Article | 29/04/2016
La discordance hercyno-würmienne et la dune fossile de la Pointe du Tuf à Port-Cros
29/04/2016
Résumé
Discordance entre les micaschistes du Massif des Maures et une dune fossile datant du Würm à la Pointe du Tuf sur l'île de Port-Cros.
Il peut arriver que le tout nouveau enseignant de SVT, rappelons-le, géologue amateur (puisque très souvent biologiste de formation) prenne le bateau depuis le port d'Hyères pour le cœur du Parc national de Port-Cros. Visiter les multiples merveilles biologiques de ce parc marin et terrestre est presque une évidence pour un biologiste, mais celui-lui peut-il élargir son regard aux curiosités géologiques ?
Un premier regard au littoral de l'île depuis le bateau révèle les déformations qu'ont subies les roches, des micaschistes en majorité, dont le plan de schistosité et l'axe des plis sont orientés Nord-Sud sur toute la surface de l'île. Un peu de culture en SVT et un coup d'œil à la carte de France au millionième indiquent que les îles d'Hyères, et donc l'île de Port-Cros, appartiennent géologiquement au massif des Maures, socle métamorphisé lors de l'orogenèse hercynienne.
Si l'écologue continue sa découverte de l'île, par exemple en partant à la recherche du phyllodactyle d'Europe, un petit gecko méditerranéen thermorégulant la journée à l'abri dans les interstices entre les débits de roches, il appréciera de ses yeux novices un gradient métamorphique Ouest/Est dans les micaschistes, faisant apparaitre des grenats et des staurotides de belles tailles.
Ainsi, l'ensemble de l'île de Port-Cros semble constitué par des roches métamorphisées par l'orogenèse hercynienne, essentiellement micaschistes et un peu d'orthogneiss. Cette dominante se retrouve dans les matériaux de construction des nombreux forts militaires de l'île, essentiellement en micaschistes. Cependant, quelques montants de porches ont été taillés dans un grès qui montre d'importants signes d'érosion vraisemblablement d'origine éolienne (ce qui peut rappeler ce qu'on observe à Chinon ou Uzès, cf. Érosion alvéolaire dans des calcaires bioclastiques à Chinon (Indre et Loire) et Uzès (Gard)).
Un petit coup d'œil à la carte géologique de Port-Cros, que le biologiste n'aura pas oublié d'emporter, indique la présence de quelques touches de grès, notamment au niveau de la pointe dite du Tuf.
La Pointe du Tuf tient son nom de la structure vacuolaire qui affecte par endroit cette dune fossile caractérisée par des bancs subhorizontaux et finement lités de grains de sables consolidés par un ciment. Les bancs sont courbes, leur épaisseur varie et certains recoupent d'autres bancs inférieurs à la manière de figure de sédimentations. Ces stratifications obliques et variables reflètent un mode de dépôt irrégulier avec des périodes d'érosion. Il s'agit non d'un tuf calcaire mais d'un grès éolien issue de la fossilisation d'une dune datant de la fin de la dernière glaciation du Würm (~10000 ans) (cf. Stratifications éoliennes et Une mini discordance).
Attention à l'emploi du mot "tuf".
Pour les bâtisseurs et maçons anciens, un tuf est une roche légère, assez tendre et donc facile à travailler, et souvent poreuse. Ainsi sont appelées "tufs" des roches géologiquement très différentes, allant des travertins (cf. Cascades de tuf (travertin) dans le massif du Jura), aux roches volcaniques, aux grès vacuolaires.
Ce terme étant imprécis, on évitera, en sciences, de l'employer, ou du moins, on l'explicitera pour lever toute ambigüité.
La dune fossile montre d'intéressantes figures de bioturbation et d'érosion. Deux origines sont possibles pour des bioturbations de cette taille (40 cm et plus) : des traces de racines (origine privilégiée lorsqu'on observe des ramifications), ou d'anciens terriers vraisemblablement d'annélides (il existe des arénicoles de 40 cm de long). Ces bioturbations se retrouvent à plusieurs endroits, repérables à la meilleure résistance à l'érosion permise par une diagenèse particulières liée à la présence initiale de matière organiques. En termes d'érosion, le grès dunaire est aussi affecté par des figures en « marmites de géants » (cf., par exemple, Les marmites de géant de la cascade du Sautadet, La Roque-sur-Cèze, Gard).
Enfin, le biologiste, dans son costume de géologue amateur, apprécie le contact direct et discordant entre le massif métamorphique d'origine hercynienne et le grès dunaire subhorizontal. C'est ici une lacune temporelle immense (~350 Ma) qui sépare, sur la largeur d'une feuille de myrte (voir photo ci-dessous), ces deux ensembles géologiques !
Source - © 2006 C. Combot |