Image de la semaine | 23/04/2018
Pegmatites polies d'Afrique australe (Namibie et Afrique du Sud)
23/04/2018
Résumé
Pegmatites ornementales, facteurs contrôlant la taille des cristaux.
En France et dans de nombreux autres pays, les dallages d'allées, les devantures de magasins, les parements muraux, des tables et comptoirs de café… sont souvent constitués de calcaires et marbres divers (cf. Étudier les bélemnites et leur phragmocône dans le centre commercial de la Part-Dieu (Lyon, Rhône) et Orthocères, goniatites, décrochement… sur le parvis de la gare de la Part-Dieu à Lyon), de granites (cf. Quand les crapauds des granites égyptiens démontrent le mélange de magmas à Paris et à Lyon, de serpentinites (Carrière de serpentinite à Chatillon, Val d'Aoste, Italie)… En Namibie et en Afrique du Sud, on trouve souvent, en plus de ces roches usuelles, de magnifiques dalles polies de roches granitiques ou métamorphiques riches en filons de pegmatite.
Rappelons que les pegmatites sont des roches magmatiques filoniennes que l'on trouve principalement dans, et en périphérie, des granites, roches filoniennes caractérisées par des cristaux de taille anormalement grande. Elles correspondent la plupart du temps aux derniers liquides résiduels subsistant en toute fin de cristallisation du magma granitique, liquides silicatés résiduels saturés en eau en solution. Ce magma particulier s'injecte en filon dans l'encaissant périphérique du granite ou dans les parties déjà cristallisées de l'intrusion. L'abondance de l'eau dissoute dans les silicates fondus favorise la diffusion des ions dans le magma et provoque cette "anomalie" de cristallisation. Imaginons par exemple qu'un premier petit cristal d'orthose (feldspath potassique) apparaisse dans le magma en cours de refroidissement. En cristallisant, ce premier cristal d‘orthose a incorporé la majorité du potassium qui se trouvait dans le magma à son voisinage immédiat. Le magma perdant encore de la chaleur au cours du temps, de l'orthose va continuer à cristalliser. Il y a alors compétition entre deux solutions possibles. Si les ions potassium sont peu mobiles et circulent mal dans le magma, le premier cristal d'orthose ne pourra pas grandir, faute de potassium présent dans les environs, et ce sera un nouveau cristal d'orthose qui cristallisera à quelque distance du premier (quelques millimètres, voire moins), là où il y a abondance de potassium dans le magma. Si au contraire les ions potassium sont mobiles et circulent bien dans le magma, le premier cristal pourra grandir car il pourra incorporer tout le potassium présent à des centimètres à la ronde, ce qui empêchera par là-même la cristallisation de nouveau cristaux dans les environs. Ce qui est vrai pour le potassium l'est aussi pour tous les autres ions (sodium, calcium, fer…). Un magma granitique très riche en eau dissoute dans le magma cristallisera donc sous forme de cristaux peu nombreux mais de grande taille. Un magma granitique classique relativement pauvre en eau en solution cristallisera sous forme de nombreux petits cristaux de petite taille. On voit bien là que, comme pour les obsidiennes (cf. Obsidienne / bordure figée : une obsidienne n'est pas une lave refroidie rapidement), il n'y a pas que la vitesse de cristallisation du magma qui conditionne la taille des cristaux, même si bien sûr elle intervient pour expliquer la différence granite/rhyolite, gabbro/basalte... Et de même que l'absence de cristaux dans une obsidienne n'est pas due à un refroidissement rapide, la grande taille des cristaux des pegmatites n'est pas due à un refroidissement lent. Dans ce dernier cas, la non-relation taille des cristaux / lenteur de la cristallisation est particulièrement évidente, car les pegmatites forment des filons de largeur décimétrique à métrique, et non pas des massifs plurikilométriques. Des filons d'une dizaine de centimètres de large comme on en voit sur toutes les images de cet article se refroidissent bien sûr beaucoup plus vite qu'une grosse intrusion magmatique d'un diamètre plurikilométrique ; et pourtant leurs cristaux sont beaucoup plus gros.
En plus des minéraux classiques des magmas acides (micas, feldspaths et quartz), les pegmatites contiennent souvent des minéraux accessoires comme des tourmalines, des béryls, des topazes… Ces minéraux annexes incorporent les éléments peu compatibles avec le réseau cristallin des silicates usuels, qui ont été concentrés dans les derniers liquides résiduels après la cristallisation presque totale du magma initial. Par exemple la tourmaline incorporera le bore, le béryl incorporera le bérylium, le topaze le fluor…
Après les pegmatites ayant servi à faire un urinoir dans un restaurant namibien près des dunes de Sossusvlei, nous verrons d'autres pegmatites ornant les murs de l'aéroport de Johannesbourg en Afrique du Sud, puis d'autres enfin ayant servi à faire des tables dans un café de Namibie. Boire une bière, prendre l'avion et même uriner devant de telles roches procure un plaisir rare. Chacune des images de cette "galerie de pegmatites polies" ne sera accompagnée que d'une rapide description, car nous ignorons tout de la provenance, de l'âge, du contexte géologique… d'où ont été extraits les blocs ayant servi à faire ces dalles. Mais cette ignorance n'empêche pas l'admiration.
Toutes les photographies de P. Thomas de cet article ont été prises lors d'une excursion géologique organisée par le CBGA (Centre briançonnais de géologie alpine) et encadrée par Olivier Dauteuil (Université de Rennes).