Article | 12/03/2015
Chlorite, talc et serpentine dans une brèche de faille : une illustration des circulations de fluides associées à la tectonique cassante
12/03/2015
Résumé
Circulations de fluides dans des failles liées à la tectonique pyrénéenne et métasomatisme associé affectant des formations crustales. Brève comparaison au gisement de talc de Luzenac-Trimouns (Pyrénées ariégeoises) et proximité de péridotites serpentinisées.
Table des matières
- Description de l'affleurement de la route des Albas (Felluns)
- Structure des phyllosilicates magnésiens
- Comment expliquer la formation de phyllosilicates magnésiens dans une brèche de faille ?
- Effet des phyllosilicates dans les zones de faille
- Le métasomatisme, un processus à l'origine de certains gisements de substances utiles
- Bibliographie
Mots – clés : faille, brèche tectonique, cataclasite, talc, chlorite, serpentine, phyllosilicate, fluide, métasomatisme
Les failles, marqueurs de la tectonique cassante, créent, par la fracturation du milieu, des zones propices à la circulation de fluides. Une belle démonstration de ces circulations de fluides et de leurs effets peut s'observer sur la route des Albas, commune de Felluns (célèbre pour sa charnockite, cf. Mélange de deux magmas granitiques, les Albas, commune de Felluns (Pyrénées Orientales)) à Saint Paul de Fenouillet (Pyrénées Orientales) à proximité de la ville de Saint Arnac (connue pour sa carrière d'albitites).
Description de l'affleurement de la route des Albas (Felluns)
Figure 1. Localisation de l'affleurement étudié, sur la D7, route des Albas, Felluns En bas à droite, la carrière d'albitites de Saint Arnac est exploitée pour la fabrication du verni des faïences. Les albitites sont des roches issues du métasomatisme, c'est-à-dire de la circulation de fluides riches en sodium dans des granites (cf. "Albitite métasomatique" sur la Lithothèque de l'ENS Lyon, pour une explication de la formation des albitites). Ces fluides ont conduit au remplacement des minéraux du granite par de l'albite, NaAlSi3O8, pôle sodique des feldspaths plagioclases. | Figure 2. Localisation de l'affleurement avec superposition de la carte géologique de Rivesaltes au 1/50 000 À l'Ouest du secteur, la carte géologique de Saint Paul de Fenouillet n'est pas encore réalisée. L'ensemble se situe dans la partie Nord du Massif de l'Agly, au niveau de la bordure du granite de Saint Arnac. |
Figure 3. Zoom sur la zone de l'affleurement L'affleurement se situe sur une zone de faille en qui met en contact les terrains du Lias (Jurassique inférieur) notés l1-4 sur la carte géologique et les terrains pγ2 (granite porphyroïde de Saint Arnac) et τη2 (gabbros et diorites). |
Figure 4. Vue Google Street View de l'affleurement de la route de Felluns On remarque la zone verte centrale, zone chloriteuse, talqueuse (et serpentineuse ?) qui se détache des carbonates dolomitiques beiges et gris à droite et des roches silicatées basiques à gauche. | |
Figure 5. Vue oblique de la zone de l'affleurement Sur cette vue on voit que la barre dolomitique est sub-verticale. La punaise jaune montre l'affleurement principal (figure ci-dessus). La vue ci-dessous montre un deuxième affleurement de même nature mais moins beau, un peu plus à l'Est sur la même faille, au niveau de la D 619 (punaise verte). | Figure 6. Vue oblique de la zone de l'affleurement, avec carte géologique superposée Vue oblique et carte géologique avec la même projection montrant que la barre dolomitique est sub-verticale. La punaise jaune montre l'affleurement principal (figure 4). La figure 7 montre un 2eme affleurement de même nature mais moins beau, un peu plus à l'est sur la même faille, au niveau de la D 619 (punaise verte) |
Figure 7. Autre affleurement semblable le long de la même faille Cet autre affleurement de phyllosilicates magnésiens (chlorite, talc, serpentine…) se situe le long de la même faille, là où elle est recoupée par la D 619. Au premier plan, on voit la brèche dolomitique, puis la tache verdâtre de brèche de faille chloriteuse et talqueuse (et serpentineuse ?), et enfin les roches silicatées du granite de Saint Arnac. |
