Article | 11/12/2025
Le rocher de Roquebrune-sur-Argens (Var), un cône alluvial du Permien supérieur bien conservé
11/12/2025
Auteur(s) / Autrice(s) :
Publié par :
- Olivier DequinceyENS de Lyon / DGESCO
Résumé
Les formations composant un cône alluvial, alimentation d’un bassin sédimentaire et variation latérale de faciès.
Le rocher de Roquebrune, un repère visible de loin et un point de vue

Source - © 2025 — Matthias Schultz
Localisation par fichier kmz du rocher de Roquebrune-sur-Argens (Vars).
Le rocher de Roquebrune (Var) est une colline escarpée et relativement isolée, culminant à 370 m. Ses roches de couleur rouge sombre, relativement dénudées, contrastent avec le vert des maquis environnants et ont donné son nom au village. Dominant largement la plaine et le fleuve Argens, le rocher est un repère visible de loin, frappant notamment lors d'un passage par l'autoroute A8 à son pied côté Nord. Son ascension, relativement courte mais un peu technique, offre une superbe vue sur les collines des Maures au Sud-Ouest, sur Fréjus et la côte varoise au Sud-Est, et au Nord sur la vallée de l'Argens jusqu'à l'Estérel, au Tanneron, et aux Alpes au loin (figures 4 à 8). Autrefois dénommé « rocher des Trois Croix », le site avait une importante valeur religieuse au Moyen-Âge et faisait l'objet de pèlerinages, et reste entouré de légendes.
Quelle est l'origine géologique de ce relief singulier ?
![]() Source - © 2025 — Matthias Schultz On distingue le cours de l'Argens et le lac de l'Aréna (une ancienne gravière) dans la plaine au pied du rocher, plus loin la ville de Fréjus et le littoral varois (en haut à droite de l'image), et les reliefs de l'Estérel formant la bordure Nord de la plaine de l'Argens (horizon en haut à gauche de l'image). | |
![]() Source - © 2025 — Matthias Schultz On distingue au loin les collines des Maures couvertes de maquis. |
![]() Source - © 2025 — Matthias Schultz On distingue au loin les collines des Maures couvertes de maquis |
![]() Source - © 2025 — Matthias Schultz On distingue au loin la plaine de l'Argens empruntée par l'autoroute A8 au pied du rocher, et le lac du Rabinon. Les reliefs de l'Estérel et du Tanneron forment la bordure Nord de la plaine de l'Argens, et les Alpes l'horizon. |
![]() Source - © 2025 — Matthias Schultz On distingue le village du Muy dans la plaine de l'Argens au pied du rocher, bordée au loin par les reliefs de l'Estérel et du Tanneron. |
En abordant le rocher, des affleurements de granite
Quand on aborde le rocher par sa face Sud, un peu moins abrupte que les pentes Nord, de petits affleurements clairs au sol, dégagés par les eaux de ravinement, contrastent avec les roches rouges qui constituent le rocher lui-même. Une observation attentive montre qu'il s'agit d'un granite jaunâtre clair, souvent porphyroïde (avec des cristaux de feldspath potassiques blancs pluricentimétriques, voir les figures 9 à 11), mais comprenant aussi, comme souvent dans les plutons granitiques, des filons de microgranites, quelques enclaves sombres plus riches en minéraux ferromagnésiens (restites et enclaves de magmas basiques), et des zones colorées en rose/rouge par l'oxydation partielle des minéraux ferromagnésiens. Ce granite est souvent arénisé à l'affleurement.
![]() Source - © 2025 — Matthias Schultz L'affleurement fruste au premier plan est composé d'un granite clair qui contraste avec le rouge des roches formant le sommet du rocher à l'arrière-plan. De l'arène formée au détriment de ce granite est largement présente, masquant les affleurements frais de granite sauf dans les zones soumises au ravinement. | |
![]() Source - © 2025 — Matthias Schultz On observe des grands cristaux blancs de feldspath orthose pouvant atteindre 10 cm, du plagioclase, du quartz, de la biotite, et un peu de muscovite. La cordiérite est parfois présente. Ce granite est partiellement arénisé. |
![]() Source - © 2025 — Matthias Schultz On observe des grands cristaux de feldspath orthose pouvant atteindre 10 cm, du plagioclase, du quartz, de la biotite, et un peu de muscovite. La cordiérite est parfois présente.Le bloc détaché au premier plan montre un faciès légèrement différent, avec une coloration rosée due à l'oxydation partielle des minéraux ferromagnésiens. Ailleurs, des filons microgrenus sont également présents, ainsi que quelques enclaves sombres (enclaves de magma basique et restites surmicacées), comme fréquemment dans les plutons granitiques. |
Ce pluton est connu sous le nom de granite de Plan-de-la-Tour, il est daté du Carbonifère supérieur (environ −301 Ma d'après Morillon et al. (2000 [3]), et est principalement d'origine anatectique : exhumation rapide des roches métamorphiques profondes lors de l'évolution finale de la chaine hercynienne, décompression adiabatique, et donc fusion partielle (cf. Schultz, 2016[4]).
