Image de la semaine | 27/11/2023
La galène (PbS), le principal minerai de plomb et d'argent
27/11/2023
Résumé
La galène et autres minéraux plombifères. Exploitation et usages de la galène, du plomb et de l’argent.
Nous avons vu la semaine dernière ce qu'il restait d'une mine de plomb vendéenne, c'est-à-dire, en l'occurrence, quasiment rien (cf. La Plage de la Mine, Jard-sur-Mer, Vendée : sa discordance, ses minéralisations et ses mini-failles ). Depuis l'Antiquité, le plomb est un métal très prisé en raison de sa malléabilité, de sa ductilité, de sa résistance à la corrosion… C'est à cause de ces propriétés que ce métal était fortement utilisé dans la fabrication de conduites d'eau potable, de vaisselle, de gouttières, de plaques de toiture (en particulier des cathédrales)… Durant l'Antiquité, les sels de plomb étaient utilisés pour la fabrication de maquillages et comme édulcorant en substitut du miel, plus cher. De nos jours, le plomb sert à fabriquer des récipients destinés à contenir l'acide sulfurique liquide, auquel il résiste en produisant une couche insoluble et protectrice de sulfate de plomb. Il est utilisé dans les accumulateurs électriques (ou batteries) employées dans l'automobile (véhicule thermique) et dans l'industrie (72 % de la production de plomb utilisée dans ces deux secteurs). Dans le domaine de l'imprimerie, le plomb est allié avec l'étain et l'antimoine afin de fabriquer les caractères ; on l'appelle alors « plomb typographique ». Mais on retrouve également du plomb dans la fabrication de munitions et d'armements. Le plomb sert aussi dans la fabrication de colorants, d'antirouille (le “minium” est un oxyde de plomb), dans la verrerie (ce qu'on appelle “cristal” est un verre au plomb), dans les essences (le plomb tétraéthyle est un additif antidétonant dans les carburants)… La forte toxicité du plomb fait que de très nombreux de ces usages sont maintenant interdits ou réglementés. La disparition programmée des véhicules thermiques utilisant des batteries au plomb, les révolutions dans l'imprimerie… vont probablement faire diminuer la consommation.
Une autre cause de la production de plomb, c'est la demande et la production d'argent, en particulier dans l'Antiquité et au Moyen-Âge quand l'argent métal servait à battre monnaie. En effet, les minerais d'argent “pur” (argent natif, sulfure d'argent…) sont assez rares. Par contre, l'argent est très souvent présent à l'état d'“impureté” dans la galène avec des rapports Ag/Pb allant le plus souvent de 0,1 à 2 %. La galène est d'ailleurs souvent appelée le « plomb argentifère ». De nombreuses villes ou villages où était situées des mines de galène ont d'ailleurs le mot “argent” dans leur nom, comme par exemple Largentière en Ardèche ou L'Argentière-La-Bessée près de Briançon (Hautes-Alpes) où l'on peut visiter d'anciennes mines. Selon les époques, les pays… le plomb était un sous-produit (donc très peu cher) de la production d'argent, ou, à l'inverse, l'argent était un sous-produit de l'exploitation du plomb, et servait à rentabiliser les mines de plomb.
Source - © 2001 BRGM dans Y. Paquette (2018)
Nous n'allons pas retracer l'histoire géologique et l'origine des très nombreux gisements de plomb français. Les lecteurs intéressés peuvent se rapporter par exemple à une étude faite par le BRGM en 1977 : Les gisements de Pb-Zn français (situation en 1977) . Nous avons vu l'un de ces gisements de plomb la semaine dernière et en avons discuté l'origine (cf. La Plage de la Mine, Jard-sur-Mer, Vendée : sa discordance, ses minéralisations et ses mini-failles ). Les abords de ce gisement montrent de très beaux affleurements dégagés et rafraichis par l'érosion marine. Une petite exploitation de plomb (et de zinc) y a eu lieu au XIXe siècle et au tout début du XXe. En 2023, on voyait sans problème dans la falaise des minéralisations et cristallisations de quartz et de barytine, mais aucun sulfure n'était visible. Galène (PbS) et blende (ZnS) avaient complètement été oxydées et avaient disparu sans laisser de traces visibles. La pyrite (FeS2) initialement présente était, elle aussi, oxydée, mais les oxydes ferriques étant colorés, sa présence ancienne se trahissait par des placages et des dépôts de couleur rouille.