Figure 8. L'affleurement (serpentino-)talco-chloriteux de la route de Felluns La zone verte correspond à la zone de faille avec la brèche de faille chloriteuse et talqueuse (et serpentineuse). À droite les dolomies du Lias, à gauche, hors du champ de la photo, se trouvent les roches silicatées (granites, gabbros et diorites) paléozoïques. | Figure 9. Photographie interprétée de l'affleurement (serpentino-)talco-chloriteux de al route de Felluns La zone verte correspond à la zone de faille avec la brèche de faille chloriteuse, talqueuse (et serpentineuse). |
Figure 10. Détail de la brèche de faille talqueuse et chloriteuse (et serpentineuse) La zone est très cataclasée, c'est-à-dire très facturée par la tectonique cassante : la roche présente une structure très litée et s'effrite facilement, c'est une brèche tectonique (ou cataclasite) à ne pas confondre avec une brèche sédimentaire qui est un conglomérat à éléments figurés anguleux pris dans une matrice ou un ciment. Le contact est relativement progressif avec à l'Ouest (à gauche) la brèche chloriteuse, talqueuse (et serpentineuse), au centre de la photo, le front de métasomatisme et à l'Est (à droite) la brèche tectonique carbonatée. | Figure 11. Partie Est de l'affleurement de brèche de faille Cette partie est composée de dolomies plus ou moins bréchifiées, notés l1-4 sur la carte géologique. La bréchification s'intensifie en allant vers l'Ouest où est localisé le cœur de la zone de faille. |
Figure 16. Vue de détail de la brèche talqueuse, chloriteuse (et serpentineuse) En noir, vert et blanc on observe le mélange chlorite - talc - serpentine. | Figure 17. Mélange talc - chlorite (- serpentine ?) En noir, vert et blanc on observe le mélange chlorite - talc - serpentine. On voit la nature phylliteuse, c'est-à-dire en feuillets, de la brèche. On devine presque des stries qui marquent la direction de glissement sur le (mini-)plan de faille. |
Figure 18. Autre vue de détail de la cataclasite talqueuse, chloriteuse et serpentineuse On voit la nature phylliteuse, c'est-à-dire en feuillets, de la brèche tectonique (ou cataclasite). Par analogie avec les mylonites, roches très déformées et ayant perdu la structure de la roche initiale, on appelle parfois « phyllonites » ces roches très déformées en feuillets. |
Figure 19. Partie Ouest de la faille traversant la route des Albas Partie Ouest de la faille composée de roches silicatées basiques (gabbros et diorites) métasomatisées. | |
Figure 20. Détail des roches silicatées grenues métasomatisée La teinte verte peut s'expliquer par la formation de chlorite dans les roches. | Figure 21. Détail de la roche silicatée grenue métasomatisée La teinte verte peut s'expliquer par la formation de chlorite dans la roche. |
Le granite est un pluton granitique hercynien mis en place dans la couverture paléozoïque. Des datations du granite de Saint Arnac ou des roches en enclaves (diorites) ont donné les âges respectifs de 308,3±1,2 Ma et 303,6±4,7 Ma (Olivier et al.., 2008 [5]) soit des âges carbonifères.
La zone de faille qui met en contact les lentilles silicatées basiques (diorites et gabbros) qui sont incluses dans le granite de Saint Arnac, à l'Ouest, et des carbonates dolomitiques liasiques (Jurassique inférieur), à l'Est, présente au niveau de la brèche tectonique, dans le cœur de la faille, une couleur verte visible depuis la route. Les roches carbonatées dolomitiques sont datées de l'Hettangien ou du Sinémurien (étages du Jurassique inférieur = Lias), la texture et l'absence de fossiles empêchent une datation précise. Le granite, dit granite de Saint Arnac est un granite à biotite. Dans le granite,affleurent en lentilles des gabbros et des diorites calco-alcalines pauvres en fer. L'observation en détail de l'affleurement au niveau la zone de faille montre un mélange dominant de chlorite, talc et serpentine, difficiles à distinguer à l'œil nu, dans des roches pulvérulentes en feuillets.