À la base, un conglomérat basal grossier mal stratifié
Dès qu'on commence l'ascension du rocher de Roquebrune, la nature des roches change (figures 12 à 21). On retrouve des blocs de granite de Plan-de-la-Tour, mais sous forme de galets anguleux non-jointifs, atteignant parfois 80 cm, inclus dans une matrice rouge légèrement argileuse et localement silicifiée. Il s'agit donc d'une brèche sédimentaire très grossière, mal stratifiée et mal granoclassée, dont les éléments détritiques proviennent de l'érosion du granite voisin, avec un transport très limité. La disposition des blocs au sein d'anciennes coulées de boue et de débris indique une alimentation depuis le Sud, ce qui est cohérent avec la disposition des affleurements actuels de granite. Delfaux et Toutin-Morin (1993[2]) mentionnent une diminution de la taille des blocs en allant du Sud vers la face Nord du rocher (donc en s'éloignant de la source de ces matériaux grossiers), mais cela m'a semblé difficile à vérifier sur le terrain sans une étude statistique plus poussée.
Ce conglomérat est le niveau de base de la formation de la Serre, datée du Permien supérieur, d'une épaisseur totale d'au moins 250 m, qui constitue tout le rocher de Roquebrune. L'ensemble plonge vers le Nord avec une inclinaison synsédimentaire d'environ 18°, et un étalement en cône vers le Nord-Ouest et le Nord-Est. Il mesure environ 7 km de long d'Est en Ouest, et 1,5 km de large du Nord au Sud. Cette formation sédimentaire est séparée du granite par une faille normale (la faille de Roquebrune), d'orientation Est-Ouest, que je n'ai pas observée sur le terrain. C'est le jeu de cette faille au Permien supérieur qui a permis l'établissement d'un cône alluvial de piémont caractéristique : déversement de matériaux détritiques dans le bassin (graben) formé au Nord, depuis le horst granitique soumis à l'érosion au Sud.
C'est donc l'extension Nord-Sud d'un bassin intramontagneux, à la fin de l'orogenèse hercynienne, qui a rajeuni les reliefs des horsts : Maures (ici au Sud du bassin) mais aussi Estérel et Tanneron (au Nord du bassin). Ces reliefs bordiers vigoureux se sont vus arracher des matériaux grossiers, brutalement déposés au pied des failles, qui aboutiront au final à combler le bassin.
Dans le même temps, dans l'Estérel, au Nord-Est, se développe un important volcanisme associé lui aussi à l'extension continentale tardi-orogénique, principalement un volcanisme acide, fissural, à rhyolites et ignimbrites, en coulées importantes superposées ; mais aussi quelques coulées réduites, des filons et des sills de volcanisme basique à intermédiaire (cf. Schultz, 2016[4]). Quelques éléments volcaniques peuvent être retrouvés dans les roches sédimentaires détritiques du Permien supérieur, ce qui permet de corréler les âges du volcanisme et des dépôts.
