Image de la semaine | 12/03/2018
Étudier les bélemnites et leur phragmocône dans le centre commercial de la Part-Dieu (Lyon, Rhône)
12/03/2018
Résumé
Rostre, phragmocône et siphon chez les céphalopodes, cas des bélemnites.
Merci à MM. Nicolas Felix-Faure, Ferruccio Vincenti, et Juan Aguilera Martin pour leurs informations sur le marbre rouge Al-Andalus, ainsi qu'à Pascal Neige pour ses indications sur la phylogénie des céphalopodes.
Les dalles polies de places et trottoirs, les pavés des rues, les allées intérieures de lieux publics tels des centres commerciaux … permettent souvent de voir de beaux objets géologiques, objets géologiques de provenance locale dans le cas de constructions et d'aménagement "anciens", objets plus "exotiques" pour les constructions et aménagement plus récents où sont souvent utilisées des roches d'importation. C'est le cas des allées du centre commercial de la Part-Dieu à Lyon, où les décorateurs ont utilisés, entres autres, des dalles de calcaire blanc et des dalles de calcaire noduleux rouge dit "Al-Andalus", provenant de carrières de la région de Manilva en Andalousie. Ce calcaire noduleux rouge appartient au faciès ammonitico rosso, faciès caractéristique du Jurassique (souvent supérieur) "alpin", que l'on trouve du Sud de l'Espagne [3] jusqu'à la Grèce et à la Turquie, en passant par les Alpes…
Ces dalles permettent de voir des rostres de bélemnite classiques (figure3), des rostres avec leur phragmocône en connexion (figures 1 et 2), et des phragmocônes isolés (figure 4). De nombreuses ammonites sont également présentes dans ces dalles du centre commercial (figures 25 et 26).
Si les rostres de bélemnite sont des fossiles classiques, caractéristiques du Jurassique et du Crétacé, leurs phragmocônes se fossilisent plus rarement, et sont très souvent méconnus des étudiants. Trouver rostre et phragmocône en connexion est encore plus rare.
Les phragmocônes et les rostres de bélemnites sont souvent trouvés séparément et généralement seul les rostres sont préservés. Ceci s'explique par des modes différents de minéralisation des parties dures des bélemnites. Le rostre est massif, il est formé par de la calcite en prismes radiaires. Il est donc assez facilement préservé. Les cloisons du phragocône, elles, sont fines et sont formées d'aiguilles d'aragonite. Leur conservation est plus délicate car l'aragonite est généralement déstabilisée au cours de la diagenèse, elle peut alors être remplacée par de la calcite, parfois de la pyrite ou de la silice. La fossilisation du phragmocône est souvent assuré par le remplissage des cloisons par les sédiments environnants qui forment alors un moulage interne de la structure.
Par définition, le phragmocône est l'ensemble des chambres de la coquille des céphalopodes. Le phragmocône est donc constitué de chambres séparées par des cloisons minéralisées appelées "septa". Ces cloisons sont percées par un siphon (figures 8, 15, 16, 20, 24), sauf chez les seiches. Chez les ammonoïdes et chez la majorité des nautiloïdes, le phragmocône est spiralé. Il n'est droit que chez les nautiloïdes droits (= les orthocères, vivant de l'Ordovicien au Permien) et chez les bélemnitoïdes (groupe composé principalement des bélemnites sensu stricto). Les figures suivantes montrent la position du phragmocône d'une bélemnite par rapport au rostre.
Les premiers phragmocônes remontent aux origines des céphalopodes, au Cambrien. Externe chez les nautiles et les ammonites, le phragmocône est internalisé chez les coléoïdes (tous les céphalopodes actuels sauf les nautiles) (figure 9). Les loges, ou chambres, du phragmocône sont remplies d'eau et de gaz, principalement composé d'azote. La proportion liquide/gaz peut être modifiée par l'animal, entraînant une modification de la masse volumique de l'organisme et donc de sa flottabilité. Chez les coléoïdes, le phragmocône internalisé n'a plus de rôle de protection mais conserve un rôle de régulateur de flottabilité. Certains coléoïdes, comme certains calmars, ont perdu la capacité à minéraliser leur coquille. L'organe résultant est alors purement organique et porte le nom de gladius (ou encore "plume", pour les calmars). Chez les octopodes (les poulpes), la régression est allée jusqu'à la perte totale du gladius.
