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Image de la semaine | 04/01/2016

Les barrages de travertin, les gours (lacs) en escaliers et les coulées (escaliers) de "tuf" des ruisseaux du Jura

04/01/2016

Pierre Thomas

Laboratoire de Géologie de Lyon / ENS de Lyon

Olivier Dequincey

ENS de Lyon / DGESCO

Résumé

Dépôts carbonatés formant barrages et retenues le long d'un cours d'eau, ou bien des "coulées" de travertin.



Depuis trois semaines, nous visitons certaines des reculées du Jura. Au fond de ces reculées coulent des ruisseaux issus de rivières souterraines karstiques, qui ont souvent une eau saturée ou du moins très riche en ions Ca+ et HCO3-. La concentration en ces deux ions va entraîner une abondante précipitation de CaCO3 le long des ruisseaux sur plusieurs kilomètres de long après leur(s) source(s). La morphologie de ces dépôts carbonatés dépendra énormément de l'énergie du ruisseau, donc de la pente locale, de la vitesse du courant, de son caractère continu ou discontinu avec remous, rapides, cascades… La semaine dernière, nous avons vu des stromatolithes en boule croissant dans les sections du ruisseau présentant une faible pente et donc un courant à faible vitesse, sans rapides ni petites cascades (cf. Stromatolithes vivant dans des ruisseaux du massif du Jura). Cette semaine, nous visiterons des parties du ruisseau avec une pente plus forte, donc une série de rapides, de petites cascades… Mais au lieu d'être disposés de façon aléatoire comme dans la majorité des ruisseaux, ces rapides et cascades sont localisés sur des "barrages" naturels constitués de dépôts carbonatés (travertins). Ces barrages de quelques centimètres à décimètres de hauteur retiennent derrière eux des petits "lacs", souvent nommés "gours". Ces barrages peuvent se succéder tous les quelques mètres et donnent au ruisseau une morphologie caractéristique "en escaliers", où se succèdent lacs et barrages. Une fois constitués, ces barrages ne peuvent que croître en hauteur et en épaisseur. En effet, ils sont constitués par la précipitation des carbonates selon l'équation Ca2+ + 2 HCO3- → CaCO3 + H2O + CO2. Sur la crête et le flanc aval du "mur" de travertin, l'eau coule plus vite qu'ailleurs du fait de la faible épaisseur de la tranche d'eau. Le dégazage physique y est plus important qu'ailleurs, la précipitation plus intense et le barrage va croître en hauteur et en épaisseur. Ce phénomène a lieu aussi bien le long des rivières souterraines qu'aériennes, et ces morphologies sont fréquentes dans les grottes. Mais quand il s'agit de ruisseaux à l'air libre, unicellulaires photosynthétiques, hépatiques, mousses… qui croissent sur le barrage favorisent aussi l'absorption de CO2, et donc la précipitation de carbonate et la croissance du barrage. Dans ces cas où la photosynthèse joue un rôle majeur, ces barrages ont la signification de stromatolithes.

Ce qui est parfois plus difficile à imaginer, c'est comment commencent et s'initient de tels barrages qui barrent le ruisseau sur toute sa largeur. L'irrégularité initiale qui fait croître préférentiellement le CaCO3 peut parfois être une irrégularité topographique due par exemple à la stratification, une accumulation locale de branches et débris, des blocs et galets que le hasard a plus ou moins alignés, des variations de vitesse ou des tourbillons dus à la dynamique de l'eau le long de son cours…

Souvent, quand ces sites sont touristiques, le mot "tuf" est employé sur les panneaux, les guides…, en lieu et place du terme géologique "travertin". Le même mot de "tuf" est aussi utilisé quand ces dépôts carbonatés sont utilisés pour faire des murs, des constructions… Et les sites avec de grosses accumulations de tuf sont appelés tuffières (ou tufières). Mais comme le mot "tuf" (qui signifiait il y a quelques siècles "roche vacuolaire") est aussi employé à propos de roches volcaniques, le mot travertin, qui évite toute ambiguïté, est préférable au mot de tuf.

