Image de la semaine | 11/03/2024
Malachite, lapis-lazuli, albâtre…, la minéralogie s'invite dans la basilique Saint-Paul-hors-les-Murs, Rome (Italie)
11/03/2024
Résumé
Ornements en malachite et lazurite, vitraux en fines tranches d’albâtre.
Au fond de la branche droite (Sud) du transept, symétrique de la branche gauche de la figure 4, se trouve un autel “jumeau” de celui des figures 1 à 3.
Ces sept images d'autels plaqués de malachite et d'azurite posent deux questions . (1) Quelle est l'histoire “humaine” de ces plaques de malachite et d'azurite ? (2) Que sont malachite et lapis-lazuli, deux pierres ornementales mais aussi très utilisées en bijouterie, quelle est leur nature, leur origine géologique… ?
La basilique Saint-Paul-hors-les-Murs est l'une des quatre basiliques majeures de Rome, avec les basiliques Saint-Pierre (au Vatican), Saint-Jean-de-Latran (dont le président de la République française est, ès fonction, chanoine honoraire) et Sainte-Marie-Majeure. Saint-Paul-hors-les-Murs est une basilique paléochrétienne et médiévale, bâtie à partir de la fin du IVe siècle, sous les premiers empereurs romains chrétiens, dont Théodose Ier (347-395) qui fit du christianisme la religion d'état de l'empire. Cette basilique subit diverses transformations et avatars historiques jusqu'au XIXe siècle. Le 15 juillet 1823, un incendie majeur détruisit l'intégralité de la nef, en n'épargnant que très partiellement chœur et transept. La basilique fut rebâtie plus ou moins à l'identique de 1823 à 1831 (même plan, mais les décors intérieurs ont été modifiés). Cet incendie suscita une grande émotion dans le monde entier et de nombreuses “personnalités” et mécènes aidèrent cette reconstruction par des dons, dont le Tsar Nicolas Ier (1796-1855), qui offrit les blocs de malachite et de lapis-lazuli utilisés pour les autels des transepts, ou le vice-roi d'Égypte Méhémet Ali (1760-1849), qui offrit des blocs d'albâtre (figures 25 à 28).
La malachite, est un carbonate de cuivre hydraté vert [Cu2CO3(OH)2], qui se forme par oxydation des amas sulfurés, et aussi par circulation et dépôt par des fluides hydrothermaux dans des roches poreuses et perméables, dans des fractures… De la malachite “ancienne” peut être remobilisée par des circulations plus récentes de fluides… En France, on peut voir (et même visiter) d'anciennes mines de cuivre riches en malachite, cf. La mine de cuivre du Cap Garonne, le Pradet (Var) : visite de la mine et géologie du gisement, ainsi que Les anciennes mines de cuivre, argent et barytine du secteur Padern-Montgaillard (Aude), ou encore Les mines de cuivre de Chessy-les-Mines, (Rhône) : des azurites parmi les plus belles du monde formées par interaction de grès carbonatés triasiques avec un amas sulfuré quasi-ophiolitique dévonien – Comparaison avec l'amas sulfuré voisin de Sain-Bel… On trouve des gisements de malachite exploitée à des fins “ornementales” au Congo (RDC), au Mexique, en Russie, en particulier en Oural (c'est de là que viennent sans doute les blocs offerts par Nicolas Ier)… La malachite est souvent associée à l'azurite, autre carbonate de cuivre hydraté d'une belle couleur bleu-azur [Cu3(CO3)2(OH)2].
Comme la silice, la fluorine…, la malachite se dépose souvent en couches le long de parois de fissures (filon) ou de cavités (géode) en formant des empilements de couches et lamines plus ou moins planes ou ondulées (cf. figure 6 de Les vitraux d'agate et de tourmaline de la cathédrale de Zurich (Suisse)), couches de différentes nuances de vert. Une section plane dans ces couches plus ou moins ondulées va former des motifs très décoratifs plus ou moins circulaires et concentriques (figure 3 et figures 11 à 14).
Nous vous montrons de la malachite in situ dans une galerie d'une ancienne mine française, un échantillons “brut” issu de l'Oural qui doit ressembler (en petit) à ce qu'étaient les blocs donnés par le tsar, et quatre vues d'un cendrier taillé dans une malachite africaine.
