Article | 14/04/2014
Le dôme de lave du Paluweh (ou Rerombola, Indonésie) : mise en place, effondrements, nuées ardentes et autres courants de densité pyroclastiques
14/04/2014
Résumé
Historique du Paluweh (Petites îles de la Sonde, Indonésie) et activité éruptive de 2012-2013. Formation des dômes de lave et éruptions explosives : des colonnes pliniennes aux coulées pyroclastiques, difficile gestion du risque.
Table des matières
- Contexte géodynamique
- Le Palu'e, une île-volcan
- Les dômes de lave
- Les courants de densité pyroclastiques
- Mise en place et croissance des panaches et autres CDP : physique du processus
- Colonnes pliniennes et/ou coulées pyroclastiques ?
- La difficile question de l'évacuation
- Approche de l'île-volcan et de son dôme de lave actif, gestion du risque
- Conclusion
- A. Annexes
- Références
L'île volcan Palu'e, dans les Petites Îles de la Sonde (Indonésie), a une activité historique connue depuis 1650 (cf. Tableau 1). Son stratovolcan, le Paluweh, en sommeil depuis 1985, a montré des signes de reprise d'activité en octobre 2012 (cf. Tableau 2). Le 13 octobre 2012, le Paluweh est classé en niveau d'alerte 3 (il était passé de 1 à 2 cinq jours plus tôt). En novembre 2012 les autorités indonésiennes ont imposé une évacuation partielle de l'île et la mise en place d'un périmètre d'exclusion de 3 km autour de la zone sommitale de l'édifice volcanique (Rokatenda). Le dôme de lave actif étant appelé Rerombola (littéralement « le sympathique »). Entre novembre 2012 et décembre 2013, le Paluweh a eu une activité explosive fréquente et importante caractérisée par des éruptions vulcaniennes et sub-pliniennes répertoriées par le VAAC (Volcanic Ash Advisory Center = Centre Conseil en Cendre Volcanique pour l'aviation civile) de Darwin en Australie du Nord. Le Paluweh a été le siège de très nombreux courants de densité pyroclastiques (CDP) par déstabilisation du dôme de lave et effondrement des colonnes ascendantes vulcaniennes ou sub-pliniennes, entraînant notamment la mort de 6 personnes en août 2013. Ces CDP correspondent à peu près à ce qui est couramment appelé « nuées ardentes » dans l'Éducation nationale depuis l'éruption de la Montagne Pelée en 1902, et coulées pyroclastiques dans les médias francophones. Ces définitions seront précisées un peu plus loin dans cet article.
Après un bref rappel du contexte géodynamique, nous présentons l'île volcan Palu'e : son activité explosive, ses dômes de lave et ses CDP. À partir des données fournies par le VAAC de Darwin [s2] et d'observations réalisées sur place, fin 2012 et début 2013, nous reconstituons les principaux événements volcanologiques impliqués en insistant sur la physique du processus et les conséquences de tels dynamismes éruptifs pour la sécurité civile.
Contexte géodynamique
L'Indonésie constitue un archipel immense composé de 17 508 îles (d'après les données de la Central Intelligence Agency, The Word Factbook) alignées sur 5 000 km d'Est en Ouest localisés entre 95° et 114°E et recoupant l'équateur de 6°N à 11°S (cf. figures ci-dessous). L'Indonésie représente un ensemble géologique complexe, bordé par des zones très actives sur le plan sismique et tectonique. La région indonésienne est positionnée près de quatre plaques majeures, les plaques indo-australienne, eurasiatique, philippine et pacifique. Cela donne lieu à trois frontières convergentes impliquant l'Est indonésien : les frontières plaque indo-australienne / Plaque eurasiatique (IND-EUR), plaque philippine / plaque eurasiatique (PSP-EUR) et plaque indo-australienne / plaque pacifique (AUS-PAC). Au centre de ce dispositif, il y a une zone complexe que d'aucuns divisent en micro-plaques.
La petite île de Palu'e, est située près de la côte Nord de l'île de Flores, grande île comprise entre les latitudes Sud 8°4' et 8°58', se développe sur 360 km de long, au NW de l'Australie. Elle appartient ainsi aux îles Sud-orientales de l'archipel indonésien (province de Nusa Tenggara) avec, en particulier, les îles de Timor et de Sumba.
Du point de vue géodynamique cette île, est bordée au Nord par le bassin de Flores et au Sud par le bassin de Savu qui est volcaniquement actif avec au moins 13 volcans en activité régulière. D'autre part, elle correspond à une zone de forte activité sismique.
Source - © 2009 D'après R. Hall [6], modifié
Source - © 2009 D'après R. Hall [6], modifié
L'île de Flores se trouve ainsi "coincée" entre un double mécanisme de subduction. Au Nord-Nord-Ouest c'est la micro-plaque océanique de Banda qui plonge sous Flores alors qu'au Sud-Est c'est la grande plaque indo-australienne qui plonge vers le Nord sous l'île Flores (cf. ci-dessous). L'île-volcan du Paluweh se trouve ainsi dans un contexte géodynamique d'arc insulaire (arc de Banda).
L'analyse stratigraphique et magmatique (géochronologie, géochimie) montre que Flores est une île jeune, dont l'origine remonte probablement au Miocène moyen (~15 Ma). L'analyse géochimique des roches volcaniques confirme que l'on se situe dans un contexte de magmatisme orogénique d'arc insulaire. Flores représente la terminaison orientale du dispositif de la Sonde jalonné, d'Ouest en Est, par les îles de Sumatra, de Java, de Bali, de Lombok et de Sumbawa. D'un point de vue régional et chronologique, le magmatisme apparaît à Flores lorsque celui de Sumba, qui avait débuté au Crétacé supérieur, cesse. Ainsi, à l'Oligocène, l'île de Sumba quitte sa position d'arc actif pour se positionner dans le bassin d'avant-arc externe, Flores prenant alors sa place. Au Plio-Quaternaire, la plaque continentale australienne, venant du Sud, rentre en collision avec la plaque eurasienne à l'Est, au droit du Timor.
Source - © 2009 R. Harris [7]
Les zones de subduction apparaissent clairement sur les relevés sismiques à différentes profondeurs rendant compte des zones de frottement de la plaque plongeante. De nombreux édifices volcaniques mettent en évidence l'arc volcanique. On dénombre en Indonésie une centaine de volcans qui ont été actifs depuis 1500. Ils sont en général situés entre 100 et 120 km à l'arrière de la zone de subduction, à la verticale de la plaque subduite.
