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Image de la semaine | 09/10/2023

Les volcanismes ardéchois et écossais, et leurs orgues basaltiques vus par Faujas de Saint-Fond, un géologue du XVIIIe siècle

09/10/2023

Pierre Thomas

Laboratoire de Géologie de Lyon / ENS de Lyon

Olivier Dequincey

ENS de Lyon / DGESCO

Résumé

Cratères, coulées et questionnement sur les prismes basaltiques, colonnades et entablements.


Gravure extraite des Recherches sur les volcans éteints du Velay et du Vivarais (1778) de Faujas de Saint-Fond

Figure 1. Gravure extraite des Recherches sur les volcans éteints du Velay et du Vivarais (1778) de Faujas de Saint-Fond

Cette gravure représente le volcan d'Aisa (maintenant appelé Coupe d'Aizac). En patois ardéchois, le mot “coupe” désigne les montagnes possédant une dépression sommitale (un cratère). Le dessinateur/graveur a représenté un volcan semblable à ceux des images d'Épinal, avec une coulée de lave s'échappant du cratère et atteignant le fond de la vallée. La rivière coulant dans cette vallée a en partie érodé la coulée, révélant sa prismation interne (agrandissement figure 2). On peut comparer cette gravure de 1778 avec la réalité de 2015 sur les figures 15 à 17.

Localisation par fichier kmz de la Coupe d'Aizac (volcan ardéchois).


Agrandissement de la partie basse d'une gravure extraite des Recherches sur les volcans éteints du Velay et du Vivarais (1778) de Faujas de Saint-Fond

Figure 2. Agrandissement de la partie basse d'une gravure extraite des Recherches sur les volcans éteints du Velay et du Vivarais (1778) de Faujas de Saint-Fond

Cette gravure représente le volcan d'Aisa (maintenant appelé Coupe d'Aizac). En patois ardéchois, le mot “coupe” désigne les montagnes possédant une dépression sommitale (un cratère). Le dessinateur/graveur a représenté un volcan semblable à ceux des images d'Épinal, avec une coulée de lave s'échappant du cratère et atteignant le fond de la vallée. La rivière coulant dans cette vallée a en partie érodé la coulée, révélant sa prismation interne. On peut comparer cette gravure de 1778 avec la réalité de 2015 sur les figures 15 à 17.


En 1751, Jean-Étienne Guettard (1715-1786), un naturaliste ami de Buffon et de Malesherbes, part visiter les « montagnes du centre de la France », le Massif central. En passant à Vichy, Guettard remarque des pierres dans les maisons et les fontaines qui ressemblent aux laves qu'il avait vues dans la région de Naples. Il se renseigne sur l'origine de ces roches, et on lui dit qu'elles viennent de carrières situées près du village de Volvic, au Nord de Clermont-Ferrand (cf. Cristaux d'hématite sur de la Pierre de Volvic (Puy de Dôme). Il en déduit qu'il doit y avoir d'anciens volcans au centre de la France. Guettard se rend à Volvic, et reconnait dans la Chaine des Puys, puis dans de nombreuses autres montagnes du Massif central, la morphologie caractéristique des volcans italiens qu'il connaissait, ce qui confirme son diagnostic fait à distance. Guettard a donc découvert les volcans du Massif central avant de les avoir vu, simplement en reconnaissant des "cailloux". Vingt-sept ans plus tard, en 1778, au début du règne de Louis XVI, un autre géologue, Bartelemi (orthographe de l'époque) Faujas de Saint-Fond (1741-1819) publia dans un livre le résultat de ses travaux faits quelques années plus tôt sur les « volcans éteints du Velay et du Vivarais » (le département de l'Ardèche n'existait pas encore). Un point un peu marginal, mais spectaculaire, dans la compréhension du phénomène volcanique intriguait particulièrement Faujas de Saint-Fond : les prismes (ou orgues) basaltiques. Sa discussion sur l'origine de ces structures ne prend que quelques lignes, mais, dans son livre, il a représenté ces prismes sur neuf schémas, qui sont autant d'œuvres d'art, bien que leur exactitude scientifique soit parfois discutable.

