Image de la semaine | 07/02/2022
L'histoire éruptive du Hunga Tonga-Hunga Ha'apai, archipel des Tonga, de l'an 1000 jusqu'à l'explosion du 15 janvier 2022
07/02/2022
Résumé
Volcanisme et zone de subduction intra-océanique : une violente éruption à répercussions mondiales.
Source - © 2022 KMA/Simon Proud/NCEO
Source - © 2022 @US_Stormwatch repris sur Reporterre
Le 15 janvier 2022 a eu lieu l'explosion volcanique la plus puissante depuis quelques dizaines d'années. Cette phase explosive paroxysmique qui a duré 8 minutes a eu lieu le 15 janvier 2022 de 17h10 à 17h18 (heure locale = heure TU + 13), alors que l'éruption avait commencé le 20 décembre 2021. Le volcan entré en éruption a un nom complexe (Hunga Tonga-Hunga Ha'apai), car ce nom provient de la réunion de deux iles (respectivement nommées Hunga Tonga et Hunga Ha'apai), réunion qui a eu lieu lors de l'éruption de 2014-2015. Ce volcan appartient à l'archipel des Tonga, chapelet de volcans situés à l'aplomb d'une zone de subduction, où la plaque Pacifique plonge dans l'asthénosphère en passant sous la plaque Indo-australienne (ici de nature océanique). Les laves sont majoritairement des andésites et des basaltes andésitiques. Étudier ce volcan en classe d'ici quelques années, quand les données seront bien connues, serait donc intéressant, car il s'agit d'un volcan de subduction assez classique, qui montre les effets (même lointains) que peuvent avoir ces volcans et parce que cela mettrait à bas une “définition” de la subduction très (trop) répandue, définition qui dit à tort qu'une subduction, c'est quand une lithosphère océanique s'enfonce sous une lithosphère continentale.
Dans la suite de cet article, nous allons étudier (1) l'histoire de ce volcan du XIe siècle à 2013, (2) l'éruption de 2014 à 2015, et (3) l'éruption récente qui a commencé en décembre 2021. Cet article a été rédigé et terminé très vite, à peine trois semaines après l'éruption majeure de janvier 2022, alors que l'éruption n'était peut-être pas terminée, alors qu'aucune publication scientifique n'était encore disponible. Il est basé sur les très nombreuses informations qui peuvent être trouvé sur la page dédiée du Global Volcanism Program de la Smithsonian Institution, sur des articles écrits à chaud sur Wikipédia (Éruption du Hunga Tonga en 2022 et Hunga Tonga) et sur de très nombreux articles de presse disponibles sur le web. Le même article écrit en 2024 serait donc vraisemblablement assez différent.
L'histoire éruptive pré-2014
Jusqu'en 2014, le complexe volcanique était constitué de deux iles (respectivement nommées Hunga Tonga et Hunga Ha'apai) et de quelques petis ilots. Le Global Volcanism Program de la Smithsonian Institution signale 4 petites éruptions pré-2014 : 2009, 1988, 1937 et 1912. Il n'évoque pas l'histoire plus ancienne. Il s'agissait de petites éruptions sous-marines. Quand le volcan (cône de cendres phréatomagmatiques) émergeait comme en 2009, il disparaissait rapidement sous les coups de boutoir de l'érosion marine. Cette morphologie en deux iles séparées daterait d'une énorme éruption qui aurait eu lieu il y a environ 1000 ans. Un volcan “de bonne taille” aurait subi une éruption importante, et l'ile aurait été détruite par la violence de l'explosion et par la formation d'une caldeira à l'emplacement de l'ancien volcan. Les deux iles et quelques ilots au Sud représenteraient ce qui reste des bords de la caldeira. On aurait là un déroulement analogue (bien que beaucoup plus modeste) à l'éruption du Santorin (Grèce) vers 1600 avant J.C., éruption qui a détruit la civilisation minoenne.
Source - © 2009 Telusa Fotu/AFP/Getty Images sur The Guardian
L'éruption de 2014-2015
Du 19 décembre 2014 à la fin janvier 2015, une nouvelle éruption eut lieu entre les deux grandes iles. Cette éruption de type surtseyen avait toutes les caractéristiques des éruptions phréatomagmatiques : explosivité assez forte, panaches cypressoïdes… (cf. Figures d'impacts dans des dépôts phréato-magmatiques et/ou sutseyens des falaises de Capelas, île de Sao Miguel, Açores). En deux mois, cette éruption bâtit une ile qui atteignit 1000 m de large, 2000 m de long et 100 m de haut. La nouvelle ile rejoignit Hunga Ha'apai et les courants engendrèrent un isthme qui rejoignit Hunga Tonga. Les deux iles préexistantes n'en formèrent plus qu'une. L'éruption cessa fin janvier 2015.
