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Article | 06/04/2011

Le gaz de schiste : géologie, exploitation, avantages et inconvénients

06/04/2011

Pierre Thomas

Laboratoire de Géologie de Lyon / ENS de Lyon

Olivier Dequincey

ENS de Lyon / DGESCO

Résumé

Éléments pour découvrir et se forger un avis sur les gaz de schiste.


Cet article est la re-publication de l'article initialement publié le 18 février 2011. Gilles Dromart (Tharsis-Energy / Laboratoire de Géologie de Lyon) a contribué à l'écriture de la partie technique et fourni des références précises pour illustrer l'ensemble. Mise à jour mineure le 19/11/2012.

Depuis quelques mois, la France entière, et plus particulièrement le Sud-Est parle des gaz de schiste. Quand on tape « gaz de schiste » sur Google, on tombe sur des d'articles en général assez polémiques, ou au contraire parfaitement lénifiants. Rien que sur la première page de Google, le 17/02/21011, on peut citer :

Que sont ces gaz de schiste, quelle est leur géologie, quels avantages et inconvénients auraient leur exploitation ? Nous allons essayer de faire le point sur ces questions, en insistant sur les questions qui intéressent spécifiquement un professeur de SVT, à savoir les questions concernant la géologie, les écosystèmes, le développement durable…

Une deuxième partie, forcément plus subjective, essaiera d'analyser les avantages et inconvénients qu'entraîne (et entraînerait) l'exploitation de ce gaz. En ce qui concerne ces avantages et inconvénients, nous nous attarderons plus sur leurs côtés géologiques et environnementaux que sur leurs côtés politiques et économiques dont on ne peut cependant pas ne pas parler, et qui intéressent chaque citoyen, et en particulier chaque professeur de SVT qui pourra être amené à répondre à des questions d'élèves dans les régions concernées. Qu'un professeur puisse informer / éclairer des élèves face à un problème de société fait maintenant partie de leur mission, comme l'atteste la nouvelle épreuve d'agrégation intitulée « agir en fonctionnaire de l'état et de façon éthique et responsable ».

Définition du terme gaz de schiste

Qu'est ce qu'un gaz de schiste ? Ce terme vient de la "mauvaise" traduction de l'anglais shale gas. Shale est un mot anglais, sans traduction française simple. Selon le Dictionnaire de Géologie de Foucault et Raoult, ce terme anglais shale« désigne toute roche sédimentaire litée à grain très fin, en générale argileuse ou marneuse ». On peut comparer cette définition avec les deux définitions du mot "schiste", qui sont les suivantes dans ce même dictionnaire : « (1) au sens large (qu'il vaut mieux éviter), toutes roches susceptible de se débiter en feuillet. Ce terme peut donc désigner aussi bien un schiste métamorphique (angl. schist), qu'une roche présentant un clivage ardoisier (angl. slate) ou bien une pélite (argile) feuilletée (angl. shale)[…] et (2) : roche ayant acquis une schistosité sous l'influence de contraintes tectoniques ».

Dans l'expression « gaz de schiste », le terme "schiste" est donc par définition un terme qu'il est souvent conseillé d'éviter. Cela commence bien ! Ce gaz n'est pas contenu dans des schistes au sens tectono-métamorphique (le sens usuel et conseillé en France), mais dans des argiles et marnes litées, bien sédimentaires. On devrait donc plutôt parler de "gaz de marnes" ou de "gaz de pélites". Mais l'expression « gaz de schiste » est maintenant entrée dans les mœurs, et nous continuerons à l'employer.

Qu'est ce que le gaz « conventionnel » ?

Avant de parler du gaz de schiste, parlons un peu du gaz classique, dit conventionnel. Le gaz naturel « conventionnel » est principalement constitué de méthane (CH4). C'est le plus simple des hydrocarbures. Il provient de la dégradation de la matière organique (d'origine biologique) piégée dans des sédiments devenus roches sédimentaires après diagenèse. Cette roche contenant de la matière organique est dite « roche mère ». La dégradation à l'origine du méthane peut être d'origine bactérienne pour les températures basses (bactérie « travaillant » jusqu'à T < 50°C dit-on classiquement, mais sans doute aussi pour des températures plus fortes dans le cas de bactéries thermophiles et hyperthermophiles). Cette dégradation peut être aussi purement « chimique », par cracking thermique de grosses molécules pour des températures plus élevées (on cite classiquement des températures > 100°C.)

Dans le cas du méthane (et de tous les autres hydrocarbures liquides et/ou gazeux) il peut y avoir migration du gaz, qui quitte sa roche mère si celle-ci est perméable (perméabilité intrinsèque ou à la suite d'une fracturation). Méthane et autres hydrocarbures mobiles cheminent en suivant les zones perméables, toujours vers le haut, car ces hydrocarbures sont moins denses que l'eau qui en général imprègne tout le sous-sol. Ils peuvent arriver en surface où il donneront des sources ou suintements de gaz ou de pétrole (voir par exemple Fontaine Ardente du Dauphiné, pour le gaz, et Source et ruisseau d'hydrocarbures, Puy de la Poix ou Source d'hydrocarbures à « La Brea Tar Pits », pour le pétrole). Ils peuvent être bloqués dans des structures géologiques appelées pièges. C'est le cas classique d'une couche perméable (grès, calcaire fracturé…) recouverte d'une couche imperméable (argile), le tout étant ployé en anticlinal. C'est également le cas d'une couche perméable inclinée recouverte en biseau (discordance, biseau sédimentaire…) par une couche imperméable et bien d'autres contextes géologiques.

