse hercynienne. On peut y distinguer quatre phases majeures :
- au Mésozoïque : dépôt de séries sédimentaires (sur la marge passive de l'océan Alpin dont faisait partie la Corse), mise en place des ophiolites des schistes lustrés et début de l'histoire alpine. Cette phase reste a surtout laissé des traces dans le quart Nord-Est de la Corse, et aucun dépôt mésozoïque ne demeure à proximité de Bonifacio (même si des indices suggèrent qu'ils ont bien existé autrefois avant d'être érodés) ;
- à partir du début du Cénozoïque :, exhumation du bâti granitoïdique et érosion de l'ensemble croûte-couverture liées à un bombement lithosphérique anté-rift, suivi du dépôt de sédiments marins à l'Éocène. Pendant l'Oligocène ces processus se poursuivent dans un contexte de rifting continental allant du Languedoc au centre de la Sardaigne ;
- au Miocène : rotation antihoraire du bloc corso-sarde associée à l'ouverture de l'océan algéro-provençal (bassin occidental de la Méditerranée), à du volcanisme (peu développé à terre en Corse, on en trouve cependant quelques traces en Sardaigne et surtout au niveau des fonds marins avec la création du domaine océanique liguro-provençal), et à une transgression marine qui permettra d'importants dépôts de plateforme. Volcanisme et dépôts sédimentaires miocènes au niveau des bouches de Bonifacio sont favorisés par une légère extension Nord-Sud entre Corse et Sardaigne (rift avorté) ;
- à partir de la fin du Miocène et jusqu'à nos jours : cette plate-forme constituée pendant une bonne partie du Miocène ne semble pas trop affectée par l'ouverture de la mer Tyrrhénienne au Pliocène ; elle est incisée par les baisses eustatiques du Messinien et du Quaternaire.
Les principaux dépôts miocènes que nous verrons dans les photos suivantes sont décrits dans la notice (extrêmement riche) de la carte géologique Sotta-Bonifacio-Santa Teresa du Gallura au 1/50 000 (voir aperçu en figure 7), à téléconsulter ou télécharger sur InfoTerre. On peut les présenter succinctement.
- m2a2. Formation de Cala di Labra (Miocène inférieur, plus précisément Burdigalien supérieur, soit un peu plus vieux que −15,97 Ma). Ce sont des calcaires récifaux avec des passées détritiques (sables, graviers, galets…) montrant un enrichissement progressif en carbonates avec le temps (on passe ainsi, de bas en haut, de strates de conglomérats ou de grès à des calcaires gréso-silteux puis à des calcaires bioconstruits et/ou bioclastiques plus purs).
- m2-3P. Membre de Pertusato de la formation de Bonifacio (Miocène moyen, plus précisément Langhien inférieur, soit un peu plus jeune que −15,97 Ma). Il s'agit de sables et grès calcaires grossiers à fragments coquillers, montrant de nombreuses discontinuités érosives. Les dépôts du membre de Pertusato sont rapportés à un milieu de sédimentation en domaine de plateforme marine peu profonde soumise à une dynamique de houle et de vagues de tempêtes. Ils enregistrent une phase de bas niveau marin.
- m2-3B. Membre de Bonifacio (un peu plus récent que le membre de Pertusato, mais appartenant toujours à la formation de Bonifacio d'âge Langhien inférieur). Épais de 50 à 80 m en falaises littorales, il est composé de calcarénites (issues de la diagenèse de sables calcaires), structurées en corps sédimentaires métriques à hectométriques, alternant avec des épisodes à stratification plus régulière, la partie supérieure montrant un enrichissement en carbonates. La diminution de la fraction détritique associée à un affinement de sa granulométrie peut signifier un éloignement progressif des paléorivages.
De nombreuses randonnées sur le causse et dans la ville de Bonifacio, de même qu'une traversée touristique en bateau (au retour des iles Lavezzi par exemple), permettent d'observer aisément de spectaculaires affleurements côtiers de ces grès calcaire du Miocène (figures 8 à 46).
L'observation détaillée du membre de Bonifacio (figures 11 à 25) montre que les calcarénites claires y sont structurées en grands corps sédimentaires décamétriques en 3D, dessinant de larges stratifications obliques entrecroisées dans les falaises. Cette disposition n'est pas issue d'une perturbation tectonique, mais bien du mode de dépôt sédimentaire, marqué par des courants changeant régulièrement de direction. Cela suggère un environnement marin de profondeur faible, dominé par l'action de courants de type courants de marées, avec des dunes hydrauliques se déplaçant sur le fond. D'autres stratifications entrecroisées d'origine comparable (d'ailleurs assez courantes dans les dépôts miocènes français), ont déjà été présentées sur Planet-Terre : Érosion alvéolaire dans des calcaires bioclastiques à Chinon (Indre et Loire) et Uzès (Gard) ; Étudier la sédimentation et l'érosion des grès en se promenant dans Strasbourg ; Les stratifications obliques du Miocène provençal, région de Fontaine de Vaucluse (Vaucluse) ; La carrière du Strangenberg, tectonique et sédimentation en bordure du fossé rhénan ; et jusque sur Mars avec Une leçon de sédimentologie martienne.
Ce mode de dépôt (figure 26) est très similaire à celui de dunes éoliennes, avec un fluide différent (courant marin au lieu du vent), dunes elles aussi largement étudiées sur Planet-Terre, par exemple dans les articles Stratifications éoliennes ; Les pseudo-dunes continentales de Sermoyer et la Truchère-Ratenelle ; La discordance hercyno-würmienne et la dune fossile de la Pointe du Tuf à Port-Cros ; ou encore dans plusieurs articles de la série sur le plateau du Colorado, notamment Les déplacements du fer dans les grès Navajo, plateau du Colorado (États-Unis d'Amérique).
Source - © 2012 D'après David Tarailo, GSA, GeoCorps Program, modifié
De nombreux phénomènes karstiques sont par ailleurs observables dans ces calcaires impurs : dolines, lapiaz, vallées sèches… Nous avons déjà pu voir des concrétions calcaires (alignements stalactitiques au niveau des joints entre certaines strates : figures 13, 16, 17, 25, 27 à 30, 34 et 41) ; des grottes sont également présentes en plusieurs endroits ( figures 29 à 34, et 35 à 38).
Quelques repères bibliographiques
- On ne saurait trop recommander la lecture de la notice de la carte géologique Sotta-Bonifacio-Santa Teresa du Gallura au 1/50 000, par Orsini et al., parue en 2011 (BRGM).
- Autre ouvrage intéressant , le guide intitulé L'Extrême-Sud du CRDP de Corse, disponible en ligne, où le lecteur trouvera notamment plus de détails sur la végétation, les figures sédimentaires, le contact entre roches sédimentaires et socle granitoïdique, etc.
- Pour plus de détails sur l'ouverture du bassin algéro-provençal et la rotation antihoraire du microbloc corso-sarde, on pourra consulter la lithothèque de l'académie de Montpellier, par exemple la page Ouverture de la Méditerranée occidentale, ou encore quelques passages de l'article Présentation de la géologie régionale du Var : le massif hercynien des Maures et de Tanneron sur Planet-Terre.
- Il existe enfin de nombreux articles sur les karsts sur Planet-Terre, parmi lesquels ces deux articles génériques : Karst et érosion karstique et Structures rencontrées dans un karst.