D'un point de vue pétrologique, les roches volcaniques des arcs de Sunda et Banda se situent des séries tholeiitiques (plutôt vers l'avant de l'arc) aux séries calco-alcalines (arc principal) avec des shoshonites et des leucitites surtout à l'arrière, soit une suite extrêmement étendue. On ne dispose que de peu d'analyses des roches du Paluweh : deux analyses d'échantillons du Rokatenda donnent des teneurs pondérales en silice de 54,87% et 59,88% (Wheller et al., 1987 [12]) les positionnant dans les andésites, laves déjà différenciées, le magma primaire dans de telles zones étant de type basalte andésitique.
Le Palu'e, une île-volcan
Le Paluweh est un stratovolcan également connu sous le nom de Rokatenda. Il constitue l'île de Palu'e, qui décrit un cercle émergé de 8 km de diamètre. sa localisation est 8.32°S-121.708°E. Il est répertorié sons le numéro 264150 dans la base de données volcanologiques du Smithsonian (Global Volcanism Database). Le sommet du volcan culmine à 875 m, mais il arrive à la surface après avoir quitté le plancher océanique environ 2 000 m plus bas, ce qui en fait un édifice de près de 3 000 m de hauteur. Il est situé à 15 km au Nord de Florès, à 65 km au Nord-Ouest de la ville de Maumere.
Cette île fait partie de l'unité géologique des Petites îles de la Sonde. Toutes ces îles correspondent à la partie émergée de l'arc volcanique de Sunda formé par un mécanisme de subduction le long de la fosse de Java dans la mer de Java. Ces unités se sont individualisées il y a environ 15 Ma, conséquence de la convergence entre les plaques australienne et asiatique.
Les îles du Sud-Est sont constituées de deux unités géologiques formant en surface des archipels. La première unité, l'archipel du Nord, est composée des îles de Bali, Lombok, Sunbawa, Flores, et Wetar où le volcanisme est toujours actif. Par opposition, les îles de l'archipel Sud (Sumba, Timor, Babar…) ne sont pas d'origine volcanique et appartiennent au bord relevé de la plaque eurasienne (prisme d'accretion ?), encore que la notion de limite de plaque dans un tel contexte ne soit pas toujours claire. Enfin, l'archipel Nord est un objet purement volcanique (volcanisme d'arc insulaire).
La plus forte éruption historique (explosive) connue du Paluweh s'est produite en 1928. Elle a provoqué un glissement de terrain qui a généré un tsunami. Après l'éruption, un nouveau dôme s'est reconstitué. La dernière éruption inventoriée datait de 1985.
En février 2013, le dôme était très actif comme le nombre des secousses sismiques en attestait : une très forte secousse toutes les 15 à 20 minutes environ. Le dôme actif avait développé de nombreuses aiguilles extrudées qui s'effondraient au fil des explosions et des secousses sismiques, entraînant des dizaines de courants de densité pyroclastiques (CDP) par jour. Les CDP, provenant de l'effondrement partiel du dôme et de ses extrusions, étaient d'importances variables mais atteignaient le plus souvent la mer quelques kilomètres en contrebas. Ils avaient d'ailleurs formé en mer un petit delta composé d'une succession de dépôts pyroclastiques. Les vallées empruntées par les coulées pyroclastiques étaient totalement "brûlées" et les arbres arrachés.
L'analyse des données provenant du VAAC de Darwin [s2] permet de caractériser et d'articuler des fréquences d'éruption même s'il est vraisemblable que certaines éruptions soient passées inaperçues à cause des intempéries et de la couverture nuageuse qui interdisait toute observation satellitaire continue. La hauteur atteinte par le nuage éruptif permet de classer la grande majorité des éruptions comme vulcaniennes (1 à 10 km de hauteur) (cf. Tableau 2). Certaines étant sub-pliniennes (> 10 km de hauteur), comme celle du 3 février 2013, par exemple.
Si l'on reporte dans un graphique le nombre de jours où des panaches significatifs ont été observés, on obtient la figure suivante qui donne une indication de l'activité volcanique explosive du Paluweh dans le temps. L'île volcan est assez isolée et inaccessible et ne dispose pas d'instrumentation installée à demeure. Nous en sommes donc réduits à utiliser les données du VAAC le plus proche (Darwin) qui sont sans doute imparfaites, mais qui permettent d'articuler des ordres de grandeur.
Source - © 2014 D'après les données du VAAC de Darwin (Australie) [s2] | Source - © 2012-2013 Google earth / NASA - Landsat |
Les dômes de lave
Lorsque le magma est acide et a une viscosité trop élevée pour s'écouler, il peut s'accumuler sous la forme d'un dôme de lave. C'est assez souvent le cas en contexte d'arc insulaire, où les dômes sont nombreux, bien qu'il existe aussi beaucoup de coulées. C'est aussi le cas, mais moins fréquent, en contexte de rift ou de point chaud, comme en témoignent les nombreux dômes des Açores et du Massif Central. Dans ces magmas acides qui arrivent près de la surface, les éléments volatils sont encore présents sous forme de bulles de gaz dans le magma visqueux constitutif du dôme. Généralement les dômes de lave se (re)constituent en fin d'éruption explosive après que les CDP ont été évacués de la partie supérieure de la chambre magmatique enrichie en gaz. Ils forment alors un nouveau "bouchon" qui est susceptible d'exploser à son tour dès que la pression interne sera suffisante. Ce sont des objets volcaniques de dangerosité élevée, car la lave, très visqueuse, peu ou pas dégazée, est dans un état métastable. Elle est susceptible de dégazer violemment à l'occasion d'un changement de conditions environnementales (effondrement partiel du dôme, réalimentation magmatique, augmentation de la pression dans la chambre magmatique, etc.). Les bulles de gaz sous pression présentes dans le magma ne demandent qu'à s'échapper. Ce brusque relargage de gaz peut déclencher des réactions en chaîne (expansion wave) et amener des couches plus profondes à dégazer également. Cela peut se propager jusqu'au dyke d'alimentation et provoquer une éruption explosive avec des CDP importants. L'onde d'expansion se déplace à une vitesse proche de celle du son et l'ensemble de l'édifice magmatique est susceptible d'exploser en quelques secondes. Cela a notamment été le cas lors de l'éruption du Mont Saint Helens en 1980. Pour des fractions massiques standard, de 1% à 3% en éléments volatils dans le magma, la pression interne des gaz est typiquement de quelques mégapascals (Mpa) et la vitesse de libération de l'écoulement pyroclastique sera alors de l'ordre d'une centaine de mètres par seconde.
La croissance d'un dôme de lave fait appel à de nombreuses phases d'injection de magma qui provoquent des séismes d'amplitude d'autant plus forte que le magma a du mal à se mettre en place dans l'édifice (viscosité élevée, pertes de charge importantes dans le conduit magmatique, évolution de la géométrie de la "plomberie magmatique"). La partie externe du dôme se solidifie partiellement et se fracture à l'occasion d'explosions violentes jusqu'au moment où il s'effondre partiellement ou totalement créant des CDP.