Bloc diagramme montrant la situation des gisements de pétrole et de gaz « conventionnels »

Figure 1. Bloc diagramme montrant la situation des gisements de pétrole et de gaz « conventionnels »

On y voit la roche mère qui fournit pétrole ou gaz en fonction de sa température (donc de sa profondeur). Les flèches blanches montrent la migration du pétrole et du gaz de la roche mère (suffisamment perméable) vers et au sein d'une roche magasin, ainsi que le long d'une faille. Si cette migration est stoppée par un "piège" (couche imperméable de géométrie particulière, anticlinal, biseau discordant…), on aura un gisement de pétrole et/ou de gaz. Gaz et pétrole ne forment alors pas des poches, ou des lacs, mais imprègnent la porosité ou les fractures de la roche magasin. La roche magasin étant perméable, un simple forage vertical, avec (ou sans) pompage suffit pour extraire une proportion notable des hydrocarbures contenus dans le piège. S'il n'y a pas de "piège", pétrole et gaz pourront atteindre la surface.


Pour qu'il y ait gisement conventionnel d'hydrocarbures, il faut donc, entre autres, que (1) la roche mère soit (ait été) suffisamment perméable pour laisser partir tout ou partie de ses hydrocarbures, et (2) que la roche magasin soit elle aussi suffisamment perméable pour qu'un pompage suffise à extraire une proportion notable des hydrocarbures qu'elle contient.

Qu'est ce que le gaz de schiste et les autres sources de gaz non conventionnel ?

Ce qu'on appelle « gaz de schiste », c'est du gaz (méthane) encore contenu dans sa roche mère, parce que celle-ci n'est pas (ou très peu) perméable. Ce méthane y est souvent contenu dans des (micro)pores ne communiquant pas entre eux, ou éventuellement adsorbé sur des particules argileuses, d'où l'imperméabilité de la roche. Cette non perméabilité a empêché le méthane (et les autres hydrocarbures) de migrer. La roche mère est donc restée riche en gaz. Elle peut contenir jusqu'à 20 m3 de gaz (aux conditions de surface, 20°C et 1 atm) par mètre-cube de roche en place. C'est donc à la fois une roche mère et une roche magasin. Mais cette imperméabilité empêche son extraction par des moyens classiques comme de simples forages. Des techniques récentes permettent d'extraire une fraction notable de ce gaz, malgré l'imperméabilité de la roche mère/magasin. Les roches mères/magasins de ce gaz de schiste sont classiquement les black shales (en anglais) ou les "argiles et marnes noires" (en français).

On peut remarquer qu'à côté de ce gaz de schiste, il existe deux autres sources potentielles de gaz « souterrain » non conventionnel, mais qui ne sont pas le sujet de cet article :

  • le gaz de charbon (coal bed methane en anglais. Les couches de charbon sont riches en méthane adsorbé, que les mineurs appelaient "grisou". Des techniques récentes (voisines de celles décrites ci-dessous) permettent d'extraire ce gaz de couches de charbon trop profondes, ou trop minces et dispersées pour être exploitées par des mines classiques.
  • le gaz des « réservoirs ultra-compacts » (tight gas en anglais). Il s'agit de méthane en position intermédiaire entre le gaz de schiste et le gaz conventionnel. Le gaz a pu, au cours des temps géologiques, légèrement migrer, quitter sa roche mère, mais a été piégé dans une roche très peu perméable, trop peu pour que ce gaz puisse être exploité par des méthodes classiques sur des échelles de temps "humaines" et non géologiques.

Une ressource est dite non-conventionnelle lorsque son extraction nécessite un traitement de stimulation (stimulation hydraulique, chimique, etc).

Les techniques d'exploitation du gaz de schiste

Le principe théorique d'exploitation des gaz de schiste est très simple : puisque la roche contenant le gaz est imperméable, il n'« y a qu'à » la rendre perméable. Plusieurs techniques sont envisageables. En leur temps, les Soviétiques envisageaient une fracturation à coup d'explosions nucléaires souterraines. Peut-être certains fantasment encore sur cette technique radicale. Plus sérieusement, c'est la fracturation hydraulique (parfois associée à des explosifs), couplée à des forages horizontaux qui est envisagée.

Depuis plus de 150 ans, on sait faire des forages verticaux. Puis, on a développé des techniques permettant de faire des forages obliques, inclinés de quelques dizaines de degrés par rapport à la verticale. Cela a permis, par exemple, à partir d'une plate-forme de forage en mer d'atteindre un même réservoir par plusieurs puits. On sait maintenant faire des forages horizontaux, qui peuvent suivre une couche. On sait maintenant "classiquement" faire des forages horizontaux sur une distance de plus de 2000 à 3000 m.

La pression dite lithostatique augmente avec la profondeur, tout simplement à cause du poids des roches sus-jacentes. La pression P à une profondeur z est égale à ρgz, avec ρ la masse volumique et g l'accélération de la pesanteur. Si on considère que les roches sédimentaires ont une masse volumique de 2500 kg.m-3 et que g vaut 10 m.s-2, on voit que la pression augmente de 2,5.107 Pa (250 bars) par km. Dans un forage (plein d'eau), cette pression augmente « seulement » de 107 Pa par km (l'eau a une masse volumique de « seulement » 1000 kg.m-3). Si, au fond d'un forage, on donne au liquide de forage une pression supérieure à la pression lithostatique, alors ce liquide aura tendance à s'insinuer dans la moindre fracture, à écarter les bords de cette fracture, ce qui la propagera latéralement. La fracture se propagera perpendiculairement à la direction de la contrainte minimale (σ3). On pourra donc faire des fractures horizontales (élargissement de bas en haut) dans le cas où le contexte tectonique fait que σ3 est vertical (à faible profondeur, par exemple), ou des fractures verticales dans le cas (le plus fréquent à une certaine profondeur) ou σ3 n'est pas vertical, pour faciliter la pénétration des fluides et des fractures dans le plan de contrainte minimale.

