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Image de la semaine | 31/01/2022

La Carrière du Mas (Villebois, Ain), ses stylolites, sa faille, quelques monuments bâtis avec son choin…

31/01/2022

Pierre Thomas

Laboratoire de Géologie de Lyon / ENS de Lyon

Olivier Dequincey

ENS de Lyon / DGESCO

Résumé

Une carrière de choin, un calcaire de construction à stylolites, une faille normale et des exemples variés d'usages.


Vue, en direction du Nord-Est, de la partie Sud de l'ancienne Carrière du Mas, entre le hameau de Bouis et le bourg de Villebois (Ain), dans son état de novembre 2021

Figure 1. Vue, en direction du Nord-Est, de la partie Sud de l'ancienne Carrière du Mas, entre le hameau de Bouis et le bourg de Villebois (Ain), dans son état de novembre 2021

Une partie de cette ancienne carrière a été déblayée et nettoyée (comme la Carrière des Meules) mais cela ne semblait pas terminé en novembre 2021. Il n'y avait pas (pas encore ?) à cette date de sentier aménagé ni de panneaux explicatifs. La stratification horizontale est bien visible aussi bien sur le front de taille “brut” que sur celui “coupé” à la scie. Des fragments de colonnes (sans doute taillés dans un atelier proche mais abandonnés pour une raison ou une autre) ont été alignés sur deux des gradins de cette partie du front de taille.

Localisation par fichier kmz de la Carrière du Mas de Villebois (Ain).


La pierre de Villebois (commune de l'Ain, à 60 km en amont de Lyon sur les bords du Rhône), a été activement exploitée comme pierre de taille ou de dallage depuis le XVIe siècle jusque dans les années 1950. Ce calcaire du Jurassique moyen (Bathonien, −167,7 à −164,7 Ma) était très apprécié pour ses qualités : compact et très dur, il résistait aux intempéries comme à l'écrasement. On l'appelait « choin » ce qui signifie « pierre de choix ». Toutes les carrières de l'Ain (rive droite du Rhône) sont maintenant fermées, mais le même calcaire bathonien est encore exploité de l'autre côté du Rhône, en Isère. De très nombreux monuments lyonnais, régionaux et même nationaux sont construits avec cette pierre de Villebois (cf. par exemple Du Jurassique au Quaternaire, les ammonites réelles et imaginaires de l'agglomération lyonnaise (figures 15 à 22), ou Faire de la géologie à moins d'un kilomètre de chez soi pendant le confinement (figures 10 à 15).

La Carrière du Mas, entre le hameau de Bouis et le bourg de Villebois, abandonnée depuis longtemps, a été vidée des déblais et détritus qui l'encombraient, partiellement nettoyée… sans doute pour “rejoindre” la Carrière des Meules (cf. Les stylolites de la pierre de Villebois (Ain) à la Carrière des Meules) et deux autres sites de la commune, dans la liste des 37 espaces naturels sensibles de l'Ain. Sentier balisé, panneaux explicatifs… vont sans doute venir dans les années qui viennent. On retrouve dans cette carrière le même calcaire que dans la Carrière des Meules, avec en particulier les mêmes stylolites.

Le secteur Sud de la carrière du Mas (Villebois, Ain), photographié en direction du Sud-Ouest

Figure 2. Le secteur Sud de la carrière du Mas (Villebois, Ain), photographié en direction du Sud-Ouest

Les couches horizontales sont soit séparées par des bancs plus marneux, soit séparées par des joints stylolitiques. Les bancs calcaires dépourvus de niveaux marneux peuvent mesurer jusqu'à 1 m d'épaisseur. Si les joints stylolitiques internes à des bancs épais sont suffisamment discontinus ou si les compartiments du banc sont suffisamment “imbriqués” par la “rugosité” des joints stylolitiques, alors ces bancs peuvent fournir des blocs épais et des segments de colonne assez longs. Les quatre fragments de colonne de cette photo mesurent environ 75 cm d'épaisseur. Les deux photos suivantes correspondent à des détails de la dernière colonne.


Un fragment de colonne de la figure précédente, abandonné dans la Carrière du Mas de Villebois (Ain)

Figure 3. Un fragment de colonne de la figure précédente, abandonné dans la Carrière du Mas de Villebois (Ain)

Ce fragment mesure environ 75 cm de diamètre pour 1 m de hauteur. Il a été taillé perpendiculairement à la stratification dans un banc de plus d'1 m d'épaisseur. De bas en haut, on voit au moins 6 joints stylolitiques dont les deux cotés étaient suffisamment bien imbriqués pour ne pas s'être séparés lors de la taille de la colonne.