Si un dôme en phase de croissance est généralement gris pendant le jour, la nuit, le dôme rougeoie et on peut observer sa croissance interne, sa fracturation et les éboulements de prismes et d'aiguilles de lave visqueuse. Certains dômes de lave peuvent présenter des extrusions externes. L'aiguille de lave (dacite) de la montagne Pelée à la Martinique, par exemple, s'est mise en place du 3 novembre 1902 au 10 août 1903. Sa vitesse de croissance a atteint 20 m par jour. Les effondrements produisant des CDP ont limité son développement à une hauteur de 350 m avant de s'écrouler totalement d'après les descriptions d'Alfred Lacroix.
Source - © 1989 D'après S. Blake [2], modifié
Les dômes de lave ont des morphologies variées, quatre grands types se distinguent. Le rapport hauteur-rayon (h/r) est un élément de discrimination simple à utiliser sur le terrain :
- (a) Les bouchons soulevés, ou cryptodômes, sont caractéristiques d'une alimentation par dyke. Le diamètre du dôme soulevé est celui de la cheminée d'alimentation (dyke). Sa hauteur dépasse son rayon (h/r > 1). Il est généralement accompagné d'éléments topographiques de surrection du terrain encaissant et d'éboulements. Ces dômes sont assez rares, on en a observé au Showa-shinzan (volcan Usu, ile d'Hokkaido) au Japon. Le Puy Chopine dans la chaîne des Puys est assez voisin de ce type.
- (b) Les dômes péléens, nettement plus larges et présentant généralement des aiguilles extrudées (protrusions). Ils sont également accompagnés d'éboulements sur leurs flancs. Le rapport h/r est de 0,774±0,16, soit une pente de 31° à 43°. On rencontre ce type de dôme au Bezymianny (Kamtchatka), au Mont Saint Helens (États-Unis), à la Soufrière Hills de Montserrat (Petites Antilles), notamment. Le Puy de Dôme ou le Gerbier de Jonc correspondent à peu près à ce type.
- (c) Les dômes de lave surbaissés sont caractérisés par un profil plus plat, avec un rapport h/r = 0,55, très inférieur aux précédents. On en a observé sur le Galunggung (Philippines) et la Soufrière Saint Vincent (Petites Antilles) ou encore au Chillahuita (Chili). Le Sarcoui ou le Clierzou dans la chaîne des Puys appartiennent à ce type.
- (d) Les dômes coulées sont composés d'une lave plus fluide et sont influencés par la topographie. Le Merapi (Indonésie) présente parfois ce type de dôme. Le Chao, dans les Andes, au Nord du Chili est un bel exemple de cette typologie de dôme. En France, on peut citer le suc de la Tortue, en Haute Loire.
Dans le cas du Paluweh, il s'agit d'un dôme de lave de type péléen. L'édifice est composé de plusieurs dômes, qui se sont succédés dans le temps, celui qui est actif est appelé Rerombola. Les extrusions sont bien visibles, ce qui permet de caractériser rapidement le type de dôme de lave. En effet, sa forme est davantage celle d'un tronc de cône où h demande à être estimé pour utiliser les formules précédentes dédiées aux cônes.
Du 30 novembre au 2 décembre 2012, une équipe de Volcano Discovery a rapporté que le dôme mesurait ~150 m de haut sur ~250 m à sa base. Ce même organisme a annoncé que le volume du dôme était de 5,1 Mm3 le 13 janvier 2013 (M = méga = 106). En décembre 2012, d'après les mesures effectuées par Pierre Fortin au télémètre laser, le dôme faisait environ 300 m de diamètre et près de 200 m de haut ; le volume du cône était toujours de l'ordre de 5 Mm3, volume compatible avec les données fournies par les géologues indonésiens du DVGHM [s3] (Directorate of Volcanology and Geological Hazard Mitigation). En février 2013, le Rerombola avait la forme d'un cône tronqué et son volume calculé d'après les photographies réalisées le 22 février 2013 était alors proche de 10 Mm3. En décembre 2012, on apercevait une aiguille de lave, extrudée au sommet du Rorembola d'environ 25 m de hauteur. Cette dernière, présente le 15 décembre 2012, était récente. En effet, elle n'apparaissait pas sur les images du 2 décembre prise par Aris Yanto, ceci laisse entendre que la croissance devait être supérieure à 2 m par jour d'après P. Fortin [4]. En février 2013 plusieurs aiguilles et de nombreuses extrusions étaient visibles.
Source - © 2012 Aris Yanto | |
Documents complémentaires
De nombreuses autres explications, photos et films de la croissance et des éboulements de ce dôme sont proposés dans l'image de la semaine La mise en place d’un dôme de lave : l'exemple du Paluweh (Indonésie).
La vitesse de mise en place d'un dôme de lave varie largement d'un volcan à l'autre voire d'une mise en place à l'autre. Quelques mesures in situ, ou déduites de données satellitaires, permettent d'articuler des ordres de grandeur : 0,14 m3.s-1 (Galeras, Colombie) ; 3,5 m3.s-1 (Uzen, Japon) ; 5,2 m3.s-1 (Montserrat; Antilles). La mise en place d'un dôme de lave peut avoir lieu avant ou après une éruption explosive voire de manière cyclique entre deux éruptions ce qui était le cas au Paluweh. Assez souvent, les explosions pliniennes majeures qui dégazent fortement le magma sont en début de cycle éruptif, et sont suivies de l'érection de dômes de manière non (ou beaucoup moins) explosive. Les dômes peuvent alors s'installer dans la caldeira qu'ont parfois provoquée les éruptions pliniennes majeures (cf. La caldeira du Cuicocha (Équateur) et quelques autres caldeiras à fin de comparaison). La vidange du réservoir sous le Paluweh n'a pas été assez importante pour engendrer une caldeira.
Des données, mesurées notamment grâce à des images satellitaires radars (LIDAR et photogrammétrie), donnent des ordres de grandeur des débits d'alimentation des éruptions historiques du Chaitén (2008-2009, Chili), et du Merapi (2010, Indonésie). Le Chaitén a permis de mesurer une mise en place rapide (45 m3.s-1) d'un magma rhyolitique avant l'éruption plinienne. Au Merapi, l'extrusion (25 m3.s-1) s'est produite après l'éruption phréatomagmatique du 26 octobre 2010 et s'est poursuivie par la mise en place d'un dôme de lave (5 m3.s-1) précédant l'éruption plinienne du 5 novembre 2010. Un nouveau dôme s'est alors mis ne place à un débit de 35 m3.s-1 pendant une période courte, jusqu'au 5 novembre, pour former un dôme de 1,5 Mm3.
