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Image de la semaine | 04/09/2023

Le 7 novembre 1492, une météorite tombe près de la ville d’Ensisheim (Haut-Rhin)

04/09/2023

Pierre Thomas

Laboratoire de Géologie de Lyon / ENS de Lyon

Olivier Dequincey

ENS de Lyon / DGESCO

Résumé

Représentations de bolides, météores et météorites. Ensisheim : première météorite à la fois observée, dessinée à de multiples reprises, étudiée et conservée.



Le 7 novembre 1492, une météorite tombe à Ensisheim, en Alsace. C’est la première chute de météorite ayant lieu en Europe à être à la fois observée, bien documentée et ayant permis de ramasser des fragments de la météorite.

Le MNHN décrit ainsi cet évènement (les [xx] correspondent à des rajouts personnels).

Le 7 novembre 1492 vers midi, quelques semaines à peine après que Christophe Colomb a découvert l’Amérique [et quelques mois après que les Espagnols ont achevé la Reconquista avec la prise de Grenade], une gigantesque explosion, entendue dans toute l’Alsace et une grande partie de la Suisse, retentit au-dessus d’Ensisheim [qui était alors possession des Habsbourg d’Autriche], une petite ville située à 25 km au Sud de Colmar. Un enfant aperçoit une pierre tomber dans un champ, et creuser un trou d’un mètre de profondeur. Les habitants de la ville, immédiatement accourus prélèvent de nombreux fragments jusqu’à ce que le bailli intervienne et confisque la météorite. [La masse totale de ce qui est tombé à Ensisheim est estimée à 135 kg]. Quelques semaines après la chute, des feuilles volantes (des tracts ou Flugblätter) intitulées Sur la pierre de tonnerre tombée à Ensisheim en l’an 1492 sont diffusées dans tout le bassin rhénan. [Il ne faut pas oublier qu’on est en pleine période de diffusion de l’imprimerie. Initialement tirés en noir et blancs, il y eu des tirages postérieurs colorisés. Le nom « pierre de tonnerre » donné à cette météorite montre que si son origine « céleste » était évidente, il s’agissait plus d’une origine « atmosphérique » voire divine qu’une origine spatiale ou extra-terrestre.] L’auteur de ces tracts est Sébastien Brant (1458-1521), savant renommé et soutien de Maximilien Ier de Habsbourg (1459-1519), héritier du Saint Empire Romain Germanique.

Le 26 novembre, près de trois semaines après la chute, Maximilien entre dans Ensisheim et fait amener la mystérieuse pierre au château. Après plusieurs jours de délibération, ses conseillers interprètent la chute comme un présage favorable dans la perspective de la lutte contre les Français. Rassuré, Maximilien prélève deux morceaux de la météorite, et part immédiatement en campagne. De fait, Maximilien bat les armées du roi de France [Charles VIII] lors de la bataille de Dournon le 17 janvier 1493. Cette victoire donne l’occasion à Brant de publier de nouvelles feuilles volantes sur la météorite à la fin de l’année 1493. Le savant rend bien sûr la pierre responsable de la victoire de Maximilien. [Ces tracts avaient donc une fonction plus politique qu’éducative.]

Le reste de la pierre est restitué aux habitants d’Ensisheim qui l’enchaînent dans le chœur de l’église, où elle restera jusqu’à la révolution française.

Sébastien Brant ne fut pas le seul “intellectuel” à avoir observé (de près et/ou de loin) cette chute et à l’avoir représentée. Le célèbre peintre et graveur Albrecht Dürer (1471-1528) a assisté à cette chute ou du moins à sa traversée de la haute atmosphère et a entendu le bruit de l’explosion car il résidait à Bâle en 1492 (distant de 40 km du point de chute), il a rencontré d’autres témoins… Cet évènement l’a suffisamment impressionné pour qu’il le “glisse” dans de nombreuses gravures (figures 5 à 7) et le peigne au dos d’un de ces tableaux (figure 8). De nombreux anonymes de la fin du XVe siècle et du début du XVIe en ont fait autant.