La semaine dernière, l'“image de la semaine” a été consacrée à la coupe (“coupe” au sens de volcan à cratère en patois ardéchois) et à la coulée de Jaujac, coulée magnifiquement prismée (cf La Coupe de Jaujac et sa coulée, un exemple de volcanisme effusif (Ardèche). D'autres aspects du volcanisme ardéchois avaient déjà été évoqués, comme, par exemple, dans Les nodules péridotitiques "ordinaires" de la coulée basaltique du Ray Pic, Burzet (Ardèche) pour une coulée quaternaire du Bas Vivarais, ou Le Plateau du Coiron (Ardèche), un empilement de coulées de basalte mio-pliocènes recouvrant des marno-calcaires mésozoïques pour le volcanisme miocène supérieur des Coirons. Nous allons rapidement feuilleter les 460 pages de ce livre de 1778 pour voir comment Faujas de Saint-Fond voyait la prismation des basaltes ardéchois. Étonnament, la Coupe de Jaujac et sa coulée ne sont pas représentées dans ce livre.

Puis, toujours avec Faujas de Saint-Fond, nous irons faire un petit tour pour voir le volcanisme paléocène écossais, lui aussi célèbre pour ses prismes basaltiques et sa célèbre grotte de Fingal sur l'ile de Staffa.

Page de titre de Recherches sur les volcans éteints du Velay et du Vivarais (1778) de Faujas de Saint-Fond

Figure 3. Page de titre de Recherches sur les volcans éteints du Velay et du Vivarais (1778) de Faujas de Saint-Fond

Les pages de ce grand livre mesurent 27x47 cm. Comme tous les livres imprimés à cette époque, ce livre a été publié « avec approbation et privilège du roi », à savoir Louis XVI. Ce roi, qui aimait les sciences de la nature, l'a-t-il lu ?


Dans son livre, l'auteur catégorise et décrit les basaltes, qu'il sépare en 10 classes, de noir foncé à blanc, en passant par gris blanc, graveleux… Les descriptions précises et les lieux de prélèvement, quand ils sont indiqués, permettent de montrer que certaines de ces roches appelées basaltes au XVIIIe siècle sont en fait des trachytes, des phonolites… Il classe les prismes en fonction de leur nombre de cotés (du triangle à l'octogone), de leur régularité, de leur débit (ou non) en boules (cf. «Le débit et l'altération en boules des basaltes» https://planet-terre.ens-lyon.fr/ressource/Img752-2022-06-20.xml)… Toutes ces descriptions prennent une quarantaine de pages. Mais dans ces pages, il y n'y a que 17 lignes explicitement destinées à expliquer la formation de ces prismes. À l'époque, la description et les classifications l'emportaient sur les explications. Il propose deux hypothèses : « cristallisation » ou « rupture par retrait dû au refroidissement ».

Extrait de la p.150 du livre de Faujas de Saint-Fond (1778), où l'auteur propose les deux hypothèses à la formation des prismes basaltiques

Figure 4. Extrait de la p.150 du livre de Faujas de Saint-Fond (1778), où l'auteur propose les deux hypothèses à la formation des prismes basaltiques

Les hypothèses sont : (1) « crystallisation senblable à celle des cristaux ou des sels » ou (2) « suite d'accidens opérés par la retraite d'une matière en passant de l'état d'incandescence le plus fort à l'état de refroidissement total ».


Extrait du livre de Faujas de Saint-Fond (1778), où l'auteur explique son choix d’hypothèse de formation des prismes basaltiques

Figure 5. Extrait du livre de Faujas de Saint-Fond (1778), où l'auteur explique son choix d’hypothèse de formation des prismes basaltiques

Faujas de Saint-Fond choisi la seconde hypothèse parce qu'il observe que les « lignes de séparation » fracturent des corps étrangers inclus dans la lave (corps étrangers qu'on appellerait enclaves en 2023). C'est, entre autres, ce type d'observation (cf., par exemple, Quand des nodules de péridotite sont fracturés par la prismation des basaltes, coulée du Ray Pic, Burzet (Ardèche)) qui fait que l'on explique ainsi maintenant l'origine de cette prismation.


