Image de la semaine | 28/11/2022
La passerelle de Baysan (Pont-de-Labeaume, Ardèche) : un musée d'objets tectono-métamorpho-migmatito-magmatiques
28/11/2022
Résumé
Fusion partielle, extraction de “liquide”, enclaves, déformations, réactions minéralogiques, métamorphisme… dans un seul site au bord de l’eau.
La structure initiale de la roche (des gneiss et/ou des micaschistes variés) a presque complètement disparu. La fusion partielle a produit du liquide qui peut avoir légèrement migré en se concentrant dans la foliation préexistante. Il peut avoir migré un peu plus et forme alors des veines ou des amas clairs en général concordant avec la foliation, mais pouvant la recouper. Des niveaux très sombres peuvent correspondent soit à des niveaux partiellement fondus mais dont tout le liquide a migré, soit d'ancien niveaux très pélitiques qui, du fait de leur chimie, n'ont quasiment pas fondu. L'échelle est donnée par le sable à grains millimétriques (en bas à gauche).
Les conditions d'affleurement sont assez exceptionnelles, et n'ont rien à envier à des affleurements dans des pays quasi-désertiques (cf. Les migmatites micro-plissées de la Sand River, Afrique du Sud).
Localisation par fichier kmz de l'affleurement de migmatite de la passerelle de Baysan, Pont-de-Labaume (Ardèche).
Figure 2. Affleurement de migmatite situé près de la passerelle de Baysan (Pont-de-Labaume, Ardèche) La structure initiale de la roche (des gneiss et/ou des micaschistes variés) a presque complètement disparu. La fusion partielle a produit du liquide qui peut avoir légèrement migré en se concentrant dans la foliation préexistante. Il peut avoir migré un peu plus et forme alors des veines ou des amas clairs en général concordant avec la foliation, mais pouvant la recouper. Des niveaux très sombres peuvent correspondent soit à des niveaux partiellement fondus mais dont tout le liquide a migré, soit d'ancien niveaux très pélitiques qui, du fait de leur chimie, n'ont quasiment pas fondu. L'échelle est donnée par le sable à grains millimétriques (au centre gauche), et par la végétation à l'arrière-plan. Les conditions d'affleurement sont assez exceptionnelles, et n'ont rien à envier à des affleurements dans des pays quasi-désertiques (cf. Les migmatites micro-plissées de la Sand River, Afrique du Sud). | |
Le BRGM n'a pas carté le lit majeur de l'Ardèche entièrement figuré comme Quaternaire. Mais ce qui a été carté sur la rive Sud montre la diversité des faciès. | Source - © 2014 Simon Couzinié et al. Figure 6. Carte géologique simplifiée du Sud-Est du Dôme du Velay La passerelle de Baysan est située au point 29A (surligné en jaune). On trouve dans les quelques centaines de mètres carrés situés sous la passerelle quasiment tous les faciès indiqués comme “gneisses and migmatites” dans la légende de droite. |
Les dalles rocheuses situées dans le lit de l'Ardèche sous la passerelle de Baysan (Pont-de-Labeaume, Ardèche) constituent un véritable musée des phénomènes tectono-métamorpho-migmatito-magmatiques. On est situé au Sud-Est du Dôme du Velay (figure 6).
L'histoire géologique de ce secteur est très complexe. Jean-François Moyen et Arnaud Villaros résument ainsi cette histoire géologique varisque dans le livret-guide d'une excursion :
Sur la bordure Sud du Dôme du Velay (vallée de l'Ardèche), trois épisodes ont affecté les orthogneiss et paragneiss de l'Unité Inférieur des Gneiss : un épisode métamorphique syn-collision (D2, daté de 360-340 Ma) relatif à la mise en place des nappes de la chaîne varisque et deux épisodes de fusion relatif à l'extension de la chaîne : D3 daté à 315-320 Ma pour des conditions de P > 5 kbar et T < 750°C, marqué par une fusion M3 dans le champ de stabilité de la biotite ; et un épisode D4 daté à < 301±5 Ma pour des conditions de P = 4-5 kbar et T = 760-850°C associé à la formation de migmatites M4, à cordiérite et feldspath potassique (déstabilisation de la biotite). Les migmatites observées ici sont principalement M3, avec de discrètes marques de réaction M4« ».