Fresque moderne peinte sur l’un des murs de la Maison centrale d’Ensisheim, représentant Sébastien Brant présentant l’un de ses tracts à Maximilien

En 1793, pour qu’elle soit visible par le plus grand nombre (l’éducation du peuple était l’un des buts de la Révolution), les autorités révolutionnaires l’exposent dans la Bibliothèque nationale de Colmar. De nombreux prélèvements sont réalisés : cadeaux pour des visiteurs d’importance, spécimens à analyser pour des savants (dont le physicien allemand Ernst Chladni qui s’intéressa, entre autres, aux météorites) et des muséums… En 1803, la ville d’Ensisheim récupère le plus gros fragment de la météorite et le replace dans son église. Le 6 novembre 1854, l’église voit son clocher s’effondrer. La météorite est alors entreposée à l’école, puis à l’Hôtel de la Régence, devenu depuis le Musée municipal d’Ensisheim. C’est là qu’on peut voir ce gros fragment (55,75 kg, 32 cm de haut pour 28 cm de large). On peut également y voir des tirages ou des photos de diverses gravures représentant la chute de la météorite…

Dans la suite, nous vous montrons d’autres gravures ou peintures représentant cette chute (figures 5 à 14), puis des photographies de la météorite elle-même (figures 16 à 22) et enfin des photographies extérieures du Musée et de l’église (figures 25 à 28).


Mélancolie, gravure sur cuivre d’Albrecht Dürer, réalisée en 1514

Figure 6. Mélancolie, gravure sur cuivre d’Albrecht Dürer, réalisée en 1514

Le “phénomène céleste” visible en haut à gauche représenterait la chute de la météorite d’Ensisheim.


La Sorcière, gravure sur cuivre d’Albrecht Dürer datant de 1500-1501

Figure 7. La Sorcière, gravure sur cuivre d’Albrecht Dürer datant de 1500-1501

Le “phénomène céleste” visible en haut à gauche représenterait la chute de la météorite d’Ensisheim. On y voit des pierres tombant vers le sol. Des “angelots géologues” ramassent des morceaux de météorite qui viennent de tomber.



La Chronique de Nuremberg, un des plus célèbres et des plus fameux incunables du monde, publié en 1493, fait une allusion discrète et une autre explicite à cette chute de météorite.

Initialement, le mot météore, du grec ancien μετέωρος / metéôros (« en haut » ou « qui s’élève »), désignait l’ensemble des phénomènes lumineux visibles dans le ciel. Le sens du mot a depuis évolué. Depuis quelques dizaines d’années on réserve le mot “météore” à la traînée (ou à la boule) lumineuse produite par l’entrée dans l’atmosphère d’un corps extraterrestre. Les artistes n’ont que rarement représenté des météores (autres que de simples étoiles filantes). On peut citer le grand Raphaël (1483-1520) qui a figuré dans sa toile la Madone de Foligno (cf. La chute d’une météorite peinte par Raphaël dans la Madonna di Foligno (Madone de Foligno), Musée du Vatican), actuellement au musée du Vatican, un météore qui a traversé le ciel de Lombardie le 4 septembre 1511. L’objet rocheux à l’origine du météore est encore plus rarement représenté, et la chute de la météorite d’Ensisheim de 1492 correspond sans doute à un record du monde sur ce sujet.

L’impact lui-même est encore plus rarement dessiné. Pour le plaisir, nous vous montrons ci-dessous (figure 15) la gravure figurant la chute et l’impact de la célèbre météorite d’Orgueil tombée en 1864 dans le Tarn et Garonne. Scientifiquement, cette météorite d’Orgueil est plus intéressante que celle d’Ensisheim. En effet, cette météorite (de classe et de type CI 1) a été la première dans laquelle on a identifié de la matière organique (dont des acides aminés).

Quatre-vingt-dix météorites ont été trouvées en France depuis 1492, dont 91 % après en avoir observé la chute comme à Ensisheim ou à Orgueil. Les 9 % restants sont de simples “trouvailles” d’une météorite tombée dans les années ou siècles qui précèdent, mais trouvailles dont on a pu prouver qu’il s’agissait d’une météorite et non pas d’un nodule de sulfure ou d’un morceau de déchet métallurgique d’une forge médiévale. On peut alors faire quelques statistiques “amusantes”. Depuis 1492 (il y a 531 ans), on trouve en moyenne une météorite tous les 531/90 = 6 ans. Pendant la même période, les Premiers ministres (ou ce qui en tenait lieu sous l’ancien régime) occupent cette fonction en moyenne pendant 4 ans (plus longtemps sous l’ancien régime que sous la République). On a donc, statistiquement, plus de chance d’être nommé Premier ministre que de trouver une météorite en France. Ces “statistiques à la louche” (valables avant l’apparition des détecteurs de métaux et du programme Fripon) devraient tempérer l’enthousiasme de tous ceux qui pensent avoir trouver une météorite.