De nos jours, il est quasiment impossible de voir de la galène dans la nature en France “hexagonale”. Il n'y a plus de mines en exploitation depuis 32 ans. Quelques mines “historiques” se visitent, comme celle de L'Argentière-la-Bessée (Hautes-Alpes), celles du secteur de Sainte-Marie-aux-Mines (Vosges), celle de Melle (Deux-Sèvres)… mais les mineurs ont tellement bien fait leur travail que plus aucune minéralisation de galène n'est visible dans les galeries, du moins dans celles ouvertes à la visite. Pour trouver de la galène, il reste les déblais des anciennes mines (mais la végétation les gagne de plus en plus) ; et il y a les descendants des vieux mineurs dont les greniers regorgent parfois de trésors. Des amis géologues peuvent vous en donner, et, jusque dans les années 1970, on en trouvait encore dans certains marchés orientaux comme matière première de maquillage.
Jusqu'à la figure 16, nous vous montrons des échantillons récoltés dans des mines du Massif Central ou “cadeaux” venant de Bulgarie (probablement des mines de Madan).
La galène, comme de nombreux minéraux cristallisant dans le système cubique, existe aussi en cristaux morphologiquement différents d'un cube : octaèdre, cubooctaèdre… (cf. figures 4 à 10 de Cube, cubo-octaèdre, octaèdre, dodécaèdre… les différentes formes cristallines de la pyrite (FeS2) ). Le gisement de Pranal (figures 7, 8 et 21), dans le district minier de Pontgibaud (Puy-de-Dôme), est réputé pour ses octaèdres (et autres formes intermédiaires entre cube et octaèdre, dodécaèdre…). Voici un échantillon qui m'a été donné il y a plus de 50 ans par le petit-fils d'un ancien mineur de Pranal.
Si des circulations hydrothermales “déposent” de la galène dont le plomb est sous forme réduite Pb2+ (que ce soit dans des filons péri-granitiques, des failles minéralisées, le long d'interfaces entre différents milieux comme des discordances…), c'est que ces fluides sont très réduits [la forme sulfure (S2−) est la forme réduite du soufre, contrairement à la forme sulfate (SO4 2−) qui est la forme oxydée]. Si ces fluides hydrothermaux riches en plomb atteignent des zones oxydantes (zones moins profondes par exemple), alors le plomb pourra précipiter sous sa forme oxydée (Pb4+), ou sous un mélange des 2 formes, ou associé à d'autres anions que l'anion S2− même si le plomb reste sous sa forme Pb2+. Il ne précipitera alors pas de sulfure de plomb, mais des sulfates, des carbonates, des hydrocarbonates, des chloro-phosphates… Ainsi pourra se déposer de l'anglésite (PbSO4), de la cérusite (PbCO3), de l'hydrocérusite [Pb3(CO3)2(OH)2], de la pyromorphite [Pb5(PO4)3Cl]… Si des fluides oxydants carbonatés, chloro-phosphatés… circulent au contact de galène déjà déposée, il pourra y avoir transformation partielle et locale de la galène en anglésite, cérusite… Si anglésite et cérusite sont difficiles à distinguer à l'œil nu, étant tous deux de couleur claire (blanc à beige), transparents ou opaques, cristallisant tous deux dans le système orthorhombique… la pyromorphite est très facile à identifier grâce à sa couleur allant du jaune-vert au vert “flashy” ; elle cristallise dans le système hexagonal. Le gisement des Farges (Corrèze), exploité entre 1975 et 1981, est mondialement connu pour sa pyromorphite dans le petit monde des minéralogistes. J'ai eu la chance de pouvoir y descendre en 1978 (je connaissais un mineur).
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Source - © 2009 Didier Descouens – CC BY-SA 3.0 |
Quand on échantillonne dans des déblais d'anciennes mines, il est très difficile de trouver des données sur la géométrie et la genèse du gisement. On peut néanmoins assez souvent remarquer que la galène constitue le ciment d'une brèche. Une bonne indication que les fluides hydrothermaux ont circulé dans une brèche tectonique associée à une faille, les fluides sous pression entrainant de plus une fracturation hydraulique.