Des échantillons de ces roches basiques ont été collectés et une lame mince a été réalisée.
Source - © 2014 Damien Mollex -Lithothèque ENS de Lyon | Source - © 2014 Damien Mollex -Lithothèque ENS de Lyon Figure 23. Détail du premier échantillon de la brèche de faille métasomatisée, route des Albas Le minéral sombre (noir ~ vert) ressemble à de la serpentine. |
Source - © 2014 Damien Mollex -Lithothèque ENS de Lyon Figure 24. Détail du deuxième échantillon de la brèche de faille métasomatisée, route des Albas Les plagioclases blancs sont dans une matrice constituée de chlorite et de talc. | Source - © 2014 Damien Mollex -Lithothèque ENS de Lyon Figure 25. Détail du troisième échantillons de la brèche de faille métasomatisée, route des Albas Le minéral blanc ressemble à du talc (même aspect aussi au touché) avec des carbonates. |
Les photographies des lames minces associées aux échantillons ci-dessus sont disponibles sur le site de la Lithothèque de l'ENS de Lyon (échantillon A88.4).
Source - © 2014 Alexandre Aubray / Damien Mollex -Lithothèque ENS de Lyon Figure 26. Lame mince d'un échantillon de brèche de faille métasomatisée, LPNA On remarque les porphyroclastes de plagioclase dans une matrice chloriteuse (et talqueuse). Il est intéressant de noter que la morphologie de la brèche visible sur l'affleurement se retrouve à l'échelle de la lame mince. Cette photo illustre bien le fait que la déformation présente des invariances d'échelles. | Source - © 2014 Alexandre Aubray / Damien Mollex -Lithothèque ENS de Lyon Figure 27. Lame mince d'un échantillon de brèche de faille métasomatisée, LPA On remarque les porphyroclastes de plagioclase dans une matrice chloriteuse (et talqueuse). Il est intéressant de noter que la morphologie de la brèche visible sur l'affleurement se retrouve à l'échelle de la lame mince. Cette photo illustre bien le fait que la déformation présente des invariances d'échelles. |
Source - © 2014 Alexandre Aubray / Damien Mollex -Lithothèque ENS de Lyon | Source - © 2014 Alexandre Aubray / Damien Mollex -Lithothèque ENS de Lyon |
Source - © 2014 D'après Alexandre Aubray / Damien Mollex -Lithothèque ENS de Lyon, modifié |
De rapides analyses par spectroscopie Raman ont mis en évidence la présence de chlorite et de talc. La serpentine n'a pas été détectée bien que l'observation macroscopique de certaines zones des roches semble très caractéristique de la serpentine.
Structure des phyllosilicates magnésiens
Chlorite, talc et serpentine sont des silicates présentant une structure en feuillets : ils appartiennent à la famille des phyllosilicates (qui est aussi la famille des micas et des argiles).
La serpentine est un phyllosilicate de formule Mg3(Si2O5)(OH)4. Elle est formée par une répétition de feuillets formés par des bandes d'octaèdres constitués de magnésium liés à 6 oxygènes et de bandes de tétraèdres constitués par le silicium lié à 4 oxygènes dont 1 oxygène est partagé par l'octaèdre et le tétraèdre (on parle de phyllosilicate T-O). Les autres oxygènes sont liés à des hydrogènes. Les feuillets sont liés par des liaisons hydrogènes entre les atomes d'oxygène des tétraèdres du feuillet "n" et les atomes d'hydrogène des octaèdres du feuillet "n+1".
Source - © 2013 Evans et al., Elements [4]
Figure 31. Modèle atomique de la serpentine (ici, sa variété appelée lizardite)
Les feuillets composés d'une couche d'octaèdres et de tétraèdres sont liés par les liaisons hydrogènes (H bonds).