![]() Source - © 2025 — Matthias Schultz On distingue bien au premier plan les brèches conglomératiques de la base de la formation de la Serre qui constitue l'ensemble du rocher. | |
![]() Source - © 2025 — Matthias Schultz Une stratification grossière est observable en haut de la photo. |
![]() Source - © 2025 — Matthias Schultz Des blocs anguleux peu classés (du grain de sable au bloc de plusieurs dizaines de centimètres) sont déposés, non-jointifs, dans une matrice. Malgré la patine de surface et les lichens, la nature granitique de la majorité des blocs est clairement visible. |
![]() Source - © 2025 — Matthias Schultz Des blocs anguleux peu classés (du grain de sable au bloc de plusieurs dizaines de centimètres) sont déposés, non-jointifs, dans une matrice. Malgré la patine de surface et les lichens, la nature granitique de la majorité des blocs est assez clairement visible. D'autres, à grain plus fin, peuvent correspondre à des microgranites voire à des rhyolites du volcanisme contemporain de l'Estérel. |
![]() Source - © 2025 — Matthias Schultz Des blocs anguleux peu classés (du grain de sable au bloc de plusieurs dizaines de centimètres) sont déposés, non-jointifs, dans une matrice. Malgré la patine de surface et les lichens, la nature granitique de la majorité des blocs est assez clairement visible. D'autres, à grain plus fin, peuvent correspondre à des microgranites voire à des rhyolites du volcanisme contemporain de l'Estérel. La matrice comprend de nombreux cristaux isolés de feldspath, et secondairement de quartz ; elle est partiellement argileuse, et parfois silicifiée. |
![]() Source - © 2025 — Matthias Schultz Comme sur les pentes Sud, on distingue bien au premier plan (sur ce qui correspond à une surface stratigraphique patinée et partiellement couverte de lichens) les brèches conglomératiques de la base de la formation de la Serre. Au second plan, la stratification est bien visible, avec une inclinaison synsédimentaire (voir les figures 33, 47 et 48) d'environ 18° vers le Nord, dans le sens du transport et du dépôt des matériaux par des coulées en masse. | |
![]() Source - © 2025 — Matthias Schultz Comme au Sud, on trouve des blocs anguleux peu classés (du grain de sable au bloc de plusieurs dizaines de centimètres) déposés, non-jointifs, dans une matrice. Malgré la patine de surface et les lichens, la nature granitique de la majorité des blocs est assez clairement visible. La matrice comprend de nombreux cristaux isolés de feldspath, et secondairement de quartz ; elle est partiellement argileuse, et parfois silicifiée. |
![]() Source - © 2025 — Matthias Schultz Comme au Sud, on trouve des blocs anguleux peu classés (du grain de sable au bloc de plusieurs dizaines de centimètres) déposés, non-jointifs, dans une matrice. Malgré la patine de surface et les lichens, la nature granitique de la majorité des blocs est assez clairement visible. La matrice comprend de nombreux cristaux isolés de feldspath, et secondairement de quartz ; elle est partiellement argileuse, et parfois silicifiée. |
![]() Source - © 2025 — Matthias Schultz Comme au Sud, on trouve des blocs anguleux peu classés (du grain de sable au bloc de plusieurs dizaines de centimètres) déposés, non-jointifs, dans une matrice. Malgré la patine de surface et les lichens, la nature granitique de la majorité des blocs est assez clairement visible. La matrice comprend de nombreux cristaux isolés de feldspath, et secondairement de quartz ; elle est partiellement argileuse, et parfois silicifiée. |
![]() Source - © 2025 — Matthias Schultz Comme au Sud, on trouve des blocs anguleux peu classés (du grain de sable au bloc de plusieurs dizaines de centimètres) déposés, non-jointifs, dans une matrice. Malgré la patine de surface et les lichens, la nature granitique de la majorité des blocs est assez clairement visible. D'autres, à grain plus fin, peuvent correspondre à des microgranites voir à des rhyolites du volcanisme contemporain de l'Estérel. La matrice comprend de nombreux cristaux isolés de feldspath, et secondairement de quartz ; elle est partiellement argileuse, et parfois silicifiée. |
Vers des conglomérats moins grossiers, plus sableux, et lités puis un grès sableux silicifié au sommet
À mesure de l'ascension du rocher, les roches de la formation de la Serre évoluent (figures 22 à 35) : les conglomérats deviennent moins grossiers, les sables deviennent dominants, l'argile très minoritaire. Des litages grossiers (d'épaisseur métriques) sont visibles, avec des stratifications obliques entrecroisées. À plus grande échelle, ce niveau intermédiaire forme des falaises arrondies, à érosion en taffonis (figure 27) (cf., par exemple, Aubray et Langlois, 2013[1]).
Enfin, sur le haut du rocher, les blocs de granites deviennent plus rares, plus qu'à un conglomérat, on a désormais affaire à un grès à gros grains de sable (dont de nombreux feldspaths peu altérés : près de 50 % du matériel sommital) et à ciment siliceux, ce qui rend ce niveau supérieur de la formation de la Serre très résistant à l'érosion. Il forme des reliefs ruiniformes assez découpés qui arment le sommet du rocher. Des litages obliques chenalisés y sont observables.
Cette évolution verticale est caractéristique des cônes de déjection alluviaux, d'extension géographique limitée (quelques kilomètres de côté ici, comme mentionné plus haut) mais de forte épaisseur (plusieurs centaines de mètres ici), pouvant s'édifier sur de courtes périodes à la faveur d'évènements tectoniques et/ou climatiques brutaux qui provoquent l'écoulement en masse (coulées de boue due à des averses orageuses et/ou à des séismes, par exemple) de matériaux grossiers au pied de reliefs, évoluant ensuite vers des chenaux avec une énergie moindre.