Au fond d'un forage de 3 km de profondeur (P lithostatique d'environ 7,5.107 Pa), il « suffira » de communiquer au liquide de forage une surpression de plus de 5.107 Pa (500 bars), s'ajoutant aux 2,5.107 Pa de pression hydrostatique, afin de fracturer les roches, et donc de les rendre perméables. Si on ajoute au liquide de forage sur-comprimé du sable, celui-ci s'insinuera dans les fractures, et empêchera qu'elles ne se referment une fois qu'on arrête la surpression. Pour que le sable soit bien mobile dans l'eau de forage, sans faire de « bouchon » ou sans s'accumuler dans des « points bas », pour qu'eau et sable puissent bien s'insinuer dans les fissures… des additifs, tels que des épaississants (gomme de guar,...) et autres composés aux propriétés physiques, chimiques ou bactériologiques particulières, seront mêlés à l'eau. Une fois la fracturation terminée, le gaz s'échappera alors par les fractures, comme dans n'importe quelle roche magasin dont la perméabilité est due à des fractures pré-existantes.

Schéma du principe d'exploitation du gaz de schiste

Figure 2. Schéma du principe d'exploitation du gaz de schiste

À gauche, la période de forage et de la fracturation hydraulique. On injecte de l'eau sous très haute pression (plusieurs centaines de bars) dans un puits. Ce forage est continué à l'horizontale une fois atteinte la couche de « schiste ». Une fois le forage fini, ou en procédant par palier, on injecte de l'eau sous pression qui fracturera la roche, eau mêlée de sable et d'additifs. Ce sable mêlé à l'eau sous pression envahira les néo-fractures et empêchera leur fermeture une fois qu'on arrêtera la surpression de l'eau.

À droite, le fonctionnement « normal » du puits en période d'exploitation. Le gaz migre le long des néo-fractures, atteint le tube de forage, arrive en surface, et est stocké dans des réservoirs ou évacué par gazoduc.

Le tubage de la partie verticale est renforcé pour éviter les fuites (d'eau et de gaz) vers les terrains et aquifères de surface. Les volumes d'eau soutirés (flowback waters) représentent 20 à 30% des volumes injectés. Le reste demeure dans le puits et les fractures. Après un premier soutirage, la pression diminue et le gaz sort de lui-même en remontant à travers l'eau qui est restée en profondeur, d'où une installation d'emprise réduite en surface après forage.


Cette fracturation ne peut pas se propager sur de très grandes distances (une demi-longueur d'une centaine de mètres dans le meilleur des cas). Une fracturation hydraulique en terminaison de puits vertical ne fracturerait la roche qu'au voisinage du forage, ce qui ne permettrait de récupérer qu'une très faible quantité de gaz. Avec un forage horizontal dans la couche de « schistes », on peut fracturer une plus importante quantité de « schistes », donc récupérer beaucoup plus de gaz. Si, à partir d'une même tête de forage, on fait des forages horizontaux dans les deux sens d'une même direction (perpendiculaire à la contrainte principale), alors la récupération sera optimisée. En cas d'absence de forte anisotropie du champ de contrainte régional, ou pourrait même faire des forages « en étoile » autour du forage vertical.

Schéma théorique de la fracturation hydraulique induite avec 2 forages de sens opposés à partir d'un même puits

Figure 3. Schéma théorique de la fracturation hydraulique induite avec 2 forages de sens opposés à partir d'un même puits

Les forages horizontaux sont parallèles à la direction de la contrainte horizontale minimale (σ3 dans ce cas) et donc perpendiculaires à la direction de contrainte horizontale maximale (σ1 dans ce cas). Les fractures (en brun) s'ouvrent alors perpendiculairement à σ3, dans le plan σ12. Dans le cas d'une exploitation dans la région des Causses où la contrainte maximale est N-S, les forages horizontaux partiraient en direction E-O, avec ouverture de fissure ouverte de direction N-S. Les néo-fractures engendrées par la fracturation hydraulique seraient parallèles aux champs de dykes quaternaires de la région, eux aussi ouvert (en partie) sous l'effet d'une fracturation hydraulique (le basalte remplaçant le fluide de forage).


Le principe est simple, et "intellectuellement" très satisfaisant.

Le gaz de schiste dans le monde, en Europe de l'Ouest et en France

Dans le monde, les ressources en gaz de schiste seraient du même ordre de grandeur que celles de gaz conventionnel, et ces ressources seraient mieux réparties. Des chiffres « trainent » partout, difficiles à vérifier. Les ressources seraient de l'ordre de 500.1012 m3 (500 mille milliards de mètres cubes). La carte ci-dessous montre la répartition de ces réserves, en 1012 m3.

Les réserves de gaz de schiste dans le monde

Figure 4. Les réserves de gaz de schiste dans le monde

Schéma réalisé en utilisant les chiffres (en 1012 m3) trouvables dans le "domaine public".


