Image de la semaine | 20/03/2023
Accumulation de dentales, Priabonien de Barmerousse, Passy, Haute Savoie
20/03/2023
Résumé
Thanatocénoses de scaphopodes et oursins. “Coquillages” et parures paléolithiqus à actuelles.
Les dentales, en forme de tubes allongés et coniques, sont statistiquement horizontaux et parallèles entre eux, vraisemblablement accumulés là et orientés par un courant. Une nummulite est visible au centre de la photo.
Localisation approximative par fichier kmz du secteur à accumulation de dentales dans une calcarénite priabonienne (falaise du secteur de Barmerousse, Passy, Haute-Savoie).
Les dentales sont très majoritairement “coupés” perpendiculairement à leur allongement, montrant qu'ils sont horizontaux et qu'ils ont la même orientation que ceux de la photo précédente. | Figure 3. Montage où les deux photos précédentes ont été “positionnées” sur deux faces d'un cube Un dessin sur la face supérieure correspond au plan de stratification. On a alors, en trois dimensions, la position des coquilles de dentales orientées horizontalement et parallèlement dans le bloc de calcarénite éocène. Cette orientation est très vraisemblablement due à un (des) courant(s) dont on peut déterminer la direction, mais pas le sens, d'autant plus que ces courants sont peut-être des courants de marée dont le sens peut changer périodiquement. |
Dans toutes les photographies qui suivent, l'échelle est donnée par le diamètre des dentales qui, suivant la position de la section, est compris entre 1 et 5 mm.
Les dentales sont des mollusques de la classe des scaphopodes, une classe de mollusques marins vivant enfouis dans le sable au large de très nombreux rivages (dont des rivages français). Malgré sa fréquence, cette classe est bien moins connue que les classiques classes des bivalves, gastéropodes ou céphalopodes. Les scaphopodes existent depuis l'Ordovicien et ont vu leur variété augmenter au Crétacé supérieur. Ils ont la forme d'un long tube calcaire, conique, ouvert aux deux extrémités. Ils vivent à demi enterrés dans le sable, en position plus ou moins verticale. Ils se nourrissent par la partie avant, la plus large, enfouie dans le sable, en capturant les éléments nutritifs présent dans les sédiments. La partie arrière, la plus étroite, dépasse du sédiment ; c'est par là qu'ils évacuent leurs déchets. Ils vivent dans la zone infralittorale, typiquement vers 30 à 50 m de profondeur. Mais les courants peuvent les déchausser de leur environnement sableux “profond”, transporter leur coquille vide vers le rivage, coquilles qu'on peut alors fréquemment trouver sur les plages en véritables accumulations, des thanatocénoses. Les photographies 1 et 2 correspondent à une véritable thanatocénose éocène.
Avant de retourner sur le gisement priabonien des Alpes, regardons à quoi ressemblent les scaphopodes actuels.
Source - © - zoom-nature.fr Figure 4. Deux coquilles de dentales actuels sur une plage On voit très bien la forme de tube conique allongé, et la forme circulaire de leur section | Source - © 2015 Wilfried Bay-Nouailhat |
Source - © 2020 Philippe Rocher Figure 6. Autre espèce de dentale échoué sur une plage L’aspect de la coquille est bien différent de celui des espèces des deux figures précédentes. | Source - © 2015 I.O. Nekhaev Figure 7. Espèces de scaphopodes récemment découvertes en Mer de Barents, au large de la péninsule de Kola Source : I.O. Nekhaev, 2015. New records of gadilid molluscs from the southwestern Barents Sea (Scaphopoda: Gadilidae), Ruthenica, 25, 2, 69-71. |
Source - © - quizlet.com | Source - © 2006 D’après Adrien Weckel, modifié Figure 9. Dentale actuel (Antalis vulgaris) en position de vie Le bas du tube avec la bouche est enfoncé dans le sable. |
Après avoir rapidement vu ce que sont que sont les scaphopodes actuels, retournons dans le secteur de Barmerousse, située à l'extrémité Sud-Ouest du Désert de Platé en Haute-Savoie, site connu pour son superbe modelé karstique (cf. Le Désert de Platé (Haute Savoie), un lapiaz face au Mont Blanc et riche en fossiles). Sur ce secteur des chainons subalpins, il y a eu des mouvements verticaux de la marge européenne, conséquences du rapprochement Europe-Apulie, puis du plongement de la marge européenne sous ce promontoire apulien. Au Crétacé supérieur, ces mouvements se sont traduits par une émersion suivie par une érosion. Cette surface d'érosion fut pédogénisée puis envahie de couches saumâtres à l'Éocène. L'enfoncement de cette marge a entrainé une transgression au Priabonien (le dernier étage de l'Éocène, −37,2 à −33,9 Ma), qui a permis le dépôt franchement marin de calcarénites, calcaires gréseux… C'est dans ces sédiments sableux (maintenant devenus grès calcaires) que vivaient les scaphopodes. Des courants (au moins pour partie des courants de marées) déplaçaient les organismes morts et les coquilles vides et les accumulaient localement…
Précisons que ce secteur de Barmerousse fait partie du site classé du Désert de Platé qui doit être préservé, et que toute dégradation des falaises et rochers y est interdite, même (voire surtout) pour y prélever des fossiles.