![]() Source - © 2025 — Matthias Schultz On distingue aisément les trois niveaux de la formation de la Serre : le niveau conglomératique basal vu en détail précédemment, formant la surface inclinée à 18° vers le Nord au premier plan ; le niveau intermédiaire constituant les falaises arrondies au second plan ; et le niveau sommital gréseux silicifié à reliefs ruiniformes. | |
![]() Source - © 2025 — Matthias Schultz On distingue aisément les trois niveaux de la formation de la Serre : le niveau conglomératique basal vu en détail précédemment, formant la surface inclinée à 18° vers le Nord au premier plan (avec quelques blocs éboulés récemment dessus) ; le niveau intermédiaire constituant les falaises arrondies, creusées de taffonis, au second plan ; et le niveau sommital gréseux silicifié à reliefs ruiniformes. |
![]() Source - © 2025 — Matthias Schultz On distingue aisément les trois niveaux de la formation de la Serre : le niveau conglomératique basal vu en détail précédemment, formant la surface inclinée à 18° vers le Nord au premier plan ; le niveau intermédiaire constituant les falaises arrondies, creusées de taffonis, au second plan ; et le niveau sommital gréseux silicifié à reliefs ruiniformes. |
![]() Source - © 2025 — Matthias Schultz Notez l'aspect arrondi caractéristiques des falaises de grès conglomératiques du niveau intermédiaire. Au premier plan, sous les pieds du photographe, on observe les grès silicifiés sommitaux. Au pied du rocher, on retrouve la vallée de l'Argens, le lac de l'Aréna et plus loin le littoral varois (en haut à droite de l'image), et les reliefs de l'Estérel formant la bordure Nord de la plaine de l'Argens (horizon en haut à gauche de l'image). |
![]() Source - © 2025 — Matthias Schultz On retrouve l'aspect arrondi et le découpage en strates grossières (métriques), et au premier plan, on reconnait la présence de blocs grossiers (pluricentimétriques) mais plus fins que dans le niveau basal. Au pied du rocher, on retrouve la plaine de l'Argens, l'autoroute A8 et le lac du Rabinon ; et à l'horizon les reliefs de l'Estérel et du Tanneron formant la bordure Nord de la plaine de l'Argens. |
![]() Source - © 2025 — Matthias Schultz La patine d'altération en surface de la roche ne permet pas, ici, d'analyser sa structure et sa composition. | |
![]() Source - © 2025 — Matthias Schultz Au premier plan, on retrouve les surfaces arrondies du niveau intermédiaire et sa nature conglomératique moins grossière que le niveau basal (le sable y devient dominant sur les blocs de granite) ; et au second le niveau sommital gréseux silicifié se distingue par ses reliefs plus torturés, sa grande résistance à l'érosion et sa stratification plus fine, en chenaux. |
![]() Source - © 2025 — Matthias Schultz Les blocs de granite sont plus petits que dans le conglomérat basal (environ 10 cm ici pour les plus gros, contre 80 cm à la base du rocher), toujours anguleux mais mieux classés, et le sable (à gros feldspaths peu altérés) devient dominant. |
![]() Source - © 2025 — Matthias Schultz On retrouve l'aspect torturé, ruiniforme qui contraste avec les falaises arrondies du niveau intermédiaire visible en contrebas. Une stratification plus fine, en chenaux, se devine dans les grès à gauche de l'image. Au pied du rocher, on retrouve la plaine de l'Argens, l'autoroute A8 et le lac de l'Aréna ; et à l'horizon les reliefs de l'Estérel et du Tanneron formant la bordure Nord de la plaine de l'Argens. | |
![]() Source - © 2025 — Matthias Schultz On retrouve l'aspect torturé, ruiniforme, la grande résistance à l'érosion, et on devine la stratification plus fine, en chenaux. Les visiteurs affrontant ce passage plus technique de l'ascension donnent l'échelle. |
![]() Source - © 2025 — Matthias Schultz On retrouve l'aspect torturé, ruiniforme, la grande résistance à l'érosion, et on devine la stratification plus fine, en chenaux, et la nature fine du matériel détritique (sable plutôt que blocs de granite). |
![]() Source - © 2025 — Matthias Schultz On retrouve l'aspect torturé, ruiniforme, la grande résistance à l'érosion, et on devine la stratification plus fine, en chenaux, et la nature fine du matériel détritique (sable très dominant, rares blocs de granite), avec des stratifications obliques “descendant” vers le droite dans la partie basse de l'affleurement (courant venant donc de la gauche). |
![]() Source - © 2025 — Matthias Schultz Notez la nature fine du matériel détritique (grains de sable grossiers formés à 50 % de feldspaths peu altérés, et secondairement de quartz, dans un ciment siliceux). |