Aux USA, la production est déjà bien engagée. En mars 2011, le gaz de schiste représente 14% de la production totale de gaz des États-Unis, avec l'intention de porter cette proportion à 45% en 2035 (Bloomberg, 30 mars 2011). Depuis cette date la production américaine a encore considérablement augmenté.

En Europe de l'Ouest, deux niveaux stratigraphiques sont prometteurs : le Jurassique inférieur et le Carbonifère moyen et supérieur (Schulz et al., 2010). En effet, que ce soit à l'affleurement ou en forage, ces niveaux de marnes et argiles silteuses sont riches en matière organique. Ils présentent donc de fortes potentialités théoriques, qui restent à confirmer ou infirmer au cas par cas d'où lune nécessaire phase d'exploration avant d'envisager une éventuelle exploitation. En France, c'est le Lias marneux qui est la couche la plus prometteuse, en particulier à l'Est et au Sud-Est ; au Royaune-Uni (Lancashire) et en Allemagne, c'est le Carbonifère …

Des permis d'exploration (pas d'exploitation) ont été accordés en France au printemps 2010. Ces permis concernent le Sud-Est. D'autres demandes de permis d'exploration seraient en cours en particulier entre Lyon, Annecy et Genève. Des échanges officiels entre président de région et ministères rappellent la prolongation du permis dit de Foix en juin 2010 et mettent en cause la procédure d'attribution des permis. La publication des permis (demandes, accords, refus) par le Bureau de l'Exploration Production des Hydrocarbures (BEPH), mais semble à beaucoup d'élus peu visible, bien que totalement publique. Les états des demandes et des attributions sont publiées et mises à jour mensuellement en ligne par le BEPH (bulletin BEPH mars 2010, bulletin BEPH juin 2010). Les surfaces initialement demandées pour les permis d'exploration sont exagérées dans la mesure où la législation oblige un rendu de surface après quelques années.

Une levée de bouclier a amené le gouvernement à décider, le 4 février 2011, d'un moratoire sur les forages d'exploration impliquant de la fracturation hydraulique (les permis ne sont pas remis en cause), jusqu'au rendu des rapports finaux des missions officielles sur les enjeux économiques, sociaux et environnementaux des hydrocarbures de roche-mère (gaz et huiles de schiste), rapports attendus fin mai 2011, qui seront rendus publics avant d'en tirer des conclusions fin juin 2011.

Carte des trois permis de recherche accordés dans le Sud-Est de la France en 2010 auxquels s'applique le moratoire décidé le 4 février 2011

Figure 5. Carte des trois permis de recherche accordés dans le Sud-Est de la France en 2010 auxquels s'applique le moratoire décidé le 4 février 2011

La couche cible correspond dans les trois cas au Jurassique inférieur (Lias marneux).


Le gaz de schiste : avantages et inconvénients

Présenté comme ci-dessus, l'exploitation du gaz de schiste est « évidemment » un « progrès » : des avancées technologiques permettent d'utiliser une ressource potentielle jusqu'à présent inexploitable. C'est ce que fait l'humanité depuis la "révolution néolithique" ! Mais alors, pourquoi cette levée de bouclier comme le montre les quelques adresses web citées ci-dessus et pourquoi la suspension momentanée des permis d'exploration ?

Éliminons d'emblée le réflexe "NIMBY" (Not In My BackYard, soit "pas dans mon arrière-cours"), réflexe privilégiant le confort personnel à l'intérêt général, et essayons de regarder les avantages (il y en a) et les inconvénients (il y en a aussi) de cette exploitation des gaz de schiste. Cette partie est très difficile si on veut rester objectif, ne pas minimiser les avantages (ce que font certains) ou les inconvénients (ce que font d'autres). Nous nous attarderons plus sur les côtés géologiques et environnementaux (qui concernent Planet-Terre) que sur les côtés politiques et économiques dont on ne peut cependant pas ne pas parler et qui intéressent chaque citoyen, et en particulier chaque professeur de SVT qui pourra être amené à répondre à des questions d'élèves dans les régions concernées.

Quatre avantages sont présentés ci-après du plus "géologique" au moins "géologique".

Avantages (relatifs) de l'utilisation de gaz, de surcroît local, vis à vis de l'environnement mondial

À kilowatts-heures produits égaux, le gaz naturel produit moins de CO2 que le charbon ou le pétrole. On peut citer les chiffres suivants : la production d'un mégajoule d'énergie (1 MJ ≈ 0,3 kW.h) obtenu en brûlant du méthane produit 55g de CO2. La même quantité d'énergie obtenue en brûlant du pétrole produit 70g de CO2 ; et 110g en brûlant du charbon. Quitte à utiliser des combustibles fossiles, autant utiliser du gaz que d'autres combustibles, c'est moins mauvais pour le climat. Et même si on développe beaucoup les énergies renouvelables, type solaire ou éolien (tendance officielle affichée en France), celles-ci ne sont pas permanentes (nuit, jours sans vent…). Le gaz est la plus souple des énergies : une turbine à gaz peut prendre le relais d'un champ d'éoliennes en quelques minutes. Il faut quelques heures à une centrale à charbon, encore plus pour une centrale nucléaire. et, si on est optimiste, on peut aussi penser que ce gaz naturel peut assurer la transition énergétique nécessairement assez longue avant l'avènement technologique et économique des énergies renouvelables.

De plus, transporter du gaz depuis des pays lointains consomme de l'énergie (15 à 20% d'autoconsommation), et donc produit du CO2. Produire et consommer localement est bien meilleur pour l'environnement, marque d'un développement (plus) durable. Ce qui est vrai pour les fruits et légumes l'est aussi pour le gaz !

