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Image de la semaine | 12/02/2024

Promenade géologique dans la vallée de l’Agly (Pyrénées-Orientales) – 4/ L’aqueduc “romain” d’Ansignan et ses concrétions calcaires, comparaison avec le Pont du Gard

12/02/2024

Pierre Thomas

Laboratoire de Géologie de Lyon / ENS de Lyon

Olivier Dequincey

ENS de Lyon / DGESCO

Résumé

Aqueducs “romains” et concrétions calcaires en pays granito-gneissique.


Vue aérienne de l’aqueduc “romain” d’Ansignan, Pyrénées-Orientales

Figure 1. Vue aérienne de l’aqueduc “romain” d’Ansignan, Pyrénées-Orientales

Cet aqueduc est le seul aqueduc français ancien (datant de l’époque romaine et fortement remanié jusqu’au Moyen-Âge) encore fonctionnel de nos jours, avec de l’eau qui coule encore dans le canal supérieur et qui est utilisée par les agriculteurs locaux pour irriguer leurs parcelles. Cet aqueduc permet au canal de traverser l’Agly de la rive gauche (à droite) à la rive droite.

Localisation par fichier kmz de l’aqueduc romain d’Ansignan (Pyrénées-Orientales).



Après les écailles tectoniques et le synclinal de Saint-Paul-de-Fenouillet, on peut admirer/étudier une autre curiosité dans la vallée de l’Agly, curiosité à la fois historique et géologique, l’aqueduc d’Ansignan, connu sous le nom d’« aqueduc romain », même si son état actuel date plus du Moyen-Âge que de l’époque romaine. Cet aqueduc est l’occasion de voir de beaux dépôts de calcaire, dépôts “récents”, postérieurs au Moyen-Âge.


Détails du panneau de la figure précédente, aqueduc d’Ansignan (Pyrénées-Orientales)

Figure 4. Détails du panneau de la figure précédente, aqueduc d’Ansignan (Pyrénées-Orientales)

En haut, un schéma-coupe de l’aqueduc. Noter le couloir pour piétons et petits chariot au-dessus des quatre grandes arches enjambant le lit majeur de l’Agly. Les chiffres rouges localisent les figures de cet article par leur numéro. En bas, l’histoire résumée de l’aqueduc.


L’eau qui coule au sommet de l’aqueduc est captée dans l’Agly (voir figure 17) à 1 km en amont de l’aqueduc. L’aqueduc est situé en plein dans le massif granitique et gneissique hercynien de l’Agly, mais tout son bassin versant amont est en pays calcaire (cf. Promenade géologique dans la vallée de l'Agly, Pyrénées-Orientales – 3/ Gorge et clue bordant le synclinal de Saint-Paul-de-Fenouillet, plus bas, les figures 18 à 21). Son eau est très chargée en calcaire (Ca2+ et HCO3). L’étanchéité du canal sommital n’est pas parfaite, et des fuites légères existent ici ou là à travers le fond et les parois latérales du canal. Là où cette eau calcaire suinte à l’extérieur de l’aqueduc (parois du canal ou plafond des voutes), il y a évaporation partielle et surtout perte de CO2, avec dépôt de calcaire (Ca2+ + 2 HCO3 →CaCO3 + CO2 + H2O). Nous allons “visiter” cet aqueduc, de sa partie aval (au Sud-Ouest) à sa partie amont (au Nord-Est), en regardant à la fois l’architecture ancienne et les dépôts de calcaire. Puis nous changerons de secteur et irons voir le plus célèbre aqueduc de France, le Pont du Gard, mais avec un œil surtout attiré par les dépôts calcaires (travertin).



Vue sur la partie aval (Sud-Ouest) de l’aqueduc d’Ansignan (Pyrénées-Orientales) et sur ses deux arches sur la rive gauche du lit majeur de l’Agly

Figure 7. Vue sur la partie aval (Sud-Ouest) de l’aqueduc d’Ansignan (Pyrénées-Orientales) et sur ses deux arches sur la rive gauche du lit majeur de l’Agly

On reconnait sous l’arche de droite les concrétions des figures 5 et 6. À gauche, on voit l’entrée du couloir pour les piétons et les chariots, situé entre les grandes arches enjambant le lit majeur de l’Agly et le canal par où coule l’eau.


