Article | 26/05/2015
La carrière du Strangenberg, tectonique et sédimentation en bordure du fossé rhénan
26/05/2015
Résumé
Visite d'une carrière des collines sous-vosgiennes (Westhalten, Alsace). Étude du milieu de dépôt des conglomérats côtiers, observation de figures sédimentaires et petite étude tectonique.
Table des matières
Localisation, contexte, accès à la carrière du Strangenberg
Accès interdit sauf dérogation
L'accès à la carrière du Strangenberg est interdit. Le site est clos mais les
travaux de recherche et les visites d'étudiants sont possibles sur dérogation à
demander au Conseil général du Haut-Rhin (Colmar), auprès du Service Environnement
et Agriculture de la Direction de l’environnement et du cadre de vie (envir.agri@haut-rhin.fr
).
Cette dérogation est nécessaire aussi bien pour une visite avec des élèves /
étudiants que pour le nécessaire repérage préparatoire. Une autre possibilité est de
passer par le biais de guides accompagnateurs tels que ceux proposée par la Maison de la géologie de
Sentheim, par exemple.
Du fait de la chute régulière de blocs, il est préférable de ne pas s'approcher des falaises, ou alors seulement muni obligatoirement d'un casque de sécurité et pour une durée limitée au strict nécessaire.
Plusieurs carrières locales ont permis l'exploitation des grès calcaires à grain fins, dits « grès lattorfiens » utilisés pour la construction de maisons de Rouffach, de monuments à Colmar et de la cathédrale de Thann. Le site étudié a été ré-exploité en 1954 pour la restauration de l'église Saint Martin de Colmar. Laissée à l'abandon, elle fut pillée (fossiles, pierres), commença à poser aussi des problèmes de sécurité, ce qui amena à sa clôture et son interdiction d'accès. Le site est aujourd'hui régulièrement entretenu et maintenu dans un état propice à son étude géologique, sur dérogation.
Milieux de dépôt et sédimentation
Alternance marno-calcaire, conglomérats, calcarénites et figures de dépôt
Globalement, le front de taille montre une alternance de bancs indurés de grès à ciment calcaires jaunes (calcarénites) et de bancs marneux jaunes, roses ou rouges. On peut par endroit voir une évolution verticale avec passage de bancs indurés de moins en moins épais alors que les passées marneuses semblent s'épaissir, ce qui fait penser à une cyclicité climatique : alternance de périodes marquées par l'érosion de massifs amont (grès) et de périodes sans érosion importante pendant lesquelles une altération de développe avec formation d'argiles dans les sols. Une légère érosion peut emporter ces argiles d'altération qui sédimentent alors en mélange avec une boue calcaire biogénique (marnes). La diminution progressive de l'épaisseur des bancs gréseux indiquerait alors la diminution progressive de la force et/ou de la durée des périodes érosives et l'augmentation de l'intensité et/ou de la durée des périodes d'altération.
La présence de galets de taille pluri-centimétrique à décimétrique plaide en faveur d'un dépôt en bordure de bassin (ce qui correspond bien à la position actuelle en limite collines sous-vosgiennes / fossé rhénan).
Stromatolithes
Les stromatolithes indiqueraient plutôt un milieu de dépôt peu profond et non tidal (cf. Les stromatolithes).
Rides de houle
Certains bancs montre une surface ondulée dont l'étude renseigne sur le milieu de dépôt. Ces ondulations sont des rides de houle semblables à celles que l'on peut observer en bord de plage (lac ou Méditerranée) et résultant de vaguelettes ou clapotis sans courant et sous faible tranche d'eau.
Fossiles et milieu d'eau douce
Il n'est pas aisé de voir, trouver des fossiles identifiables par le commun des mortels dans cette carrière, c'est même dangereux et interdit (toute dégradation et tout prélèvement sont interdits sur le site). Pour en observer plus facilement, il est possible de se rendre au Musée d'histoire naturelle et d'ethnographie de Colmar dont les collections contiennent des fossiles du Strangenberg dont certains sont exposés dans la salle consacrée à la géologie des Vosges et de l'Alsace.