Avantages « moraux et citoyens »

L'occidental a l'habitude, pour subvenir à ses besoins, d'utiliser, en partie, des ressources en exploitant et polluant des pays lointains. Il serait beaucoup plus "moral" que ceux qui "profitent" d'une ressource en subissent aussi les inconvénients. Ce serait normal que les utilisateurs soient aussi les pollués ! Le slogan pollueur-payeur est parfaitement valable. Mais il ne faut pas oublier qu'en amont des pollueurs, il y a certes des profiteurs (ceux qui en tirent un profit économique et/ou financier) mais aussi des utilisateurs-consommateurs (nous). À coté du slogan « pollueur-payeur », il faudrait aussi inventer quatre autres slogans « profiteur-payeur », « utilisateur-payeur », « profiteur pollué » et « utilisateur pollué » ; l'idéal étant, bien sûr, qu'il n'y ait plus de pollueur.

De plus, si les compagnies industrielles sont contraintes à respecter l'environnement dans certains pays riches (législations pas toujours très contraignantes, mais législation quand même), des compagnies peuvent spontanément négliger l'environnement dans les pays "pauvres" (où des responsables sont, parfois, facilement corrompus) et/ou dans les pays sans réglementation à ce sujet. Pour la santé de la planète, il vaudrait bien mieux exploiter des gaz de schiste en France (environnement plus ou moins respecté) que dans le delta du Niger (environnement totalement sacrifié).

Avantages politiques, économiques, financiers…

Cette exploitation pourrait participer à l'indépendance énergétique des pays producteurs, dont potentiellement la France (à ce jour, 98% du gaz consommé en France est importé). Cela contribuerait à réduire le déséquilibre de leur balance des paiements. Cela enrichirait certainement les compagnies pétrolières et gazières, moyennement les états devenus gaziers, un peu les collectivités locales où seraient implantés les sites (redevances), et éventuellement les propriétaires des terrains quand la loi rend les propriétaires fonciers propriétaires du sous-sol (ce n'est pas le cas en France) et les consommateurs. En effet, pour ces derniers, le gaz importé découle de contrats à long terme pour lesquels le prix est indexé sur le prix du pétrole, alors qu'il existe un marché de gros européen sur lequel les prix sont largement inférieurs aujourd'hui. Autre aspect, cette exploitation réduirait le chômage dans les régions concernées.

Les réserves de gaz de schistes sont énormes : on parle (en ordre de grandeur) d'une quantité voisine des réserves de gaz conventionnel à l'échelle mondiale et, à l'échelle de la France, les réserves locales équivaudraient à plusieurs dizaines d'années de consommation. Cela prolongerait de nombreuses années notre « confort énergétique ».

Avantages d'aménagement du territoire

On l'a vu, l'exploiration du gaz de schiste peut contribuer à lutter contre la désertification, économique et populaire, de certaines régions. Elle peut laisser derrière elle, à condition que cela soit exigé au départ, des aménagements plus durables tels que des reboisements, des forages d'eau, ou des systèmes de captage (forages, retenues) de l'eau, qui a été nécessaire à la fracturation et qui pourra être utilisée pour l'irrigation par exemple. Tout est une question d'accords et de contrats préalables entre les collectivités locales et les opérateurs.

Mais, puisqu'il y a débat, c'est qu'à côté des avantages, il y a aussi des inconvénients. Citons les quatre suivants.

Inconvénients vis à vis de l'environnement mondial et vis à vis de notre "comportement énergétique"

Même si cela libère moins de CO2 qu'une centrale à charbon, une centrale à gaz produit des gaz à effet de serre (CO2, ...) et contribue donc au réchauffement climatique par ce biais. De plus, chaque forage d'hydrocarbure laisse inévitablement fuir un peu de méthane, même en fonctionnement de routine sans accident. La technique d'exploitation des gaz de schistes nécessite beaucoup plus de forages que les hydrocarbures classiques. Il y aura donc beaucoup plus de fuites de méthane "en routine" en exploitant des gaz de schistes que des hydrocarbures conventionnels. Or le méthane est un gaz à effet de serre 20 fois plus "efficace" que le CO2.

Et puis, face à la pénurie annoncée de ressources fossiles, « on » commençait à rechercher et des ressources renouvelables, et des économies énergétiques à faire. De nouvelles ressources de combustibles fossiles risquent, si on est pessimiste, de repousser ces recherches aux calendes grecques. C'est là le principal reproche que je ferais personnellement à l'exploitation des gaz de schistes : continuer notre boulimie de carbone fossile, sans envisager une révision de "mode de vie énergétique".

Inconvénients vis à vis de l'environnement local et régional

Même si les pseudo-écologistes et autres NIMBY font feu de tout (parfois mauvais) bois pour dénoncer les gaz de schiste, et de ce fait décrédibilisent leur cause, les inconvénients vis à vis de l'environnement local et régional sont importants à des degrés divers. On peut énoncer trois inconvénients principaux.

