Les Psaronius sp. et autres bois silicifiés du Permien inférieur de la région d'Autun (Saône-et-Loire)
Image de la semaine | 24/03/2025
Résumé
Fossiles de stipes de fougères arborescentes avec manchon périphérique et cylindre central, comparaison avec des bois silicifiés “classiques”.
On voit la disposition “verticale” des “tubes racinaires” et ce qui ressemble à la morphologie d'un bois “classique” sur la face avant de la photo.
Vue de la face supérieure de la figure précédente montrant les sections des “tubes racinaires”. |
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La silice n’a pas ici la même couleur que pour le premier échantillon. |
Vue de la face supérieure de la figure précédente. La silice n’a pas ici la même couleur que pour le premier échantillon. |
La structure “tubulaire” est quasi invisibles sur la face brute de droite (la silice altérée a pris une teinte jaunâtre) mais est bien visible à l'intérieur, au niveau du trait de coupe sur le demi-échantillon de gauche. |
En 1972, alors jeune étudiant et grâce à un guide géologique (maintenant épuisé et indisponible), je passais des vacances dans le Morvan, à la recherche de minéraux et de fossiles. À cette époque, les bois silicifiés du Permien inférieur (et plus précisément de l'étage alors appelé Autunien, et maintenant Asselien, −299 à −295 Ma) de la région d'Autun étaient célèbres dans le petit monde des géologues amateurs. L'image de cette semaine montre mes découvertes de bois permiens, découvertes vieilles de plus de 50 ans. Ces morceaux de bois ne proviennent pas d'un affleurement où ils auraient été prélevés en place. Je les ai trouvés dans un champ, en ramassant les “pierres volantes” dépassant de la terre entre des mottes d'herbe (voir figure 26). À côté des classiques (mais fort jolis) bois silicifiés “usuels” (cf. figures 20 à 25) comme on peut en voir assez facilement en France (cf. Les bois silicifiés de Biot – Villeneuve-Loubet (Alpes Maritimes) ou à l'étranger (cf. Une "forêt pétrifiée" de gymnospermes permiens du Damaraland, près de Khorixas, Namibie ou encore Habitations en bois silicifié dans l'Arizona et le Dakota du Sud (USA)), un type d'échantillons m'avait intrigué, ceux des figures 1 à 6. Un professeur à qui je l'avais montré à l'époque m'a dit qu'il s'agissait peut-être de « tissus aérifères » de pneumatophores de végétaux poussant dans des marécages, mais qu'il n'en était pas sûr. J'ai gardé certains de ces échantillons, ainsi qu'un échantillons “bizarre” (figures 7 à 10) qui ne ressemblait à rien pour le jeune étudiant que j'étais, mais que j'ai gardé, justement à cause de sa nature énigmatique. J'avais un peu oublié tous ces échantillons et je ne les ai ressortis de leur rangement qu'après avoir découvert en 2020 les “quasi-bayous” du Nord Isère et leurs pneumatophores (cf. L'étang de Boulieu (Saint-Baudille-de-la-Tour, Isère) et ses cyprès chauves, une analogie actuelle de forêt houillère à 40 km à l'Est de Lyon). Grâce à des échanges avec, entre autres, Anaïs Boura du Centre de Recherche en Paléontologie - Paris Sorbonne Université (UMR 7207, MNHN, UPMC, CNRS), l'échantillon des figures 1 à 3 a été identifié comme un morceau de stipe de Psaronius sp. ,un genre de fougère arborescente du Carbonifère supérieur / Permien inférieur. Après avoir montré cet échantillon “bizarre” (fig. 7 à 10) qui appartient très vraisemblablement au cylindre vasculaire central d'un stipe de Psaronius sp., nous naviguerons sur le web ce qui nous permettra de reconstituer les végétaux du genre Psaronius. Enfin, pour le plaisir, nous vous montrerons du “bois silicifié classique” (fig. 21 à 26) ramassé la même année dans le même champ. Que trouve-t-on maintenant 50 ans plus tard dans ce champ, que je ne localiserai pas précisément pour éviter que des échantillons de ces bois ne se retrouvent sur leboncoin, eBay ou toute autre site, à but mercantile ?