Il existe trois variétés de serpentine qui diffèrent par l'organisation de leur maille cristalline : la lizardite, dans laquelle les feuillets sont arrangés en plans (structure favorisée par les substitutions de MgSi par FeAl), l'antigorite, dont les feuillets sont courbes (l'antigorite est enrichie en Si), et le chrysotile, dont les feuillets sont enroulés en cylindres concentriques (structure favorisée par une faible quantité de Al et de Fe). La reconnaissance des trois formes au microscope polarisant n'est pas un exercice trivial et requiert parfois des outils de mesures non accessibles au grand public (spectroscopie Raman, diffraction des rayons X).
Source - © 2013 Evans et al., Elements [4]
Figure 32. Observations de serpentines au microscope électronique à transmission (MET)
A) Lizardite, B) Chrysotile, C) Antigorite.
Les zooms sont interprétés en terme de modèle moléculaire avec le modèle de la figure précédente.
La stabilité des différentes formes de serpentine est mal contrainte. Il semble que la lizardite soit plus stable à basse température tandis que l'antigorite serait plus stable à haute pression. Le chrysotile, lui, semble être une forme métastable (c'est-à-dire thermodynamiquement instable, mais dont la cinétique de transformation en une autre forme de serpentine est très, très lente).
Pour d'autres photos de serpentine en lame mince, voir l'exemple de la serpentinite du Chenaillet, dans les Alpes, sur le site de la Lithothèque de l'ENS de Lyon.
Source - © 2008 Damien Mollex / Lithothèque ENS de Lyon Figure 33. Lame mince d'une serpentinite du Chenaillet, LPNA On observe deux formes de serpentine : un "fond" de petits cristaux (en haut, avec parfois des orientations préférentielles) traversé de "veines" de plus gros cristaux (en bas). | Source - © 2008 Damien Mollex / Lithothèque ENS de Lyon Figure 34. Lame mince d'une serpentinite du Chenaillet, LPA On observe deux formes de serpentine : un "fond" de petits cristaux (en haut, avec parfois des orientations préférentielles) traversé de "veines" de plus gros cristaux (en bas). |
Des affleurements de serpentinite (roche constituée de serpentine) ont déjà été étudiés dans de précedents articles ( cf. Carrière de serpentinite à Chatillon, Val d'Aoste, Italie, Méthane abiotique enflammé et serpentinite du site de la Chimère, Cirali, Turquie).
Le talc a pour formule Mg3(Si4O10)(OH)2. Dans ce minéral, les feuillets d'octaèdres de magnésium sont liés à deux feuillets de tétraèdres de silicium. La structure de ce minéral est donc celle d'une argile TOT (successions de feuillets Tétraédrique avec silicium liés à 4 oxygènes - Octaédrique de magnésium liés à 6 oxygènes - Tétraédrique de silicium liés à 4 oxygènes).
Source - © 2011 Perditax / Wikimedia Commons
Figure 35. Modèle atomique du talc
Trois feuillets sont représentés. En jaune le Si, en vert le Mg, en bleu les O, les atomes d'hydrogène ne sont pas représentés. Source : Wikimedia commons, Auteur : Perditax
Les chlorites, contrairement au talc, représentent une solution solide complexe avec beaucoup de minéraux (sudoïte, daphnite, clinochlore, amésite...) dont une formule simplifiée peut être (Fe,Mg)3(Si,Al)4O10(OH)2(Fe,Mg)3(OH)6. La structure minéralogique de la chlorite reprend celle du talc (feuillets TOT) plus un feuillet octaédrique, on parle alors de phyllosilicate TOTO.
Source - © 2011 Perditax / Wikimedia Commons
Figure 36. Modèle atomique des chlorites
En jaune le Si, en bleu les O, en gris les H, en orange l'Al et en vert le Li (le pôle représenté est la cookéite, un pôle faisant intervenir le lithium).