Source - © 2018 Théo Marchand, inspiré de Kröger et al. (2011) [2]
Contrairement au reste du corps des céphalopodes, les phragmocônes se conservent plutôt bien et donnent de nombreux fossiles très utilisés par les géologues. Les fossiles de nautiles et d'ammonites sont presque toujours exclusivement des parties du phragmocône, les tissus mous et la loge d'habitation étant rarement retrouvés. Les bélemnites au contraire, sont plus connues pour leur rostre, partie minéralisée recouvrant partiellement et prolongeant l'apex du phragmocône (figure 3).
Si les phragmocônes des céphalopodes sont bien homologues entre eux, les choses se compliquent lorsqu'on entre dans le détail des structures. Par exemple, la pointe en partie postérieure de l'os de seiche est parfois appelée "rostre" (figures 12 et 13). Or, d'après Dirk Fuchs (2012) [1], chercheur à l'institut des sciences géologiques de Berlin, cet appendice n'est homologue qu'au "rostre primordial" de la bélemnite, c'est-à-dire à une formation secondaire de la cloison, uniquement visible en coupe transversale. La majeure partie du rostre de bélemnite est une troisième formation (calcitique) qui n'a pas d'équivalent chez la seiche.
Les dalles du centre commercial de la Part-Dieu (Lyon) permettent de ne voir que des coupes de rostres et de phragmocônes. Les photos suivantes présentent des phragmocônes en 3D, avec ou sans leurs rostres.
La collection de l'ENS de Lyon possède de nombreuses bélemnites avec tout ou partie de leur phragmocône conservé, ainsi que des phragmocônes isolés. Nous vous montrons quelques-uns de ces échantillons, d'origine géographique inconnue.
Il n'y a pas que des fossiles de bélemnites à voir quand on parcourt le centre commercial de la Part-Dieu à Lyon. Certaines dalles de calcaires blancs montrent des gastéropodes stromatolitisés (cf. figures 11 et 12 de Ammonites, gastéropodes et stromatolithes (oncolites) dans les lieux publics et les dalles de calcaire noduleux rouge (ammonitico rosso) montrent des ammonites, bien plus nombreuses que les bélemnites. Ces calcaires ammonitico rosso sont souvent employés pour daller des allées commerçantes, des halls d'immeubles… calcaires en provenance d'Espagne, d'Italie… et plus exceptionnellement du Briançonnais. Pensez-y et cherchez des fossiles quand vous marcherez dessus. Avec plus de 35 millions de visiteurs en 2016, la fréquentation du centre commercial de la Part-Dieu de Lyon est énorme. Il devrait donc être facile pour beaucoup de personnes de profiter d'une séance "shopping" pour admirer quelque-uns de ces spécimens.
Références bibliographiques
D. Fuchs, 2012. The ‘‘rostrum''-problem in coleoid terminology – an attempt to clarify inconsistencies. Geobios, 45, 1, 29-39 - doi:10.1016/j.geobios.2011.11.014
B. Kröger, J. Vinther, D. Fuchs, 2011. Cephalopod origin and evolution: A congruent picture emerging from fossils, development and molecules. BioEssays, 33, 8, 602–613 - doi :10.1002/bies.201100001
M. Reolid, P. Rivas, F.J. Rodríguez‐Tovar, 2015. Toarcian ammonitico rosso facies from the South Iberian Paleomargin (Betic Cordillera, southern Spain): paleoenvironmental reconstruction. Facies, 61, 22 - doi :10.1007/s10347-015-0447-3