Le maillage dense du réseau de puits et la dégradation potentielle des écosystèmes et des paysages, parfois appelé mitage du paysage

La technique des puits verticaux suivis de forages horizontaux ne permettra d'exploiter ce gaz de schiste que sur quelques km2 au maximum autour de chaque puits. Typiquement, pour exploiter complètement une couche horizontale, il faudrait un puits tous les 0,5 à 4 km. On peut espérer un espacement des forages avec le développement de la technologie. Chaque forage occupe une emprise au sol d'environ un hectare (10.000 m2) pendant la période de forage. Après la période de forage et pendant toute la période d'exploitation, chaque tête de puits occupe plusieurs dizaines de m2 (l'équivalent d'une grange) au centre d'une surface "réservée" d'environ 1/3 d'hectare. Tout un réseau de pistes devra relier entre eux tous ces puits pendant la période de forage pour permettre le passages d'engins et camions, et après, pendant la phase d'exploitation, si le gaz est évacué par citernes. Si le gaz est évacué par gazoduc, c'est tout un réseau de gazoducs à construire pour relier tous ces puits d'abord entre eux puis et à un centre d'évacuation sur le réseau national.

Pour se rendre compte de ce à quoi correspondent "en vrai" les atteintes aux paysages causées (1) par l'exploitation des gaz de schiste là où elle a lieu (aux USA) , et (2) dans les paysages français, non pas par l'exploitation des gaz de schistes (elle n'a pas commencé) mais par le stockage souterrain de gaz, on peut grâce à Google Earth observer trois cas concrets. Les 3 vues générales, d'une part, et les 3 vues rapprochées, d'autre part, couvrent des surfaces équivalentes pour faciliter les comparaisons.

Vue Google Earth (2005) montrant un secteur du Colorado (USA) où sont exploités des gaz de schiste

Figure 6. Vue Google Earth (2005) montrant un secteur du Colorado (USA) où sont exploités des gaz de schiste

Chaque « tache » claire correspond à une zone de forage.

Prise de vue : 15 km d'altitude. Espacement moyen entre les puits : 600 m. Emprise au sol de chaque zone de forage : 150 à 200 m de côté (2,25 à 4 hectares).


Gros plan sur une zone de forage / exploitation quelque part au Colorado

Figure 7. Gros plan sur une zone de forage / exploitation quelque part au Colorado

Zoom de la vue précédente.

L'échelle (en bas à gauche) montre la taille de l'emprise au sol (environ 200 m de diamètre, 3 à 4 hectares), véritable plaie dans le paysage, plaie que la loi américaine n'oblige pas (encore ?) à remettre en état.


Le stockage souterrain de gaz de Chemery (Cher), fonctionnel depuis 1968

Figure 8. Le stockage souterrain de gaz de Chemery (Cher), fonctionnel depuis 1968

L'altitude de prise de vue est la même que pour la vue générale du Colorado.

L'espacement des puits est d'environ 200 m. L'emprise au sol de chaque « installation » est d'environ 60 m de côté (0,36 hectare). Assez discret dans les zones cultivées, les zones de puits sont particulièrement visibles (en vue aérienne) en forêt taches blanches).

Sur les sites français, tant de stockages de gaz que d'exploitation d'hydrocarbures, les forages sont localisés à l'aplomb des pièges, ce qui explique leur faible extension géographique. Cela peut aussi expliquer la forte densité locale des forages.


Le stockage souterrain de gaz de Chemery (Cher), fonctionnel depuis 1968, gros plan sur une zone d'exploitation

Figure 9. Le stockage souterrain de gaz de Chemery (Cher), fonctionnel depuis 1968, gros plan sur une zone d'exploitation

Zoom de la vue précédente.

On voit que l'emprise au sol de la zone « réservée » ne mesure qu'environ 60 m de coté, soit 0,36 hectare (contre 3 hectares de zone dégradée aux USA pour le gaz de schiste). La tête de puits visible au centre de chaque zone n'occupe que quelques mètres de diamètre.


Le stockage souterrain de gaz de Crouy sur Ourcq (Seine et Marne), à l'intérieur du carré rouge

Figure 10. Le stockage souterrain de gaz de Crouy sur Ourcq (Seine et Marne), à l'intérieur du carré rouge

L'altitude de prise de vue est la même que pour la vue générale du Colorado.

L'espacement des puits est d'environ 200 m. L'emprise au sol est d'environ 60 m de côté (0,36 hectare). Les puits sont assez discrets dans les zones cultivées.

Sur les sites français, tant de stockages de gaz que d'exploitation d'hydrocarbures, les forages sont localisés à l'aplomb des pièges, ce qui explique leur faible extension géographique. Cela peut aussi expliquer la forte densité locale des forages.


Le stockage souterrain de gaz de Crouy sur Ourcq (Seine et Marne), gros plan sur une zone d'exploitation

Figure 11. Le stockage souterrain de gaz de Crouy sur Ourcq (Seine et Marne), gros plan sur une zone d'exploitation

Zoom de la vue précédente.

On voit que l'emprise au sol de la zone « réservée » ne mesure qu'environ 60 m de côté, soit 0,36 hectare (contre 3 hectares de zone dégradée aux USA pour le gaz de schiste). La tête de puits visible au centre de chaque zone n'occupe que quelques mètres de diamètre. En France, la loi oblige les compagnies à remettre en « bon état » la zone réservée à l'exploitation. Cette zone est ici partiellement ré-engazonnée, et ceinturée de haies ou d'arbres, d'où sa relative discrétion dans le paysage.


Quand des exemples réels sont connus, on peut faire des simulations, en transposant ces réalités dans la région française de son choix. Nous vous en proposons deux, une en milieu urbanisé, une dans un milieu rural, une relativement optimiste (espacement américain actuel, emprise au sol française), et une très pessimiste, voire caricaturale (emprise américaine, espacement des 2 gisements français cités ci-dessus).