Source - © 1993 — D’après Delfaux et Toutin-Morin [ 2 ]
Variation latérale de faciès : sources granitiques et métamorphiques
La nature du transport des matériaux détritiques est responsable de la taille des éléments déposés aux différents niveaux du rocher, mais leur origine reste très majoritairement le granite de Plan-de-la-Tour. On peut cependant noter le contraste de couleur entre ce granite clair, dans les affleurements au Sud du rocher, et la formation de la Serre entièrement rougeâtre. Cela peut s'expliquer par une oxydation des minéraux ferromagnésiens, ou rubéfaction, permise par un climat de type intertropical contrasté, où alternent des saisons chaudes et humides (ce qui permet mise en solution du fer contenu dans les minéraux ferromagnésiens) et des périodes de grande sécheresse (favorables à la fixation des hydroxydes de fer dans les dépôts sédimentaires). On remarque néanmoins que tous les matériaux déposés sont très peu altérés, ce qui démontre un transport limité (par exemple, les feldspaths sont frais, à peine cassés, et la kaolinite issue de leur hydrolyse est quasi-absente dans la formation de la Serre). Rappelons que la France métropolitaine était en zone intertropicale au Permien, ce qui explique la couleur rouge du Permien sédimentaire français (voir aussi, par exemple, les dépôts du bassin de Lodève – Thomas et Kalfoun, 2005[6]).
L'alternance de saisons contrastées favorise aussi une érosion brutale, par à-coups, et donc, en conjonction avec les événements tectoniques (rajeunissement des reliefs nourriciers par le jeu de la faille normale de Roquebrune), cette alternance a permis la formation d'un superbe cône alluvial en bordure d'un ancien bassin intra-montagneux.
Lorsqu'on se déplace latéralement dans la formation de la Serre, à la limite Est du rocher, dans le village historique de Roquebrune-sur-Argens, des blocs de nature différente sont observables en complément du granite (figures 36 à 39) : gneiss et micaschistes caractéristiques de la série métamorphique hercynienne des Maures (Schultz, 2016[4]). Cela s'explique aisément car on atteint là la limite Est de l'extension du pluton granitique de Plan-de-la-Tour dans le socle des Maures, et les terrains anté-permiens qui bordent au Sud la formation de la Serre, de l'autre côté de la faille de Roquebrune, sont alors de nature métamorphique (figure 40).
![]() Source - © 2025 — Matthias Schultz Outre les blocs de granite, toujours majoritaires, on note la présence d'éléments métamorphiques, par exemple une plaquette de micaschiste au centre de l'image. |
![]() Source - © 2025 — Matthias Schultz Outre les blocs de granite, toujours majoritaires, on note la présence d'éléments métamorphiques, par exemple un bloc de gneiss migmatitique en bas au centre de l'image (marqué par une alternance de lits de minéraux sombres ferromagnésiens et des lits quartzo-feldspathiques roses). |
![]() Source - © 2025 — Matthias Schultz Outre les blocs de granite, toujours majoritaires, on note la présence d'éléments métamorphiques, par exemple un bloc de gneiss migmatique au centre de l'image (marqué par une alternance de lits de minéraux sombres ferromagnésiens et des lits quartzo-feldspathiques roses). |
![]() Source - © 2025 — Matthias Schultz Outre les blocs de granite, toujours majoritaires, on note la présence d'éléments métamorphiques : plusieurs blocs de gneiss et de micaschistes, et un galet de quartz laiteux à gauche de l'image, probablement issu d'un filon dans les micaschistes (quartz d'exsudation bien connus dans les Maures). |

Source - © 2025 — Matthias Schultz
Ces roches du socle anté-permien ont pu alimenter la formation de la Serre dans sa partie Est.
La formation du Muy, perspective à l’échelle du bassin
Lorsqu'on se déplace latéralement vers le Nord du rocher, dans la plaine de l'Argens, c'est-à-dire en direction du centre de l'ancien bassin subsident permien, on passe progressivement de la formation de la Serre à la formation du Muy, de même âge, mais de nature différente : les roches observées sont des alternances gréso-pélitiques bien plus fines que les roches du cône alluvial (figures 41 et 42). Ces sédiments fluviatiles ont pu décanter lentement, à distance des bords du bassin, après un transport un peu plus long depuis les massifs hercyniens bordiers en érosion. Des carbonates se développent dans des zones lacustres plus centrales. Divers indices paléontologiques (restes de flores, pistes de vertébrés et d'invertébrés…) et intercalations de matériaux volcaniques (cendres…) issus de l'Estérel ont permis de confirmer l'âge Permien supérieur de ces dépôts.