Dans le cas du Paluweh, si l'on retient une valeur moyenne (entre deux explosions) de 5 Mm3, on peut en déduire un débit d'alimentation de l'ordre de 20 m3.s-1 (si le dôme se met en place en ~3 jours) en accord avec le calendrier d'explosions majeures rapportées pas le VACC de Darwin en février 2013 (10 explosions majeures vulcaniennes). Ces ordres de grandeur, bien qu'empiriques, semblent cohérents avec les données observées sur des édifices volcaniques du même type (Merapi). Notons que Volcano Discovery annonçait un volume du dôme de 8,5 Mm3 en juillet 2013, avant sa dernière éruption explosive.
Les courants de densité pyroclastiques
Il se dégage, depuis quelques années, un consensus concernant la définition des courants de densité pyroclastiques. Les CDP sont des mélanges chauds (200 à 800 °C) de gaz et de particules, définis par une gamme de phénomènes allant -(1) des déferlantes diluées (1 kg/m3) turbulentes (pyroclastic surge), avec phénomènes de dépôt, érosion, et charriage (bedload) à la base et une concentration en particules qui augmente vers le bas, générés lors des éruptions phréatomagmatiques, les dépôts générés étant stratifiés et bien granoclassés, -(2) aux courants composés d'un écoulement gravitaire dense (1000 kg/m3) à la base (pyroclastic flow), qui peut avoir une forte pression de gaz interstitiel qui fluidifie le mélange, surmonté d'un nuage dilué turbulent (ash cloud), parfois appelé aussi ash cloud surge ou surge. Ces courants sont générés par effondrement gravitaire soit d'un dôme de lave, soit par l'effondrement d'une colonne éruptive (vulcanienne ou plinienne). Les dépôts générés par l'écoulement basal dense sont massifs et mal granoclassés. Le nuage peut soit se détacher à la faveur d'un changement brutal de topographie (cas d'Unzen) et parfois devenir un écoulement dense (cas de Montserrat), soit se dilater à cause de l'ingestion de l'air ambiant puis devenir moins dense que l'atmosphère et s'élever sous forme d'un phenix cloud.
Les CDP peuvent également être associés à des mécanismes d'effondrement de caldeira ou de phénomènes phréatomagmatiques (déferlantes). Les pyroclastes proviennent de la fragmentation du magma. Ils ont des dimensions qui vont du micromètre (cendre) à des lapillis centimétriques voire des blocs métriques qui peuvent être entraînés. Les CDP ont typiquement des volumes de 104 à 108 m3. Ils peuvent former des dépôts considérables au fil des éruptions (> 103 km3) (cf. Le plateau de cendres du Quilotoa, Équateur, et son érosion). Les CDP sont très mobiles et peuvent traverser des distances de plusieurs dizaines de kilomètres à des vitesses de 50 à 200 m.s-1(soit environ de 180 à 720 km.h-1). Ces CDP voient leur vitesse diminuer avec l'éloignement de la source et/ou la réduction de la pente, et ils finissent par s'arrêter.
Le terme « blast » est réservé aux explosions dirigées de type Mont Saint Helens qui génèrent un courant dilué turbulent (qui peut, en ce sens, être assimilé à une déferlante).
Le terme « nuées ardentes », hyper-classique dans l'Éducation nationale depuis 1902-1903 (éruption de la Montagne Pelée), est maintenant plutôt réservé aux CDP générés par effondrement ou par explosion dirigée d'un dôme de lave (cas de la Montagne Pelée) qui a créé un courant de haute vitesse, dilué et turbulent.
L'utilisation des termes « type Merapi », « type Arenal », « type Santiaguito », etc., porte souvent à confusion car elle est descriptive pour un volcan donné (qui d'ailleurs génère souvent des courants de types variés...) et ne permet pas de discuter les mécanismes communs aux CDP.
D'une façon générale, la communauté volcanologique cherche désormais plutôt à définir une classification basée sur les mécanismes et les processus physiques (concentration en particules, turbulence...) où pyroclastic surge = courant dilué turbulent, et pyroclastic flow = courant gaz-particules dense (plutôt non turbulent).
Ces CDP se déplacent très vite (~100 m.s-1, soit ~360 km.h-1 en « régime de croisière ») et sont très chauds (200 à 800 °C). Ils contiennent une grande variété de clastes de tailles variables, du millimétrique au pluri-décimétrique voire davantage. Compte tenu de leur vitesse et de leur inertie, ces CDP peuvent se déplacer sur des dizaines de kilomètres. Ils peuvent remonter des pentes, franchir des frontières topographiques, traverser des rivières et sauter divers obstacles de quelques centaines de mètres de hauteur.
Source - © 2012 Aris Yanto
Quand un CDP passe, il dévaste tout sur son trajet. Les arbres sont couchés, parfois arrachés et transportés… Le CDP dépose sur son trajet cendres et blocs (pouvant dépasser plusieurs tonnes) qui recouvrent tout d'une couche dont l'épaisseur peut atteindre plusieurs mètres. Sur les côtés du trajet emprunté par la nuée, des cendres plus fines recouvrent tout, sans coucher les arbres par un effet de courant. Mais ces arbres peuvent néanmoins s'abattre sous le poids des cendres. À ces retombées provenant du CDP proprement dit, des cendres retombant des panaches vulcaniens et sub-pliniens achèvent de dévaster végétation, cultures et paysage. Nous vous montrons ci-dessus des photographies de dépôts de CDP sensu stricto sur les flancs du Paluweh, puis des photographies illustrant les dégâts occasionnés à la végétation.
Mise en place et croissance des panaches et autres CDP : physique du processus
D'une manière schématique, lors de l'ascension du magma vers la surface, la pression décroît et le liquide magmatique devient saturé en éléments volatils. Cette baisse de pression amène à franchir le seuil de solubilité des volatils et provoque une exsolution accompagnée de l'apparition de bulles de gaz (essentiellement de l'eau, mais aussi du dioxyde de carbone et autres gaz). Cette apparition de bulles va augmenter le volume et diminuer la densité, donc accélérer la vitesse d'ascension du magma. Le liquide magmatique répond alors à un comportement bi-phasique (liquide-gaz) voire poly-phasique, s'il y a également des cristaux. La poursuite de l'ascension va s'accompagner d'une diminution de pression qui va permettre l'augmentation de la quantité de bulles (processus de vésiculation) qui va aboutir à la formation d'une mousse magmatique. La réduction de la pression du gaz passe par une augmentation de volume (équation de Boyle-Mariotte où P.V est une constante donc P1.V1 = P2.V2). Ainsi, une bulle de gaz créée à 5000 m de profondeur, va voir son volume multiplié par 1000 uniquement par la simple décompression du magma. À cela se surajoute la coalescence des bulles, qui est proportionnelle au carré de leur rayon, qui participe à la formation de bulles plus grosses qui auront une vitesse ascensionnelle plus rapide. La mousse magmatique va avoir tendance à remonter d'autant plus rapidement que le liquide magmatique lui ayant donné naissance est visqueux. Quand les gaz représenteront 70-80% du volume, le magma va subir une fragmentation brutale qui donnera naissance à une éruption explosive (cf. figure ci-dessous). Dans ces conditions, le magma passe subitement d'un liquide contenant des bulles de gaz en suspension à un gaz contenant des fragments de liquide en suspension, processus qui s'accélère fortement dans la cheminée volcanique vers le cratère de sortie. Dans l'atmosphère, l'écoulement prend la forme d'un jet turbulent. La teneur en volatils des magmas impose donc toujours un style éruptif explosif, même si ce dernier n'est que de courte duré.