Ces barrages en escaliers le long de ruisseau sont très fréquents en France dans de nombreuses régions calcaires. Il en existe de plus grande taille et de plus impressionnants de par le monde. Citons la rivière Krka en Croatie, Agua Azul au Mexique et les plus beaux, les plus grands mais les moins accessibles (en 2015), les lacs de Band-i-Amir en Afghanistan.

À défaut d'un voyage en Afghanistan, nous vous montrons cette semaine des images plus ou moins détaillées de ces escaliers de travertin, 10 prises sur le cours de la Cuisance dans la Reculée des Planches, 12 sur le cours du Dard, dans la reculée de Baume-les-Messieurs, deux reculées du Jura (cf. Les reculées du Jura). J'ai choisi de ne montrer que des photographies prises en pleine forêt, ce qui donne un caractère à la fois sauvage et bucolique à ces ruisseaux. Le caractère un peu magique de ces cours d'eau peut encore être renforcé par la teinte bleutée de l'eau quand la profondeur est suffisante et l'éclairage adéquat, couleur bleutée due à la diffusion de la lumière sur les microparticules de CaCO3 en suspension (cf. Eaux bleues d'origine karstique ).

Barrages de travertin et gours sur le cours supérieur de la Cuisance, Reculée des Planches (Jura)

Figure 2. Barrages de travertin et gours sur le cours supérieur de la Cuisance, Reculée des Planches (Jura)

On est à quelques centaines de mètres en aval de la "petite source" de la Cuisance.




Barrages gours amont, Reculée des Planches (Jura)

Figure 7. Barrages gours amont, Reculée des Planches (Jura)

Quelques parties de ces barrages sont suffisamment "émergées" pour permettre à des mousses de prospérer. De plus, ces photos ont été prise à un endroit où la largeur et l'orientation du ruisseau favorisent un bon éclairage. Ce fort éclairage permet de parfaitement distinguer une teinte verte sur le travertin même quand il n'y a pas de mousses. Cela montre que des micro-organismes chlorophylliens croissent sur le travertin. Tous ces organismes photosynthétiques (mousses et micro-organismes) participent à la croissance du barrage.


Barrages et gours amont, Reculée des Planches (Jura)

Figure 8. Barrages et gours amont, Reculée des Planches (Jura)

Le "coin" moussu du centre de l'image correspond au bord gauche de l'image précédente.


Zoom sur barrages et gours amont, Reculée des Planches (Jura)

Figure 9. Zoom sur barrages et gours amont, Reculée des Planches (Jura)

Le "coin moussu" de la figure précédente se retrouve ici à gauche de l'image.


Zoom sur le barrage de travertin central de la figure précédente, Reculée des Planches (Jura)

Figure 10. Zoom sur le barrage de travertin central de la figure précédente, Reculée des Planches (Jura)

Quelques parties de ces barrages sont suffisamment "émergées" pour permettre à des mousses de prospérer. De plus, ces photos ont été prise à un endroit où la largeur et l'orientation du ruisseau favorisent un bon éclairage. Ce fort éclairage permet de parfaitement distinguer une teinte verte sur le travertin même quand il n'y a pas de mousses. Cela montre que des micro-organismes chlorophylliens croissent sur le travertin. Tous ces organismes photosynthétiques (mousses et micro-organismes) participent à la croissance du barrage.


Barrages de travertin émergeant franchement pendant les périodes de basses eaux et se couverts d'herbes, cours amont du Dard, Reculée de Baume-les-Messieurs (Jura)

Figure 13. Barrages de travertin émergeant franchement pendant les périodes de basses eaux et se couverts d'herbes, cours amont du Dard, Reculée de Baume-les-Messieurs (Jura)

Si ces barrages sont imperméables et si on est en période de très faible pluviométrie, des gours peuvent temporairement s'assécher.



Arbre poussant sur un barrage de travertin, cours amont du Dard, reculée de Baume-les-Messieurs

Figure 15. Arbre poussant sur un barrage de travertin, cours amont du Dard, reculée de Baume-les-Messieurs

L'arbre pousse-t-il sur un barrage de travertin préexistant, ou bien est-ce un travertin de "nouvelle génération" se développant aux dépens d'une forêt préexistante suite à un changement de cours du Dard ?