Vue sur la partie Nord de l'ancienne Carrière du Mas, Villebois (Ain)

Figure 5. Vue sur la partie Nord de l'ancienne Carrière du Mas, Villebois (Ain)

Les récents travaux de déblaiement de l'ancienne carrière ont remis à l'air libre la partie inférieure d'un front de taille qui était restée à l'abri de la colonisation par mousses, lichens et voiles bactériens, contrairement à la partie supérieure qui était restée des décennies à subir les outrages de la météorologie et de la biologie. Cette partie inférieure “propre” de l'ancien front de taille montre de superbes stylolites.


Vue rapprochée sur le front de taille “propre” de la figure précédente, Carrière du Mas de Villebois (Ain)

Gros plan sur le front de taille “propre” de la figure précédente, Carrière du Mas de Villebois (Ain)

Au niveau des fragments de colonnes des figures 1 à 4, les strates sont recoupées par une faille normale (figures 8 à 12, ci-dessous), qu'un œil exercé aura certainement déjà remarqué sur la figure 2. Cette faille a une direction Nord-Ouest/Sud-Est. L'extension qui l'a causée devait être approximativement Nord-Est/Sud-Ouest. Les cartes géologiques à 1/50 000 du secteur montrent d'ailleurs de nombreuses failles ayant cette direction. Il faudrait replacer cette tectonique cassante dans l'histoire (sans doute complexe) de l'Ile Crémieu depuis le Bathonien jusqu'à l'époque actuelle.

Vue, prise en direction du Sud-Est d'une faille normale affectant les couches bathoniennes de l'ancienne Carrière du Mas, Villebois (Ain)



Zoom sur le miroir de la faille normale de la Carrière du Mas de Villebois (Ain)

Figure 11. Zoom sur le miroir de la faille normale de la Carrière du Mas de Villebois (Ain)

On voit bien les “marches” de calcite et les stries. Les stries sont purement verticales ; la faille ne montre pas de composante décrochante.


Gros plan sur le miroir de la faille normale de la Carrière du Mas de Villebois (Ain)

Figure 12. Gros plan sur le miroir de la faille normale de la Carrière du Mas de Villebois (Ain)

On voit bien les “marches” de calcite et les stries. Les stries sont purement verticales ; la faille ne montre pas de composante décrochante.


La pierre de Villebois a été très largement utilisée dans les constructions de toute la région, et même au-delà. Cette utilisation lointaine était grandement facilitée par la proximité du Rhône qui permettait le transport de lourdes charges avec des barges. Sur Planet-Terre, on a déjà vu l'utilisation de cette pierre sur les quais du Rhône et de la Saône à Lyon (cf. Du Jurassique au Quaternaire, les ammonites réelles et imaginaires de l'agglomération lyonnaise à partir de la figure 15), à la gare Jean Macé également à Lyon (cf. Faire de la géologie à moins d'un kilomètre de chez soi pendant le confinement à partir de la figure 10)… Nous vous montrons un autre exemple lyonnais, l'ancien Palais de justice, dit « Palais des 24 colonnes », construit de 1835 à 1847 par Louis-Pierre Baltard, père de Victor Baltard le célèbre bâtisseur des anciennes Halles de Paris. Nous vous montrons aussi l'obélisque monolithique de Villebois, qui serait la plus grande ”colonne” extraite d'un seul tenant d'une carrière française (44 tonnes, 9 m de haut). Seule l'obélisque de la Concorde est (beaucoup) plus grande, mais ne vient pas d'une carrière française (cf. Quand les crapauds des granites égyptiens démontrent le mélange de magmas à Paris et à Lyon). Nous vous montrons enfin comment les agriculteurs de Villebois utilisaient certaines pierres pour délimiter leurs propriétés.

L'ancien Palais de justice de Lyon, sur les bords de la Saône

Vue sur 8 des 24 colonnes de la façade de l'ancien Palais de justice de Lyon

Figure 14. Vue sur 8 des 24 colonnes de la façade de l'ancien Palais de justice de Lyon

Ces colonnes (et la pierre de construction) sont en pierre de Villebois. Chacune est constituée de l'empilement d'une douzaine de fragments cylindriques cannelés similaires (aux cannelures près) à ceux des figures 1 à 4. Le ciment qui lie ces “tranches” de colonnes se voit, car il forme de fins anneaux plus sombres.