Source - © 2012 Damien Mollex / Lithothèque ENS de Lyon Figure 37. Échantillon de talc chloriteux Notez l'aspect en feuillet de la roche, aspect dû aux phyllosilicates que sont le talc et la chlorite. | |
Figure 38. Talc et chlorite en lame mince, LPNA Les deux minéraux sont translucides en LPNA sur cette photo, la chlorite peut présenter un pléochroïsme de couleur verte. Les clivages des minéraux sont bien visibles. | Figure 39. Talc et chlorite en lame mince, LPA En LPA, le talc présente des teintes vives (plutôt 2ème et 3ème ordre). Il est difficile à distinguer de la muscovite (mica blanc). En LPA, la chlorite présente soit des couleurs gris métallique (comme sur la photo), marron clair "sale" ou bleu nuit. |
Les roches constituées d'un mélange de serpentines, talc et chlorite sont appelées pierres ollaires (cf. Sculptures et objets en serpentinite et en pierre ollaire).
Comment expliquer la formation de phyllosilicates magnésiens dans une brèche de faille ?
Du côté Nord-Est de la faille, il y a de la dolomie (ou un calcaire plus ou moins dolomitique) composé de dolomie MgCa(CO3)2 et de l'autre des roches silicatées. La circulation de fluides a dû permettre la mobilisation en solution de magnésium de la dolomie et de silice des roches silicatées. La réaction entre ces éléments a formé le talc, la chlorite (et la serpentine) dans la brèche de faille. Les failles permettent la percolation des fluides et lorsque ces fluides arrivent en profondeur, ils se réchauffent. Dans certains cas, dans les régions d'anomalie thermique positive comme les Pyrénées à l'Albien (Crétacé "moyen"), le gradient géothermique est perturbé ce qui donne une "haute" température à relativement faible profondeur. Ce réchauffement est alors à l'origine de circulations convectives hydrothermales qui augmentent le transport des éléments des roches dans les plans de faille.
La cartographie de la faille sur la carte géologique de Rivesaltes au 1/50 000e montre une orientation ONO-ESE (orientation environ N95). Elle affecte des terrains liasiques, donc elle est synchrone ou postérieure au Lias (bien que sur le terrain on n'observe pas de marqueurs syntectoniques évidents ce qui laisse plutôt penser à un jeu post–Lias cohérent avec l'histoire tectonique des Pyrénées). Dans la région, on trouve des failles de même direction affectant cette fois le Crétacé inférieur. La trace cartographique de la faille dans la vallée de l'Agly montre qu'elle y est subverticale (règle du V dans les vallées). Ces observations permettent de proposer que cette faille soit associée à la tectonique pyrénéenne, soit extensive d'abord puis reprise en compression, soit compressive.
Effet des phyllosilicates dans les zones de faille
La présence de phyllosilicates dans les plans de faille est une observation commune. Dans la revue scientifique Nature, en 2009, Collettini et al. [3] ont mis en évidence l'importance du rôle des phyllosilicates dans les zones de failles. En étudiant la déformation d'échantillons naturels comportant des phyllosilicates orientés (notamment du talc) comme ceux que nous avons vu sur l'affleurement et des poudres de composition identique à ces échantillons, ils ont montré que la déformation se produisait pour des contraintes plus faibles pour les échantillons avec phyllosilicates orientés que pour les échantillons en poudre. De plus, ils ont montré que la présence d'eau favorisait aussi la déformation de ces échantillons.
Des études analogues menées auparavant par Wintsch et al. [7] avaient montré que la présence de phyllosilicates organisés en couches parallèles (orientation préférentielle) expliquerait la réduction de la friction entre les deux blocs d'une faille par la création d'une surface de glissement préférentielle (mécanisme de glissement dislocation des plans cristallins). Leur étude montre que la formation de phyllosilicates comme la chlorite est favorisée par des failles impliquant des roches magnésiennes. Cette formation se produit pour des températures de l'ordre de 200 à 250°C, ce qui pour un géotherme "normal" correspond à des profondeur de l'ordre de 8 à 10 km, et même des profondeurs moindres avec un géotherme perturbé comme c'était le cas des Pyrénées à l'Albien. La formation de phyllosilicates magnésiens ayant une orientation préférentielle peut s'expliquer par des phénomènes de dissolution / précipitation dans un champ de contraintes anisotropes.
