Image de la semaine | 02/10/2023
La Coupe de Jaujac et sa coulée, un exemple de volcanisme effusif (Ardèche)
02/10/2023
Résumé
Cratère égueulé, coulée et prismations.
Le Massif central fait partie des provinces de France métropolitaine permettant d'observer des anciens volcans et produits d'éruptions (coulées, courants de densité pyroclastiques…) cénozoïques plutôt bien préservés (bien que recouverts de végétation).
En Ardèche, dans le Vivarais, la “Coupe de Jaujac” (faisant partie du géoparc des Monts d'Ardèche), est un cône avec cratère égueulé et une coulée qui sont observables dans le paysage ou à l'occasion d'une randonnée. Cet ancien volcan (avec un de ses voisin, la “Coupe d'Aizac”) était déjà identifié comme tel par le géologue Faujas de Saint-Fond dès 1778. Son nom, “coupe”, est attribué à la forme, évoquant, dit-on, une coupe à boire.
La coupe de Jaujac est un volcan ayant présenté une activité strombolienne (encore appelée “mixte”, c'est-à-dire avec émission d'une lave fluide et la présence de gaz, terme basé sur l'activité éruptive du volcan italien Stromboli), caractérisée par une projection de laves fluides (ici de composition basaltique) retombant autour du point d'émission. La projection de lave dans l'atmosphère nécessite la présence de gaz et les fragments de lave qui refroidissent dans l'atmosphère (parfois en prenant des formes aérodynamiques, comme c'est le cas des bombes en fuseau) retombent de manière balistique autour du point d'émission. Ces fragments de lave refroidis et accumulés, appelés scories, expliquent la construction du cône. Des paquets de lave de plus gros volume projetés sont à l'origine des blocs de laves. Dans le cône de scories (ou cône strombolien), les scories à proximité du centre du cône sont rouges. Cette couleur est liée à l'oxydation du fer II en fer III dans la zone où la température est maximale. Elles sont regroupées sous le terme faciès « cœur de cône ». En périphérie du cône, les scories sont noires, le fer n'a pas été oxydé car la température était moindre. Cette zone constitue le faciès « bas de cône ».
Au niveau de la Coupe de Jaujac, une source d'eau ferrugineuse riche en CO2 est visible. La présence de fer est expliquée par le lessivage de cet élément dans les roches en profondeur (probablement les basaltes ou les minéraux ferromagnésiens du socle). La présence de CO2 est liée à l'activité volcanique de la région ou au lessivage de rares lithologies locales riches en carbonates (marbres par exemple). L'eau peut être d'origine météorique : en s'infiltrant dans les failles, l'eau de pluie descend en profondeur, se réchauffe, lessive différents éléments et se charge en CO2. Elle ressort en surface par des phénomènes de convection hydrothermale. Ce type de source n'est pas rare en pays volcanique (cf. Les sources thermominérales d'Auvergne : aspects géologiques). Cette partie de l'Ardèche est réputée pour ses sources d'eaux minérales et pour son thermalisme (cf. Deux geysers du Massif Central : la « Source Intermittente » de Vals-les-Bains et la « Gargouillère » de Lignat).
Sortant de la Coupe de Jaujac, une coulée basaltique peut être suivie sur le cours du Lignon.
La coupe de Jaujac a émis une coulée qui s'est écoulée sur 3,5 km vers le Nord en suivant le cours du Lignon (les coulées s'écoulent selon la gravité dans les points bas). Au Nord, la vallée étant obstruée par une autre coulée, la progression de la lave a été limitée, ce qui explique l'accumulation de lave sur parfois près de 50 m d’épaisseur.
Depuis, le Lignon a incisé la coulée ce qui permet d'en voir l'organisation interne. Les coulées sont théoriquement structurées en trois parties dont les noms sont empruntés au vocabulaire de l'architecture avec, du sommet vers la base, 1/ la fausse colonnade constituée de prismes verticaux frustes, 2/ l'entablement – séries de prismes de basaltes orientés dans toutes les directions, et enfin 3/ la colonnade – séries de prismes verticaux. La coulée de Jaujac permet d'observer ces trois parties (parfois au même endroit, cf. figure 6 de La formation des orgues volcaniques) bien que l'érosion ait pu soustraire la partie sommitale de la coulée. Au sommet et à la base, les coulées peuvent se fragmenter et donner des surfaces scoriacées (en surface) et des semelles scoriacées (à la base de la coulée) sur laquelle cette dernière progresse.