Dans cette carrière, les fossiles retrouvés cités par la littérature sont des espèces dont les noms ont varié et/ou dont l'interprétation a varié au fil du temps. Sur la notice de la carte géologique sont citées les espèces Mytilus socialis (moule) et Paralates bleicheri (poisson). L'identification précise d'espèces fossiles et surtout la reconstitution de leur milieu de vie n'est pas toujours aisée. Ici, les moules, en général, sont potentiellement aussi bien d'eau douce que marines. De même Paralates est de la famille des Percidae (perches), poissons d'eau douce dont certaines peuvent se trouver dans les estuaires marins. Le caractère côtier est donc bien acquis, mais bordure de mer ou de lac ? Les études plus récentes, reprenant, comparant, compilant les données paléontologiques mais aussi les données sédimentologiques des terrains synchrones du fossé rhénan amènent les sédimentologues actuels à pencher pour un caractère dulçaquicole des dépôts, et donc des fossiles. C'est, par exemple, la présence d'espèces d'eau douce non contestées dans d'autres localités présentant ce même type de conglomérats côtiers, qui a permis de lever l'ambiguïté. Une meilleure compréhension des conditions de dépôts des sédiments et sels du fossé rhénan à aussi conduit à prendre le caractère essentiellement lacustre de nombreux épisodes de sédimentation (qui dit sel ne dit pas nécessairement mer).
Ces dépôts "lattorfien" ou du "Latdorfien" datent, selon le sens donné au terme (formation ou étage) de l'Éocène terminal au début de l'Oligocène, nous sommes en tout cas à la période charnière entre un fossé rhénan lacustre et une incursion marine. À cette époque, de forts mouvements verticaux différentiels (subsidence et/ou surrection des massifs bordiers) accentuent le dénivelé entre bordures et bassin de dépôt, d'où une forte érosion des massifs et la formation des dépôts conglomératiques associés.
Un peu de tectonique
On retrouve dans cette carrière de quoi faire un peu de tectonique en observant une faille normale.
Cette faille normale s'interprète comme une faille syntectonique liée à la subsidence du fossé rhénan lors du dépôt des conglomérats côtiers. Ce n'est pas l'observation de cette seule faille qui permet de l'affirmer, mais, comme pour les fossiles, la comparaison avec d'autres sites et la compréhension du contexte local. Le caractère syntectonique, par exemple, n'est pas facile à démontrer ici. Dans l'absolu, il faudrait, par exemple, trouver un niveau postérieur qui scelle la faille (marquant l'absence de jeu de cette faille après les dépôts observés) et/ou observer un décalage différentiel entre les niveaux inférieurs, plus anciens, et les niveaux supérieurs, plus récents (les plus anciens étant au final plus décalés puisque "soumis" plus longtemps à l'activité de la faille).
Résumé
Cette carrière permet d'observer, de comprendre, d'illustrer plusieurs concepts de sédimentologie et de tectonique. Elle se prête à la proposition d'exercice d'observation et d'interprétation abordables à différents niveaux de difficulté.
Sa visite peut aussi se placer dans le cadre d'une excursion thématique autour des Vosges (dont on aura par exemple étudié la série sédimentaire et le socle ou les vallées glaciaires), des collines sous-vosgiennes (champ de fracture entre faille vosgienne et faille rhénane) et/ou du fossé rhénan (rifting passif, mines de potasses). Les idées de visite alentour ne manquent pas.
Une autre proposition d'excursion dans les environs, à thématique "volcanisme", est proposée dans Excursion sur le paléovolcan du Rossberg (Alsace), coulée prismée et porphyre vert antique.
Quelques références
Académie de Strasbourg, SCÉRÉN, CRDP Alsace. Près de chez vous / Sud Alsace / Strangenberg, Lithothèque Alsace, consulté le 18 mai 2015
N. Théobald, avec la collaboration de F. Ménillet, P. Fluck, J. Lougnon, Ch. Bonnet, 1978. Notice explicative de la carte géologique de la France à 1/50 000 - 378-379, Neuf-Brisach Obersaasheim, 43p, disponible via InfoTerre - [pdf]
J.-P. von Eller, 1984. Guides géologiques régionaux - Vosges-Alsace, Masson, 2ème éd. révisée, 182p