Image de la semaine | 30/05/2016
Les vitraux d'agate et de tourmaline de la cathédrale de Zurich (Suisse)
30/05/2016
Résumé
Vitraux en tranches de tourmaline et d'agate artificiellement colorée, à voir au Grossmünster) de Zurich.
Source - © 2010 Roland zh, modifié, CC BY-SA 3.0 | |
Source - © 2010 Roland zh, modifié, CC BY-SA 3.0 | Source - © 2010 Roland zh, modifié, CC BY-SA 3.0 |
La cathédrale de Zurich (Suisse) est connue sous le nom de Grossmünster (en français la "grande cathédrale"). Elle a été construite de 1100 à 1220, puis transformée en temple protestant lors de la Réforme au XVIème siècle, puis en temple évangélique. Outre son intérêt architectural, historique… elle offre aussi un intérêt géologique et minéralogique certain. En effet, le peintre allemand Sigmar Polke (1941-2010) a installé en 2009 un ensemble de sept vitraux, constitués de " tranches" fines d'agates collées les unes à côté des autres. C'est l'occasion d'admirer des dizaines de sections de géodes ou de nodules d'agate. On peut trouver des photographies de haute résolution de ces vitraux sur une page consacrée à Sigmar Polke et ses vitraux zurichois.
La silice (SiO2) existe sous plusieurs variétés cristallines ou amorphes, les plus connues étant le quartz et l'opale (qui contient une forte proportion de silice amorphe hydratée). La calcédoine est une autre variété de silice, composée de micro-fibres de silice typiquement d'un diamètre d'environ 0,1 µm. Quand ces fibres de silice se disposent en couches successives plus ou moins foncées et/ou colorées, la calcédoine s'appelle alors agate. Les agates les plus fréquentes remplissent partiellement ou totalement des géodes. Quand une cavité centimétrique à métrique existe dans une roche (le plus souvent ancienne bulle de gaz dans une roche volcanique ou sédimentaire) et que des eaux chaudes (souvent supercritiques, cf. L'état supercritique en sciences de la Terre) siliceuses imbibent et circulent dans la roche, il arrive très souvent que les parois de la cavité se tapissent de couches concentriques de calcédoine, que l'on appellera agate si le zonage est coloré et bien visible. Les conditions pouvant varier au cours de ce remplissage, on observe assez fréquemment que les couches externes sont en calcédoine et que le centre de la cavité sont rempli de quartz. S'il reste une cavité au centre de l'ancienne cavité, on aura une géode sensu stricto ; si la cavité est complètement remplie, on parlera de "nodule" d'agate. Il arrive aussi que les couches de calcédoine tapissent les parois d'une fissure et forment un filon. Cela forme des agates à couches planes et parallèles, qui s'appellent alors onyx.
Les agates sont assez souvent colorées. Il peut s'agir de couleurs physiques ou chimiques. En effet, les fibres de silice ne sont pas parfaitement jointives. L'agencement entre des fibres de silice (avec un indice de réfraction de 1,53) et du "vide" (ou de l'air) avec un indice de 1 peut entrainer des phénomènes d'interférences lumineuses. Et très souvent la silice n'est pas pure et contient des traces de métaux divers (souvent des métaux de transition), qui colorent telle ou telle couche de fibres avec telle ou telle couleur. Les agates portent alors des noms différents suivant leur couleur dominante (cornaline = agate rouge-orangée, chrysoprase = agate verte…).