Après des recherches sur le web, il semblerait qu'il s'agisse d'un morceau du cylindre vasculaire central d'un stipe de Psaronius. Un botaniste expérimenté y reconnaitrait des bandes sinueuses de xylème et de phloème. |
Après des recherches sur le web, il semblerait qu'il s'agisse d'un morceau du cylindre vasculaire central d'un stipe de Psaronius. Un botaniste expérimenté y reconnaitrait des bandes sinueuses de xylème et de phloème. |
Après des recherches sur le web, il semblerait qu'il s'agisse d'un morceau du cylindre vasculaire central d'un stipe de Psaronius. Un botaniste expérimenté y reconnaitrait des bandes sinueuses de xylème et de phloème. |
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Avec le nom de genre (que je ne connaissais pas dans les années 1970) et le web (qui n'existait pas), on peut faire plein de recherches pour creuser le sujet. Ah, si j'avais disposé de ça il y a 50 ans…
Source - © 2015 Heritage Auctions, HA.com Figure 11. Échantillon permettant de comprendre l'anatomie d'un stipe de Psaronius sp. En périphérie, il y a un manchon fait d'un agrégat de racines adventives accolées et soudées, manchon entourant un cylindre vasculaire central. Les échantillons des figures 1 à 6 proviendraient donc du manchon périphérique d'un stipe de Psaronius sp. et l'échantillon des figures 7 à 10 proviendrait du cylindre vasculaire central du stipe. | |
Source - © 2021 D'après MNHN (Paris), modifié Voir ci-après une description rapide et l'histoire de cet échantillon qui illustre aussi un dossier sur l'histoire de la paléobotanique brésilienne (M.E.C. Bernardes-de-Oliveira et al., 2020). |
Source - © 2021 D'après MNHN (Paris), modifié Voir ci-après une description rapide et l'histoire de cet échantillon qui illustre aussi un dossier sur l'histoire de la paléobotanique brésilienne (M.E.C. Bernardes-de-Oliveira et al., 2020). |
Le site du MNHN décrit ainsi ce fossile des figures 12 et 13.
La préservation de ce fossile, datant du Carbonifère est due à une minéralisation dans la masse, c'est-à-dire ici une imprégnation de silice, où les structures restent visibles au niveau cellulaire : on peut observer la disposition des traces grises des frondes, dans la tige claire de la partie centrale, et le manchon externe massif, constitué de nombreuses racines accolées qui dégoulinent le long de la tige.
Le spécimen, rapporté en 1839 en France par le botaniste Jean-Baptiste Antoine Guillemin, est une partie d'un fossile conservé au Musée national du Brésil, à Rio de Janeiro. Cette tranche a été découpée et polie pour étude. Charles Brongniart, fondateur de la paléobotanique au Muséum, l'a étudiée et a confirmé son origine brésilienne grâce à un autre spécimen récolté par Carl Friedrich Philipp von Martius. L'espèce Psaronius brasiliensis a ainsi été décrite à partir de cet échantillon qui constitue donc l'holotype de cette espèce. Le reste du spécimen est ensuite retourné au Brésil, après avoir subi d'autres découpes à Londres (British Museum) et à Strasbourg.
C'est grâce à la structure anatomique du spécimen exposé que Brongniart a pu le rapprocher des fougères de la famille actuelle des Marattiacées, essentiellement tropicales, abondantes au Carbonifère et encore présentes au début du Permien, voici plus de 280 millions d'années.
Les deux images suivantes correspondent à deux des sections évoquées par le texte du MNHN, celle de Rio et celle de Londres.
Source - © 2019 D'après Ghedo – CC BY-SA 4.0, modifié |
Source - © 2024 D'après Daderot – CC0 1.0 Universel, modifié |
Source - © 2010 D'après Alan - dive4blood sur flickr
En navigant sur le web, on retrouve des reconstitution sen 3D du genre Psaronius, qui permettent de comprendre l'allure et l'“anatomie” de ce genre de fougère arborescente, et de son stipe. Rappelons qu'un stipe, parfois appelé « faux tronc », correspond à l'emboîtement de gaines foliaires coriaces, qui se caractérise principalement par l'absence de croissance en épaisseur, contrairement au tronc des arbres dicotylédones. Il n'y a pas de xylème secondaire (et donc pas de “bois” au sens strict) dans un stipe. Dans la nature actuelle, on trouve des stipes (de plusieurs types d'anatomie) chez les palmiers, les fougères arborescentes, les bananiers, les yucas, les dragonniers…
Source - © 2025 D’après Mike Viney (2015) et Grand'Eury, François Cyrille (1877), modifiés | |
Source - © 1912 Fernand Pelourde, Ann. des sc. nat. bot., 9e série, XVI, 22, p343 et sur wikimedia |
Source - © 1877 D’après Auguste Faguet / wikimedia Figure 19. Illustration d'Auguste Faguet montrant l'allure d'un Psaronius sp. À droite, un zoom sur la partie inférieure du stipe montre le manchon de racine adventives. Le trapèze jaune montre la position des coupes des figures 12 à 16. |
Pour ceux qui veulent aller plus loin dans la connaissance de ce genre de végétaux, il est possible d'aller consulter, par exemple, la page Tree Fern Aerial Root du site The Virtual Petrified Wood Museum. Il existe encore des fougères arborescentes dont le stipe est entouré de multiples organes (vieux pétioles ou vieilles racines) qui pendent. La photographie suivante montre une forêt de Cyathea smithii, fougère arborescente de Nouvelle-Zélande. Les organes entourant le stipe, dans ce cas, sont des pétioles d'anciennes frondes et non pas des racines contrairement aux Psaronius.