Le style effusif "pur" n'existe donc pas pour des volcans émergés. Il ne peut exister qu'en profondeur sous la mer, là où la pression de l'eau est suffisamment forte pour empêcher la dé-solubilisation des gaz et l'apparition de bulles dans le magma (exsolution). En milieu aérien, il peut, au mieux, caractériser une phase de l'éruption après que les gaz ont été largement libérés (cas des fontaines de lave dans un lac de lave largement dégazé, ou de sa vidange), ou encore d'un magma très fluide tholéiitique dans un contexte d'ouverture océanique (cas des Krafla Fires 1975-84 en Islande) ou de rift zone comme à Hawaii (curtain of fire de 1984). On a également observé des fontaines de laves très impressionnantes sur l'Etna. Elles ont atteint 1200 m d'altitude en 2013. Les fontaines de lave du Vésuve en 1779 auraient même atteint une hauteur estimée de 3 km.
Dans les cas de forte surpression interne, le toit de l'édifice volcanique, le « bouchon », peut être littéralement pulvérisé comme ce fut le cas pour le Pinatubo où les 145 m sommitaux ont été "décapités" lors de l'éruption de 1991, pour le Mont Saint Helens qui a perdu 430 m lors de l'éruption du 18 mai 1980, ou encore pour Vésuve qui a perdu 470 m lors de l'éruption de 1631.
Colonnes pliniennes et/ou coulées pyroclastiques ?
L'une des principales difficultés en volcanologie, voire la plus grande difficulté, est non seulement de prévoir l'éruption volcanique, mais de savoir si elle va être purement plinienne, sans grand impact sur les populations, ou si elle risque d'engendrer des courants de densité pyroclastiques dévastateurs.
La physique du processus magmatique souterrain est toujours la même. Elle dépend de l'apparition d'une phase gazeuse, provenant des éléments volatils dissous dans le magma en profondeur sous forte pression, conduisant en remontant à l'apparition d'une phase gazeuse. Pour une concentration de 1% de la masse, valeur courante, la fraction volumique de gaz atteint 99% à la pression atmosphérique. Cette décompression provoque un jet turbulent de gaz contenant des fragments de magma qui s'échappent du cratère à une vitesse généralement supersonique (200 à 500 m.s-1). L'échappement de ces gaz provoque une éruption explosive qui peut se prolonger en régime quasi-permanent pendant plusieurs heures. Malheureusement, ces éruptions peuvent prendre deux expressions extrêmes aux conséquences bien différentes.
Dans le cas d'une colonne plinienne, une partie de l'air ambiant va être incorporée au panache : on parle de processus d'entraînement. La vitesse d'entraînement d'une colonne est proportionnelle à sa vitesse ascensionnelle. L'air ingéré va être chauffé par le matériau volcanique et diminuer sa densité participant à l'ascension de la colonne. La fraction massique de gaz augmente, la densité du gaz diminue et, par conséquent le mélange s'allège au fur et à mesure qu'il s'élève. Il est propulsé par la poussée d'Archimède et forme une colonne atmosphérique qui peut monter à très haute altitude dans l'atmosphère voire dans la stratosphère. Il prend alors la forme d'un pin parasol, déjà décrite par Pline le Jeune pour l'éruption du Vésuve de l'an +79.
Dans le cas d'une coulée de densité pyroclastique, la colonne ne va pas arriver à ingérer suffisamment d'air ambiant (processus d'entraînement) et le mélange, restant plus lourd que l'air, ne va monter que de quelques kilomètres en hauteur avant de s'effondrer sur lui-même. Un CDP dévale alors les pentes du volcan en détruisant tout sur son passage. Tous les cas intermédiaires peuvent bien sûr exister.
La physique du phénomène est maintenant bien comprise. La modélisation a également beaucoup progressé (notamment avec les travaux entrepris à l'IPG par Claude Jaupart et Édouard Kaminski).
La résolution des équations de la mécanique des fluides (conservation de la masse, de la quantité de mouvement et de l'énergie) indique que la transition entre coulée pyroclastique et panache plinien dépend de trois paramètres :
Le rayon du conduit éruptif.
Plus le rayon de la bouche éruptive est grand, plus le mélange entre air ambiant et gaz volcanique du jet est long à se réaliser, ce qui rend difficile la mise en place d'une colonne plinienne qui, pour monter, doit incorporer de l'air ambiant. Plus le rayon est grand plus on obtient des coulées de densité pyroclastiques.
La teneur en gaz dans le magma.
Plus la teneur en éléments volatils est importante dans le magma moins le jet est dense, et plus il a tendance à donner un panache plinien.
La vitesse initiale du jet.
Plus la vitesse initiale est élevée, plus la turbulence est forte et plus le mélange par entraînement sera efficace. En résumé, si l'énergie cinétique disponible est importante on obtient un panache plinien, sinon des CDP.
Source - © 2006 D'après C. Jaupart et É. Kaminski [8], modifié
Ces deux extrêmes se produisent pour des débits similaires, mais ils n'ont pas les mêmes conséquences sur l'environnement. Leur profil de dangerosité est également fort différent puisque dans le cas d'une colonne plinienne on va avoir une pluie de cendres au sol qui sera désagréable, mais pas mortelle alors qu'une coulée pyroclastique, à la fois dense et chaude (~200 à 800 °C) est dévastatrice. Malheureusement, ces deux régimes extrêmes coexistent souvent au cours d'une seule et même éruption. La célèbre éruption du Vésuve en 79 a connu les deux régimes. La colonne plinienne a déposé des cendres sur toute la région, mais ce sont les coulées pyroclastiques qui ont détruit Pompéi et Herculanum.
