Image de la semaine | 09/10/2023
Les volcanismes ardéchois et écossais, et leurs orgues basaltiques vus par Faujas de Saint-Fond, un géologue du XVIIIe siècle
09/10/2023
Résumé
Cratères, coulées et questionnement sur les prismes basaltiques, colonnades et entablements.
En 1751, Jean-Étienne Guettard (1715-1786), un naturaliste ami de Buffon et de Malesherbes, part visiter les « montagnes du centre de la France », le Massif central. En passant à Vichy, Guettard remarque des pierres dans les maisons et les fontaines qui ressemblent aux laves qu'il avait vues dans la région de Naples. Il se renseigne sur l'origine de ces roches, et on lui dit qu'elles viennent de carrières situées près du village de Volvic, au Nord de Clermont-Ferrand (cf. Cristaux d'hématite sur de la Pierre de Volvic (Puy de Dôme). Il en déduit qu'il doit y avoir d'anciens volcans au centre de la France. Guettard se rend à Volvic, et reconnait dans la Chaine des Puys, puis dans de nombreuses autres montagnes du Massif central, la morphologie caractéristique des volcans italiens qu'il connaissait, ce qui confirme son diagnostic fait à distance. Guettard a donc découvert les volcans du Massif central avant de les avoir vu, simplement en reconnaissant des "cailloux". Vingt-sept ans plus tard, en 1778, au début du règne de Louis XVI, un autre géologue, Bartelemi (orthographe de l'époque) Faujas de Saint-Fond (1741-1819) publia dans un livre le résultat de ses travaux faits quelques années plus tôt sur les « volcans éteints du Velay et du Vivarais » (le département de l'Ardèche n'existait pas encore). Un point un peu marginal, mais spectaculaire, dans la compréhension du phénomène volcanique intriguait particulièrement Faujas de Saint-Fond : les prismes (ou orgues) basaltiques. Sa discussion sur l'origine de ces structures ne prend que quelques lignes, mais, dans son livre, il a représenté ces prismes sur neuf schémas, qui sont autant d'œuvres d'art, bien que leur exactitude scientifique soit parfois discutable.
La semaine dernière, l'“image de la semaine” a été consacrée à la coupe (“coupe” au sens de volcan à cratère en patois ardéchois) et à la coulée de Jaujac, coulée magnifiquement prismée (cf La Coupe de Jaujac et sa coulée, un exemple de volcanisme effusif (Ardèche). D'autres aspects du volcanisme ardéchois avaient déjà été évoqués, comme, par exemple, dans Les nodules péridotitiques "ordinaires" de la coulée basaltique du Ray Pic, Burzet (Ardèche) pour une coulée quaternaire du Bas Vivarais, ou Le Plateau du Coiron (Ardèche), un empilement de coulées de basalte mio-pliocènes recouvrant des marno-calcaires mésozoïques pour le volcanisme miocène supérieur des Coirons. Nous allons rapidement feuilleter les 460 pages de ce livre de 1778 pour voir comment Faujas de Saint-Fond voyait la prismation des basaltes ardéchois. Étonnament, la Coupe de Jaujac et sa coulée ne sont pas représentées dans ce livre.
Puis, toujours avec Faujas de Saint-Fond, nous irons faire un petit tour pour voir le volcanisme paléocène écossais, lui aussi célèbre pour ses prismes basaltiques et sa célèbre grotte de Fingal sur l'ile de Staffa.
Dans son livre, l'auteur catégorise et décrit les basaltes, qu'il sépare en 10 classes, de noir foncé à blanc, en passant par gris blanc, graveleux… Les descriptions précises et les lieux de prélèvement, quand ils sont indiqués, permettent de montrer que certaines de ces roches appelées basaltes au XVIIIe siècle sont en fait des trachytes, des phonolites… Il classe les prismes en fonction de leur nombre de cotés (du triangle à l'octogone), de leur régularité, de leur débit (ou non) en boules (cf. «Le débit et l'altération en boules des basaltes» https://planet-terre.ens-lyon.fr/ressource/Img752-2022-06-20.xml)… Toutes ces descriptions prennent une quarantaine de pages. Mais dans ces pages, il y n'y a que 17 lignes explicitement destinées à expliquer la formation de ces prismes. À l'époque, la description et les classifications l'emportaient sur les explications. Il propose deux hypothèses : « cristallisation » ou « rupture par retrait dû au refroidissement ».
Puisqu'on est dans une “image de la semaine” à thème historique, on peut remarquer en passant que ces deux extraits de texte montrent qu'il y a eu de grands changements dans l'orthographe et dans les conjugaisons ces 250 dernières années. Ce n'est que dans le milieu du XIXe siècle que l'orthographe se figea sous la pression de quelques intégristes. L'École de Jules Ferry et le (trop) grand rôle donné à l'orthographe paracheva ce “gel” qui perdure.
