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Un type de prismation basaltique spectaculaire et atypique aux îles de la Madeleine (Dakar, Sénégal) : la prismation « en arcs »
15/06/2015
Résumé
Un type inhabituel de prismation en longs prismes courbés en arcs disposés à plat, entre colonnade et entablement.
Nous avons déjà présenté plusieurs exemples d'orgues basaltiques (les orgues basaltiques des îles de Mitsio à Madagascar, de l'île de Staffa en Écosse ou de Panska Skala en République tchèque), de prismation de sills (sills basaltiques sur l'île de la Réunion, parc national de Yellowstone) ou de dykes (dykes des îles du Cap Vert). Rappelons que la prismation se développe perpendiculairement aux surfaces de refroidissement, le substratum et l'atmosphère dans le cas d'une coulée, l'encaissant dans le cas d'un sill ou d'un dyke. La prismation est donc verticale dans une coulée ou un sill, en une seule colonnade, avec toutefois, dans les coulées de vallée, l'intercalation fréquente d'un niveau intermédiaire, l'entablement, à prismation fine et irrégulière (cf. Sill et coulée dans le Parc National de Yellowstone, USA, La formation des orgues volcaniques).
Nous présentons ici un cas de prismation, remarquable autant par son caractère spectaculaire que par son type inhabituel, observé aux îles de la Madeleine près de Dakar, l'un des témoins du volcanisme miocène de la presqu'île du Cap-Vert (Sénégal). Cet archipel comprend l'île de la Madeleine (ou île aux Serpents), l'île principale, et au Sud-Est de celle-ci, l'île Lougne, qui regroupe des îlots et des récifs. Ces îles sont les restes d'une épaisse coulée basaltique. Elles font partie de la petite province volcanique néogène non différenciée de la presqu'île du Cap-Vert, située sur la marge atlantique passive de l'Afrique de l'Ouest. Les formations volcaniques occupent essentiellement la tête de la presqu'île et les petites îles de Gorée, de la Madeleine et de N'gor (Crevola et al., 1994 [2]).
Les îles de la Madeleine, inhabitées, sont un sanctuaire pour l'avifaune marine, ce qui a conduit à leur classement en Parc National en 1976. Elles offrent, en outre, au visiteur le spectacle grandiose de colonnades et de gerbes de prismes basaltiques surgissant des flots. La prismation y est soit classique, en orgues à une seule colonnade de prismes verticaux grossiers, soit atypique, avec de longs faisceaux de prismes courbes disposés à plat et séparés par de grandes discontinuités verticales. Cette dernière prismation sera par la suite dénommée prismation « en arcs » (sous-entendu, arcs disposés à plat).
Source - © 2010 Dorothy Voorhees / flickr.com | Source - © 2010 Dorothy Voorhees / flickr.com |
Le géologue Marcel Combier décrivait en 1952 le Sud de l'île de la Madeleine, l'île principale, en ces termes [1] : « Le Sud de l'île est divisé en secteurs d'une trentaine de mètres de hauteur, séparés par de profondes coupures au fond desquelles gronde la mer. Des gerbes de colonnes basaltiques d'axe courbe mais quasi horizontal paraissent se jeter l'une contre l'autre. On croirait saisi -depuis longtemps figé- le mouvement même des laves qui jaillissaient de la profondeur et se rencontraient en chocs gigantesques. À l'extrémité Sud de l'île, inaccessible, l'axe des colonnes se relève jusqu'à la verticale et dessine une arche naturelle entourée d'écume ».
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Source - © 2010 Dorothy Voorhees / flickr.com | |
Source - © 2011 HaguardDuNord / Wikimedia Commons |
Les caractéristiques de la prismation « en arcs » des îles de la Madeleine sont donc :
- Un empilement de prismes très longs (jusqu'à 80 m), en forme d'arcs à grand rayon de courbure et à concavité tournée vers le haut. La partie médiane des arcs se présente à plat, leur terminaison est redressée. Ces prismes sont de petit diamètre et d'aspect homogène sur toute leur longueur.