La présence de talc est notamment souvent observée dans les failles en domaine océanique (impliquant des roches basiques). De même, les zones où la faille de San Andreas présente une faible sismicité sont souvent associées à la présence de corps ultrabasiques dont la dissolution des minéraux pourrait former des minéraux comme la chlorite, le talc et la serpentine à l'origine d'une diminution de la friction.
Le métasomatisme, un processus à l'origine de certains gisements de substances utiles
Ce genre de circulation n'est pas rare et peut avoir des implications intéressantes pour l'Homme. La carrière de talc de Trimouns, dont l'usine de traitement est située à Luzenac, est un exemple de telles circulations de fluides favorisées par l'existence de failles, circulations à l'origine de minéraux exploités par l'Homme.
Figure 40. Localisation de la carrière de talc de Luzenac-Trimouns La carrière de talc de Trimouns est au Nord (en blanc sur l'image), l'usine de traitement est située à Luzenac, plus au Sud. | Figure 41. Localisation et géologie de la carrière de talc de Luzenac-Trimouns La carrière de talc de Trimouns est au Nord (en blanc sur l'image), l'usine de traitement est située à Luzenac, plus au Sud. Superposition, à l'Ouest avec la carte géologique au 1/50 000 de Vicdessos. La carte géologique de droite (à l'Est) n'est pas encore parue. Les gisements de talc de Trimous et son voisin du col de la Porteille appartiennent au massif Nord-pyrénéen du Saint Barthélémy. La Faille Nord-pyrénéenne est située au Sud de ce Massif. |
Figure 42. Carrière de talc de Trimouns | Figure 43. Minéralisation dans la carrière de talc de Trimouns La morphologie "en boule" affecte une ancienne pegmatite. |
Source - © 2005 smenier sur club.doctissimo.fr Figure 44. Panneau explicatif proposé à l'entrée de la carrière de Trimouns Ce panneau explicatif montre que la masse de talc s'est développée au contact entre dolomie et roches silicatées (gneiss et micaschistes). |
Cette minéralisation massive est constituée de talc (Mg3Si4O10(OH)2) associé à une quantité variable de chlorite qui fait les différentes qualités de talc exploitées dans la carrière.
La formation de ce gisement est liée à la circulation de fluides dans des discontinuités structurales (plans de failles) entre les roches micaschisteuses (mur du gisement) et les séries siluro-ordoviviennes constituées de schistes noirs et de grandes lentilles de dolomies (toit du gisement).
Le talc est associé à la transformation métasomatique des roches dolomitiques tandis que la chlorite est issue de l'altération hydrothermale des roches silico-alumineuses comme les pegmatites et les micaschistes.
L'étude du gisement suggère une transformation des dolomies en minerais talqueux par apport de silice et de magnésium par les fluides hydrothermaux et le lessivage des roches environnantes : magnésium issu des dolomies et silice issue des micaschistes et pegmtites. La réaction globale de la transformation en talc est la suivante :
- 2 CaMg(CO3)2 + Mg2+ + 4 SiO2(aq) + 2 H+ = Mg3Si4O10(OH)2 + 2 Ca2+ + 4 CO2
- soit, dolomite + magnésium + silice aqueuse + hydrogène = talc + calcium + dioxyde de carbone
Cette réaction faisant intervenir du Mg2+ en solution est expliquée par le fait que, texturalement, le remplacement de la dolomite par le talc se fait à volume constant. L'étude des inclusions fluides dans les minéraux accessoires associés au talc (quartz et apatite) a permis de proposer des conditions P-T de l'ordre de 320°C pour 2,5 kbar (moins de 10 km de profondeur) et des fluides de type saumure de salinité de 20 à 30%.
Une étude géochronologique a permis d'estimer un âge du gisement situé entre 112 et 97 Ma (Albien à Crétacé "moyen", Schärer et al., 1999 [6]). Cette datation replace la formation du gisement dans un contexte d'amincissement de la croûte continentale (rifting) synchrone de la rotation de la plaque ibérique accommodée par un décrochement senestre entre l'Europe et l'Ibérie et contemporaine de l'ouverture de la baie de Biscaye.
