Image de la semaine | 14/10/2024
Utilisation et commerce de roches et autres matériaux dans un village palafittique du Néolithique terminal, lac de Paladru (Isère)
14/10/2024
Résumé
Lames, pointes, haches… de silex et autres roches, matériaux organiques en bon état de conservation, à voir au Musée archéologique du lac de Paladru.
Le lac de Paladru, au Nord de l'Isère, est un ancien lac glaciaire connu pour ses sites archéologiques immergés. Ces sites ont été découverts à la fin du XIXe début du XXe siècle et les fouilles scientifiques ont été principalement menées à partir de 1972. Deux principaux sites ont livré des restes extraordinaires d'anciens villages établis sur des rives aménagées du lac. Bâtis sur des pieux consolidant / réhaussant les berges, ces villages péri-lacustres sont appelés “palafittiques”. Ces villages ont été construits pendant des périodes de basses eaux, et abandonnés quelques décennies plus tard à cause de la remontée des eaux du lac. Il y a eu deux périodes d'occupation de ces villages : le site des Baigneurs a été occupé au Néolithique terminal, entre 2 669 et 2 592 avant J.C., et le site de Colletière (quelques centaines de mètres au Nord-Est du premier, voir figures 28 et 29) a été occupé au Haut Moyen-Âge (entre 1006 et 1040 après J.C. ; en France, on est alors sous le règne de Robert II, fils d'Hugues Capet). La précision de ces datations peut étonner. Ces dates ont été obtenues par dendrochronologie (ce sera expliqué juste avant la figure 23). L'article de cette semaine sera quasi exclusivement consacré au village néolithique des Baigneurs, à la limite entre les champs disciplinaires de la géologie et de l'histoire. L'occupation du village néolithique a cessé juste avant le début de l'âge du bronze en Europe de l'Ouest.
Le Musée archéologique du lac de Paladru (MALP) expose de très nombreux objets, résultats de ces fouilles, résultats rapidement décrits sur le site d'Aimé Bocquet, par exemple à la page Les villages néolithiques de Charavines (Isère) – lac de Paladru. Le musée détaille aussi les techniques de fouilles sous-aquatiques, techniques également décrite dans le livret du même auteur, La fouille subaquatique à Chavarines. Ces objets sont en pierre, ou en terre cuite, ce qui est classique dans les sites néolithiques. Mais certains objets sont organiques (bois, fibres diverses, bois de cerf…). C'est leur séjour de plus 4 500 ans dans les eaux du lac qui a permis leur exceptionnelle conservation. Ces objets, en particulier quand on les regarde avec un œil de géologue, montrent que des matériaux locaux étaient abondamment utilisés (bois, fibres végétales, roches “locales”…) ce qui est, somme toute, normal. Mais ils montrent aussi que des circuits commerciaux de roches “rares” existaient déjà, et que des silex, des éclogites (et roches associées) et autres roches d'origine lointaine voyageaient sur des centaines de kilomètres. Des tels transports à longue distance ne sont pas apparus au Néolithique terminal ; ils existaient déjà à la fin du Paléolithique (voir, par exemple, la figure 22 de Accumulation de dentales, Priabonien de Barmerousse, Passy, Haute Savoie).
Nous vous montrons ici 27 photographies d'objets ou de panneaux prises dans le MALP. Vingt-et-une photographies ont été prises pendant une visite du musée en septembre 2024, sans flash, sans pied et au travers de vitres, ce qui explique leur netteté parfois limite. Six autres sont extraites du site Hominidés.com.
Source - © 2024 D'après Kroko / Hominidés.com |
Le MALP expose de nombreuses lames de haches en “pierre polie”. Certaines de ces haches sont en éclogites et roches voisines. Les éclogites et autres roches de haute pression / basse température ont deux caractéristiques intéressantes pour un habitant du Néolithique. Ce sont les plus denses des roches usuelles ; au bout d'un long manche, elles ont une “force de frappe” qui ne sera dépassée que par des haches en métal (bronze puis fer), métaux inconnus en Europe à cette époque. Et, parmi les roches usuelles, ce sont les roches les plus difficiles à casser, à débiter en petits éclats… Le MALP donne le nom de ces roches (éclogite, omphacitite…) mais n'en précise pas l'origine. Mais l'examen macroscopique de ces roches ainsi que leur association suggère fortement qu'elles proviennent de la région du Mont Viso, près de la frontière franco-italienne, côté plaine du Pô. Et pour aller du Viso au lac de Paladru, il y a 150 km et plusieurs hauts cols à franchir. Il fallait que les Néolithiques du Nord-Isère aiment les haches lourdes et incassables pour faire venir ainsi des roches du Viso.
