Article | 03/02/2005
Failles normales, failles inverses, basculement : un exemple de datation relative à la Lieude et au Mas d'Alary, bassin permien de Lodève (34)
27/01/2005
Résumé
Reconstitution de la chronologie d'événements géologiques (basculement, formation de failles normales et inverses) à partir d'observations de terrain dans le bassin de Lodève.
Table des matières
L'affleurement de la Lieude (34)
L'affleurement de la Lieude se situe dans le bassin de Lodève, à l'Est de Bédarieux dans le département de l'Hérault. L'accès se fait par la départementale D8 entre Salasc et le col de la Merquière (voir l'itinéraire sur le site de l'académie de Montpellier).
Les terrains du bassin de Lodève sont d'âge permien et sont caractérisés par des alternances de couches rougeâtres, constituées de pélites (argilites), riches en oxyde de ferrique (Fe3+) avec parfois des couches de pélites vertes contenant du Fe2+ et de couches plus gréseuses (grises, pauvres en fer). Ces changements de couleur et de lithologie enregistrent des variations des conditions de dépôt : d'un climat tropical humide à semi-aride, dans un environnement lacustre à deltaïque. Les strates ont un pendage de 25 à 30° vers le Sud (figure 1).
L'observation en coupe de ces strates met en évidence de nombreuses fractures (figures 2, 3), dont nous allons étudier la nature et la chronologie relative. Les figures suivantes présentent des vues de plus en plus rapprochées de l'affleurement étudié. Sur les photographies annotées, les failles identifiées comme normales sont représentées en blanc, jaune, orange et rouge. Les failles inverses sont tracées en vert.
Avant de mesurer des pendages, il faut s'assurer que le plan d'observation de l'affleurement étudié est bien perpendiculaire au plan de faille ou que notre point de vue permet d'appréhender la faille en 3D, c'est à-dire que notre raisonnement ne s'effectue pas uniquement à partir de la trace laissée par l'intersection entre le plan de faille et la surface de l'affleurement.
Que nous apporte l'analyse des figures 2 et 3 ?
Comme l'indique la figure 3, les trois failles normales (à gauche de la photographie) dessinées en blanc sont des failles normales de pendage 60°, pendage standard des failles normales qui ont classiquement un pendage compris entre 45 et 60°. Ces failles normales seraient donc post-basculement.
Les failles normales tracées en orange et rouge (à droite de l'affleurement), sont des failles à pendage trop élevé (83° vers le Sud) ou trop faible (35 ° vers le Nord) pour des failles normales classiques. Or, on remarque que si on remet les strates de pendage 25° vers le Sud à l'horizontale, ces failles à pendages atypiques pour des failles normales, retrouvent non seulement des pendages corrects (60° vers le Nord ou 60° vers le Sud) mais deviennent de belles failles conjuguées qui dessinent un graben symétrique par rapport à la verticale, cas standard de nombreux grabens. Cet ensemble de failles se serait donc formé avant le basculement des strates.
La faille inverse en vert a un pendage d'environ 50-55° vers le Sud, ce qui est un peu trop fort pour une faille inverse (classiquement entre 30° et 45°). D'autre part, elle décale une faille normale (dessinée en blanc, la troisième en partant de la gauche) qui était post-basculement. Cette faille inverse est donc post-basculement des strates. Mais vue la valeur de son pendage, ce pourrait être une ancienne faille normale qui a rejoué en inverse.
Sur ces vues rapprochées (figures 5 et 6), un niveau gréseux plus compétent se chevauche lui-même (ou forme parfois de petits plis) et les failles normales sont décalées par les failles inverses (figures 7 et 8). Ces structures peuvent s'expliquer si une phase extensive avec formation de failles normales a été suivie d'une phase compressive associée à la formation de failles inverses. Les figures 9 et 10 présentent en détail un exemple de ces chevauchements, la figure 11 est un essai de reconstitution du micro-affleurement avant la phase compressive et la figure 12 reconstruit schématiquement la succession des événements.
Donc, si tous nos raisonnements sont exacts, et si nous supposons une seule phase (assez longue) d'extension, nous mettons en évidence des failles normales anté-basculement et d'autres post-basculement, ce qui nous donne envie de proposer que cette phase d'extension est syn-basculement.
Mais l'observation d'un seul affleurement avec une petite dizaine de failles ne suffit pas pour être catégorique. Analysons donc un autre affleurement au Nord du bassin dans le Permien inférieur, au Mas d'Alary.
L'affleurement du Mas d'Alary (34)
L'affleurement du Mas d'Alary se situe au Nord du bassin de Lodève. Il y a quelques années de cela, cette ancienne mine d'uranium à ciel ouvert du Mas d'Alary offrait à la vue du géologue de magnifiques structures géologiques : l'alternance des strates rougeâtres et crème soulignait le jeu des nombreuses failles qui les affectaient (figure 13). Depuis, la carrière a été remblayée aux trois-quarts et l'affleurement partiellement caché, seule le sommet de l'affleurement est encore visible (figures 13 et 14).