Gros plan sur une des colonnes de l'ancien palais de justice de Lyon

Figure 15. Gros plan sur une des colonnes de l'ancien palais de justice de Lyon

On reconnait deux niveaux de ciment (beige, plus foncé que la pierre de Villebois) cimentant entre eux trois fragments de colonne. Les joints stylolitiques caractéristiques du choin de Villebois se voient très bien.


Le monolithe de Villebois placé sur la place du bourg, érigé d'un seul tenant en 1890 pour le centenaire de la Révolution française

Figure 16. Le monolithe de Villebois placé sur la place du bourg, érigé d'un seul tenant en 1890 pour le centenaire de la Révolution française

La figure suivante est une photo de la borne (au 1er plan à droite) qui donne des explications sur ce monument et son érection.

Localisation par fichier kmz du monolithe de Villebois (Ain).



Inscription à la base du monument, côté Sud, donnant une idée de l'état d'esprit en France en 1890

Figure 18. Inscription à la base du monument, côté Sud, donnant une idée de l'état d'esprit en France en 1890

Rappelons que le président Sadi Carnot fut assassiné à Lyon quatre ans plus tard (le 24 juin 1894) alors qu'il sortait d'un banquet au Palais de la bourse et du commerce, palais lui aussi construit en choin de Villebois.

Les joints stylolitiques se voient très bien sur le monolithe et son socle. Le président Carnot les-a-t-il vu ?


Inscription à la base du monument, côté Ouest, donnant une idée de l'état d'esprit en France en 1890

Figure 19. Inscription à la base du monument, côté Ouest, donnant une idée de l'état d'esprit en France en 1890

Rappelons que le président Sadi Carnot fut assassiné à Lyon quatre ans plus tard (le 24 juin 1894) alors qu'il sortait d'un banquet au Palais de la bourse et du commerce, palais lui aussi construit en choin de Villebois.

Les joints stylolitiques se voient très bien sur le monolithe et son socle. Le président Carnot les-a-t-il vu ?


Partie haute et sommet du monolithe de Villebois (Ain)

Figure 20. Partie haute et sommet du monolithe de Villebois (Ain)

Les stylolites très visibles (initialement horizontaux mais ici verticalisés) montrent que ce monolithe a été taillé “à plat” dans une couche qui ne présentait aucune fracture verticale sur au moins 10 m.


Gros plan une portion haute du monolithe de Villebois (Ain)

Figure 21. Gros plan une portion haute du monolithe de Villebois (Ain)

Les stylolites très visibles (initialement horizontaux mais ici verticalisés) montrent que ce monolithe a été taillé “à plat” dans une couche qui ne présentait aucune fracture verticale sur au moins 10 m.


Clôture séparant deux champs, une utilisation astucieuse et originale des dalles de calcaire de Villebois (Ain)

Figure 22. Clôture séparant deux champs, une utilisation astucieuse et originale des dalles de calcaire de Villebois (Ain)

Ces dalles sont sans doute des chutes et des débris de l'exploitation des anciennes carrières de choin.


Gros plan sur les dalles calcaires formant une clôture originale, Villebois (Ain)

Figure 23. Gros plan sur les dalles calcaires formant une clôture originale, Villebois (Ain)

On devine les joints stylolitiques sur les cassures en haut des dalles, et la surface piquetée des côtés, qui sont des joints stylolitiques vus de face.


Carte géologique et vue aérienne du secteur de Villebois (Ain)

Figure 24. Carte géologique et vue aérienne du secteur de Villebois (Ain)

L'ancienne Carrière du Mas est localisée par la punaise rouge, le monolithe par la punaise verte, et la Carrière des Meules par la punaise rouge.

La partie supérieure droite des images correspond au Jura plissé, principalement constitué de terrains du Jurassique (inférieur à supérieur) plissés. La partie inférieure gauche correspond à ce qu'on appelle l'Ile Crémieu, principalement constituée de terrains du Jurassique moyen et supérieur tabulaires. Ces deux secteurs sont séparés par une faille inverse indiqué en pointillés (car masquée par des éboulis figurés en rose). La carrière des Meules est située dans le Bathonien horizontal de l'Ile Crémieux (J2, jaune-orangé), au pied de la faille inverse. Les carrières en activité sur la rive gauche du Rhône sont bien visibles sur la photo aérienne, en particulier sur la commune de Montalieu-Vercieu, ce qui fait que le choin est aussi parfois appelé « pierre de Montalieu ».