Le lapis-lazuli est une roche métamorphique contenant au moins 25 % (et souvent beaucoup plus) d'un feldspathoïde bleu, la lazurite, qui est un alumino-silicate de calcium et de sodium riche en soufre et autres composés volatils [(Na,Ca)8(AlSiO4)6(SO4,S,Cl,OH)2]. La lazurite appartient à la “famille” des felspathoïdes bleus (= groupe de la sodalite) dont les principaux, outre la lazurite, sont la sodalite, l'haüyne et la noséane. Attention à ne pas confondre la lazurite (alumino-silicate de calcium et de sodium riche en soufre) avec l'azurite (carbonate de cuivre hydraté), ni avec la lazulite, phosphate de fer, magnésium et aluminium [(Mg,Fe2+)Al2(PO4)2(OH)2], minéraux totalement différents mais à la couleur et au nom très voisins. Ce nom vient du latin lazuli (azur), qui vient lui-même de l'arabe et/ou du persan lāzaward / lāzhuward.
Dans le lapis-lazuli, en plus d'une majorité (au moins relative) de lazurite, il y aussi de la calcite, souvent de la pyrite… Son origine résulte d'un métamorphisme de contact de carbonates impurs (marnes) associés à des sulfates, chlorures… provenant de roches voisines ou de circulations de fluides issus de l'intrusion magmatique responsable du métamorphisme.
Pendant longtemps (depuis l'antiquité égyptienne, persane, chinoise…), l'Afghanistan était le seul producteur de lapis-lazuli, et la rareté de cette roche expliquait son prix élevé. On a redécouvert et on exploite aussi des gisements au Chili (gisements connus par les Incas). Le principal gisement chilien se trouve dans des calcaires mésozoïques ; il s'est formé en deux étapes, (1) intrusion d'un monzogranite et métamorphisme de contact (24 Ma) au cours duquel des silicates (dont des feldspathoïdes) à fortes concentrations de sodium et d'aluminium se sont formés dans les marno-calcaire, suivie (2) d'une altération hydrothermale par des fluides sulfurés et sulfatés associés à la mise en place de dacites et rhyodacite (13-9 Ma). C'est cet hydrothermalisme au cours duquel des fluides soufrés ont imprégné la roche qui a formé de la lazurite et donc du lapis-lazuli (voir le site lazulita.cl).
Quelques autres petits gisements de bien moindre importance existent aussi en Russie, Pakistan, Birmanie, USA…
Malgré son prix très élevé et sa provenance très lointaine, le lapis-lazuli broyé a longtemps été le seul pigment pour avoir une peinture d'un bleu intense et pérenne (le bleu outremer). Son utilisation comme colorant cessa à partir de 1826, année où fut inventé un colorant de synthèse de même couleur.
Source - © 2016 China Dialogue | Source - © 2010 James St. John – CC BY 2.0 |
Jusqu'au XIXe siècle, la poudre de lapis-lazuli (le bleu outremer) était la seule solution pour obtenir des peintures d'un bleu vif (plus ou moins selon les dosages) et ne palissant pas avec le temps. Les tableaux et fresques ayant utilisé le lapis-lazuli sont très nombreux. On peut citer par exemple la très célèbre Jeune fille à la perle (1665) de Johannes Vermeer. Mais comme on est à Rome, nous allons vous montrer le Jugement Dernier de Michel-Ange, gigantesque fresque de 13 m de large pour 16 m de haut qui orne le mur situé à l'arrière de l'autel de la Chapelle Sixtine.
Source - © 1541 Michel-Ange
Source - © 1541 Michel-Ange
À part la malachite et le lapis-lazuli, ainsi que les innombrables pierres ornementales et autres marbres omniprésents dans les églises et monuments de Rome (cf. Un peu de géologie en visitant Rome) et qu'on peut aussi voir à Saint-Paul-hors-les-Murs, le visiteur, même s'il n'est absolument pas attiré par la géologie, ne pourra pas ne pas remarquer les vitraux, vitraux installés après l'incendie de 1823 et constitués de fines plaques d'albâtre transparent. Pour les lapidaires, il existe deux sortes d'albâtre (cf. Sculptures et décors en travertin, et gisements d'Oman et d'Italie), albâtre calcaire et albâtre gypseux. Je n'ai pas pu tester (à l'acide ou à l'ongle) la nature de cet albâtre donné par le vice-roi d'Égypte, mais, vu de loin, il ressemble nettement plus à du travertin calcaire qu'à du gypse.