Image de la semaine | 13/06/2022
La forêt pétrifiée de Suihent, la Pompéi mongole, figée par un courant de densité pyroclastique
13/06/2022
Résumé
Troncs silicifiés et nuées ardentes. Fossilisation d'une forêt par une coulée pyroclastique au Jurassique supérieur.
La forêt pétrifiée de Suihent (Mongolie) est composée d'arbres silicifiés bien préservés datant du Jurassique supérieur. Elle est composées de troncs verticaux parfois avec leur souches in situ (peu visibles) et de troncs horizontaux bien plus visibles et souvent très spectaculaires, aussi spectaculaires que leurs homologues de Namibie (cf. Une "forêt pétrifiée" de gymnospermes permiens du Damaraland, près de Khorixas, Namibie) et d'Arizona (cf. Habitations en bois silicifié dans l'Arizona et le Dakota du Sud (USA)). Ces troncs sont statistiquement couchés et orientés préférentiellement vers le Sud-Ouest. Le tout est inclus dans un dépôt de courant de densité pyroclastique (CDP) (pyroclastic density currents – PDC) (cf. CDP dans Le dôme de lave du Paluweh (ou Rerombola, Indonésie) : mise en place, effondrements, nuées ardentes et autres courants de densité pyroclastiques), contenu dans la formation de Tsagaa Tsav, du Jurassique supérieur. Keller et Hendrix (1997 [1]) ont compté plus de 72 troncs verticaux, parfois avec leur souche et 49 troncs horizontaux s'étendent sur un domaine d'environ 100 m de large et 720 m de long. Le plus gros tronc a un diamètre de 1,75 m et le plus long mesure 13 m de long. L'orientation des rondins peut avoir deux origines : (1) ils ont été abattus lors d'une même tempête ou par des tempêtes différentes avec un même direction des vents dominants ; (2) mais le fait qu'ils soient contenus dans un dépôt pyroclastique suggère fortement que c'est le souffle et le mouvement du CDP qui les a couchés. Leur orientation indique alors que le CDP a pris naissance au Nord-Est de la forêt. Les dépôts pyroclastiques contenant la forêt pétrifiée de Suihent ne sont que peu soudés entre eux. Ils présentent des phénocristaux de quartz, sanidine et des plagioclases avec présence d'amphiboles, de pyroxènes et de biotites. On note également la présence de ponces.
Source - © 2022 D'après Keller et Hendrix, 1997 [1], modifié |
Les dépots pyroclastiques proviendraient, d’après Keller Hendrix (1997 [1]), d’une coulée pyroclastique du volcan Tsagaan Tsav. Cependant, on trouve au moins trois sites à proximité ayant le nom de “Tsagaan Tsav” (voir Figure 26). C’est une caractéristique mongole que de donner le même nom à de multiples sites. Pour les occidentaux cela représente un vrai casse-tête. La forêt de Suihent a été datée à partir de la sanidine dans le tuf de la coulée de cendres à 156± ,76 Ma (Keller et Hendrix, 1997 [1]) par géochronologie 40Ar/39Ar (Jurassique supérieur). La dernière éruption du Tsagaan Tsav volcanic field déterminée par 40Ar/39Ar donne un âge situé entre 120,4±1,1 et 117,7±1,7 Ma (Sheldrick et al., 2018 [2]). Ces données étant contradictoires, il semble que le CDP responsable de l’ensevelissement de la forêt de Suishent ne provienne pas du même “Tsagaan Tsav”. On trouve en effet un Tsaagen Tsav au Nord-Est et un autre au Sud-Est de la forêt de Suihent (Figure 26). Dans l’état actuel des choses, il est probable que le “bon” Tsagaan Tsav soit celui situé au Sud-Est, à 130 km de la forêt pétrifiée. Nous n’avons pas d’éléments qui permettent d’identifier la topographie préexistant au Jurassique, les CDP étant très sensibles à la topographie. Il est également possible que le Tsagaan Tsav réel soit celui situé au Nord-Est à 360 km de la forêt comme l’orientation préférentielle des troncs le laisserait penser. Des études complémentaires seront nécessaires pour lever ces indéterminations.
Dans le Sud et l'Est de la Mongolie, les roches magmatiques basiques à intermédiaires mésozoïques s'étendent sur une superficie estimée à 9 800 km2 (Fig. 10). Ce magmatisme généralisé et de faible volume est situé dans l'intérieur continental de l'Asie orientale, loin des marges continentales, et sa cause reste un sujet de controverse.