La couleur des agates peut être artificiellement renforcée ou modifiée ; les couleurs deviennent alors beaucoup plus vives que les délicates nuances des agates naturelles. Les couleurs peuvent même être créées de toute pièce. En effet, les vides inter-fibres peuvent être imprégnés de liquides divers. L'imprégnation par des huiles minérales, changeant le contraste d'indices de réfraction fibre / inter-fibre, modifiera les couleurs d'interférence. On peut aussi faire subir des traitements chimiques qui implanteront des impuretés diverses entre les fibres de silice. Le site suisse de gemmologie donne un certain nombre de recettes industrielles ou artisanales : « Pour obtenir des agates noires ou brunes, il faut plonger l'agate dans une solution saturée en sucre, puis la plonger dans l'acide sulfurique chaud. La température de chauffage permet d'obtenir des teintes allant du brun au noir. Pour obtenir des agates rouges la pierre est plongée dans une solution de nitrate de fer, puis chauffée au four. Pour obtenir une agate jaune, la pierre est plongée dans l'acide chlorhydrique puis chauffée doucement. Pour obtenir une agate verte, la pierre est plongée dans une solution de sulfate de chrome ou de nitrate de nickel, puis chauffée. Pour obtenir une agate bleue la pierre est plongée dans une solution de ferrocyanure de potassium, puis portée à ébullition dans une solution de sulfate de fer… »
Ces techniques de coloration sont couramment employées depuis le XIXème siècle. Il semblerait que les Romains pratiquaient déjà les plus simples de ces techniques de colorations. Coupées en tranches ou lames fines, les agates colorées (naturellement ou artificiellement) peuvent être du plus bel effet.
Renforcer artificiellement les couleurs d'une pierre ornementale n'est en soi absolument pas interdit ou répréhensible. Le problème est que, souvent, les agates vendues sont artificiellement colorées sans que cela ne soit indiqué. De très nombreux objets en agate (perles, cabochons et broches, cendriers, horloges, lames décoratives…) sont en vente dans divers magasins et bourses aux minéraux. La majorité des objets (mais pas tous) vendus sont artificiellement colorés de manière "cachée". Un mensonge « par omission » !
Les sept vitraux du Grossmünster de Zurich ont été réalisés par Sigmar Polke en juxtaposant de fines tranches d'agate transparente colorée, avec une volonté a à la fois artistique et religieuse. Le choix des couleurs, leur harmonie ou au contraire leur contraste, la forme des motifs internes… ont été voulus par l'artiste. Mais la vivacité et l'éclat des couleurs montrent que la majorité de ces agates ont été très vraisemblablement colorées de manière artificielle.
Nous vous montrons d'autres photos de la cathédrale de Zurich et de ses vitraux, photographiés depuis l'intérieur de l'édifice mais aussi depuis l'extérieur. Puis, à titre d'exemple, nous détaillerons un vitrail pour en faire une analyse géologique approfondie. Et enfin, nous étudierons un autre vitrail bien particulier qui utilise un autre minéral, des tourmalines...
Source - © 2010 Roland zh, modifié, CC BY-SA 3.0
Ces vitraux du Grossmünster de Zurich sont une magnifique occasion de faire de la géologie en l'associant à de l'art et aux traditions religieuses. N'oublions pas que les programmes officiels recommandent d'associer l'art et la discipline enseignée autant que faire se peut (« il est bon de souligner que les sciences de la vie et de la Terre peuvent être l'occasion d'intéressantes relations avec l'enseignement d'histoire des arts » (programme de seconde, enseignement commun de SVT) et mise en œuvre les EPI au collège). Les sept vitraux d'agate représentent un véritable musée de la structure interne des géodes de calcédoine ; il faut en profiter. Étudions à fond un "morceau" de l'un des vitraux.
Source - © 2015 craig coulthard, modifié
Sigmar Polke a aussi réalisé des vitraux en verre, dont un vitrail mixte verre – minéraux, vitrail représentant le « bouc émissaire » (der Sündenbock), bouc que Moïse, sur l'ordre de Dieu, chargea de tous les péchés d'Israël avant de l'envoyer dans le désert. Ce bouc chargé de tous les péchés du monde est devenu l'« Agneau de Dieu » dans la tradition chrétienne. Sigmar Polke a représenté ce bouc avec des plaies (nos péchés). Ces plaies sont figurées par des tranches de tourmaline polychrome montrant bien les stries de croissance (triangulaires) et d'autres caractéristiques de la structure interne des cristaux comme la croix à trois branches joignant parfois les sommets des triangles (voir des détails sur les tourmalines par exemple sur le site gggems.com : caractéristiques et tranches de tourmalines).
Source - © 2013 Jenny Keller, modifié | |
Source - © 2013 Jenny Keller, modifié | Source - © 2013 Jenny Keller, modifié |
Si vous passez par Zurich, aller voir le Grossmünster et ses extraordinaires vitraux d'agate et de tourmaline !