Le “niveau de la mer” est indiqué dans la marge droite. Les accumulations locales de scaphopodes décrites dans cet article se trouvent juste au-dessus de la surface S2, à la base des calcarénites franchement marines, quelques mètres au-dessus de la discordance Éocène/Crétacé.
On reconnait les petits cercles blancs que sont les scaphopodes coupés perpendiculairement à leur allongement, et aussi des ovales blancs plus grands (2,5 × 1 cm). Il s'agit de sections d'oursins (remplis de matériel gréso-calcaire). | Zoom de la figure précédente. On reconnait les petits cercles blancs que sont les scaphopodes coupés perpendiculairement à leur allongement, et aussi des ovales blancs plus grands (2,5 × 1 cm). Il s'agit de sections d'oursins (remplis de matériel gréso-calcaire). |
Zoom de la figure précédente. On reconnait les petits cercles blancs que sont les scaphopodes coupés perpendiculairement à leur allongement, et aussi des ovales blancs plus grands (2,5 × 1 cm). Il s'agit de sections d'oursins (remplis de matériel gréso-calcaire). |
Figure 15. Zoom sur un secteur voisin où l'on voit très bien dentales et oursins dans les calcaires priaboniens Zoom sur le bas de la figure précédente. | |
Source - © 2016 Frédéric André Figure 18. Sable infralittoral actuel où des courants ont déposé un dentale et un petit oursin Une analogie (avec moins de dentales) du “paysage” sous-marin du secteur de Barmerousse au Priabonien. | On retrouve cette richesse du Priabonien en nummulites dans les Alpes-de-Haute-Provence (cf. Quand fossiles de coraux et de bivalves s'associent pour faire des masques de carnaval). |
Ce synclinal est “rempli” de Crétacé supérieur (en vert clair), lui-même surmonté par de l'Éocène (en diverses teintes de rouge, orange ou jaune). Les thanatocénoses de dentales fossiles peuvent se trouver juste au-dessus de la limite Éocène/Crétacé supérieur (rouge/vert), limite qu'on peut voir du Nord à l'Est du lieu-dit Barmerousse. | Ce synclinal est “rempli” de Crétacé supérieur, lui-même surmonté par des calcaires éocènes, ceux qui constituent le lapiaz du Désert de Platé, (cf. Le Désert de Platé (Haute Savoie), un lapiaz face au Mont Blanc et riche en fossiles) qu'on devine bien sur cette photo. Les thanatocénoses de dentales fossiles peuvent se trouver à la base de cette barre calcaire éocène, du Nord à l'Est du lieu-dit Barmerousse. |
Les dentales, avec leur fragile et insolite beauté, ont toujours attiré l'attention des Hommes. Ils en ramassaient les coquilles sur les plages et en faisaient des parures, des bijoux, des bibelots… et, ce, à toutes les époques, que ce soit au Paléolithique européen, en Amérique précolombienne, ou, aujourd'hui, près de nos côtes. En témoignent, ci-dessous, ce collier trouvé dans une sépulture d'enfant au Paléolithique supérieur (figure 22), cette reproduction de boucles d'oreilles amérindiennes (figure 23), ce collier breton “moderne” (figure 24).
Source - © 2001 D’après M. Vanhaeren et F. d’Errico Cette tombe est située à 175 km de la mer. Le fait que ces coquilles aient voyagé d'au moins 175 km entre la mer et la Dordogne prouve que les Magdaléniens y attachaient un grand prix (prix “marchand ”, symbolique ou spirituel…). Les résultats des fouilles datant du début du XXe siècle sont conservés au Musée des Ezies. Localisation par fichier kmz de l'abri de la Madeleine (Tursac, Dordogne) d’où a été extrait un collier paléolithique de dentales. Source : M. Vanhaeren, F. d'Errico, 2001. La parure de l'enfant de la Madeleine (fouilles Peyrony), un nouveau regard sur l'enfance au Paléolithique supérieur, Paleo, 13, 201-240 (Open Access). | |
Source - © 2002 CreationSecondeNatur / Etsy | Source - © - Joseph Le Hyaric / Verdi Éditions/ |