Puisqu'on est dans une “image de la semaine” à thème historique, on peut remarquer en passant que ces deux extraits de texte montrent qu'il y a eu de grands changements dans l'orthographe et dans les conjugaisons ces 250 dernières années. Ce n'est que dans le milieu du XIXe siècle que l'orthographe se figea sous la pression de quelques intégristes. L'École de Jules Ferry et le (trop) grand rôle donné à l'orthographe paracheva ce “gel” qui perdure.

Pour bien connaitre la structure idéale d'une coulée avec ces trois niveaux théoriques (de bas en haut : “vraie” colonnade, entablement et fausse” colonnade), et pour comprendre l'origine de cette prismation, on se reportera à l'article La formation des orgues volcaniques. Dans la suite de cet article, nous vous présentons neuf gravures de basaltes prismés de l'Ardèche. Les figures 6 à 8 concernent des basaltes du Miocène supérieur du plateau du Coiron. Les figures 9 à 15 concernent des basaltes quaternaires de la province magmatique dite du Bas Vivarais. Dans la mesure du possible, les sites sont localisés par des fichiers kmz utilisables avec Google Earth. Ce n'est pas toujours facile, car les noms des sites, hameaux, villages… la végétation… ont bien changé depuis Louis XVI. Pour deux gravures (figures 13 et 15 à 17), on pourra comparer la réalité du XXIe siècle et la représentation du même site au XVIIIe.

On peut aussi remarquer que Faujas de Saint-Fond a toujours rajouté des personnages dans ses dessins, sans doute une façon de matérialiser l'échelle. Beaucoup de géologues modernes oublient ce genre de “détail”.

Prismes basaltiques à la base du château de Rochemaure (Ardèche), près de Montélimar

Figure 6. Prismes basaltiques à la base du château de Rochemaure (Ardèche), près de Montélimar

Il s'agit ici d'un basalte du Miocène supérieur, à rattacher au plateau du Coiron.

Localisation par fichier kmz du Chateau de Rochemaure (Ardèche).


Prismes basaltiques au Pic de Chenavari (Ardèche)

Figure 7. Prismes basaltiques au Pic de Chenavari (Ardèche)

Il s'agit ici d'un basalte du Miocène supérieur, à rattacher au plateau du Coiron.

Localisation par fichier kmz du Pic de Chenavari (Ardèche).


Les prismes du Rocher de Maillas (Ardèche)

Figure 8. Les prismes du Rocher de Maillas (Ardèche)

Il s'agit ici d'un basalte du Miocène supérieur, à rattacher au plateau du Coiron. Avec cette simple gravure, et si on compare cette gravure avec la structure théorique d'une coulée (cf. figure 6 de La formation des orgues volcaniques), on a du mal à connaitre la nature des deux tiers supérieurs de l'affleurement : entablement, surmontant la “vraie” colonnade d'une même coulée, ou deux coulées séparées par une surface d‘érosion ?

Localisation par fichier kmz du Rocher de Maillas (Ardèche).


Prismes de basalte dégagés par la Volane (nom du torrent) sous le pont de Bridon, maintenant Pont du Bridou (Ardèche)

Figure 9. Prismes de basalte dégagés par la Volane (nom du torrent) sous le pont de Bridon, maintenant Pont du Bridou (Ardèche)

Il s'agit ici d'un basalte quaternaire, appartenant à la province volcanique du Bas Vivarais. Ce qui affleure au niveau de la Volane semble être la vraie colonnade d'une coulée. Entablement et fausse colonnade auraient été érodés.

Localisation par fichier kmz des prismes du Pont du Bridon (Ardèche).