Sur le terrain, en étudiant des dépôts anciens, on peut reconstituer certains des paramètres clefs de l'éruption. En effet, la vitesse et le rayon de la bouche éruptive sont reliés par le flux de masse, c'est-à-dire à la quantité de matière éjectée par le volcan en un temps donné. On peut appréhender le flux de masse à partir des variations de l'épaisseur des dépôts en fonction de la distance à la bouche éruptive. Plus les dépôts sont épais et étendus, plus le flux de masse est élevé. La vitesse d'émission des coulées pyroclastiques est en général subsonique. Elle peut être déterminée par la teneur en gaz dans le magma, que l'on obtient par les mesures d'inclusions fluides piégées dans les cristaux. Il est alors possible d'exprimer les conditions de la transition coulée pyroclastique - panache plinien dans un diagramme reliant le flux de masse en fonction de teneur en gaz (cf. figure ci-dessus).
Les calculs théoriques, les observations de terrain et la modélisation confirment que l'évolution d'une colonne éruptive explosive dépend du phénomène de fragmentation. Ainsi des bulles microscopiques qui s'individualisent progressivement au sein d'un magma vont conditionner des colonnes pliniennes de dizaines de kilomètres de hauteur ou l'effondrement sur elle-même de la colonne. Malheureusement, dans l'état actuel des connaissances, on ne sait pas prédire le comportement d'une éruption explosive. On sait, par contre, bien les reconstituer et décrypter leur fonctionnement à partir de l'étude de leurs dépôts. Les fragments pyroclastiques enregistrent en effet tous les événements qui ont précédé leur dépôt et notamment les conditions d'écoulement et les potentielles pertes de charge dues au frottement dans le conduit volcanique ainsi que le degré de fragmentation voire de re-fragmentation (fragmentation à étage qui libère davantage de gaz et constitue des fragments de taille plus petite). Malheureusement, la prédiction de l'évolution potentielle d'une colonne plinienne en coulée pyroclastique semble vaine. En effet, le régime des deux éruptions est très voisin et, le plus souvent, évolue au cours d'une même éruption entre les deux régimes. Le régime uniquement plinien est donc rare. De plus, l'évolution de la géométrie de la bouche éruptive est susceptible de changer au cours de l'éruption et de faire évoluer l'éruption d'un régime à l'autre. Dans ce contexte, comment pourrions-nous prendre le risque de ne pas évacuer la zone susceptible d'être atteinte par un courant de densité pyroclastique ?
La difficile question de l'évacuation
Un périmètre de sécurité de 3 km autour du dôme de lave a été imposé par les autorités indonésiennes BNPB (National Board for Disaster Management [Badan Nasional Penanggulangan Bencana]). Cette zone d'exclusion regroupe 5315 personnes dont uniquement 2754 ont accepté d'évacuer les lieux d'après le journal indonésien Kompas daté du 12 août 2013. La moitié de la population est restée sur place, attachée à la terre de ses ancêtres, leurs villages et leurs bêtes, refusant de partir. La situation a évolué dans le temps, mais le périmètre n'a jamais été totalement évacué. En février 2013, il restait toujours quelques irréductibles, composés majoritairement de femmes âgées, qui continuaient de "nourrir" le volcan par des sacrifices quotidiens. À chaque secousse sismique significative, elles sonnaient des cloches pour signaler aux autres villages que "tout allait bien".
Compte tenu du dynamisme éruptif (CDP), ces gens faisaient face à des risques réels à court ou moyen terme, mais il était plus important pour eux de perpétuer leurs rites que de se sauver. Ils ne s'expliquent pas que le volcan soit contrarié. En effet, chaque année, la population organise une grande cérémonie sur le volcan, véritable communion, où chacun mange du cochon (cette région d'Indonésie est animiste) et où on offre la tête de cochon et du riz au volcan. La nature se montre parfois bien incompréhensible.
On se souviendra, de triste mémoire, les événements de la Soufrière de la Guadeloupe en 1976 qui avait déchiré la volcanologie française. Heureusement ces crises ont amené à des prises de conscience et la mise sous surveillance de nombreux édifices volcaniques. Par ailleurs, les expériences théoriques et la formulation mathématique des processus physiques ont permis des progrès conceptuels considérables. Malheureusement, nous ne savons pas comment une éruption volcanique explosive va évoluer et le passage entre dynamique plinienne et CDP est subtil d'autant que les régimes sont généralement intermittents. Dans ce contexte, l'évacuation est la seule mesure possible en terme de sécurité civile. Creuser des abris semble illusoire d'autant que les CDP se déplacent très rapidement et sans bruit significatif si ce n'est celui des éclairs provenant des décharges électrostatiques dans le nuage de cendre. Les CPD arrivent donc sans prévenir, rendant toute fuite illusoire. Les événements sont fréquents (cf. Tableau 2) voire beaucoup plus fréquents, quand le nuage pyroclastique reste de faible ampleur et échappe ainsi aux enregistrements satellitaires.
Approche de l'île-volcan et de son dôme de lave actif, gestion du risque
Récit de Michel detay
Je me suis rendu en Indonésie du 20 au 25 février 2013 alors que le Paluweh était en activité. J'ai pu me joindre à un repérage réalisé par James Reynolds pour diverses chaînes de télévision (CNN, BBC…). Nous nous sommes retrouvés, avec James, son assistant, et notre fixeur et guide Aris Yanto, à l'aéroport de Benpasar (Bali) où nous avons pris une connexion pour l'aéroport de Maumere (sur l'île de Flores). De là, il faut encore deux bonnes heures de route pour arriver au Nord de l'île, au bord de la mer de Flores, au village de pêcheurs de Maurole. Les conditions climatiques n'étaient pas idéales, nous étions encore dans la queue d'un cyclone tropical et il pleuvait beaucoup. Arrivés de nuit dans le village de Maurole, dans un déluge, nous découvrons les camps de réfugiés évacués du Paluweh. Nous passons la nuit dans le village, hébergés par leur chef. La nuit a été courte et très arrosée d'une eau de vie locale (arak) imbuvable, mais indispensable pour « briser la glace » et évacuer les angoisses des villageois qui ont tout abandonné. Au lever du soleil, nous allons louer les services d'un pêcheur et de sa pirogue traditionnelle à balancier (banca) pour nous conduire à l'île de Palu'e que l'on aperçoit à 16 km au Nord, en pleine mer de Flores. Il faudra environ deux heures de traversée, pour arriver à l'île-volcan. Nous allons immédiatement voir le nouveau delta composé de dépôts pyroclastiques qui s'est formé en mer. Nous voulions assister à un écoulement pyroclastique, élément indispensable pour les télévisions à grand spectacle. Tout cela est d'une prudence relative, car les coulées pyroclastiques ne s'arrêtent pas en arrivant sur l'eau. Elles peuvent, au contraire s'y déplacer sur des distances importantes. Nous n'avons, évidemment, pas de solution autre que la fuite qui apparaît illusoire avec une vieille banca un peu poussive. Une petite barque pourrait être renversée pour permettre de rester dans l'eau et de respirer dans l'embarcation renversée en attendant que la coulée pyroclastique se dissipe, mais ces élucubrations d'intellectuels n'emportent pas l'adhésion du pêcheur et de sa famille qui n'a pas envie de retrouver sa banca en feu… Nous parviendrons quand même à le convaincre de rester et assistons à de petits courants de densité pyroclastique qui atteindront tout juste la mer sur quelques dizaines de mètres. L'honneur est sauf pour toute l'équipe. Par contre, des pêcheurs ne tarderont pas à nous interdire de rester sur place et nous chasserons.