Pour bien connaitre la structure idéale d'une coulée avec ces trois niveaux théoriques (de bas en haut : “vraie” colonnade, entablement et fausse” colonnade), et pour comprendre l'origine de cette prismation, on se reportera à l'article La formation des orgues volcaniques. Dans la suite de cet article, nous vous présentons neuf gravures de basaltes prismés de l'Ardèche. Les figures 6 à 8 concernent des basaltes du Miocène supérieur du plateau du Coiron. Les figures 9 à 15 concernent des basaltes quaternaires de la province magmatique dite du Bas Vivarais. Dans la mesure du possible, les sites sont localisés par des fichiers kmz utilisables avec Google Earth. Ce n'est pas toujours facile, car les noms des sites, hameaux, villages… la végétation… ont bien changé depuis Louis XVI. Pour deux gravures (figures 13 et 15 à 17), on pourra comparer la réalité du XXIe siècle et la représentation du même site au XVIIIe.
On peut aussi remarquer que Faujas de Saint-Fond a toujours rajouté des personnages dans ses dessins, sans doute une façon de matérialiser l'échelle. Beaucoup de géologues modernes oublient ce genre de “détail”.
La figure suivante, ainsi que celles dont les localisations précises sont très faciles à déterminer, permettent de comparer (1) les croquis faits au XVIIIe siècle sur le terrain par Faujas de Saint-Fond (que l'on suppose fidèlement transformés en gravures par le graveur et l'éditeur) et (2) la réalité des sites telle qu'on peut la voir au XXIe siècle (en 2015 pour la Coupe d’Aizac). Si on postule que l'érosion a été négligeable ces 250 dernières années, les différences peuvent avoir deux origines : (1) le changement du couvert végétal, et (2) les changements de l'occupation humaine, et les aménagements effectués depuis 1878.
Les figures 1 et 2, qui ont servi de photographies d'entrée pour cette image de la semaine, comparées à la photographie actuelle du volcan (appelé “coupe”) d'Aizac (anciennement appelé Aisa), permet de voir les effets de la progression du couvert végétal dû à la quasi disparition de l'agro-pastoralisme dans ce secteur des Cévennes. On voit aussi les effets délétères indirects d'un certain intégrisme écologique. On est en effet dans le Parc naturel des Monts d'Ardèche, où couper un arbre est quasi impossible. Le Parc a pour vocation, entre autres, de montrer aux visiteurs plus de 50 volcans classés à l'UNESCO en tant que Géoparc. Mais laisser le paysage sans déboiser ou sans que les troupeaux l'entretiennent revient à rendre ces volcans invisibles à un œil non averti. J'ai rencontré dans la région des touristes venus « voir des volcans » (et non pas des forêts de chêne) et repartir très déçus. Car, en dehors des orgues basaltiques, ils n'avaient vu aucun volcan, du moins tels qu'ils les imaginaient.
Quand on enlève par la pensée le couvert végétal, on voit la différence entre la morphologie réelle du volcan d'Aizac et sa représentation “idéalisée” qu'en ont faite Faujas de Saint-Fond et son graveur. Les figures 15, 16 et 17 permettent de visualiser ces différences.S
Les observations très fines sur la fracturation des corps étrangers par les limites de prismes (cf. texte de la figure 5) et les deux exemples (Pont de Labaume et Coupe d'Aizac) montrent que les figures telles qu'on les trouve dans le livre ne font peut-être pas preuve de la même rigueur que les observations de détail sur les enclaves (qui n'ont d'ailleurs pas été représentées sur des gravures).
Au XVIIIe siècle, les scientifiques étaient souvent polyvalents. Buffon, par exemple, faisait des sciences naturelles, bien sûr, mais aussi de la physique (cf. Buffon, ou comment le siècle des Lumières envisageait l'origine du monde). Faujas de Saint-Fond n'était pas que “pétrographe et vulcanologue” comme on dirait de nos jours. Il était aussi paléontologue, cf. figures 4 et 5 de Les mosasaures, des reptiles marins géants du Crétacé supérieur. À la suite d'un voyage en Écosse, il publia un livre en 1797 où il traitait certes de géologie et de minéralogie, mais aussi de “sciences humaines” (arts et mœurs des écossais, par exemple).
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Source - © 2016 D’après Traveldigg.com/ | Source - © 1831-1382 D’après Turner |
La Bibliothèque nationale de France met à disposition les versions numérisées des ouvrages de Faujas de Saint-Fond cités :
- Recherches sur les volcans éteints du Vivarais et du Velay ; avec un discours sur les volcans brûlans…,
- Voyage en Angleterre, en Écosse et aux îles Hébrides, ayant pour objet les sciences, les arts, l'histoire naturelle et les moeurs… Tome premier,
- Voyage en Angleterre, en Écosse et aux îles Hébrides, ayant pour objet les sciences, les arts, l'histoire naturelle et les moeurs… Tome second.