Image de la semaine | 06/03/2017
Le calcaire à gryphées (Sinémurien) des carrières de Saint-Fortunat, Saint-Didier-au-Mont-d'Or (Rhône), et son pont monolithique
06/03/2017
Résumé
Anciennes carrières de calcaire de construction et pont résiduel monolithique.
Toutes les grandes villes nécessitaient d'énormes quantités de matériaux pour construire leurs maisons, ponts, églises... Jusqu'à la généralisation des chemins de fer (puis du béton), et sauf pour des monuments exceptionnels, les constructions étaient bâties avec des matériaux locaux, pierres quand il y en avait, briques quand les pierres locales manquaient (comme à Toulouse, par exemple). Et les pierres n'étaient pas toutes utilisées pour les mêmes usages. Certaines pierres très résistantes à la rupture était utilisées comme pierres d'angle ou comme linteaux ; d'autre très résistantes à l'usure était utilisées pour les dallages et les marches d'escalier... Depuis le Moyen-Âge, les habitants de Lyon qui cherchaient à faire des constructions durables ont surtout utilisé trois matériaux locaux venant des Monts-d'Or, collines de terrains du Trias et du Jurassique qui dominent Lyon au Nord-Ouest, parce que ces matériaux avaient de meilleurs propriétés que les roches du socle hercynien, les "molasses" miocènes ou les sédiments glaciaires qui constituent le sous-bassement de la ville. Trois couches du Jurassique ont été particulièrement utilisées à Lyon :
- Les calcaires du Bathonien (-168 à -166 Ma), calcaires blancs, plus ou moins oolitiques. Ces calcaires sont localement connus sous le nom de « pierre de Lucenay ». Ils ont servi, entre autres, à bâtir l'abbaye d'Ainay et la cathédrale Saint-Jean. Ces calcaires bathoniens ont progressivement été remplacés au cours du XIXème siècle par un calcaire de même âge venant du Bugey, la « pierre de Villebois », également connue sous le nom de « choin de Villebois ».
- Le calcaire à entroques de l'Aalénien (-174 à -170 Ma), connu sous le nom de « pierre jaune de Couzon » (également appelé la « pierre dorée du Beaujolais »). Ce calcaire a été particulièrement utilisé pour bâtir les hôtels particuliers de la Renaissance.
- Le calcaire à gryphées du Sinémurien (-199 à -190 Ma), dit « pierre grise ». Ce calcaire à la résistance remarquable a surtout été utilisé comme pierres d'angle, montants et linteaux de portes et de fenêtres, et pour faire les dallages intérieurs et les marches d'escalier.
Toutes les carrières des Monts-d'Or sont pratiquement abandonnées.
Cette semaine, nous vous présentons ce que l'on peut encore voir du principal centre d'extraction du calcaire à gryphée (Sinémurien), à Saint-Fortunat, dans la commune de Saint-Didier-au-Mont-d'Or, commune limitrophe de Lyon. La semaine prochaine, nous verrons de plus près ce calcaire, les fossiles qu'on y trouve (en particulier les gryphées) et comment on peut voir ce calcaire et ses fossiles en se promenant dans les rues de Lyon. Puis nous verrons un usage particulier de ce calcaire dans la chapelle de Saint-Fortunat. Enfin, comme ce sera la semaine du 1er avril, nous plaisanterons un peu, toujours en relation avec les calcaires jurassiques de la région lyonnaise.
La carte géologique de Lyon décrit ainsi les calcaires du Sinémurien :
l3-4. Sinémurien s.l. Calcaire à grains de quartz, Calcaire à Gryphées. Le Sinémurien s.l. marque une évolution vers un milieu plus franchement marin et largement ouvert sur le large. Il débute par les Calcaires à grains de quartz et se poursuit par le Calcaire à Gryphées. Ce dernier a été autrefois activement exploité. On pouvait en extraire de grandes dalles d'épaisseur diverse, très résistantes, qui ont servi à construire les escaliers, les linteaux de portes et de fenêtres des vieilles maisons lyonnaises. Les carrières sont particulièrement importantes dans le vallon de Saint-Fortunat et à la Barollière.
Ces dernières sont d'ailleurs exploitées pour matériaux d'empierrement. On peut relever dans ces carrières des coupes détaillées banc par banc. Il s'agit cependant d'un ensemble assez homogène, épais d'environ 12 m, de calcaires gris, extrêmement riches en Gryphées (véritable lumachelle). Les variations consistent, à la base en la présence de grains de quartz dispersés ou en lentilles, au milieu en la présence de minces bancs à grains fins interrompant la régularité des assises (banc savonneux »), au sommet en la raréfaction des Gryphées et en l'apparition d'indices de perturbations sédimentaires.