Source - © 20221 MFAT/AFP sur RTL.fr | |
Source - © 2022 Shane Cronin / The Conversation | Source - © 2022 F. Ruys-Vizualism, extraction reprise sur Futura Sciences |
L'éruption de 2021-2022
Une nouvelle éruption commença le 20 décembre 2021. Des explosions phréatomagmatiques violentes (cf. figures 10 et 11) ont été entendues de Nuku'alofa (la capitale des Tonga distante de 70 km du volcan), d'où l'on voyait des panaches de cendre. Un avis de danger a été émis à destination des compagnies aériennes, ainsi qu'une alerte de possible tsunami. Avec des hauts et des bas, l'éruption continua jusqu'au 11 janvier, date à laquelle les différentes alertes furent levées. Les images satellitales ont montré que l'édifice volcanique de 2014-2015 avait grandi (cf. fig. 12). L'éruption reprit avec plus de violence le 14 janvier vers 4h (heure locale), avec des colonnes éruptives de plusieurs kilomètres de large et de hauteur. Les autorités tongiennes relancèrent les alertes. Une image satellite prise le 15 janvier à 15h25 (cf fig. 14) montre qu'une bonne partie de l'édifice de 2014-2015 (agrandi entre le 20 décembre et le 11 janvier) a disparu. Ce même 15 janvier, à 17h10, débuta une phase surtseyenne et plinienne hyper-violente. Cette phase paroxysmale a duré 8 minutes avant de se calmer un peu. Le panache plinien atteint 15 à 20 km, s'étale de plusieurs centaines de kilomètres. Le lendemain (16 janvier), les cendres atteignaient 31 km d'altitude. Une image satellite du 17 janvier montre que la totalité de l'édifice de 2014-2015, au moins 70 % de l'ancienne ile d'Hunga Tonga et 40 % de l'ancienne ile d'Hunga Ha'apai ont disparu. Une image satellite radar prise le 15 janvier au soir montre que ces disparitions ont eu lieu dans les minutes (ou heures) qui suivirent l'explosion du 15 janvier, 17h10. Des études ultérieures, notamment bathymétriques (avec une comparaison avec l'état pré-15 janvier (figures 9 et 10), permettront d'estimer les parts relatives de l'explosion et d'un éventuel agrandissement de la caldeira (par subsidence) dans ces disparitions ou réductions de surface.
Source - © 2021 FA Weather repris par Courrier international | Source - © 2021 Tonga Geological Services / francetvinfo repris dans le reportage de FA Weather |
Source - © 2022 Planet Labs PBC repris sur reddit | Source - © 2022 Planet Labs PBC repris sur reddit |
Source - © 2022 Japan Meteorological Agency/NASA SpoRT – CC BY 4.0 | Source - © 2022 Japan Meteorological Agency/NASA SpoRT – CC BY 4.0 |
Source - © 2022 Ansa/NOAA/RAMMB sur soirmag | Source - © 2022 Ansa/NOAA/RAMMB sur Universe Today |
Source - © 2022 NICT sur News Unseen | Source - © 2019 NASA / Earth Observatory |
Source - © 2022 AFP/ESA, Copernicus Sentinel-2 sur rts |
Source - © 2022 ESA, Copernicus Sentinel-1 / Culture Volcan |
L'énergie de l'explosion du 15 janvier 2022 a été mesurée, et est équivalente à celle d'un séisme de magnitude 5,8. Cette explosion peut avoir deux origines, non incompatibles.
La première possibilité est une explosion d'origine phréatomagmatique (ou surtseyenne). De l'eau de mer imbibant le volcan entre en contact avec du magma. Contrairement à des coulées sous-marines où il y a (relativement) beaucoup d'eau et peu de magma (il y a trop d'eau pour que le magma la vaporise et il se forme des pillow lavas), il y a dans le cas d'éruptions phréatomagmatiques davantage de magma que ne peut refroidir l'eau ; cette eau s'échauffe, devient vapeur, vapeur qui ne peut que mal s'échapper car l'eau est contenue dans des fissures ou une nappe phréatique. La pression monte, et il y a explosion comme une cocotte-minute dont la soupape serait fermée.
La deuxième possibilité est purement magmatique. Un magma très riche en gaz dissouts remonte doucement. Sa pression interne diminue quand il arrive à (ou très près de) la surface ; la solubilité du gaz diminue ; le gaz se sépare du magma, forme des vésicules qui propulsent le magma vers la “sortie”. Tout cela diminue la densité du magma, ce qui diminue la pression dans la colonne de magma… Le phénomène peut s'emballer par réaction en chaine et “effet boule de neige”, et l'explosion survient. Si le mélange gaz + magma incorpore assez d'air chaud, on aura un puissant panache ascendant : une éruption plinienne.
Et il n'est pas impossible qu'une explosion surtseyenne ait brutalement mis le magma riche en gaz au contact avec l'atmosphère, ce qui a entrainé une démixtion explosive gaz/magma.
Quand des études sur place seront possibles, ces différentes hypothèses (et peut-être d'autres) pourront être testées et on pourra estimer les parts relatives des parts surtseyenne et plinienne dans les évènements du 15 janvier 2022.
Les iles Hunga Tonga et Hunga Ha'apai réunies en 2014-2015 étaient inhabitées, non cultivées... L'éruption de 2021-2022 n'a donc fait aucun dégât humain ni matériel localement.
Mais cette éruption de 2021-2022 et son explosion du 15 janvier 2022 ont eu des effets à plus longue distance : pluie de cendres sur les iles voisines, tsunami affectant tout le Pacifique, et onde de choc atmosphérique pour la Terre entière. Avant de voir quelques photographies de ces effets lointains, on peut citer deux témoignages relatés dans le journal Le Monde daté du 28 janvier 2022. Ces témoignages sont ceux d'habitants de la capitale Nuku'alofa ou d'autres localités de cette même ile.
« Il y a eu des bruits terrifiants, des explosions de plus en plus fortes au point de nous laisser à moitié sourds. Nous avons immédiatement compris qu'il était en train de se passer quelque chose de grave, qu'il fallait courir pour se mettre à l'abri. »« C'est alors que le ciel est devenu noir et qu’il s'est mis à pleuvoir, non pas de l'eau, mais des cendres, des cailloux. C'était apocalyptique. On ne voyait plus rien à travers notre pare- brise. »
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Source - © 2022 Tim Schmit, NOAA/NESDIS/ASPB | Source - © 2022 Météo-France Océan Indien sur @EKMeteo / Twitter |