La prismation verticale observée peut s'expliquer par un phénomène de rétraction thermique lors du refroidissement de la roche, il se produit la formation de fractures en suivant des formes polygonales (la forme hexagonale est classique mais n'est pas la règle générale). Cette forme est celle qui accommode le mieux les contraintes de rétraction thermique dans la matière (cf. La formation des orgues volcaniques). Dans les structures volcaniques, la prismation suit le gradient de température, c'est-à-dire qu'elle est perpendiculaire aux surfaces isothermes (sol, atmosphère, encaissant). Pour une coulée, ces surfaces sont le sol et l'atmosphère, la prismation (tout du moins pour la colonnade) est globalement verticale, pour un dyke, filon vertical, la prismation si elle est observée sera horizontale (cf. La prismation interne des dykes : exemple des dykes de l'île de Sao Vincente, Cap Vert), pour un sill, filon horizontal, elle sera verticale (cf. Sill et coulée dans le Parc National de Yellowstone, USA), pour un neck, cheminée volcanique dégagée par l'érosion, elle sera rayonnante à partir d'un axe (figure ci-dessous).
Dans la coulée de la coupe de Jaujac, un sill a pu être identifié ce qui témoigne d'une injection tardive de magma dans la coulée refroidie ou en train d'être refroidie.
En remontant vers le Nord, le Lignon rejoint l'Ardèche sur laquelle il est possible d'observer une coulée plus ancienne que celle de la Coupe de Jaujac, la coulée du volcan de Souilhol.
L'âge de l'éruption de la Coupe de Jaujac n'est pas bien contraint avec des âges différents obtenus par différentes méthodes (thermoluminescence, carbone 14, paléomagnétisme, méthode Ar-Ar). Les méthodes donnent des âges globalement compris entre 45 000 et 15 000 ans (cohérents avec les relations géométriques entre les différentes coulées), ce qui en ferait l'un des volcans les plus jeunes de cette province et du Massif central (le plus jeune étant le maar du lac Pavin dans le Puy de Dôme avec une éruption il y a environ 6 000 ans).
Dans la Grotte Chauvet, se situant à plusieurs dizaines de kilomètres, des peintures rupestres interprétées comme des dessins d'éruptions ont été identifiées et datées à environ 34 000 ans (S. Nomade et al., 2016. A 36,000-Year-Old Volcanic Eruption Depicted in the Chauvet-Pont d'Arc Cave (Ardèche, France)?,.PLOS ONE, 11, 1, e0146621 – open access). Elles pourraient correspondre à l'observation d'éruptions de volcans du bas vivarais représentées par les Homo sapiens habitant alors la région. Ces traces seraient les plus anciennes traces d’enregistrement d'éruptions volcaniques par l'être humain.
Source - © 2016 D. Genty / V. Ferruglio et D. Baffier dans S. Nomade et al.
Le socle de la zone est composé de migmatites, gneiss, micaschistes, granites et autres roches et a déjà fait l'objet d'une image de la semaine, La passerelle de Baysan (Pont-de-Labeaume, Ardèche) : un musée d'objets tectono-métamorpho-migmatito-magmatiques.
Pour voir un autre exemple de l'intérieur d'une coulée, il est possible de redécouvrir l'architecture de la coulée de la vallée de la Sioule dans La complexité de la structure interne d'une coulée de basalte, carrière de Roure, Saint-Pierre le Chastel (Puy-de-Dôme).
Si l'on s'intéresse au magmatisme cénozoïque du Massif central, on pourra consulter l'article de Pierre Nehlig et al., Les volcans du Massif central paru dans la revue Géologues en 2003.
Pour une synthèse plus générale sur le volcanisme et son importance dans l'histoire de la Terre, il est aussi possible de lire ou relire l'article de Pierre Thomas, Le volcanisme, un acteur majeur de l'histoire de la Terre.