Au port, sur l'île, il n'y a pas de routes, seulement des pistes plus ou moins bétonnées et extrêmement raides où l'on ne peut se déplacer qu'à motos. Notre guide nous explique que c'est seulement la troisième fois que des étrangers viennent voir le volcan. Nous sommes bien accueillis dans la mesure où nous apportons de la nourriture et que nous régalons toute la communauté.
Suivant la coutume, un verre d'arak passe de bouche en bouche. Les discussions vont bon train dans la mesure où la zone est interdite. Le point jugé le plus délicat cependant est essentiellement irrationnel : « il ne faut pas contrarier le volcan ». Nous entrons dans un long processus de négociation accompagné de nombreux sacrifices et dons au volcan pour tenter de s'en approprier les augures.
D'un coup, sans que rien ne laisse présager que l'heure était venue, les motos arrivent et le départ est donné. Nous partons avec une horde de motos, avec notre chargement et nos vivres, à travers les plantations de bananiers, d'ananas, d'anacardiers, de cocotiers... Puis nous entrons dans une forêt peu épaisse qui, comme presque toute l'île, est partiellement recouverte de matériaux pulvérulents provenant des CDP et autres panaches. Finalement nous abandonnons les motos pour continuer à pied vers le village le plus proche du dôme de lave. Nous sommes surpris de traverser de nombreux villages qui ne sont pas du tout abandonnés où les "vieux" sont restés. Notre progression est lente, accompagnée de nombreuses palabres avec les irréductibles gardiens de village et le cortège de sacrifices indispensable pour être autorisés à progresser. Un peu avant d'arriver en vue du dôme, on s'arrête pour sacrifier l'ultime poulet. Malheureusement, nous sommes dans les nuages. Nous n'apercevons le dôme rougeoyant que de manière fugitive, par intermittence, à quelques centaines de mètres devant nous. Nous passerons la nuit dans le dernier village où les secousses sismiques sont intenses, toujours suivies par une très forte explosion. Elles sont suivies par des sonneries de cloches de village en village pour signifier que « jusqu'ici tout va bien ». Les conditions météorologiques sont exécrables, impossible de faire des observations ou des photographies. Il serait peu prudent de s'approcher sans rien voir. Les courants de densité pyroclastiques sont connus pour ne faire aucun bruit. Nous dormons sur place, réveillés à chaque secousse et par le son des cloches.
Au petit matin, nous parvenons à convaincre un petit groupe de nous accompagner. Le chef de village s'adonne aux sacrifices rituels sur l'autel du village et nous entamons la marche d'approche à travers la forêt plus ou moins détruite par des nuages pyroclastiques récents.
Chacun a sa propre analyse du profil de risque qu'il s'autorise. Tant que le dôme s'effondre partiellement les CDP sont de faibles amplitudes. Mais le dôme peut, et va, un jour exploser. Alors, chacun pour soi. La solidarité n'a plus court avec mes coéquipiers d'infortune qui décideront de partir au plus vite ou de rester faire la photo du siècle. Quant à moi, je me suis fixé, de manière empirique, un temps d'observation maximal qui dépend du rythme des explosions précédentes et de ma perception de l'intensité des secousses sismiques, et je le respecte. Le risque est devenu statistique. Une statistique reste une statistique, mais agir en en tenant compte est ce que nous faisons tous quand nous pratiquons une activité dite « à risque », que ce soit l'alpinisme (il peut y avoir des avalanches et des roches instables), en demandant à subir une intervention chirurgicale non indispensable type chirurgie esthétique (il y a des infections nosocomiales), ou simplement en prenant sa voiture (il y a des accidents et c'est de loin l'activité la plus dangereuse que nous pratiquons pourtant tous). Tous mes compagnons "occidentaux" étaient conscients des risques théoriques, les évaluaient, et agissaient en fonction de leurs analyses. Plus personne ne veut me suivre ? J'irai finalement seul "au plus près". Si le dôme doit exploser ce n'est pas quelques centaines de mètres qui feront la différence. Nos guides locaux connaissaient mieux le volcan que nous (7 épisodes éruptifs depuis 1963) et, contrairement à nous, leur connaissance du risque n'était pas que théorique. Nous étions bien évidemment tous majeurs. Le problème qui est le plus difficile à résoudre est la rémunération que nous donnons bien évidemment aux guides locaux pour leurs services. Ces derniers ne sont pas "riches", et il faut éviter que la somme que nous proposons revienne à leur « forcer la main » et à leur faire oublier leur habituelle prudence.
Conclusion
La Paluweh a présenté une succession de dynamismes éruptifs allant de l'éruption explosive, généralement vulcanienne, mais parfois sub-plinienne, et des CDP multiples provenant soit d'éboulements gravitaires du dôme de lave du Rerombola soit des colonnes ascendantes vulcaniennes ou sub-pliniennes qui s'effondrent sur elles-mêmes. Comme nous l'avons vu, il s'agit d'un dôme de lave de type péléen avec des extrusions qui sont apparues de manière épisodiques (confirmées en décembre 2012 et février 2013). Le volume du dôme a évolué entre ~5 Mm3 (décembre 2012) et ~10 Mm3 (février 2013). Compte tenu de la fréquence des éruptions explosives, observées et quantifiées par le VAAC de Darwin (hauteur du panache et dispersion horizontale des cendres), il a été possible d'appréhender des ordres de grandeur des vitesses d'alimentation du dôme de 12 à 20 m3.s-1 en février 2013, qui semblent cohérentes avec les vitesses observées sur des édifices du même type (Merapi). Il est vraisemblable que le dôme de lave a été partiellement ou totalement détruit de manière récurrente lors des diverses éruptions explosives. Le 3 février 2013, par exemple, l'éruption a provoqué l'effondrement d'environ un tiers du dôme. Le nuage de cendres a atteint une altitude de 13 km avant de s'étirer sur 300 km en direction du Sud. Les deux phénomènes (éruption, déstabilisation du dôme) étant probablement concomitants. Un nouveau dôme se reconstituant de manière systématique après chaque éruption explosive. De très nombreux CDP ont été générés par déstabilisation du dôme de lave et collapse de la colonne pyroclastique verticale qui s'effondre sur elle-même. En toutes hypothèses, ce type de dynamisme éruptif présente un profil de dangerosité très élevé et nécessite la mise en place d'une zone d'exclusion. On ne peut que se féliciter qu'un objet volcanique aussi isolé ait pu être finalement aussi bien géré par les autorités indonésiennes et que le nombre de décès soit relativement faible (6 personnes le 10 août 2013 dans le village de Rokirole en bord de mer). Le problème de l'évacuation reste cependant un sujet sensible et compliqué, les villageois étant toujours très attachés à leurs habitations, mais aussi à leurs cultures et leur bétail. Le problème est évidemment d'autant plus sensible que l'événement se prolonge dans le temps depuis plus d'un an. En janvier 2014, le Paluweh est toujours, et à juste titre, classé en niveau d'alerte orange (3 - siaga) sur l'échelle indonésienne de prévention des risques volcaniques qui comprend 4 niveaux.