Prismes de basalte dégagés par le torrent la Volane près du pont de Rigaudel (Ardèche)

Figure 10. Prismes de basalte dégagés par le torrent la Volane près du pont de Rigaudel (Ardèche)

Il s'agit ici d'un basalte quaternaire, appartenant à la province volcanique du Bas Vivarais. On pourrait interpréter cet affleurement comme montrant l'entablement surmontant la vraie colonnade. La fausse colonnade aurait été érodée.

Localisation par fichier kmz des prismes du Pont de Rigaudel (Ardèche).


Prismes sur les bords de la rivière d'Aulière, maintenant la Fontolière (Ardèche)

Figure 11. Prismes sur les bords de la rivière d'Aulière, maintenant la Fontolière (Ardèche)

La droite de l'image avec ses prismes réguliers fait penser à une vraie colonnade. Par contre, la gauche avec ses prismes désordonnés, fait penser à un entablement. Qu'en est-il dans la réalité ? Il s'agit ici d'un basalte quaternaire, appartenant à la province volcanique du Bas Vivarais.

Localisation par fichier kmz des basaltes prismés en bordure de la rivière d'Aulière (la Fontolière) en Ardèche.


La cascade du Pont de Gueule d'Enfer (Ardèche)

Figure 12. La cascade du Pont de Gueule d'Enfer (Ardèche)

On voit bien du basalte prismé (en haut à gauche) datant du Quaternaire et reposant sur le socle granitique hercynien (les 2/3 inférieurs droits).

Localisation par fichier kmz du Pont de Gueule d'Enfer (Ardèche).


La figure suivante, ainsi que celles dont les localisations précises sont très faciles à déterminer, permettent de comparer (1) les croquis faits au XVIIIe siècle sur le terrain par Faujas de Saint-Fond (que l'on suppose fidèlement transformés en gravures par le graveur et l'éditeur) et (2) la réalité des sites telle qu'on peut la voir au XXIe siècle (en 2015 pour la Coupe d’Aizac). Si on postule que l'érosion a été négligeable ces 250 dernières années, les différences peuvent avoir deux origines : (1) le changement du couvert végétal, et (2) les changements de l'occupation humaine, et les aménagements effectués depuis 1878.

Coulée de basalte quaternaire prismé à Pont-de-Labeaume (Ardèche), sur les bords de l'Ardèche

Figure 13. Coulée de basalte quaternaire prismé à Pont-de-Labeaume (Ardèche), sur les bords de l'Ardèche

On voit bien ce qui ressemble à une vraie colonnade dans le quart inférieur de la falaise, et ce qui ressemble à un entablement dans les trois quarts supérieurs.

Localisation par fichier kmz de Pont-de-Labeaume (Ardèche).


Mosaïque d'images Google Earth Street View du même site que la gravure de la figure 13 (la rivière Ardèche se trouve juste de l'autre côté de la route)

Figure 14. Mosaïque d'images Google Earth Street View du même site que la gravure de la figure 13 (la rivière Ardèche se trouve juste de l'autre côté de la route)

Deux différences sautent aux yeux  : (1) les bâtiments d'habitations et les jardins potager attenants du XVIIIe ont été remplacés par des petits hangars et par un dépôt de matériaux de construction et (2) Faujas de Saint-Fond semble avoir surestimé l'épaisseur de l'entablement.


Les figures 1 et 2, qui ont servi de photographies d'entrée pour cette image de la semaine, comparées à la photographie actuelle du volcan (appelé “coupe”) d'Aizac (anciennement appelé Aisa), permet de voir les effets de la progression du couvert végétal dû à la quasi disparition de l'agro-pastoralisme dans ce secteur des Cévennes. On voit aussi les effets délétères indirects d'un certain intégrisme écologique. On est en effet dans le Parc naturel des Monts d'Ardèche, où couper un arbre est quasi impossible. Le Parc a pour vocation, entre autres, de montrer aux visiteurs plus de 50 volcans classés à l'UNESCO en tant que Géoparc. Mais laisser le paysage sans déboiser ou sans que les troupeaux l'entretiennent revient à rendre ces volcans invisibles à un œil non averti. J'ai rencontré dans la région des touristes venus « voir des volcans » (et non pas des forêts de chêne) et repartir très déçus. Car, en dehors des orgues basaltiques, ils n'avaient vu aucun volcan, du moins tels qu'ils les imaginaient.