- La pointe Sud de l'île de la Madeleine est divisée en trois tronçons par des entailles verticales, agrandies par l'érosion marine, à partir desquelles les prismes ont des inclinaisons divergentes, se disposant en « mégachevrons ».
- La présence locale de restes d'une fausse colonnade faite de prismes très larges indique que les parties à prismation fine « en arcs » ont valeur d'entablement. La base des prismes est immergée et on n'observe pas le substratum, ni la vraie colonnade.
- La prismation « en arcs » contraste avec la prismation verticale en une seule colonnade de prismes grossiers (les classiques orgues basaltiques) de la plus grande partie de l'île (voir ci-dessous) sans que le passage d'un type à l'autre soit clairement défini.
Source - © 2014 Sénégal Escalade - ASE SN | Source - © 2014 Sénégal Escalade - ASE SN |
Source - © 2005 D'après NASA - Johnson Space Center, modifié |
À notre connaissance les prismations « en arcs », dont nous présentons deux autres exemples, sont relativement rares et leur étude détaillée reste à faire. Cependant des analogies avec les coulées à entablement permettent une première approche interprétative.
Source - © 2014 Hansueli Krapf / Wikimedia Commons | |
Source - © 2011 Michel Bonnefoy |
Les entablements, typiques des coulées de vallée, sont formés de prismes fins et courbes qui peuvent être disposés en éventails ou en chevrons à partir de cassures verticales. Leur texture fine et vitreuse témoigne d'un refroidissement plus rapide que celui des deux colonnades. Les travaux récents l'attribuent à la présence de fluides, pénétrant dans la coulée par des cassures verticales, eau provenant de la surface de la coulée et éventuellement, fluides libérés par la cristallisation de la lave, ce qui crée des surfaces de refroidissement verticales. Leur combinaison avec les surfaces de refroidissement horizontales "normales", parallèles à la base et au sommet de la coulée, conduit à une direction de refroidissement intermédiaire, ce qui explique le développement d'une prismation arquée (Forbes et al. , 2014 [3]).
Bien que de taille très différente, les « mégachevrons » de prismes présentent d'évidentes analogies avec les chevrons des entablements. Ainsi est-on conduit à considérer que les grandes cassures, dans le cas de l'île de la Madeleine et de la Columbia River, ou l'encaissant latéral supposé dans le cas de Prades, ont servi de surfaces de refroidissement verticales. On peut donc considérer que le modèle de prismation proposé pour les chevrons des entablements peut s'appliquer également à la prismation « en arcs ». Il conviendra pour ce dernier cas d'affiner le modèle de refroidissement pour expliquer le développement de prismes réguliers en arcs de très grande longueur, dont la partie centrale est disposée à plat.
Non loin du tumulte de la capitale, le Parc National des îles de la Madeleine est un site touristique attractif qui permet l'observation d'un biotope insulaire remarquable dans un cadre paysager exceptionnel. Il mériterait d'acquérir aussi le statut de site géologique classique, autant pour ses prismations spectaculaires que pour les perspectives d'études des mécanismes de la prismation « en arcs » et de leur contribution à la connaissance du phénomène général de la prismation.
Quelques références bibliographiques :
M. Combier, 1952. Note sur les pegmatitoïdes de Gorée et de l'Île aux Serpents, Bulletin de la Direction des Mines de l'Afrique Occidentale Française (AOF), Dakar, 10, 55-108
G. Crevola, J.-M. Cantagrel, C. Moreau, 1994. Le volcanisme de la presqu'île du Cap-Vert (Sénégal) : cadre chronologique et géodynamique, Bull. Soc. géol. France, 165, 5, 437-446 [pdf]
A.E.S. Forbes, S. Blake, H. Tuffen, 2014. Entablature: fracture types and mechanisms, Bull. Volcanol., 76, 820
A.C.Waters, 1960. Determining direction of flow in basalts, Am. J. of Sci., 258A, 350-366 [pdf]