Le Sinémurien inférieur (= Sinémurien des anciens auteurs) commence donc avec les Calcaires à grains de quartz (zone à Rotiforme) avec, à la base, Vermiceras cf. cordieri et, plus haut, Coroniceras rotiforme. Épais de 2,50 à 3 m, cet ensemble est caractérisé par l'abondance des lentilles gréseuses ; la taille des grains de quartz peut atteindre plusieurs millimètres. F. Vitry (1964, inédit) a montré que ces passées gréseuses s'organisaient rythmiquement, le sommet des rythmes étant marqué par des ravinements.
Au-dessus, vient un excellent repère, le banc à Cardinies, lumachelle épaisse de 0,20 m appartenant encore à la zone basale à Rotiforme. Puis une première partie des calcaires à Gryphées correspond à 4 m de calcaires cristallins à Gryphaea arcuata ; elle contient des Ammonites de la zone à Bucklandi (Coroniceras bucklandi de grandes dimensions, C. bisulcatum, C. gmuendenseJ. La faune associée (Gastéropodes, Bivalves, Brachiopodes, Échinodermes) est riche et variée. On note l'abondance des entroques (20 à 50%). Par contre, le banc savonneux (0,10 m) qui vient au-dessus en est dépourvu ; il s'agit d'un calcaire à grain fin, encadré par deux interlits marneux, autrefois utilisé par les carriers pour faire glisser les bancs. Le Sinémurien inférieur se termine par 4 m de calcaire cristallin à Gryphaea arcuata dans lequel des Arnioceras permettent de reconnaître la zone à Semicostatum.
Le Sinémurien supérieur (= Lotharingien des anciens auteurs) commence par 4 m de calcaire légèrement plus argileux, en bancs plus épais mais toujours riche en Gryphées qui sont cependant plus larges (G. cymbium). Des Asteroceras, des Arnioceras et des Microderoceras indiquent la zone à Obtusum. Le Sinémurien se termine par des niveaux (1 à 2 m) déposés dans un milieu plus perturbé que celui qui avait régné pendant la formation des calcaires à Gryphées. Ce sont des calcaires argileux, glauconieux, bruns ou roux dans lesquels apparaît, vers le haut, du matériel phosphaté et ferrugineux. Le dernier niveau contient des oolithes ferrugineuses. Ces assises perturbées, soumises à l'action des courants marins forment transition avec les formations suivantes. Elles livrent des Ammonites des zones à Oxynotum et à Raricostatum.
Le patrimoine des carrières de Saint Fortunat, tant du point de vue géologique qu'industriel et historique a été laissé à l'abandon lors de la fermeture des carrières fin XIXème – début XXème siècle. Ce n'est que récemment qu'association (Vivre Saint-Fortunat ) et autorités locales ont pris conscience de la valeur de leur patrimoine, et ont cherché à sauver et/ou mettre en valeur ce qui pouvait encore l'être. Ainsi est né le sentier de la pierre qui explicite différents aspects historiques et/ou géologiques du secteur.
Une des pièces majeures du patrimoine carrier de Saint-Fortunat est relativement unique en son genre, du moins en France. Il s'agit d'un pont, mais d'un pont presque monolithique, taillé dans la masse du calcaire, ou plutôt "épargné" et laissé en place lors de la progression du front de taille, et, ce, pour laisser passer un chemin important qui reliait le village au vallon des Gorges. D'après ce qu'on voit sur les photographies anciennes, ce "pont", parfois improprement appelé aqueduc, comprenait six arches, une étroite au centre, deux plus larges au Nord et trois au Sud. Le chemin qui l'empruntait dominait le plancher des carrières de 17 m. Le sommet des piles, les arches et les parapets du chemin avaient été "consolidés" et maçonnés ; les 3/4 à 4/5 inférieurs des piles étaient faites du calcaire "brut" non maçonné. Menaçant de s'effondrer, les arches de cet étrange pont ont été remblayées à mi-hauteur il y a une cinquantaine d'années. Il est heureux que propriétaires et/ou autorités de l'époque aient remblayé ce pont plutôt que de le détruire, mais il est vraiment dommage que, de nos jours, ce monument assez exceptionnel ne soit pas plus mis en valeur (après sécurisation). Ce qu'il reste de ce pont, lui aussi dans une propriété privée, peut être vu (de loin) depuis le chemin des Gorges. Nous vous présentons le panneau explicatif décrivant ce pont, panneau situé sur le bord de la rue (nommée chemin des Gorges), ce qu'on peut en voir aujourd'hui (en 2015) du bord de cette rue, ainsi que sept photos datant du début du XXème siècle.
Source - © 1901-1902 Bibliothèque nationale de France sur wikimedia | Source - © --- D'après Vivre Saint-Fortunat "promenade", modifié |
Source - © --- D'après une carte postale utilisée par Vivre Saint-Fortunat "promenade", modifié | |
Source - © --- D'après une carte postale utilisée par Vivre Saint-Fortunat "promenade", modifié | Source - © --- D'après une carte postale utilisée par Vivre Saint-Fortunat "promenade", modifié |
Source - © --- D'après Vivre Saint-Fortunat "historique", modifié | Source - © --- D'après Vivre Saint-Fortunat "historique", modifié |