Quand on enlève par la pensée le couvert végétal, on voit la différence entre la morphologie réelle du volcan d'Aizac et sa représentation “idéalisée” qu'en ont faite Faujas de Saint-Fond et son graveur. Les figures 15, 16 et 17 permettent de visualiser ces différences.S

Comparaison entre la Coupe d'Aizac telle qu'elle était en juillet 2015 et la vision qu'en a eu Faujas de Saint-Fond 237 ans plus tôt

Figure 15. Comparaison entre la Coupe d'Aizac telle qu'elle était en juillet 2015 et la vision qu'en a eu Faujas de Saint-Fond 237 ans plus tôt

On remarque que la montagne, qui n'était que très peu boisée en 1778, est maintenant complètement recouverte de forêt (effet de la disparition de l'agro-pastoralisme). On remarque aussi que le volcan de Faujas de Saint-Fond à une forme plus conique et avec des pentes plus raides que le volcan réel ; son cratère est plus petit et mieux marqués. Une coulée de lave s'échappe du cratère du dessin ; elle est pour le moins beaucoup plus difficile à voir dans la réalité de 2015. Quant à la rivière qui coule au pied de la montagne dans le dessin, elle est invisible dans le paysage de 2015.


Comparaison interprétée entre la Coupe d'Aizac telle que visible en juillet 2015 et la vision qu'en a eu Faujas de Saint-Fond 237 ans plus tôt

Figure 16. Comparaison interprétée entre la Coupe d'Aizac telle que visible en juillet 2015 et la vision qu'en a eu Faujas de Saint-Fond 237 ans plus tôt

Le cratère, égueulé, est souligné en bleu sur la photo de 2015. Il est moins marqué que sur le dessin. L'ouverture par où s'échappait la lave semble plus large que dans le dessin. Il en est de même pour la coulée qui s'en échappe, du moins telle qu'on peut la reconstituer malgré la forêt (traits rouges) ; elle semble beaucoup plus large que sur le dessin.


Tentative en 2015 pour retrouver les prismes du bord de la rivière dessinés 237 ans plus tôt par Faujas de Saint-Fond

Figure 17. Tentative en 2015 pour retrouver les prismes du bord de la rivière dessinés 237 ans plus tôt par Faujas de Saint-Fond

Faujas de Saint-Fond a dessiné des prismes de basalte bien visibles là où une rivière recoupe la coulée. Dans la réalité, cette rivière n'est qu'un petit ruisseau au débit très faible en ce mois de juillet 2015. Quand aux prismes, on ne les devine qu'avec peine au milieu d'une végétation dense.


Les observations très fines sur la fracturation des corps étrangers par les limites de prismes (cf. texte de la figure 5) et les deux exemples (Pont de Labaume et Coupe d'Aizac) montrent que les figures telles qu'on les trouve dans le livre ne font peut-être pas preuve de la même rigueur que les observations de détail sur les enclaves (qui n'ont d'ailleurs pas été représentées sur des gravures).

Au XVIIIe siècle, les scientifiques étaient souvent polyvalents. Buffon, par exemple, faisait des sciences naturelles, bien sûr, mais aussi de la physique (cf. Buffon, ou comment le siècle des Lumières envisageait l'origine du monde). Faujas de Saint-Fond n'était pas que “pétrographe et vulcanologue” comme on dirait de nos jours. Il était aussi paléontologue, cf. figures 4 et 5 de Les mosasaures, des reptiles marins géants du Crétacé supérieur. À la suite d'un voyage en Écosse, il publia un livre en 1797 où il traitait certes de géologie et de minéralogie, mais aussi de “sciences humaines” (arts et mœurs des écossais, par exemple).

