Image de la semaine | 17/02/2025
L'étang de Boulieu (Saint-Baudille-de-la-Tour, Isère) et ses cyprès chauves, une analogie actuelle de forêt houillère à 40 km à l'Est de Lyon
17/02/2025
Résumé
Pneumatophores et représentation des forêts houillères du Carbonifère.
Figure 1. “Forêt” de cyprès chauves (Taxodium distichum), étang de Boulieu (Isère)
Le cyprès chauve est un conifère à feuilles caduques, de la famille des Cupressaceae, originaire des marais du Sud-Est des États-Unis d'Amérique (bayous de Louisiane, Caroline du Nord et du Sud, Mississipi…). C'est l'arbre emblème de la Louisiane. C'est une espèce remarquable par son adaptation aux milieux humides (comme les pneumatophores, cf. fig. 9 à 17) et appréciant chaleur et ensoleillement. On le retrouve le long des grands fleuves, marécages et autres terrains régulièrement inondés du Sud-Est des USA. La “forêt” de cette figure se trouve sur le bord d'un étang (l'étang de Boulieu, artificiel), sur la commune de Saint-Baudille-de-la-Tour, Isère, à 40 km à l'Est de Lyon. La photo a été prise en septembre 2020, alors que le niveau de l'eau de l'étang était bas.
Localisation par fichier kmz de l'étang de Boulieu (Isère) et ses cyprès chauves.
Cette forêt de cyprès chauves n'est évidemment pas naturelle et spontanée dans le Nord-Isère. Elle a été plantée dans la deuxième moitié du XIXe siècle par Hilaire de Chardonnet (1839-1924) qui a ramené plans et/ou semences de Louisiane. Hilaire de Chardonnet était un scientifique et un industriel franc-comtois, devenu isérois par son mariage en 1866 avec l'héritière d'un château (le château de Vernay) et de propriétés (dont l'étang de Boulieu) dans le Nord-Isère. C'est, entre autres, l'inventeur de la soie artificielle (obtenue à partir de cellulose et de collodion).
Source - © ~ 1900 / 1906 carte postale – CC BY-SA 4.0 / BnF
Quand un naturaliste se promène en France métropolitaine dans un bois de cyprès chauves plus ou moins inondé, il ne peut pas ne pas penser (1) aux bayous, marécages très souvent inondés des bords du Mississipi, (2) aux mangroves arborées s'il ne remarque pas que l'eau y est douce contrairement aux mangroves où l'eau est salée (des compléments sur les mangroves sont à retrouver dans Les thalassinoïdes, d'étranges ichnofossiles, et un possible équivalent actuel, les terriers des crabes de mangrove, à partir de la figure 20). Pour illustrer cette ressemblance morphologique, voici deux images issues du web.
Source - © 2018 itinera magica Figure 3. Un bayou de Louisiane (États-Unis d'Amérique) La ressemblance avec la figure 1 est particulièrement frappante. |
Source - © 2023 fig. 14 de Athanasios Valavanidis Figure 4. Une mangrove arborée naturelle |
Quand un géologue se promène dans un bois de cyprès chauves, que ce soit en France ou en Louisiane, il ne peut pas non plus ne pas penser à la « forêt houillère » du Carbonifère. Les reconstitutions classiques, voire caricaturales, des forêts carbonifères (ou permo-carbonifères) sont omniprésentes dans les livres de géologie depuis la fin du XIXe siècle et ressemblent en effet beaucoup aux figures 1, 3 et 4.
Pour beaucoup, le Carbonifère était une période chaude et humide, comme sur les représentations classiques, et ce sur l'ensemble de la planète. C'était certes le cas en Europe ou en Amérique du Nord qui se trouvaient sous l'équateur. Mais au Nord du Brésil, c'était le désert, et l'Inde était sous une calotte glaciaire… Et même sous l'équateur, il n'y avait pas que des marécages et des plaines inondables, mais aussi des plaines “non inondables”, des montagnes… Du charbon n'a pu se former dans ce qu'on appelle maintenant les bassins houillers que (1) s'il y avait une forte production de matière végétale, principalement de nature ligneuse (du bois), et (2) si ce bois était rapidement enseveli en milieu anoxique avant sa minéralisation. Cet ensevelissement se faisait (1) soit par sédimentation de débris végétaux au fond d'un lac et par le recouvrement de ces débits par des sédiments, (2) soit par ensevelissement d'une forêt en place par une montée relative du niveau de l'eau et recouvrement de l'ancienne forêt par des sédiments. Voir par exemple Couches de charbon dans un bassin de type limnique ou La forêt carbonifère fossile de Champclauson, commune de la Grand'Combe, Gard.
Source - © 2010 C.R. Scotese - PALEOMAP
Figure 6. Reconstitution paléogéographique de la Terre au Carbonifère supérieur
Le climat carbonifère était assez similaire au climat actuel (bien qu'un peu plus froid), avec ses ceintures climatiques caractéristiques (polaires, tempérées, tropicales, équatoriale). La “forêt houillère” classique n'était présente qu'en zone équatoriale (ellipse rouge) et là où le contexte géologique permettaient production et préservation de la matière ligneuse.