A. Annexes
Tableau A.1. Historique des principales éruptions du Paluweh (dates et Indice d'Explosivité Volcanique) jusqu'à octobre 2012
Début | Fin | Certitude de l'éruption | IEV | Source | Zone active |
---|---|---|---|---|---|
27 octobre 2012 (±4 jours) | 12 août 2013 | Confirmé | 3 | Observations historiques | Rokatenda |
3 février 1985 | 3 février 1985 | Confirmé | 1 | Observations historiques | Rokatenda (partie ouest du dôme) |
9 mai 1984 | 21 mai 1984 | Confirmé | 2 | Observations historiques | Rokatenda (partie ouest du dôme) |
5 novembre 1980 | Septembre 1981 | Confirmé | 2 | Observations historiques | Rokatenda |
27 octobre 1973 | 28 octobre 1973 | Confirmé | 2 | Observations historiques | |
22 octobre 1972 | 16 janvier 1973 | Confirmé | 3 | Observations historiques | Rokatenda |
31 décembre 1963 | 16 mars 1966 | Confirmé | 2 | Observations historiques | Rokatenda (cratère de 1928) |
4 août 1928 | 25 septembre 1928 | Confirmé | 3 | Observations historiques | Rokatenda |
[1831] | [inconnue] | Incertaine | |||
1650 ±50 ans | Unknown | Confirmé | 3 | Observations historiques |
Tableau A.2. Chronologie des explosions du dôme de lave du Paluweh de novembre 2012 à août 2013 telles qu'enregistrées par le VAAC de Darwin
Date | Hauteur du panache (km) | Étalement horizontal du panache (km) |
---|---|---|
27 décembre 2013 | 3 | |
11-12 août 2013 | 1,8 | 110-130 |
10 août 2013 | 4,3 | 130 |
19 juin 2013 | 2,4 | 35 |
21-22 et 24 mai | 2,1 - 3 | 25 à 55 |
13 mai 2013 | 2,1 | 90 |
4-5 mai 2013 | 2,1 | 45-55 |
29-30 avril 2013 | 2,1 – 3 | 35 – 110 |
20 avril 2013 | 2,1 | 45 |
16 avril 2013 | 2,1 | 37 |
6-7 avril 2013 | 3 | 45 |
3 avril 2013 | 2,1 | 37 |
27 mars – 1er avril 2013 | 2,4 à 3,7 | 45 à 100 |
19-21 et 24-26 mars 2013 | 3 | 55 à 335 |
13 et 17-19 mars 2013 | 2,4 | 35 à 95 |
9 -12 mars 2013 | 2,4 | 25 à 75 |
17 -18 février 2013 | 7 | 75 |
8 - 12 février 2013 | 2,1 à 3,7 | 35 à 110 |
4 février 2013 | 7,6 | (?) |
2-3 février 2013 | 13,1 à 13,7 | 325 à 590 |
1er février 2013 | 2 | |
29 janvier 2013 | 1,8 | 20 |
7 janvier 2013 | 3 | 20 |
4 janvier 2013 | 3,7 | 37 |
19, 21-23 décembre 2012 | 2,4 à 2,7 | 55 à 75 |
18 décembre 2012 | 3,4 à 3,7 | 55 |
17 décembre 2012 | 1,5 | 55 |
14-15 décembre 2012 | 3 | 35 à 65 |
6 et 8 décembre 2012 | 3,7 | 35 à 75 |
28 nov. – 4 déc. 2012 | 1,5 à 2,4 | 35 à 65 |
21 et 23-27 novembre 2012 | 2,4 à 3 | 35 - 115 |
14 – 19 novembre 2012 | 2,4 à 3 | 45 à 150 |
11 – 13 novembre 2012 | 2,4 | 90 à 150 |
Références
Articles et livres
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S. Blake, 1989. Viscoplastic models of lava domes, Lava Flows and Domes, IAVCEI Proceedings in Volcanology, J.H. Fink (ed), Springer-Verlag, Berlin, 2, 88-126
M. Detay, A.M. Detay, 2013. Volcans, du feu et de l'eau, Belin Éd, 192p.
P. Fortin, G. Fortin, 2013. Indonésie 2012, un voyage d'exception !, LAVE, 161, 10-15
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R. Hall, 2009. Indonesia, Geology, Encyclopedia of Islands, R. Gillespie & D. Clague (eds), Univ. of California Press, Berkeley, 454-460
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C. Jaupart, É. Kaminski, 2006. Les éruptions volcaniques « explosives » : des grandes aux petites échelles, Bulletin de la Société Française de Physique, 152, 5-10
J.S. Pallister, C.G. Newhall, 2013. Do high lava-dome extrusion rates foreshadow explosive eruptions?, IAVCEI 2013 Scientific Assembly - July 20 - 24, Kagoshima, Japan, 3A1_2J-O1
L. Parfitt, L. Wilson, 2008. Fundamentals of Physical Volcanology, Wiley-Blackwell Ed., 256p.
O. Roche, J.C. Phillips, K. Kelfoun, 2013. Pyroclastic density currents, Modeling Volcanic Processes: The physical and mathematics of Volcanism, Cambridge University Press Ed, 203-229
G.E. Wheller, R. Varne, J.D. Foden, M.J. Abbott, 1987. Geochemistry of Quaternary volcanism in the Sunda-Banda arc, Indonesia, and three-component genesis of island-arc basaltic magmas, Journal of Volcanology and Geothermal Research, 32, 137-160
Sur internet
Smithonian Global Volcanism Program : http://www.volcano.si.edu/
Darwin Volcanic Ash Adisory Center : http://www.bom.gov.au/info/vaac/
Directorate of Volcanology and Geological Hazard Mitigation Indonesia : http://www.vsi.esdm.go.id/
Site d'Aris Yanto : http://www.exploredesa.com/
Site de Michel Detay : www.detayphoto.com