Page de titre du second tome du livre que de Faujas de Saint-Fond consacra à l'Angleterre et à l'Écosse en 1797

Figure 20. Page de titre du second tome du livre que de Faujas de Saint-Fond consacra à l'Angleterre et à l'Écosse en 1797

C'est dans ce second tome qu'il s'intéressa au volcanisme des iles Hébrides.


Gravure de Faujas de Saint-Fond représentant une côte de l'ile de Boo-Schala, ile basaltique voisine de la célèbre ile écossaise de Staffa (Écosse)

Figure 21. Gravure de Faujas de Saint-Fond représentant une côte de l'ile de Boo-Schala, ile basaltique voisine de la célèbre ile écossaise de Staffa (Écosse)

Une profusion de prismes orientés dans tous les sens est visible. Ce volcanisme écossais, comme son vis-à vis irlandais de la Chaussée des Géants, appartient à la Province magmatique Nord-atlantique, province magmatique géante d'âge paléocène, sans doute liée à l'arrivé de la tête d'un point chaud (maintenant situé sous l'Islande) et associée à l'ouverture de l'Atlantique Nord (cf., par exemple, The North Atlantic Igneous Province: A review of models for its formation).


Gravure de Faujas de Saint-Fond représentant la célébrissime Grotte de Fingal, sur l'ile basaltique de Staffa (Écosse)

Figure 22. Gravure de Faujas de Saint-Fond représentant la célébrissime Grotte de Fingal, sur l'ile basaltique de Staffa (Écosse)

On reconnait la vraie colonnade en bas. On devine la base d'un entablement au plafond de la grotte.

Localisation par fichier kmz de la Grotte de Fingal, ile de Staffa (Écosse).


Vue moderne de l'entrée de la Grotte de Fingal, ile de Staffa (Écosse)

Figure 23. Vue moderne de l'entrée de la Grotte de Fingal, ile de Staffa (Écosse)

On voit très bien la vraie colonnade, et on voit mieux que sur la gravure la structure interne de l'entablement.


Vue globale de l'ile de Staffa en Écosse

Figure 24. Vue globale de l'ile de Staffa en Écosse

La Grotte de Fingal correspond à la cavité de droite.


La grotte de Fingal (Écosse) peinte par Turner en 1831-1832

Figure 25. La grotte de Fingal (Écosse) peinte par Turner en 1831-1832

L'ile de Staffa et la grotte de Fingal n'ont pas inspiré que Faujas de Saint-Fond. Le célèbre peintre anglais William Turner (1775-1851) a peint la grotte de Fingal en 1831-1832, comme le montre la vue globale et de détail de ce tableau. Turner était plus attiré par les jeux de couleurs, en particulier ceux dus au soleil couchant, que par les prismes basaltiques, qu'il a quand même représentés (cf. agrandissement). La passion de Turner pour les lumières extraordinaires vient des couleurs hors du commun des couchers de soleil des années 1816-1817 qu'il a admiré et peint quand il avait 42 ans. Ces couleurs extraordinaires étaient dues aux poussières et aérosols émis dans la stratosphère par l'éruption cataclysmique d'un volcan indonésien, le Tambora, en 1815 (cf. figure 13 de Le volcanisme, un acteur majeur de l'histoire de la Terre). On est toujours dans le volcanisme !

Cette grotte inspira aussi le musicien Mendelssohn pour sa pièce symphonique Les Hébrides ou La Grotte de Fingal. C'est aussi dans cette grotte que Jules Verne place la scène finale de son roman Le rayon vert (1882) (voir à ce sujet Le rayon vert (et même le rayon bleu), un phénomène atmosphérique réel que l'on peut photographier après une première “apparition” dans Le Chancellor (1874).


Localisation de l'ile de Staffa et du volcanisme paléocène écossais