Image de la semaine | 18/11/2019
La spectroscopie Raman, une méthode d'analyse minéralogique non destructive pouvant être mise en œuvre in situ
18/11/2019
Résumé
Exemple de la détermination de staurotides sur des plaques de pierres polies revêtant les façades de la Maison des Avocats, Lyon 3e, Rhône.
Il y a 45 ans, quand j'étais étudiant, pour déterminer et analyser roches et minéraux, on disposait bien sûr (au laboratoire) de la reconnaissance macroscopique visuelle, mais aussi des lames minces, de l'analyse chimique, de la diffraction X… Et sur le terrain, on n'avait que ses yeux, sa loupe, un flacon d'acide et un morceau de verre pour déterminer la dureté. Depuis 40 ans sont apparus de nouveaux moyens analytiques, dont la spectroscopie infra-rouge, la fluorescence X, la spectrométrie d'émission optique de plasma induit par laser (laser-induced breakdown spectroscopy ou LIBS), la spectroscopie Raman… Ces méthodes ne sont pas destructrices. Certains de ces instruments sont miniaturisables et transportables sur le terrain. C'est le cas des spectromètres Raman dont nous avons testé les possibilités dans les rues de Lyon en allant analyser sur place dans la rue (et sans aucun prélèvement bien sûr) des minéraux visibles dans le revêtement d'un bâtiment lyonnais (la nouvelle Maison des Avocats). Ces minéraux sont contenus dans des dalles de micaschistes à quartz, biotite, grenat et présentant un minéral noir en baguettes souvent maclées, minéral ressemblant à de la staurotide (cf. Les staurotides du massif des Maures (Var) et de la vallée de l'Ével (Morbihan)) mais pouvant, éventuellement, être de l'amphibole.
En quelques phrases, le principe de la spectroscopie Raman. Les photons d'un faisceau de lumière arrivant sur un corps se partagent entre quatre fractions : une partie est absorbée et réchauffe le corps, une partie est réfléchie, une partie traverse le corps, et une partie est diffusée. La quasi-totalité des photons diffusés l'est sans changement de longueur d'onde (avec la même énergie). Dans ce cas ultra-majoritaire, il n'y a pas d'échange d'énergie entre ces photons et les atomes du milieu (diffusion élastique). On parle de diffusion de Rayleigh (du nom du physicien J.W. Rayleigh, 1842-1919). Moins d'un photon par million l'est avec une énergie différente (une longueur d'onde différente) à cause d'un effet nommé « effet Raman ». Cet effet a été découvert en 1928 conjointement et indépendamment par les physiciens C.V. Râman (1888-1970) et L. Mandelstam (1879-1944). Il est dû à la diffusion inélastique de photons qui échangent de l'énergie avec les électrons des atomes formant une molécule ou un cristal. Lors du processus de diffusion Raman, la majorité des photons peut être émis avec une énergie plus faible (longueur d'onde plus grande) que les photons incidents. On parle de décalage de Stokes (du nom du physicien G. Stockes, 1819-1903). Une minorité des photons diffusés peut au contraire avoir une énergie plus forte (longueur d'onde plus faible) que les photons incidents car ces derniers ont entrainé une très importante excitation-désexcitation de certains électrons impliqués dans des liaisons moléculaires ou cristallines. On parle de décalage anti-Stokes.
L'amplitude de ces décalages dépend de la structure moléculaire et cristalline du milieu éclairé. Si on éclaire ce milieu avec des photons ayants tous la même énergie (lumière monochromatique d'un faisceau laser), les photons diffusés par effet Raman se répartiront dans plusieurs gammes d'énergie (plusieurs longueurs d'onde). En dispersant (avec un réseau par exemple) cette lumière diffusée on peut alors faire un spectre qui présentera plusieurs pics dans différentes longueurs d'onde. Ce spectre est caractéristique de chaque composition moléculaire.
En passant sur les difficultés techniques de mise au point du spectromètre, on comprend qu'on a là un moyen non destructif d'analyser n'importe quelle substance en en faisant son spectre Raman et en le comparant à une “banque de données” où sont rassemblés le plus de spectres Raman possible obtenus sur des corps de compositions connues. On peut bien sûr faire ces études au laboratoire. Mais il existe maintenant dans le commerce des spectromètres Raman portables qu'on peut emporter sur le terrain. Couplé avec un ordinateur portable contenant une banque de spectre, c'est un moyen de déterminer sur place des minéraux difficiles à reconnaitre à l'œil nu sans avoir besoin de ramener l'échantillon dans un laboratoire. En plus d'études géologiques, on peut aussi étudier la nature d'œuvres d'art et d'objets archéologiques intransportables comme les peintures d'une fresque, les fragments de pierre ou de verre constituant une mosaïque, des objets d'un musée qui n'ont pas l'autorisation de sortir du territoire… Deux spectromètres Raman vont être embarqué en juillet 2020 sur la mission NASA Mars 2020, dont un avec une participation française de 50 %.
Après le GPS, la boussole, l'inclinomètre… à quand une application Raman sur son smartphone ?
La spectroscopie Raman peut maintenant quitter les laboratoires pour aller sur le terrain. Dans un premier temps, nous vous montrons à quoi ressemble un spectromètre Raman portable, et plus précisément celui du LGL-TPE[1] (figure 4 à 6), puis nous verrons comment, concrètement, on opère sur le terrain et juste après en rentrant au bureau (figure 7 à 16), puis dans un troisième temps et pour le plaisir, nous reviendrons sur ces belles staurotides maintenant lyonnaises, pour nous rappeler qu'on peut faire beaucoup de géologie dans les rues de nos villes (cf., par exemple, des études sédimentologiques Étudier la sédimentation et l'érosion des grès en se promenant dans Strasbourg ou paléontologiques Orthocères, goniatites, décrochement… sur le parvis de la gare de la Part-Dieu à Lyon).
Pour le plaisir des yeux, et en tant que plein de petits exercices de chronologie relative, nous vous montrons six photographies de staurotides à différents grossissement. On peut chercher les relations de recoupement / inclusion entre staurotides et grenats, les relations entre schistosité et minéraux…
Source - © 2019 Damien Mollex / Lithothèque ENS de Lyon |