Image de la semaine | 19/06/2023
Les conglomérats calcaro-péridotitiques de Lers (Ariège), une clé pour comprendre la mise en place des lherzolites pyrénéennes
19/06/2023
Résumé
Amincissement crustal extrême et mise à nu du manteau dans un contexte transformant et extensif.
La lherzolite est l'une des roches dont le nom est le plus connu dans le monde des géologues puisque c'est le constituant majeur du manteau supérieur. Elle a été “découverte” puis nommée en 1797 par J.-C. Delamétherie. Son nom vient de l'étang de Lers (qui s'orthographiait Lherz à l'époque) où elle affleure largement. Elle est constituée d'olivine, d'ortho- et de clinopyroxène, et de spinelle. Elle fut d'abord interprétée comme une roche magmatique intrusive dans les calcaires jurassiques (un petit pluton en quelque sorte). Quand on a compris que ces lherzolites des Pyrénées n'étaient pas des roches magmatiques (elles ne proviennent pas de la cristallisation d'un magma) mais des fragments de manteau, il s'est tout de suite posé le problème de l'origine de leur mise en place au sein de calcaires métamorphisés datant du Jurassique. Il y avait en fait un double problème : (1) le problème de l'histoire pétrogénétique de ces fragments de manteau, et (2) le problème de leur mise en place après le Jurassique. Nous ne détaillerons pas ici l'histoire pétrogénétique des roches de l'étang de Lers. La figure 3 et sa légende montrent que le manteau affleurant à Lers n'est pas “simplement” fait de lherzolite, mais est en fait beaucoup plus complexe. Ce problème pétrogénétique est rapidement discuté sur le site de Christian Nicollet (La Lherzolite de l'Etang de Lers en Ariège). Différents faciès de lherzolites peuvent être vus sur le site de la lithothèque de l'ENS de Lyon.
Dans la suite, nous ne discuterons que de la question de la mise en place.
Source - © 1997 BRGM , modifié |
D'autres observations sont nécessaires pour proposer une explication à la mise en place de ces massifs de péridotite au sein de calcaires métamorphisés mésozoïques des Pyrénées. Dans un premier temps, nous rappellerons 6 observations / interprétations faites jusqu'en 1997 (l'année de la publication de la carte d'Aulus-les Bains à 1/50 000) et les explications admises en cette fin de XXe siècle. Puis, dans un deuxième temps (après la figure 6), nous verrons de nouvelles observations faites à partir du début du XXIe siècle et les nouvelles interprétations que cela implique.
1 – Le massif de Lers n'est pas le seul de ce type dans les Pyrénées ; c'est simplement le plus gros et celui où les affleurements sont les plus “beaux”. Il y en a une quarantaine d'un bout à l'autre de la chaine.
2 – Ces affleurements de lherzolite sont tous situés à proximité de la Faille Nord Pyrénéenne (FNP en français, NPF en anglais). On sait depuis les années 1980 (grâce à l'étude des anomalies magnétiques de l'Atlantique central et du Golfe de Gascogne) que cette FNP correspond à une faille transformante séparant la plaque eurasiatique et la microplaque ibérico-corso-sarde. Cette faille a joué en décrochement senestre durant le Crétacé supérieur, et a rejoué en faille inverse pendant le raccourcissement cénozoïque.
3 – Il n'y a pas que des affleurements de manteau supérieur qui affleurent à proximité de la FNP. Une dizaine d'écailles de granulites (roches avec le faciès métamorphique “granulite”, constituant la croute continentale inférieure). Le mécanisme qui a fait remonter du manteau supérieur a aussi fait remonter de la croute continentale inférieure.
4 – Une bande étroite (moins de 10 km) et longue (plusieurs centaines de kilomètres d'Est en Ouest) de terrains métamorphiques affleure le long de la FNP. Il s'agit d'un métamorphisme datant du Crétacé supérieur (90-95 Ma) affectant majoritairement des carbonates mésozoïques. Ce métamorphisme est un métamorphisme haute température - basse pression (HT-BP) avec des minéraux caractéristiques comme les scapolites. Ce type de métamorphisme n'est pas classiquement inclus dans les classifications des métamorphismes, classifications simples (pour ne pas dire simplistes) habituellement présentées aux étudiants. Les figures 15 et 16 de Mini-zones de cisaillement (shear zones) dans des granites et autres roches montrent un calcaire urgonien à rudistes affecté par ce métamorphisme HT-BP.