Dans certaines conditions locales de sol, de profondeur moyenne de l'eau… les cyprès chauves développent des pneumatophores. Les pneumatophores sont des excroissances ligneuses se développant vers le haut à partir des racines et pouvant devenir aériennes. Grâce à des tissus aérifères, cela permet des échanges gazeux et la fourniture de dioxygène pour les racines enterrées dans des sols humides et anoxiques. Les cyprès chauves de l'étang de Boulieu montrent (pas tous) des pneumatophores très spectaculaires. Parfois, on ne voit pas ces pneumatophores (absence réelle ou recouvrement temporaire par de la boue apportée par une crue ?). Souvent ces pneumatophores sont bien visibles. Après une photographie montrant le feuillage (figure 7), nous vous montrons deux séries de photographies, l’une a été prise en période de basses eaux (figures 1 et 8 à 12) et les pneumatophores visibles sont totalement émergés ; l’autre a été prise en hiver quand les eaux étaient “normalement” hautes (figures 14 à 17), avec la base des pneumatophores immergée et seul leur apex dépassant de l'eau.
On ne voit pas de pneumatophore sur cette photo. |
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Source - © 2025 Inspiré de 2007 Liné1 – CC BY-SA 3.0 et 2012 cfppah |
Figure 14. Les cyprès chauves de l'étang de Boulieu (Isère) en hiver Les arbres ont perdu leur feuillage et leur base est immergée. |
Figure 15. Bases immergées de quatre cyprès chauves, étang de Boulieu (Isère) Celui de droite et les deux de gauche ne montrent pas de pneumatophore. Celui du milieu en a développé tout un réseau sur sa droite (voir aussi figures 16 et 17). |
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Source - © 2011 bruno vallois / forums naturalistes Figure 18. Exemple de gravure ancienne de « forêt houillère » En cherchant bien sur le web, on peut trouver des gravures anciennes de « forêt houillère » avec au premier plan ce qu'on peut interpréter comme des pneumatophores (cela pourrait aussi être de « jeunes prêles » en train de sortir de l'eau). |
Le site de l'étang de Boulieu (Isère) est connu des amateurs de nature à cause de ses cyprès chauves, et aussi par la proximité d'une cascade, la cascade de la Roche. Un chemin part d'un petit parking pour aller jusqu'à cette cascade. L'étang se trouve à une petite centaine de mètres de la cascade. Selon la presse locale, l'accès à la cascade de la Roche et à l'étang, surfréquentés, est désormais réglementé.
Figure 19. Vue aérienne du secteur de l'étang de Boulieu (Saint-Baudille-de-la-Tour, Isère) P localise le parking, C la cascade de la Roche et CC les cyprès chauves. La petite flèche rouge indique la position des ruines du château de Vernay. |
Figure 20. Carte topographique du secteur de l'étang de Boulieu (Saint-Baudille-de-la-Tour, Isère) P localise le parking, C la cascade de la Roche et CC les cyprès chauves. La petite flèche rouge indique la position des ruines du château de Vernay. |
Figure 21. Contexte géologique de l'étang de Boulieu (Saint-Baudille-de-la-Tour, Isère) P localise le parking, C la cascade de la Roche et CC les cyprès chauves. La région est constituée de calcaires du Jurassique moyen (ocre) ou supérieur (bleu). La falaise de la cascade de la Roche est en calcaire du Bathonien (Jurassique moyen). L'ensemble du secteur est partiellement recouvert de dépôts glaciaires (en gris). |
En France, les bassins houillers carbonifères se sont développés dans des zones tectoniquement actives : bassin flexural au pied d'un grand chevauchement pour le bassin (dit paralique) du Nord-Pas-de-Calais, grabens en extension tardi-hercyniens pour les bassins (dit limniques) du Massif Central, de Lorraine… Les strates de ces bassins sont abondamment faillées (ce qui rendait leur exploitation difficile). Et bien qu'il n'y ait aucune relation entre les plantations de cyprès chauves dans l'étang de Boulieu (étang aménagé aux XVIII et XIXe siècle) et la tectonique régionale, par un hasard extraordinaire, on peut observer deux belles failles affectant les calcaires jurassiques au niveau de la cascade de la Roche. Visiter l'étang de Boulieu permet donc de faire de la biologie et de la géologie.
Figure 22. La cascade de la Roche chutant d'une falaise de calcaires jurassiques, Boulieu (Isère) En février 2023, une faille montrant un mouvement (apparent) normal est visible à droite de l'affleurement. Une autre faille est visible derrière la cascade quand celle-ci est à sec (figure 26). |
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Figure 24. Miroir de faille de la figure 23, cascade de la Roche (Boulieu, Isère) Les stries à pitch vertical sont relativement bien visibles. |
Figure 25. Détail sur le miroir de faille de la figure 23, cascade de la Roche (Boulieu, Isère) Les stries à pitch vertical sont relativement bien visibles. |
Figure 26. La cascade de la Roche en septembre 2020 pendant une sécheresse où la cascade ne coulait plus Une deuxième faille, masquée par la cascade lorsqu'elle est active, est visible. |