![]() Source - © 2025 — Matthias Schultz Ces roches grisâtres sont des grès fins feldspathiques et/ou micacés pouvant contenir différents galets, certains constitués d'argiles rougeâtres, alternant avec des niveaux plus fins (pélites). Si l'origine des matériaux détritiques reste les roches des massifs hercyniens environnants (granite de Plan-de-la-Tour, série métamorphique des Maures…), ils ont subi ici un transport et une évolution bien plus marqués qu'au niveau du rocher de Roquebrune quelques centaines de mètres plus au Sud. Certaines strates renferment des nodules mamelonnés calcaires d'origine pédogénétique et des septarias (cf. Thomas, 2023[5]), formés en milieu confiné, plus lacustre. La répétition et la superposition de chenaux, ravinements internes et granoclassements indiquent une intense érosion des reliefs dans un contexte de forte subsidence du bassin au Permien supérieur. Plus de 1 000 mètres de dépôts se sont ainsi formés au centre du bassin du Bas-Argens. |
![]() Source - © 2025 — Matthias Schultz Ces roches grisâtres sont des grès fins feldspathiques et/ou micacés pouvant contenir différents galets, certains constitués d'argiles rougeâtres, alternant avec des niveaux plus fins (pélites). Si l'origine des matériaux détritiques reste les roches des massifs hercyniens environnants (granite de Plan-de-la-Tour, série métamorphique des Maures…), ils ont subi ici un transport et une évolution bien plus marqués qu'au niveau du rocher de Roquebrune quelques centaines de mètres plus au Sud. Certaines strates renferment des nodules mamelonnés calcaires d'origine pédogénétique et des septarias (cf. Thomas, 2023[5]), formés en milieu confiné, plus lacustre. La répétition et la superposition de chenaux, ravinements internes et granoclassements indiquent une intense érosion des reliefs dans un contexte de forte subsidence du bassin au Permien supérieur. Plus de 1 000 mètres de dépôts se sont ainsi formés au centre du bassin du Bas-Argens. |
Ce faciès de dépôt fluvio-lacustre permien est beaucoup plus commun dans le Var que celui de cône alluvial du rocher de Roquebrune, et on trouve des formations comparables (matériaux détritiques abondants donnant des grès et pélites, souvent rougeâtres…) dans toute la dépression permienne qui borde au Nord le massif des Maures, de Toulon à Fréjus (figures 43 à 45) (Schultz, 2016[4]).
Par ailleurs, au sein de ces formations, divers indices sédimentaires confirment le climat intertropical avec une saisonnalité marquée au Permien supérieur : empreintes de gouttes de pluie, rides de courant, fossiles d'amphibiens… montrant des périodes humides ; mais aussi fentes de dessiccation, fossiles de reptiles, grains de quartz éolisés… signalant des périodes plus arides.

Source - © 2025 — Google Earth, modifié
Massif des Maures et ses prolongements dans la région de Toulon et les iles d'Hyères surligné en rouge, dépression permienne surlignée en bleu bordant les Maures au Nord et à l'Ouest, massif volcanique permien de l'Estérel surligné en rouge qui prolonge vers l'Est la dépression permienne, et massif de Tanneron surligné en rouge qui prolonge à l'Est le massif des Maures.
L'étoile orange localise le rocher de Roquebrune.

Source - © 2025 — D'après BRGM / InfoTerre, modifié
Notez, au Sud du rocher de Roquebrune, la vaste intrusion de granite de Plan-de-la-Tour (en rouge à ronds blancs en surcharge, signalant les granitoïdes peralumineux des zones de collision, numérotée "17", soit un âge compris entre 335 et 305 Ma) et la série hercynienne du massif des Maures (ici à l'Est du pluton granitique, principalement en vert noté "ko" – protolithe Cambrien à Ordovicien – et surchargée d'ondulations rouges qui signalent la migmatitisation d'âge hercynien, avec des étoiles indiquant des reliques éclogitiques).
Notez, plus au Nord, les formations sédimentaires détritiques permiennes (en gris légendé "r"), séparées des terrains hercyniens par un trait noir épais indiquant la faille normale de Roquebrune, constituant la vallée du fleuve Argens signalé par un trait bleu ; et le massif volcanique de l'Estérel (indiqué par les points bleus figurés en surcharge sur le gris noté "r"). Enfin la bordure Nord du bassin permien est ici constituée par le massif hercynien de Tanneron, prolongement géologique de celui des Maures. Les terrains du Trias (en violet) recouvrent en discordance ces ensembles au Nord-Ouest.