Source - © 2022 D'après Sheldrick et al., 2018 [2]
La majeure partie de la formation de la CAOB (ceinture orogénique d'Asie centrale) s'est produite via des processus de subduction au Paléozoïque, qui se sont arrêtés au Trias. La subduction de la lithosphère du paléo-Pacifique à l'Est, ou de la lithosphère de la Néotéthys au Sud, s'est produite à 2 000 km au Nord des champs de laves mésozoïques de Mongolie. Le magmatisme mésozoïque mongol semble souvent être lié spatialement et temporellement à la formation généralisée de bassins sédimentaires d'extension. La seule limite de plaque qui était active à proximité des champs magmatiques mongols pendant la première partie de leur formation était la zone de subduction associée à la fermeture de l'océan Mongol-Okhotsk, qui était active jusqu'au Jurassique supérieur - Crétacé supérieur.
Parmi les autres explications du magmatisme régional (ou d'une partie de celui-ci), on peut citer l'activité d'un panache mantellique, ou encore un processus de délamination lithosphérique dans la région de Mongol-Okhotsk, ou une combinaison de délamination, d'extension très lointaine de l'arrière-arc et de remontée du manteau induite par l'avalanche du manteau des plaques précédemment subduites autour des continents asiatiques.
La présence de bassins d'extension mésozoïques, d'un volcanisme basique étendu, et d'un volcanisme acide considéré comme subordonné, ont été proposées comme arguments forts en faveur de processus de délamination lithosphérique.
Les éruptions explosives produisent souvent des volumes considérables (≥ 1 000 km3) de matériaux granulaires d'origine magmatique qui proviennent de la décompression rapide des gaz dissous dans les magmas au cours de leur ascension vers la bouche éruptive. Ces masses granulaires s'écoulent sur les pentes de l'édifice volcanique. Ces écoulements sont connus sous le terme générique d'“écoulements pyroclastiques”. Ils ont comme caractéristique d'être plus ou moins denses ce qui a généré une littérature abondante et la création de nombreux termes pour tenter de définir leurs dépôts puisqu'il était pratiquement impossible de réaliser des mesures in situ compte tenu de leur dangerosité. Aujourd'hui l'objectif est davantage de rendre compte de ces écoulements à travers une approche basée sur la physique du processus. Leur classification n'est pas simple car il existe de nombreux intermédiaires et une certaine continuité entre les différentes catégories. Il se dégage cependant, depuis quelques années, un consensus concernant la définition des courants de densité pyroclastiques (CDP) comme un mélange de gaz et de particules. Ce sont des mélanges chauds (200 à 800°C) de gaz et de particules qui sont définis par une gamme de phénomènes allant (1) des déferlantes diluées (1 kg/m3) turbulentes (pyroclastic surge), avec phénomènes de dépôt, érosion, et charriage (bedload) à la base et une concentration en particules qui augmente vers le bas, générés lors des éruptions phréatomagmatiques (les dépôts sont stratifiés et bien granoclassés), (2) aux courants composés d'un écoulement gravitaire dense (103 kg/m3) à la base (pyroclastic flow), qui peut avoir une forte pression de gaz interstitiel qui fluidise le mélange, surmonté d'un nuage dilué turbulent (ash cloud, parfois appelé aussi ash cloud surge ou surge).
Les CDP sont très mobiles et peuvent traverser des distances de plusieurs dizaines de kilomètres, à des vitesses de 50 à 200 m.s-1 (~180 à 720 km.h-1). Ils présentent la caractéristique d'être essentiellement gravitaires. Compte tenu de leur vitesse et de leur inertie, ces CDP peuvent remonter des pentes, franchir des frontières topographiques, traverser des rivières et sauter divers obstacles de quelques centaines de mètres de hauteur.
Source - © 2017 D'après Michel Detay [3]
Les courants de densité pyroclastiques (CDP ou PDC pour Pyroclastic Density Currents) peuvent être denses (~103 kg.m–3) ou dilués (~1 kg.m–3). Les coulées de ponces sont typiquement denses et correspondent à des mélanges partiellement fluidifiés de gaz et de particules dont l'écoulement est essentiellement non turbulent. Ces coulées sont mues par la gravité, généralement par l'effondrement sur elle-même d'une colonne éruptive vulcanienne ou sub-plinienne. L'énergie cinétique développée par l'éruption n'est pas suffisante pour permettre au nuage plinien d'incorporer suffisamment d'air ambiant pour qu'il s'élève dans l'atmosphère, une fois l'énergie cinétique consommée la colonne s'effondre sur elle-même. En ce point, le pyroclaste va transformer son énergie potentielle en énergie cinétique qui va lui permettre de se déplacer et de s'écouler le long des flancs de l'édifice volcanique.