5 – Un profil ECORS traversant les Pyrénées du Nord au Sud dans le secteur de Lers a été réalisé en 1985-1986. Il a permis aux géologues de connaitre la structure de la chaine pyrénéenne à l'échelle de toute la lithosphère. L'application de techniques classiques en géologie pétrolière a permis de “déplier” ce profil des Pyrénées en “enlevant” les effets du raccourcissement cénozoïque (plis, failles inverses, chevauchements…). Cette technique permet de proposer une reconstitution de la chaine pyrénéenne comme elle était au Crétacé supérieur, pendant le fonctionnement de la FNP en faille transformante senestre. Selon cette reconstitution, la croute continentale (surtout du côté européen) était amincie par une extension contemporaine du décrochement (Crétacé supérieur), amincissement accompagné de failles normales, d'une subsidence… Ces mouvements ont créé une succession de petits bassins subsidents allongés, étroits et alignés le long du décrochement. Le Moho, au lieu d'être “normalement” à 30-35 km de profondeur, n'était plus qu'à une dizaine de kilomètres de profondeur. Cette extension et cette remontée du manteau expliqueraient le métamorphisme HT-BT affectant le Mésozoïque. Cette remontée du manteau explique aussi le faible magmatisme alcalin existant à cette époque à l'Ouest des Pyrénées (cf. Un volcanisme bien méconnu et pourtant si riche d'enseignement : le volcanisme du Crétacé supérieur du Pays Basque, ses pillow-lavas et la salinité de l'eau de mer) et ne se manifestant dans le secteur de Lers, que par deux “minuscules” affleurements de gabbro.
6 – Des petits fragments de manteau supérieur (les lherzolites) et de croute inférieure (les granulites) remontés vers 10 km de profondeur lors de l'extension crétacée sont “éjectés” tectoniquement vers la surface par le (re)jeu de failles lors de la compression cénozoïque pyrénéenne, d'où le contact lherzolite / carbonates constitué de brèches tectoniques.
C'est cette “histoire” que j'enseignais il y a 30 ans lors de mes enseignements à la préparation à l'agrégation de l'ENS de Lyon.
À partir du début des années 2000, de nouvelles observations de terrain faites dans les Pyrénées et des comparaisons avec des observations sous-marines au niveau de certaines zones de transition océan-continent (TOC) ont permis de changer la reconstitution au Crétacé supérieur (95 Ma). Si la paléogéographie régionale ne changeait pas dans cette nouvelle interprétation (suite de bassins subsidents, étroits, allongés et alignés le long de la faille transformante), ces observations ont permis de prouver que les brèches séparant péridotites et carbonates, au moins pour une partie d'entre elles, étaient des brèches sédimentaires, ce qui n'exclut pas qu'il y ait aussi des brèches tectoniques. Au Crétacé supérieur, certaines lherzolites visibles aujourd'hui étaient à l'affleurement (sous l'eau) dans d'étroits bassins sédimentaires. L'extension a (localement) été tellement importante que la croute continentale a été “rompue”, que le Moho a atteint la surface et que le manteau a été mis à nu au fond de ces mini-bassins. Ces fragments de manteau formaient des falaises et reliefs sous-marins dont les éboulements se mélangeaient avec des éboulements venant de reliefs calcaires sous-marins voisins, et éventuellement avec une sédimentation carbonatée benthique. Ces observations peuvent être faites sur le corps péridotitique principal près de l'étang de Lers, mais aussi à quelques kilomètres à l'Est, dans le ravin de Paumères.
Toutes les photographies qui suivent (figures 8 à 27) ont été prises en 2009 dans ce ravin de Paumères lors d'un stage géologique organisé par le CBGA et dont l'encadrement scientifique était assuré par Yves Lagabrielle, alors directeur de recherche au Laboratoire Géosciences Montpellier.
C'est avec de tels affleurements et bien d'autres que les géologues de Montpellier, de Toulouse et d'autres laboratoires ont élaboré le scénario énoncé plus haut (après la figure 6). Dans plusieurs publications, ces géologues ont fait des schémas pour illustrer ce scénario. Nous vous en montrons quatre.