Comme il ne m'est pas possible de vous montrer de la galène “en place” dans un affleurement naturel ou artificiel, on va se tourner vers le passé en regardant quelques documents historiques (du XVe au XIXe siècle) ayant trait à l'exploitation du plomb : une enluminure du XVe siècle, une galerie de mine abandonnée depuis des siècles, de vielles installations de surface du XIXe siècle et des gravures dignes de l’univers de Zola.
Source - © ~1490 Matthäus - Conservé à l’Österreichische Nationalbibliothek |
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Source - © ~1490 Matthäus - Conservé à l’Österreichische Nationalbibliothek |
Source - © ~1490 Matthäus - Conservé à l’Österreichische Nationalbibliothek |
Source - © 2015 A.BourgeoisP – CC BY-SA 4.0 |
Source - © - cartorum.fr |
Source - © 2023 C.Clanet / patrimoines.savoie.fr |
Source - © 1845 Mme C.P. dans L'Illustration |
Tous ces travaux miniers se poursuivent de nos jours, avec d'autres conditions techniques et industrielles et pour des usages inconnus en ces temps anciens. Il en résulte une production totale de plomb d'environ 4,6 millions de tonnes par an en ce début du XXIe siècle.
Source - © - D’après Statista (2023) et whatledustolead (2011), modifiés
Les minerais de plomb étaient extraits pour en tirer le plomb métal, ainsi que l'argent. Mais il existe des cas où c'est le minerai de plomb qui est utilisé en tant que tel, et non pas pour le métal qu'on en extrait. C'est le cas de la galène anciennement utilisée broyée comme maquillage noir (connu sou le nom de khôl), ou de la cérusite hydratée (ou hydrocérusite) anciennement utilisée comme pigment blanc (connu sous le nom de céruse, de blanc de Saturne ou de blanc de plomb) pour des fards blancs ou des peintures à l'huile.
Source - © 2004 Guillaume Blanchard – CC BY-SA 3.0 – conservé au Musée du Louvre |
Source - © 2019 J. Rainhorn – Presses de Science Po |
La galène est un semi-conducteur naturel, comme le sont les produits de synthèse du genre silicium monocristallin, arséniure de gallium… Les semi-conducteurs servent, en autres, à fabriquer des diodes et autres dispositifs électroniques nécessaires à d'innombrables usages, dont les récepteurs radio. Avant l'invention de ces diodes, on utilisait des « tubes électroniques » (également appelés « lampes ») dans les anciens récepteurs radio (dit à lampes). Et avant l'usage massif ce ces lampes, on utilisait un semi-conducteur naturel, la galène. Les premiers récepteurs radio était dits « postes à galène ».
Source - © 2008 D’après Holger.Ellgaard (haut et bas) – CC BY-SA 3.0, modifiés
Mais n'oublions pas que la galène est plus qu'un minerai de plomb, c'est aussi un minerai d'argent. En effet, l'argent est très souvent présent à l'état d'impureté dans la galène, avec des rapports Ag/Pb allant le plus souvent de 0,1 à 2 %. Selon les usages qui varient avec les époques et les pays, le plomb était souvent un sous-produit de l'exploitation de l'argent, qui représentait alors la majorité du chiffre d'affaires de ces mines. Dans l'Antiquité gréco-romaine, et encore plus au Moyen-Âge européen, l'argent métal servait à fabriquer les pièces de monnaie et était plus important et plus recherché que le plomb. C'est à sa quasi inaltérabilité et à sa relative rareté que l'argent métal doit d'avoir été utilisé comme monnaie d'échange. Si les transactions exceptionnelles se faisaient en or, les transactions “importantes” se faisaient avec de l'argent, en pièces d'argent. Jésus n'a-t-il pas été vendu pour 30 pièces d'argent ? Un des plus riches “grand argentier” de France, Jacques Cœur (1395-1456, grand argentier de Charles VII) doit une partie de sa fortune à ses mines d'argent. Faire de la fausse monnaie, c'est-à-dire faire des pièces trafiquées avec un pourcentage d'argent plus faible que celui garanti par les autorités, était l’un des crimes les plus grave au Moyen-Âge.
Source - © 2020 D'après The Silver Institute, XO Investments SA / allnews.ch |
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Source - © 1539 Marinus van Reymerswaele – Museo del Prado |
Source - © XIIIe s. Enluminure du Code justinien |