Source - © 2010 Cordyceps
Figure 20. Forêt actuelle de Cyathea smithii, fougère arborescente de Nouvelle-Zélande
Les organes entourant le stipe, dans ce cas, sont des pétioles d'anciennes frondes et non pas des racines, contrairement aux Psaronius. Cela ressemble probablement à l'allure générale de forêts permo-carbonifères de Psaronius.
Dans le même champ que celui des échantillons des figures 1 à 10, j'ai ramassé (et gardé pendant plus de 50 ans) des échantillons plus classiques de bois silicifié. En voici quatre échantillons présentés en 6 photographies.
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Il n'y a aucun affleurement et il est impossible de savoir à quoi ressemblaient les terrains contenant ces fossiles silicifiés que les labours ont remontés en surface. Les deux collines coniques visibles à gauches correspondent à des terrils (ou crassiers), restes de l'exploitation de schistes bitumineux des Télots, exploitation qui a cessé en 1957 et que nous aborderons la semaine prochaine.
La géologie et la nature de l'Autunien de la région d'Autun est bien connu grâce à cette exploitation de schistes bitumineux, exploitation arrêtée depuis 1957, à ses nombreux puits de mines et galeries et à de nombreux forages. La notice de la carte géologique d'Autun décrit ainsi l'Autunien de ce bassin.
r1a, r1b. Autunien. Le Permien inférieur ou Autunien est constitué par des alternances de schistes, grès et arkoses, de teinte noire ou foncée. Ce faciès diffère peu de celui du terrain houiller d'âge stéphanien du même bassin. Mais il présente souvent des bancs carbonatés qui tranchent sur les dépôts schisto-charbonneux. Il est surtout caractérisé par la fréquence des « schistes bitumineux », riches en écailles de poissons, qui sont sédimentologiquement des argilites carbonées. Il s'y intercale des « gores blancs » qui sont des bancs de tufs cinéritiques.
Cette notice ne parle pas de bois silicifié, pas plus que les notices des autres cartes couvrant le bassin permien d'Autun. La notice signale la présence de cinérites (cendres volcaniques acides) interstratifiées dans les pélites riches en matière organique. Trouver du volcanisme acide dans le Permien du Morvan n'est pas une surprise (cf. Crochons de faille affectant des prismes rhyolitiques, carrière de Montauté, Montreuillon (Nièvre)). Or les bois silicifiés sont très souvent associés à des cendres volcaniques acides (cf. Les bois silicifiés de Biot – Villeneuve-Loubet (Alpes Maritimes)). Quel dommage qu'aucun affleurement en place (à ma connaissance) ne soit visible pour confirmer (ou infirmer) la relation bois silicifié / cendres volcaniques acides.
D'après Jean Broutin et al. (1999, Géologie de la France, n°2, 17-31), ces bois silicifiés sont présents dans deux niveaux de l'Autunien inférieur et un niveau de l'Autunien supérieur. Ces fossiles appartiennent principalement aux genres Psaronius, Coirdaixylon, Dadoxylon et Sleromedulloxylon. De nombreux troncs silicifiés ont été découverts lors des travaux de la ligne TGV du Sud-Est qui traverse le bassin d'Autun. Que sont devenus ces troncs ? Des photographies des affleurements ont-elles été prises ?
Figure 28. Cartes topographique et géologique du Nord d'Autun (Saône-et-Loire)
Sur la carte géologique, les terrains de l'Autunien supérieur r1b (dans lesquels on trouve les bois silicifiés) sont encadrés en vert. La carte topographique montre la platitude du relief et la quasi absence d'affleurements au sein de ces terrains autuniens. La figure 27 est représentative du « paysage » des zones d'Autunien dans la région. La flèche rouge localise les terrils des Télots où nous irons la semaine prochaine.
Si vous allez à Autun, peut-être ne verrez-vous pas de bois silicifié dans les champs et les prés. Mais vous pourrez en voir en allant au Muséum d'Histoire naturelle d'Autun (brève présentation). Et, toujours à Autun, allez aussi voir le Musée Rolin). Quand il rouvrira après des travaux de rénovation en cours, vous y verrez une “interprétation romaine” des dégagements de méthane dans les ophiolites turques (cf . fig. 14 dans Méthane abiotique enflammé et serpentinite du site de la Chimère, Cirali, Turquie).
Source - © 2006 Stéphane Prost, MNH Autun dans Revue scientifique Bourgogne Nature, 4
Figure 30. Localisation d'Autun (Saône-et-Loire) et de son bassin permien sur la carte géologique de France
Localisation par fichier kmz de la ville d'Autun (Saône-et-Loire).