L'étoile verte localise le rocher de Roquebrune.

Source - © 2025 — D'après BRGM / InfoTerre, modifié
Notez, au Sud du rocher de Roquebrune, la vaste intrusion de granite de Plan-de-la-Tour (en rouge notée "pΥ3-4",) et la série hercynienne du massif des Maures (ici à l'Est du pluton granitique, principalement en jaune noté "Mζ2-3" – gneiss hétérogènes à sillimanite) ; et observez plus au Nord les formations sédimentaires détritiques Permiennes (en gris légendé "rSe" pour la formation de la Serre constituant le rocher de Roquebrune, et « rMy » pour la formation du Muy plus au centre du bassin), séparées des terrains hercyniens par un trait noir épais indiquant la faille normale de Roquebrune. Informations complémentaires dans la notice explicative de la carte Fréjus-Cannes (Toutin-Morin et al., 1994[7]).
Cours de l'Argens, autoroute A8, rocher et village de Roquebrune-sur-Argens sont indiqués.
L'étoile verte localise le rocher de Roquebrune.
Le caractère remarquable du rocher de Roquebrune-sur-Argens est sa préservation depuis le Permien supérieur (à la différence d'autres cônes de déjection permiens présents dans le bassin du Bas Argens) : il a franchi sans grand bouleversement la phase de compression pyrénéo-provençale puis la phase alpine, et a été assez bien épargné par l'érosion (même si le sommet de la formation de la Serre a certainement été raboté d'une épaisseur inconnue, comme le rappelle son aspect découpé, ruiniforme, voire son absence en certaines parties du rocher). Si l'érosion a préservé le rocher, et même l'a fait ressortir au sein des terrains avoisinants, c'est sans doute parce que les niveaux sommitaux silicifiés sont très indurés et ont protégé les niveaux sous-jacents. Il n'est pas surprenant qu'ils aient mieux résisté que la formation du Muy, plus argileuse, qui avait pourtant comblé le bassin tout autour de la face Nord du rocher. Cette formation du Muy plus érodable donne aujourd'hui une vallée assez plate, orientée Est-Ouest suivant les anciennes structures permiennes, vallée empruntée aujourd'hui par le cours de l'Argens, par l'autoroute A8 et le chemin de fer, et propice à l'agriculture, notamment la viticulture très présente dans tout le sillon permien. On peut davantage s'étonner de la moindre résistance du paléo-horst granitique par rapport aux grès conglomératiques du cône alluvial, qui a conduit à une inversion de relief du bassin par rapport à son ancienne bordure.
Légendes, pèlerinages et Saint-Trou
Nonobstant cette préservation, des traces de l'action récente de l'érosion sont visibles dans le rocher : découpage du niveau supérieur de grès, parfois en suivant d'anciennes failles et/ou diaclases (figures 30, 31, 46…), cavités (figures 48 à 51), blocs éboulés (figure 23), taffonis (figures 23, 24, 27…). Diverses légendes existent en lien avec ces manifestations érosives. On raconte ainsi qu'à la mort du Christ, le rocher de Roquebrune se brisa en trois grosses failles, symbolisant les trois croix du Calvaire. Plus tard, des croix furent érigées au sommet du rocher (d'où l'ancien nom de « rocher des Trois Croix ») et des pèlerinages furent mis en place au Moyen-Âge. Les croix qui se trouvent actuellement au sommet ont été dressées en 1991 (les anciennes ayant disparu avec le temps), œuvre du sculpteur Bernard Venet qui rend hommage à trois peintres de la Crucifixion : Giotto, Grunewald et Le Greco.
Une autre légende locale veut qu'une jeune femme ayant fait vœu de prière et d'abstinence était poursuivie par un noble à qui elle avait refusé ses avances. Arrivée dans une impasse, elle supplia la Sainte Vierge de l'aider. C'est ainsi que le rocher se brisa pour former une cavité, appelée aujourd'hui le Saint-Trou (sic), par laquelle la jeune femme put s'échapper. Il est coutume de dire que seules les âmes vertueuses peuvent franchir le Saint-Trou. Si ce dernier aspect pourra en faire renoncer certains, un lieudit « le Saint-Trou » ne peut qu'être attirant pour les géologues !