Un bel exemple de circulation hydrothermale et de ressources associées !
Source - © 2006 D'après Boulvais et al., Mineralogy and Petrology [1], modifié
Cette coupe schématique propose un modèle de circulation de fluides dans un contexte transtensif (extension + décrochement) à l'Albien (Crétacé "moyen").
FNP = Front Nord-Pyrénéen.
Le talc de Trimouns est souvent associé à la pyrite (cf. Cube, ccitetubo-octaèdre, octaèdre, dodécaèdre… les différentes formes cristallines de la pyrite (FeS2) et les échantillons E4.1, D2.1 , D2.2 de la Lithothèque de l'ENS de Lyon).
Source - © 2012 Damien Mollex / Lithothèque ENS de Lyon
Le jeu d'accidents, notamment au niveau de la faille Nord-pyrénéenne, a permis une circulation de fluides hydrothermaux à l'échelle régionale qui, percolant dans les couches du Trias évaporitique, auraient également participé à la remobilisation du sodium et à la formation des gisements d'albitites.
Figure 47. Carrière d'albitites de Saint Arnac - Lansac | |
Figure 48. Localisation et géologie de la carrière d'albitites de Saint Arnac - Lansac, massif de l'Agly Extrait de la carte géologique de Rivesaltes au 1/50 000. La carrière d'albitites se situe à la terminaison NO du massif de l'Agly. Le granite de Saint Arnac est divisé en trois zones par l'existence de deux failles : la faille de Lesquerde – Lansac (NNO-SSE) et la faille de Lesquerde – Rasiguères (NO-SE). On trouve ainsi, au Nord, le bloc de Lesquerde, au Sud et à l'Ouest, le bloc de Saint Arnac, et, à l'Est, le bloc de Lansac. Dans les blocs de Lesquerde et de Saint Arnac, le granite présente un faciès porphyroïde à la différence du bloc de Lansac. Les carrières d'albitites se situent dans les blocs de Lansac et de Saint Arnac. | Figure 49. Détail de la géologie de la la carrière d'albitites de Saint Arnac - Lansac Extrait de la carte géologique de Rivesaltes au 1/50 000. Zone identique à la vue ci-dessus. Les zones exploitées sont de part et d'autre de la faille de Lesquerde – Lansac (NNO-SSE). |
Figure 50. Carrière d'albitites du massif de Salvezines La carte géologique au 1/50 000e de Saint Paul de Fenouillet sur laquelle ce massif est visible n'est pas encore parue. Au Nord, la localité de Puilaurens est célèbre pour son château cathare. |
Source - © 2012 Damien Mollex / Lithothèque ENS de Lyon
Figure 52. Échantillon d'albitite provenant de la carrière de Saint Arnac - Lansac
Cette roche est composée majoritairement d'albite, pôle sodique des plagioclases.
La formation de ces gisements d'albitites est expliquée par le remplacement des minéraux du granite et le lessivage du Si et du K aboutissant à la formation de feldspath sodique, l'albite, à la faveur de la circulation de fluides enrichis en Na et Al dans des failles présentes dans ce granite (ou causées par la tectonique, lors de l'extension crétacée dans les Pyrénées). Ce processus se produit vers des températures de l'ordre de 400°C. C'est un exemple de métasomatisme dans une unité crustale (à la différence de Trimouns qui se produit à l'interface croûte/sédiments).