Mais il faut prendre un certain nombre de précautions pour interpréter ces simulations. Citons deux précautions essentielles.

  1. Tout d'abord, ces simulations n'ont évidemment pas la prétention de localiser des sites de forages potentiels, ou de prétendre qu'on envisage des exploitations dans les deux secteurs choisis. Si une chose est sûr par exemple, c'est qu'on n'exploitera jamais de gaz de schiste au Mont Saint Michel, en pays granitique.
  2. Cette comparaison transpose à la France post-2011 une situation américaine anté-2005 pour les gaz de schiste, et des installations gazo-pétrolières certes françaises, mais qui ne concernent pas les gaz de schistes. Dans le cas de l'exploitation de gaz de schiste, la technologie post-2011 entrainerait sans doute un plus grand espacement des sites de forage. Et surtout, les lois françaises obligent à remettre en état les sites de forage. Et une fois le forage fini, pendant toute la période d'exploitation, chaque parcelle réservée n'occuperait qu'1/3 d'hectare d'après les 2 exemples cités ci-dessus, le puits proprement dit n'occupant alors que la surface d'une « grange agricole ».
Transposition théorique dans l'Ouest parisien de l'espacement des puits au Colorado et de leur emprise au sol française

Figure 12. Transposition théorique dans l'Ouest parisien de l'espacement des puits au Colorado et de leur emprise au sol française

Chaque cercle rouge a la taille des sites réservés dans le Cher ou la Seine et Marne. Cette région a été choisie parce que tout le monde connaît Versailles, son château et ses environs… Si, en France post-2011, l'espacement entre les puits est supérieur à celui des USA anté-2005, le maillage sera plus espacé.


Caricature de la pire des situations possibles au voisinage de la Baie du Mont Saint Michel : maillage aussi serré que dans les 2 gisements français cités ci-dessus, avec emprise au sol de la taille des emprises américaines (cercles rouges)

Figure 13. Caricature de la pire des situations possibles au voisinage de la Baie du Mont Saint Michel : maillage aussi serré que dans les 2 gisements français cités ci-dessus, avec emprise au sol de la taille des emprises américaines (cercles rouges)

Que les amoureux du Mont Saint Michel se rassurent : jamais des gaz de schiste ne seront exploités dans cette région granitique qui ne peut en contenir !


Les perturbations/pollutions potentielles des écosystèmes superficiels

Le forage et la fracturation hydraulique en particulier, nécessitent d'énormes quantités d'eau (on cite classiquement les chiffres de 10 000 à 15 000 m3 par forage). En France, cette eau ne peut être prélevée, en l'état actuel de la législation, sur les ressources sur les ressources utilisées régulièrement. Un transport d'eau par une noria de camions citerne ou une ressource additionnelle locale doit être trouvée, ce qui peut poser une sérieuse réserve à l'exploration et, a fortiori, à l'exploration. Cette eau est injectée dans le forage. L'eau soutirée est salée et boueuse. Elle peut être réinjectée dans des puits très profonds ou au contraire traitée et recyclée en surface. Elle est alors débarrassée de ses particules par floculation et décantation dans des bassins, traitée chimiquement, puis ré-injectée dans les puits de production pour de nouvelles stimulations / fracturations. Cette eau peut également renfermer certains des produits indésirables contenus initialement dans les additifs utilisés pour la fracturation (des premiers essais aux États-Unis ont été effectués avec des rendus de Napalm de la guerre du Vietnam !). Plus récemment, certains cocktails contenaient encore des produits toxiques et corrosifs tel que le monohydrate de nitritriacétate de trisodium utilisé comme détergent industriel. Désormais la plupart des états aux États-Unis et beaucoup de pays exigent de connaître la composition des additifs préalablement aux opérations de fracturation hydraulique.

D'autre part, les black shales peuvent contenir naturellement des métaux lourds, comme par exemple du cadmium et de l'uranium. Ceci est dû à l'affinité de ces métaux pour les molécules organiques. Les sources naturelles qui sortent de ces niveaux contiennent ces métaux lourds. Mais ces sources sont rares (niveaux imperméables) et ont lessivé leurs conduits au cours des temps géologiques. Les métaux lourds "naturellement présents" ne sont pas un problème majeur d'environnement. Voici un exemple, indépendant des gaz de schiste, mais illustrant les risques inhérents à une exploitation mal contrôlée de ressources minières. L'exploitation d'une mine de zinc dans le bassin de Decazeville a laissé d'immenses terrils particulièrement enrichis en métaux lourds. Les eaux de lessivage de ces terrils, enrichies en cadmium, arrivent au final dans la Gironde dont les huîtres sauvages sont désormais interdites à la récolte car elles ont la teneur en cadmium la plus élevée de tout le littoral atlantique français (50 à 100 µg par gramme de chair sèche, données du Réseau national d'observation de la qualité du milieu marin). Revenons aux gaz de schiste. Les milliers de m3 d'eau de forage et de fracturation de chacun des dizaines et dizaines de forages risquent de contenir des métaux lourds. Des analyses en continu seront nécessaires. En cas de teneur significative, leur dépollution sera très coûteuse. Notons que si les niveaux cibles peuvent contenir des métaux lourds, ce n'est pas une certitude géologique. Il faudra des études au cas par cas. Ainsi, le Toarcien de l'Ardèche ne contient que 3 à 6 ppm (µg/g ou g/t) d'uranium (Laval et Dromart, 1990, Note DAM/DEX 1756, B.R.G.M), teneur dépassée par beaucoup de leucogranites.