Dans le secteur de la passerelle de Baysan, la notice de la carte géologique de Burzet décrit cinq unités : (1) Migmatite hétérogène, (2) Micaschistes, gneiss et quartzite, (3) Quartzite à minéraux calcomagnésiens, (4) Vaugnérite (= roche magmatique basique), (5) Leptynite. Pour montrer la complexité de ces roches, voici par exemple comment cette notice décrit ainsi l'un des faciès de l'unité (1), les “migmatites hétérogènes” :
Les nébulites forment un ensemble tellement hétérogène qu'il est impossible d'en donner en quelques lignes une description précise. Le type moyen est une roche dans laquelle des traînées discontinues, schlieren, bouffées nuageuses et tourbillonnaires de biotite dessinent une vague structure gneissique. Dans d'autres échantillons, cette structure peut disparaitre presque complètement (on passe alors au granite) ou au contraire conserver les caractères de la roche originelle. La détermination de la nature de cette dernière est par ailleurs très difficile, souvent même impossible (nébulites indifférenciées, CM, CMC). Seuls quelques indices permettent parfois d'en avoir une idée : présence de porphyroblastes d'orthose en voie de résorption dans les nébulites provenant des gneiss œillés, faciès hololeucocrate à grenats des nébulites qui dérivent des leptynites, nébulites riches en biotite, cordiérite et enclaves gneissiques provenant de l'unité supérieure.
Dans leur livret guide Géologie de la chaîne hercynienne dans l'Est de Massif Central Français”, Jean-François Moyen et Arnaud Villaros décrivent ainsi les affleurements situés sous la passerelle de Baysan :
Dans le lit de l'Ardèche, sous le pont, on observe des paragneiss partiellement fondus. Il s'agit de métatexites ; les niveaux de liquides restent confinés dans la foliation de la roche d'origine, qui n'a pas perdu sa cohésion mécanique. On voit encore clairement l'organisation en mésosome/leucosome/mélanosome (ici à biotite, et souvent sillimanite). On observe par endroit des structures de migration et d'extraction de liquides, comme des accumulations dans des charnières de plis (“saddle reef”) ou des veines sécantes qui connectent des « lits » de liquides. Enfin, on trouve ça et là quelques « cocardes » de leucosomes à cœur de cordiérite, qui témoignent de la déstabilisation de la biotite dans en cordiérite à la transition M3/M4. On trouve aussi des enclaves de roches résistantes, peu ou pas fondues (« restites »), et des petites intrusions de vaugnérites.
Le but de cette image de la semaine n'est pas de retracer l'histoire fort complexe du Dôme du Velay, mais de montrer en 27 photographies un échantillonnage des objets visibles sous la passerelle, de visiter rapidement ce véritable musée des phénomènes et objets tectono-métamorpho-migmatito-magmatiques. Outre les rapides légende accompagnant ces photos, le lecteur pourra se référer aux descriptions ci-dessus.