Une étude isotopique (Boulvais et al., 2007 [2]) a montré que ces fluides avaient en partie pour origine une source en surface, probablement l'eau de mer ce qui, en plus des évaporites triasiques, pourrait expliquer la nature sodique du fluide métasomatique. L'âge de ce gisement, obtenu par la méthode Ar-Ar sur muscovite dans cette même étude, donne un âge aptien de 117,5±0,4 Ma (étage du Crétacé "moyen" précédant l'Albien). Cet âge, qui précède de quelques millions d'années la formation du gisement de talc de Trimouns (entre 112 et 97 Ma), ainsi que le fait que le rapport Na/Ca soit fort dans les gisement d'albitites et faible dans les gisements de talc permettent de proposer un seul épisode hydrothermal de formation de ces gisements. En effet, lors d'un épisode extensif associé à l'ouverture de la Baie de Biscaye par un décrochement entre la plaque européenne et ibérique, l'infiltration de fluides marins ayant percolé dans les évaporites (Trias) en profondeur dans la croûte supérieure aurait permis vers 400°C d'albitiser les granites diminuant le rapport Na/Ca. Avec la remontée des isothermes, ces fluides à faible rapport Na/Ca auraient ensuite, vers 300°C, mobilisé les éléments à l'origine du talc de Trimouns, à l'interface croûte / sédiments dans les zones de faille.
Un autre marqueur qui corrobore l'hypothèse de l'amincissement crustal au Crétacé "moyen", est l'existence de péridotites mantelliques serpentinisées à proximité, au Sud de ces deux gisements, en se rapprochant de la Faille Nord-Pyrénéenne. La serpentinisation est un processus indiquant la présence de fluides à haute température capables de modifier les minéraux des péridotites du manteau (cf., par exemple, Serpentinisation océanique et vie primitive, Carrière de serpentinite à Chatillon, Val d'Aoste, Italie). On peut proposer que l'origine de ces fluides soit marine et que la circulation se soit faite à la faveur de failles lors de l'anomalie thermique positive due à l’amincissement crustal. L'association de ces failles à un épisode d’extension plutôt qu’a un épisode de compression peut être proposée par l'observation actuelle en surface de lherzolites, certainement à faible profondeur lors de ces circulations précédant la compression et l'érosion. Ces failles sont ensuite reprises en compression lors de la tectonique pyrénéenne (notamment la Faille Nord-Pyrénéenne).
Source - © 2012 Damien Mollex / Lithothèque ENS de Lyon Figure 53. Péridotites serpentinisées, échantillons récoltés au Sud du massif de Salvezines Ce corps péridotitique forme un lentille de roches ultrabasiques en écaille tectonique. C'est le premier type de mise à l'affleurement des massifs pyrénéens de péridotites mantelliques. | Source - © 2012 Damien Mollex / Lithothèque ENS de Lyon Figure 54. Détail d'un échantillon de péridotite serpentinisée du massif de Salvezines Les stries montrent que ces roches ont subi des événements tectoniques et qu'elles ont été déformées. |
Au Nord, on voit bien la carrière d'albitites de Salvezines. | L'affleurement de péridotite est très voisin de la bande Est-Ouest largement hydrothermalisée. Cet hydrothermalisme est aussi à l'origine de l'exploitation d'anciennes mines (fer, cuivre) suffisamment importantes pour avoir donné lieu à une concession (polygone en pointillés sur la carte). Au Sud de la carte, la faille observée est la Faille Nord-Pyrénéenne. La carte au 1/80 000 pallie l'absence de la couverture locale au 1/50 000. |
Les minéraux fibreux, à gauche de la photo, sont de la serpentine (chrysotile) exploitée autrefois (mais pas ici) pour faire les amiantes. | Les minéraux fibreux sont de la serpentine (chrysotile) exploitée autrefois (mais pas ici) pour faire les amiantes. |
Les minéraux fibreux sont de la serpentine (chrysotile) exploitée autrefois (mais pas ici) pour faire les amiantes. | Une veine de serpentine traverse la péridotite massive. |
La géologie disponible correspond à la carte géologique de Vicdessos au 1/50 000. Les péridotites y sont indiquées par le signe Λ (lherzolithes). |
Nous avons donc vu dans cet article, des phyllosilicates magnésiens (talc, chlorite, serpentine) formés lors d'un événement tectono-hydrothermal affectant d'une part du matériel mantellique (serpentinistaion "classique" d'une péridotite hydratée), et d'autre part du matériel crustal (circulation de fluides entraînant la modification de la chimie de la roche et la formation de nouveaux minéraux = métasomatisme).
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