Étudions de plus près l'affleurement tel qu'il l'était il y a quelques années et observons des vues détaillées des zones encadrées en jaune de la figure 13. Les failles sont tracées en jaune et certaines strates sont repérées par des traits bleus pour mettre en évidence le décalage induit par le jeu des failles.
Comme dans le cas de certaines failles de la Lieude, la majorité des failles normales visibles sur l'affleurement du Mas d'Alary a des pendages soit trop forts soit trop faibles pour des failles normales. Quelques failles "inverses" comme la faille F2 de la figure 21, mais avec un pendage beaucoup trop raide pour une faille inverse "standard". Nous pouvons constater que si les strates sont remises à l'horizontale, ces failles normales et inverses atypiques retrouvent des pendages "standards" de faille normale (entre 45° et 60°) et dessinent dans certains cas un horst bordé de deux failles normales symétriques par rapport à la verticales (voir les photographies débasculées et annotées, figures 21 et 22)
Nous pouvons donc en déduire que les failles observées sur l'affleurement du Mas d'Alary sont des failles normales classiques et qu'elles se sont formées avant le basculement des strates.
Retour à la Lieude : datation du basculement des strates permiennes
Observons le paysage à 1 km à l'ouest de la Lieude, du bord de la même route départementale D8 (figures 23, 24)
Les figures 23, 24 et la figure n°6 proposée sur une page du site de Christian Nicollet, montrent que les terrains triasiques horizontaux sont en discordance sur les terrains permiens basculés. Le basculement qui n'affecte que les terrains antérieurs au trias est donc anté-triasique. Il est également postérieur au dépôt des terrains permiens, il est donc permien supérieur dans le secteur de la Lieude. Des études plus précises ont montré que le basculement , il est possible de des terrains permiens vers le sud avait été progressif et initié par le fonctionnement d'une faille listrique en bordure sud du bassin. Ce basculement aurait débuté au thuringien inférieur, c'est-à-dire au début du permien supérieur (vers 260 millions d'années). Ce basculement aurait d'ailleurs été précédé de basculements similaires au carbonifère supérieur (Bassin carbonifère de Graissessac, qui affleure a quelques km plus à l'ouest, et qui a été retrouvé en forage sous le permien de Lodeve).
Conclusion et compléments sur l'histoire du bassin de Lodève
Pour résumer, l'affleurement de la Lieude suggère des failles normales anté- et post-basculement des strates permiennes, donc contemporaines de la formation du bassin permien. L'affleurement du Mas d'Alary, au Nord du bassin de Lodève montre des failles normales anté-basculement affectant des terrains du Permien inférieur.
D'autres études ont montré que, dans les terrains du Permien supérieur du Sud du bassin, les failles normales post-basculement dominaient.
Nos conclusions locales tirées sur l'affleurement de la Lieude sont donc confirmées : l'extension a eu lieu avant et après le basculement des strates permiennes. Ce basculement étant anté-triasique, nous pouvons dire que les failles normales se sont formées pendant le Permien, donc pendant la formation du bassin de Lodève.
La formation du bassin permien de Lodève est à relier à l'extension tardi-orogénique, qui a affecté la chaîne hercynienne au cours de son effondrement gravitaire à la fin du carbonifère. Jusqu'au Permien moyen, l'extension Nord-Sud s'est poursuivie avec une subsidence homogène du bassin, mise en évidence par une épaisseur constante de sédimentation. Vers la début du Permien terminal (Thuringien inférieur), l'activation d'un faille listrique sur la bordure Sud du bassin a fait basculer progressivement les dépôts permiens et les roches plus anciennes (figure 25).
La phase compressive et ses failles inverses observées sur l'affleurement de la Lieude sont difficiles à dater. Elles indiquent un rapprochement N-S. De telles structures compressives indiquant un rapprochement N-S abondent dans la région, et affectent tous les terrains, jusqu'au début du Tertaire. Par analogie régionale, on peut proposer que nos failles inverses de la Lieude soient d'âge éocène, et qu'elles correspondent à la compression pyrénéenne de direction Nord-Sud.
Pour en savoir plus sur les affleurements de cette région et pour d'autres idées d'excursion géologiques, rendez-vous sur la lithothèque nationale hébergée sur le site de l'académie de Montpellier (attention, certains points sont mal géolocalisés, par exemple celui consacré aux failles de La Lieude).
Nous remercions monsieur Bernard Halleux qui nous a envoyé ses photographies et nous a donné envie d'écrire cet article.