Vue sur l’intérieur du couloir interne à l’aqueduc d’Ansignan (Pyrénées-Orientales) dans sa partie qui enjambe le lit majeur de l’Agly

Figure 8. Vue sur l’intérieur du couloir interne à l’aqueduc d’Ansignan (Pyrénées-Orientales) dans sa partie qui enjambe le lit majeur de l’Agly

Des fenêtres éclairent ce couloir. Ce couloir mesure 57 m de long. On ne voit pas de gros dépôts de calcaire au plafond, mais de légers placages ici ou là.


Vue depuis la rive gauche de la partie de l’aqueduc d’Ansignan (Pyrénées-Orientales) enjambant le lit majeur de l’Agly

Figure 9. Vue depuis la rive gauche de la partie de l’aqueduc d’Ansignan (Pyrénées-Orientales) enjambant le lit majeur de l’Agly

On remarque les fenêtres éclairant le couloir, à mi-hauteur entre les voutes et le canal sommital. Un alignement de végétaux poussent à la limite entre le mur bordant le canal et son soubassement (les murs et la voute du couloir). Ces végétaux doivent profiter de micro-fuites. Des “coulures” de calcaires partant de cette limite sont visibles, surtout dans la partie gauche (aval) de l’aqueduc.



Vue sur l’ensemble de l’aqueduc d’Ansignan (Pyrénées-Orientales) depuis l’amont (le Nord-Est), sur la rive gauche de l’Agly

Figure 16. Vue sur l’ensemble de l’aqueduc d’Ansignan (Pyrénées-Orientales) depuis l’amont (le Nord-Est), sur la rive gauche de l’Agly

Au premier plan, les installations contenant les vannes permettant de répartir l’eau entre l’aqueduc menant à la rive droite et une prolongation du canal continuant sur la rive gauche.


Extrait de la carte topographique centré sur l’aqueduc d’Ansignan (Pyrénées-Orientales)

Figure 17. Extrait de la carte topographique centré sur l’aqueduc d’Ansignan (Pyrénées-Orientales)

La flèche rouge (en haut) localise la prise d’eau sur le cours de l’Agly. On voit bien le canal entre cette prise d’eau et l’aqueduc. Au niveau de l’aqueduc, l’eau peut être répartie entre ce qui continue par l’aqueduc en traversant la vallée ou ce qui continue sur la même rive par une prolongation du canal (en pointillé sur la carte).


Six kilomètres en amont de l’aqueduc d’Ansignan, l’Agly quitte les calcaires pour rentrer dans le socle paléozoïque du Massif de l’Agly. Elle est en partie alimentée pour des sources karstiques aux eaux saturées voire sursaturée en Ca2+ et HCO3. C’est ce calcaire “amont” qui est responsable des dépôts calcaires de l’aqueduc. Mais avant d’arriver dans le socle, l’Agly traverse deux gorges (cf. Promenade géologique dans la vallée de l’Agly, Pyrénées-Orientales – 3/ Gorge et clue bordant le synclinal de Saint-Paul-de-Fenouillet). Selon la morphologie du fond de la rivière, les eaux de l’Agly érodent le fond, ou au contraire déposent des travertins. Pour le plaisir, nous vous montrons une source karstique déposant du travertin, et trois photographies dans les gorges de Galamus où l’on voit des dépôts de travertins tapissant le font de la rivière. Pour voir d’autres sources karstiques et dépôts de travertins dans des rivières, on se reportera, par exemple, à Cascades de tuf (travertin) dans le massif du Jura ou Les barrages de travertin, les gours (lacs) en escaliers et les coulées (escaliers) de "tuf" des ruisseaux du Jura.

Avec cette figure 21 s’arrête cette série de six semaines consacrées à la vallée de l’Agly et ses environs immédiats. Dans un cercle de 8 km de rayon, nous avons vu un granite à grenat et pyroxène, des brèches constituants de lames tectoniques, des scapolites, des manifestations tectoniques du décrochement pyrénéen, des gorges et des clues, et un aqueduc romain avec des pétrifications calcaires.