Liquides de fusion et restites non fondues sont restés (en partie) mélangés dans les zones migmatitiques alors que les accumulations de liquide de fusion forment des passées très claires et épaisses. | Liquides de fusion et restites non fondues sont restés (en partie) mélangés dans la zone migmatitique centrale alors que, de part et d'autre, les accumulations de liquide de fusion forment des passées très claires et épaisses. |
On observe bien une légère accumulation de liquide de fusion dans la charnière du pli. | On observe bien une légère accumulation de liquide de fusion dans la charnière du pli. |
La grosse enclave centrale (voir détail à la photo suivante) montre un très net litage plissé. | Figure 12. Détail d'un pli interne dans la grosse enclave à litage plissé de la figure précédente Le caractère anisopaque de ce pli (charnière épaissie, flancs amincis) est parfaitement visible. La couche verdâtre correspond à ce que la carte géologique de Burzet appelle « quartzite à minéraux calcomagnésiens ». |
Cette enclave est très sombre et ne montre aucun litage particulier (enclave basique ?). Elle a été fracturée, et les fractures sont injectées de magma acide (couleur claire). | Cette enclave est très sombre et ne montre aucun litage particulier (enclave basique ?). Elle a été fracturée, et les fractures sont injectées de magma acide (couleur claire). |
Cette enclave montre un litage très net (ancienne stratification, schistosité/foliation ?). Ce litage est replissé, alors que le litage des migmatites englobant l'enclave ne l'est pas. Un bel exercice de chronologie relative. | Cette enclave montre un litage très net (ancienne stratification, schistosité/foliation ?). Ce litage est replissé, alors que le litage des migmatites englobant l'enclave ne l'est pas. Un bel exercice de chronologie relative. |
Cette enclave montrant un litage très net (ancienne stratification, schistosité/foliation ?). Ce litage est replissé, alors que le litage des migmatites englobant l'enclave ne l'est pas. Un bel exercice de chronologie relative. | Cette enclave montrant un litage très net (ancienne stratification, schistosité/foliation ?). Ce litage est replissé, alors que le litage des migmatites englobant l'enclave ne l'est pas. Un bel exercice de chronologie relative. |
L''histoire tectono-métamorpho-migmatito-magmatique de la région est tellement complexe qu'on peut trouver des enclaves d'enclaves au sein des migmatites ! | Figure 20. Enclave d'enclaves dans les migmatites de la passerelle de Baysan (Ardèche) L''histoire tectono-métamorpho-migmatito-magmatique de la région est tellement complexe qu'on peut trouver des enclaves d'enclaves au sein des migmatites ! |
Figure 23. Micro-faille tardive recoupant une enclave au sein des migmatites, passerelle de Baysan (Ardèche) Ne déformant pas (au moins de façon apparente) la schistosité/foliation de la migmatite, le mouvement de long de cette faille a dû se faire à plus basse température que la déformation tardive des figures 21 et 22. | Ne déformant pas (au moins de façon apparente) la schistosité/foliation de la migmatite, le mouvement de long de cette faille a dû se faire à plus basse température que la déformation tardive des figures 21 et 22. |
Les dalles de migmatites au pied de la passerelle de Baysan permettent de visualiser une réaction à la fois de fusion partielle et de métamorphisme. Il s'agit de la réaction “biotite + albite + quartz + silicate d'alumine (sillimanite) → liquide + cordiérite + feldspath potassique”, le liquide recristallisant en une roche claire, très riche en orthose. La formation du liquide s'accompagne de la destruction de biotite : on obtient donc des “cocardes” formées d'une zone de liquide (maintenant solide dépourvu de biotite) autour des nodules de cordiérite. Cette réaction se produit à une température de 750 à 850°C pour une pression de 4 à 5 kbar, pression correspondant à une profondeur de 12 à 15 km. Le gradient géothermique lors de la mise en place du dôme du Velay était donc d'environ 60°C/km, le double du gradient continental habituel. On est bien là dans un contexte HT-BP.
On a là un “instantané figé” de la réaction “biotite + albite + quartz + silicate d'alumine → liquide + cordiérite + feldspath potassique”. | On a là un “instantané figé” de la réaction “biotite + albite + quartz + silicate d'alumine → liquide + cordiérite + feldspath potassique”. |
Au-dessus, au sein de la migmatite, on voit le rouge-rosé de quelques grenats alors qu'on est en contexte HT-BP, preuve s'il en était besoin que les grenats ne sont pas caractéristique de la HP (cf. Non, les grenats ne sont pas caractéristiques de haute pression !). | Au-dessus, au sein de la migmatite, on voit le rouge-rosé de quelques grenats alors qu'on est en contexte HT-BP, preuve s'il en était besoin que les grenats ne sont pas caractéristique de la HP (cf. Non, les grenats ne sont pas caractéristiques de haute pression !). |
Les belles migmatites affleurent sur la rive gauche, sous la passerelle.