![]() Source - © 2025 — Matthias Schultz |
![]() Source - © 2025 — Matthias Schultz On voit bien la stratification des grès. |
Une flore locale et exotique à admirer
Pour finir, signalons aux amateurs de flore que le rocher de Roquebrune, dont les surfaces, tantôt très indurées, dépourvues de sol, tantôt sableuses, et les cavités forment des milieux particuliers, abrite quelques espèces végétales protégées, comme la violette de Roquebrune, Viola roccabrunensis, endémique, quelques fougères du genre Asplenium dans les fentes des rochers, ou encore la spiranthe d'été, Spiranthes aestivalis, une orchidée qui se rencontre sur des sables humides et ombragés du maquis.
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![]() Source - © 2025 — Matthias Schultz |
![]() Source - © 2025 — Matthias Schultz Importé d'Australie par les Anglais pour décorer les jardins de ses fleurs jaunes, le mimosa reste très apprécié dans le Sud-Est, vendu en jardinerie et mis en valeur par les offices de tourisme du Var (jusque dans le nom de la commune de Bormes-les-Mimosas). Pourtant, il s'agit d'une espèce exotique invasive dans les massifs des Maures, du Tanneron et de l'Estérel, qui peut former des peuplements denses empêchant la flore locale de se développer et perturber l'écoulement des eaux. À proximité du Parc national de Port-Cros, c'est une menace pour la biodiversité méditerranéenne. | |
Bibliographie, sitographie
Références citées dans cet article
- A. Aubray, C. Langlois, 2013. Les taffonis du Cap de Creus (Espagne), de la côte de Namibie et de l'île d'Elbe, Planet Terre - ISSN 2552-9250
- J. Delfaux, N. Toutin-Morin, 1993. Le rocher de Roquebrune (Var), un cône alluvial exemplaire du Permien supérieur de bordure de bassin intramontagneux, Géologie de la France, 2, 31-48 [PDF – Texte intégral(lien externe - nouvelle fenêtre)]
- A.-C. Morillon, G. Féraud, M. Sosson, G. Ruffet, G. Crevola, G. Lerouge, 2000. Diachronous cooling on both sides of a major strike slip fault in the Variscan Maures Massif (south-east France), as deduced from a detailed 40Ar/39Ar study(lien externe - nouvelle fenêtre), Tectonophysics, 321, 1, 103-126
- M. Schultz, 2016. Présentation de la géologie régionale du Var : le massif hercynien des Maures et de Tanneron, Planet Terre - ISSN 2552-9250
- P. Thomas, 2023. Les septarias, des concrétions diagénético-bactériennes à l'origine encore discutée, Planet Terre - ISSN 2552-9250
- P. Thomas, F. Kalfoun, 2005. Failles normales, failles inverses, basculement : un exemple de datation relative à la Lieude et au Mas d'Alary, bassin permien de Lodève (34), Planet Terre - ISSN 2552-9250
- N. Toutin-Morin, D. Bonijoly, C. Brocard, J. Broutin, G. Crévola, G. Dardeau, M. Dubar, J. Féraud, J.D. Giraud, P. Godefroy, P. Laville, A. Meinesz, 1994. Notice explicative de la feuille Fréjus-Cannes à 1/50 000 (2e édition), BRGM Éditions, 190p [pdf](lien externe - nouvelle fenêtre)
Ressources complémentaires
- M. Schultz, 2015. Les évaporites de la Vallée de la Mort (Californie), Planet Terre - ISSN 2552-9250
- P. Thomas, 2012. Premiers résultats géologiques de Curiosity : galets roulés, cryoclastie ( ?), roche riche en feldspaths… Opportunity découvre des "myrtilles" martiennes atypiques, Planet Terre - ISSN 2552-9250
- P. Thomas, 2017. Le système torrentiel de Bragousse-Boscodon, commune de Crots, Hautes Alpes, Planet Terre - ISSN 2552-9250
- P. Thomas, 2018. Le glissement de terrain du Pas de l'Ours, haute vallée du Guil, Aiguilles, Hautes Alpes : état le 19 avril 2018, Planet Terre - ISSN 2552-9250
- P. Thomas, 2020. Les falaises du Parc national de Talampaya (province de La Rioja, Argentine), résultat de l'interaction entre altération et érosion éolienne ?, Planet Terre - ISSN 2552-9250
- Lithothèque PACA(lien externe - nouvelle fenêtre) (académies Aix-Marseille et Nice) avec l’accès “Près de chez vous”(lien externe - nouvelle fenêtre) pour sélectionner un département puis un site.
















