Quelle que soit l'origine de ce dispositif (la deuxième est plus probable), on peut admirer des boules stromatolithiques (cf. Stromatolithes vivant dans des ruisseaux du massif du Jura) à travers l'eau bleutée.


Zone de transition sur le Dard, entre une portion à pente moyenne (à gauche) et une portion à pente plus forte (à droite), aval de la Cascade du Dard, Reculée de Baume-les-Messieurs (Jura)

Figure 16. Zone de transition sur le Dard, entre une portion à pente moyenne (à gauche) et une portion à pente plus forte (à droite), aval de la Cascade du Dard, Reculée de Baume-les-Messieurs (Jura)

La portion de ruisseau à pente moyenne (à gauche) montre des barrages d'une hauteur beaucoup plus faible que la largeur de la retenue (gour) située en amont. Dans la portion de ruisseau à pente plus forte (à gauche), la hauteur des barrages est du même ordre de grandeur que la largeur des gours situés en amont.

La position de certains arbres sortant du travertin pose la même question que précédemment (qui de l'arbre ou du barrage était présent en premier ?).


Vue de l'amont sur cette zone de transition sur le Dard, entre une portion à pente moyenne et une portion à pente plus forte, aval de la Cascade du Dard

Figure 17. Vue de l'amont sur cette zone de transition sur le Dard, entre une portion à pente moyenne et une portion à pente plus forte, aval de la Cascade du Dard

La portion de ruisseau à pente moyenne (à gauche) montre des barrages d'une hauteur beaucoup plus faible que la largeur de la retenue (gour) située en amont. Dans la portion de ruisseau à pente plus forte (à gauche), la hauteur des barrages est du même ordre de grandeur que la largeur des gours situés en amont.

La position de certains arbres sortant du travertin pose la même question que précédemment (qui de l'arbre ou du barrage était présent en premier ?).


Vue de l'aval sur cette zone de transition sur le Dard, entre une portion à pente moyenne et une portion à pente plus forte, aval de la Cascade du Dard

Figure 18. Vue de l'aval sur cette zone de transition sur le Dard, entre une portion à pente moyenne et une portion à pente plus forte, aval de la Cascade du Dard

La portion de ruisseau à pente moyenne (à gauche) montre des barrages d'une hauteur beaucoup plus faible que la largeur de la retenue (gour) située en amont. Dans la portion de ruisseau à pente plus forte (à gauche), la hauteur des barrages est du même ordre de grandeur que la largeur des gours situés en amont.

La position de certains arbres sortant du travertin pose la même question que précédemment (qui de l'arbre ou du barrage était présent en premier ?).


Zoom sur le pied de l'arbre central de la figure précédente, sur un barrage de travertin, aval de la Cascade du Dard (Jura)

Figure 19. Zoom sur le pied de l'arbre central de la figure précédente, sur un barrage de travertin, aval de la Cascade du Dard (Jura)

L'arbre pousse-t-il sur un barrage de travertin préexistant, ou bien (plus probablement) est-ce un travertin de "nouvelle génération" se développant aux dépens d'une forêt préexistante suite à un changement de cours du Dard ?


Vue de face d'un secteur du Dard où la hauteur des barrages est du même ordre de grandeur que la largeur du gour situé en amont, aval de la Cascade du Dard (Jura)

Vue de côté d'un secteur du Dard où la hauteur des barrages est du même ordre de grandeur que la largeur du gour situé en amont, aval de la Cascade du Dard (Jura)

Une autre "coulée de travertin" déposée par un bras du Dard, aval de la Cascade du Dard (Jura)

Figure 22. Une autre "coulée de travertin" déposée par un bras du Dard, aval de la Cascade du Dard (Jura)

Au centre de la photo, on voit que la hauteur du "barrage" devient si importante qu'on a affaire à une véritable cascade. Ces cascades et leurs dépôts de travertin feront l'objet de la prochaine "image de la semaine".