Source - © 2024 D'après Kroko / Hominidés.com | |
Tous les objets exposés au MALP et provenant du sol et du sous-sol ne sont pas d'origine lointaine. Il y a des poteries et des céramiques obtenues à partir d'argiles ; et il y a beaucoup d'argiles dans le secteur du lac de Paladru. Il y a aussi des objets en granite. Et, s'il n'y a pas de granite dans le secteur du lac de Paladru, les massifs cristallins externes des Alpes et le socle du Massif central ne sont qu'à une cinquantaine de kilomètres. Et, surtout, le lac de Paladru est entouré de moraines contenant des galets et des blocs erratiques (cf. Les blocs erratiques de Monthey (Canton du Valais, Suisse) et d'autres lieux) de toutes tailles. Et ces éléments glaciaires contiennent tous les types de roches qu'on trouve dans les Alpes, dont des granites. On peut tenir le même raisonnement pour les calcaires : la Chartreuse n'est pas loin et il y a des éléments calcaires dans les sédiments glaciaires.
Source - © 2024 D'après Kroko / Hominidés.com |
Source - © 2024 D'après Kroko / Hominidés.com | |
Source - © 2024 D'après Kroko / Hominidés.com | Source - © 2024 D'après Kroko / Hominidés.com |
Le bois et les tissus végétaux peuvent se conserver des millénaires dans des milieux saturés en eau, comme peuvent l'être des vases lacustres, surtout si ces milieux sont pauvres en dioxygène. Mais une fois sortis de l'eau, bois et autres tissus végétaux sèchent, se rétractent, se dégradent… Des objets en bois peuvent alors rapidement “se désintégrer”. Si on veut conserver de tels objets archéologiques sortis de l'eau, il faut leur faire subir tout un traitement. ARC-Nucléart est un atelier de conservation-restauration et un laboratoire de recherche implanté sur le site du CEA, à Grenoble. Il est dédié à la conservation et à la restauration des œuvres et éléments en matériaux organiques. ARC-Nucléart a très largement participé à la conservation des objets “organiques” extraits des fouilles du lac de Paladru.
Un panneau affiché dans le MALP explique les principales techniques utilisées pour le traitement des bois gorgés d'eau.
Tous les objets en bois retrouvés sur le site des Baigneurs, au moins les plus gros d'entre eux comme les pieux, des poutres…, ont été datés par dendrochronologie. Aux latitudes hautes et moyennes, les arbres croissent en épaisseur et font du bois au printemps ; cette croissance se ralentit en été, cesse en automne et en hiver, et reprend au printemps suivant. Ainsi naissent les fameux cernes qu'on voit dans les troncs d'arbre et qui permettent de connaitre l'âge de l'arbre lors de sa coupe. Si les saisons sont “inégales” d'une année à l'autre (printemps chaud puis été frais, ou printemps pourris puis été torride…), les cernes seront inégaux. La suite des cernes inégaux reflète donc la suite des saisons et leurs variations interannuelles et dessinent donc comme un code-barre. Ainsi, le code-barre du XXe siècle est différent de celui du XIXe, et ainsi de suite. Avec les arbres pluricentenaires, les pièces de bois des monuments (charpentes d'églises par exemple), les bois “fossiles” qu'on trouve dans les tourbières…, on a ainsi une série de codes-barres. Si la partie la plus ancienne du code-barre d'un arbre vivant coïncide avec le code-barre de la partie la plus jeune d'un bois ancien, on connait ainsi l'âge de la partie la plus jeune du bois ancien et, en comptant les cernes, on arrive ainsi à l'âge de la partie la plus vieille du bois ancien. On renouvelle l'opération sur des bois de plus en plus vieux, et on peut ainsi obtenir un code-barre correspondant à de nombreuses générations d'arbres. Dans les Alpes, on a ainsi reconstitué le code-barre des 7 000 dernières années, sans hiatus. Chaque “barre” (chaque cerne) a donc un âge connu à l'année près. Si, donc, on a un morceau de bois (un pieu du site des Baigneurs par exemple) suffisamment “épais” pour contenir un nombre suffisant de cernes, on a donc un fragment de code-barre assez long pour qu'on puisse le situer sur les 7 000 ans reconstitués pour les Alpes. C'est ainsi qu'on a pu dater les pieux et les objets en bois de grande taille trouvés sur le site des Baigneurs.