Source - © 2017 D'après Michel Detay [3]
Les CDP peuvent se former à l'occasion de la déstabilisation gravitaire d'un dôme de lave ou de ses extrusions. Il en résulte une désintégration explosive du matériau constitutif du dôme par libération brutale du gaz contenu dans la lave. Ils peuvent également se former par effondrement d'une colonne éruptive.
Les écoulements pyroclastiques dilués (dilute pyroclastic flow) sont considérés et modélisés comme des écoulements turbulents (courant dilué et turbulent correspondant à la zone supérieure ou déferlante pyroclastique) où la partie solide est de l'ordre de 1 kg.m–3. Cette concentration augmente à l'aval. Les interactions entre particules sont négligeables sauf lorsque la concentration augmente pour former un écoulement basal plus dense (écoulement pyroclastique). Dans ce cas, la fraction solide augmente et des dépôts sont susceptibles de se former. De même, la rugosité du substratum a une influence sur les caractéristiques de l'écoulement (mobilité du CDP, distance parcourue, régime d'écoulement, sédimentation, fluidification).
Source - © 2022 D'après Keller et Hendrix, 1997 [1], modifié | |
Source - © 2019 Detayphoto | |
Malheureusement le site est très isolé et on assiste à un pillage des souches par des revendeurs chinois. On trouve des souches coupées et polies sur les marchés et chez les antiquaires de Hong Kong, Shanghai ou Shenzen.
En effet, le Feng Shui est le système traditionnel chinois qui vise à développer l'harmonie dans votre environnement. La combinaison du bois et de sa fossilisation apporte des énergies très prisées à ceux qui y croient. Dans « la vertu des pierres », on “apprend” que « le bois pétrifié représente la sagesse maternelle (Terre-Mère) et les sciences sur-humaines ». La pensée magique a toujours ses adeptes, et il y a toujours eu des aigrefins pour exploiter ces croyants à des fins mercantiles. Lors de notre passage en 2019 une dizaine de troncs avaient été pillés. Les bois pétrifiés (d'ici et d'ailleurs) sont aussi utilisés en décoration (sculptures, tables…).
On peut comparer ce pillage à celui effectué, en toute impunité, par certains cristalliers dans le massif du Mont Blanc et autres massifs alpins français. En théorie, et sauf arrêtés municipaux locaux, le prélèvement et surtout le commerce de cristaux et autres fossiles est interdit en France. L'échantillonnage privé par quelques amateurs qui ramassent des ammonites sur un bord de chemin est toléré. Le ramassage “en grand” de dizaines et dizaines d'ammonites, non. Dans certaines communes, et pour, dit-on, perpétuer la « tradition des cristalliers », le ramassage de cristaux dans des falaises est réglementé et fait alors l'objet d'un petit nombre d'autorisations nominatives. On peut utiliser des cordes et autres équipements légers d'alpinisme, mais ni explosifs ni outils avec moteur (genre scie ou petit marteau piqueur sur batterie). Les échantillons ramassés doivent être présentés à la commune qui se réserve le droit de garder les plus beaux échantillons pour musées, expositions locales ou tout autre usage d'intérêt général. Le découvreur n'est propriétaire que de ce que n'a pas gardé la commune. On peut cependant douter que ce règlement soit strictement appliqué, quand on voit le nombre d'échantillons (cristaux de quartz des Alpes, par exemple) que l'on trouve dans les bourses aux minéraux et même sur eBay. Le patrimoine géologique français, et pas seulement le patrimoine mongol, est ainsi pillé pour le seul bénéfice financier de quelques-uns.
Bibliographie sommaire
Keller, M.S. Hendrix M.S., 1997. Paleoclimatologic Analysis of a Late Jurassic Petrified Forest, Southeastern Mongolia, PALAIOS, 12, 3, 282-291
T.C. Sheldrick, T.L. Barry, D. J.J. Van Hinsbergen, P.D. Kempton, 2018. Constraining lithospheric removal and asthenospheric input to melts in Central Asia: A geochemical study of Triassic to Cretaceous magmatic rocks in the Gobi Altai (Mongolia), Lithos, 296-299, 297-315 (Open access)
M. Detay, 2017. Traité de Volcanologie Physique, Tec et Doc Lavoisier Ed., 480p.