Localisation des affleurements de ces dernières semaines, tous dans un rayon de 8 km (cercle blanc) autour de la vallée de l’Agly (Pyrénées-Orientales)

Figure 22. Localisation des affleurements de ces dernières semaines, tous dans un rayon de 8 km (cercle blanc) autour de la vallée de l’Agly (Pyrénées-Orientales)

La punaise 1 (jaune) localise les charnockites, les punaises 2 (rouges) les brèches et lames tectoniques, la punaise 3 (vert clair) les scapolites de Sournia, les punaises 4 (orange clair) les affleurements près de Trévillach, les punaises 5 (orange foncé) les gorges de Galamus et la clue de la Fou, et la punaise 6 (vert foncé) l’aqueduc d’Ansignan et ses dépôts de travertin.

Six affleurements remarquables à bien des égards dans une bien petite surface. Et si vous allez sur la carte interactive, vous verrez qu’il y a plein d’autres affleurements à peine plus loin (plis, failles, mines de cuivre, chevauchements, fossiles, stratifications entrecroisées…). Si vous cherchez des “petites régions” pour des excursions géologiques riches et variées…


Terminons cette semaine consacrée à un aqueduc romain par le plus célèbre aqueduc romain de France : le Pont du Gard. Cet aqueduc, contrairement par exemple aux aqueducs antiques du Sud-Ouest de Lyon, conduit des eaux très calcaires qui proviennent d’une source près d’Uzès, puis continuent en direction de Nîmes. Cet aqueduc a “fonctionné” du Ier au VIe siècle. Et pendant ses 500 ans de fonctionnement, largement plus de 10 cm de calcaire ont été déposés sur les parois du canal au niveau du pont comme dans certaines parties du canal en aval. Quand vous irez au Pont du Gard, à côté de l’architecture romaine, pensez aussi à regarder les précipitation des carbonates.

Vue globale du Pont du Gard (Gard)

Figure 23. Vue globale du Pont du Gard (Gard)

Le pont mesure 275 m de long dans son état actuel (il mesurait 80 m de plus à l’époque romaine) et domine le Gard de 48 m. L’extrémité amont (au Nord-Ouest) a été aménagée au XIXe siècle (destruction des parties trop en ruine, aménagement d’un escalier à l’intérieur de la dernière pile…) pour permettre aux touristes de l’époque de visiter l’ancien canal. De nos jours, on peut encore accéder aux extrémités de ce canal dans le cadre de visites guidées (et payantes).

Localisation par fichier kmz du Pont du Gard (Gard).


Vue sur l’extrémité amont (Nord-Ouest) du Pont du Gard (Gard)

Figure 24. Vue sur l’extrémité amont (Nord-Ouest) du Pont du Gard (Gard)

Son état actuel est le résultat de restaurations au XIXe siècle. On voit bien le canal par où coulait l’eau. Ce canal était initialement entièrement recouvert de dalles qui ont été enlevées au niveau des deux extrémités. Sur la paroi droite du canal, on voit un “liseré” blanc : un reste des dépôts calcaires déposés entre les Ier et VIe siècle.


Vue du canal sommital du Pont du Gard (Gard), là où les dalles de calcaire le recouvrant ont été enlevées

Figure 25. Vue du canal sommital du Pont du Gard (Gard), là où les dalles de calcaire le recouvrant ont été enlevées

Des planches ont été installées là où peuvent aller les touristes, et les couches de calcaire tapissant les parois et rétrécissant le passage ont été enlevées. Là où le canal reste recouvert des dalles d’origine, on voit très bien les couches de calcaire verticales (appelées concrétions ou tartre par les guides), couches qui réduisent d’au moins de 50 % la largeur du canal.


Vue sur l’intérieur du canal du Pont du Gard (Gard), là où il est encore couvert par ses dalles

Figure 26. Vue sur l’intérieur du canal du Pont du Gard (Gard), là où il est encore couvert par ses dalles

Les épais dépôts calcaires sur les parois sont parfaitement visibles.