En fin de forage et de fracturation, des milliers de m3 d'eau polluée (par les additifs et éventuellement les métaux lourds) présents dans le puits et les bassins de décantation devront être traités et dépollués. Si le traitement est insuffisant pour éliminer additifs et métaux lourds (ou si il y a des fuites, des accidents…), cela risque de créer des pollutions.

Les perturbations/pollutions potentielles des aquifères profonds

Le principe même de la fracturation hydraulique est d'injecter de l'eau sous très haute pression, pression très largement supérieure à la pression lithostatique. La surpression fournie par le compresseur devra être très supérieure à 5.107 Pa dans le cas d'un forage de 3000 m. À 1000 m de profondeur, dans le tube de forage, la pression interne sera supérieure à 6.107 Pa (la pression communiquée par le compresseur –supposé en surface- augmentée de la pression des 1000 m d'eau de forage), alors que la pression lithostatique ne sera que de 2,5.107 Pa à l'extérieur du tube. Un formidable écart de pression de 3,5.107 Pa ! Cette surpression est normalement accommodée par le tubage multiple et la cimentation du puits. Cependant, à la moindre fuite dans le tubage du puits entre le compresseur et la couche imperméable cible, de l'eau et ses additifs se dispersera irréversiblement dans les roches environnantes, avec tous les risques de pollutions des nappes phréatiques profondes que cela comporte. La chute de pression anormale liée à une fuite entraînerait un arrêt rapide de l'injection, ce qui limiterait le volume d'eau "perdue", limitant, sans l'empêcher, la pollution.

La fracturation hydraulique est une technique lourde. La direction de propagation des fractures est influencée par le champ de contraintes local, par les anisotropies de la roche (plans de stratification, fractures pré-existantes…). Maîtriser la direction et la longueur des fractures sera très difficile, même si l'on peut suivre depuis la surface cette propagation grâce à des écoutes de microsismique. Qu'il y ait une fracture qui sorte du niveau cible imperméable, ou rejoigne inopinément une faille ou zone de fracture pré-existantes (perméables) qui avait échappé à la vigilance des géologues, et d'énormes quantités d'eau polluée par les additifs se disperseront irréversiblement dans les roches environnantes, avec tous les risques de pollutions des nappes phréatiques profondes que cela comporte. Du gaz pourra aussi s'échapper et rejoindre roches et nappes phréatiques voisines.

Risques potentiels et accidents réels

La perturbation des écosystèmes et le "mitage" des paysages sont intrinsèques à l'exploitation d'une ressource diffuse, comme c'est le cas des gaz de schiste. Ces dégradations sont donc inévitables, même si la situation française éventuelle serait bien moins mauvaise que la situation américaine, du fait de législations française et européenne plus contraignantes pour limiter les impacts environnementaux.

Les autres risques, notamment les risques de pollution, sont théoriquement évitables si toutes les précautions sont prises et respectées à 100%, si la technique de la fracturation hydraulique est parfaitement maîtrisée... Si ces risques sont évitables en théorie, le passé montre qu'ils ne sont pas virtuels et n'ont pas toujours été évités. Le web abonde d'exemples (beaucoup aux USA), allant de pollutions de nappes phréatiques à des fuites de gaz vers les nappes phréatiques qui font que, parfois, l'eau du robinet s'enflamme chez des particuliers… Les compagnies qui souhaitent opérer en France disent que les USA n'ont pas toujours été un bon exemple, qu'ils ont essuyé les plâtres, que les contraintes environnementales y sont moins strictes qu'en France, qu'elles (les compagnies) tireront leçon des difficultés rencontrées aux USA… Vu le nombre très élevé de forages nécessaires (60 000 à ce jour aux USA), des accidents d'abord industriels, devenant rapidement écologiques, paraissent « statistiquement » inévitables, et ce, sans prendre en compte les insuffisances (on ne peut pas tout prévoir) et/ou les éventuelles libertés prises avec les réglementations ayant engendré des pollutions importantes. Le passé récent nous a montré ce qui pouvait arriver quand des grandes compagnies pétrolières et/ou leurs sous-traitants, pour faire des économies, ne respectaient pas les précautions d'usage et/ou les règlements en vigueur (par exemple, une plate-forme qui explose dans le golfe du Mexique en 2010, un pétrolier qui se brise au large de la Bretagne en 1999…). Non-respect des réglementations heureusement sanctionnées... mais pollutions malheureusement bien réelles.

Non-respect des réglementations heureusement sanctionnées... mais pollutions malheureusement bien réelles.

Conclusion...

Que conclure de tout cela ? En résumant et simplifiant, on voit que, comme pour toute activité industrielle, les aspects "positifs" des gaz se schiste sont principalement de nature économique et politique, et que les aspects "négatifs" sont principalement de nature écologique et sociétale. Les enjeux économiques et politiques sont considérables. les préoccupations écologiques et environnementales sont justifiées. Des missions d'information sont en cours, des débats commencent et continueront certainement d'avoir lieu à l'avenir. À chacun d'entre nous d'y prendre part de manière active et constructive. C'est à chaque citoyen, en effet, une fois correctement informé, de donner son avis, en pondérant avantages et inconvénients, en essayant de garder une vision à long terme et de défendre l'intérêt général.

Un livre sur le sujet développant les arguments "pour" et "contre" (ajout novembre 2013). 

J.-L. Fellous, C. Gauthier, 2013. Les gaz de schiste. Nouvel eldorado ou impasse ?, Odile Jacob Éd., 256 p.