Gravure représentant la chute d’un des fragments de la météorite d’Orgueil (Tarn et Garonne) le 14 mai 1864

Figure 15. Gravure représentant la chute d’un des fragments de la météorite d’Orgueil (Tarn et Garonne) le 14 mai 1864

Le dessinateur, s’il ne dessine pas la météorite, dessine la trajectoire suivie par la météorite dans la basse atmosphère et le nuage de poussière causé par l’impact.


La météorite d’Ensisheim est une chondrite LL6. La classe “LL” signifie que le rapport “fer réduit / fer oxyd” est faible (≈ 1/5). Le type “6” signifie que la roche constituant cette météorite a subi une (relativement) forte température pendant et/ou après l’accrétion du corps parent dont elle est issue. Ce corps parent était suffisamment “gros” pour que la chaleur d’accrétion et la radioactivité à courte période aient suffisamment chauffé (sans aller jusqu’à la température de fusion) pour le “métamorphiser”. Dans les chondrites de type 6, ce métamorphisme a quasiment effacé la visibilité (à l’œil nu) des chondres.

Dans le Musée de la Régence d’Ensisheim, on voit très bien le gros fragment “historique”. D’abondants commentaires et des reproductions de gravures permettent de bien se faire une idée de ce qui s’est passé en 1492. Par contre, on peut regretter de ne pas pouvoir observer (au moins en juin 2012, date de ma visite dans ce musée) des fragments (ou des photographies de fragments) permettant de voir la structure interne de cette météorite, des analyses, des lames minces… Et les données, textes et commentaires scientifiques sont, hélas, extrêmement limités (au moins en 2012). Manifestement, les concepteurs de cette salle du musée étaient (en 2012) beaucoup plus intéressés par l’art et l’histoire que par la géologie et l’astronomie. Dommage qu’ils n’aient pas été, comme Sébastien Brant, intéressés par tous les champs de la culture humaine.

La salle du Musée de la Régence d’Ensisheim où est exposée la météorite

Figure 16. La salle du Musée de la Régence d’Ensisheim où est exposée la météorite

La météorite, protégée par une vitrine de verre, trône au milieu de la salle et peut être vue sous toutes ses faces.


Vue globale de la météorite d’Ensisheim (état de juin 2012)

Figure 17. Vue globale de la météorite d’Ensisheim (état de juin 2012)

L’échelle est donnée par l’exemplaire du roman de Jules Verne La chasse au météore que les conservateurs du Musée ont mis dans la vitrine, et par mon couteau suisse au premier plan. Peu de structures visibles à l’œil nu sont apparentes à travers la vitrine, comme pour toutes les chondrites de type 6. Des “explications”, hélas exclusivement historiques, sont disposées au pied de la vitrine. L’interprétation de ce qu’on voit est laissée au seul visiteur qui doit se débrouiller seul. Dommage !


Gros plan sur la partie supérieure de la météorite d’Ensisheim (Haut-Rhin)

Figure 18. Gros plan sur la partie supérieure de la météorite d’Ensisheim (Haut-Rhin)

Les parties brillantes correspondent sans doute à des restes de la croute de fusion. Le musée ne donne aucune interprétation sur ce qu’on voit à travers la vitrine et il est très difficile de distinguer olivines, (ortho)pyroxènes, traces d’oxydation, matrice…


Gros plan sur la partie centrale de la météorite d’Ensisheim (Haut-Rhin)

Figure 19. Gros plan sur la partie centrale de la météorite d’Ensisheim (Haut-Rhin)

Le musée ne donne aucune interprétation sur ce qu’on voit à travers la vitrine et il est très difficile de distinguer olivines, (ortho)pyroxènes, traces d’oxydation, matrice…


Le web permet d’avoir d’autres données que ne donnait pas (en 2012) le Musée. Par exemple, la Meteoritical Society permet d’avoir des photographies macroscopiques de différents fragments, des forums de la communauté météoritique francophone montrent des lames minces, wikipedia présente d’intéressants échantillons macroscopiques montrant la nature bréchique de la météorite d’Ensisheim…

Gros plan sur un fragment de la météorite d’Ensisheim

Figure 20. Gros plan sur un fragment de la météorite d’Ensisheim

Les graduations inférieures représentent des millimètres.


Lame mince taillée dans la météorite d’Ensisheim, lumière polarisée analysée

Figure 21. Lame mince taillée dans la météorite d’Ensisheim, lumière polarisée analysée

On voit ce qui semble être le reste d’un chondre, des olivines et des pyroxènes (pas toujours faciles à reconnaitre sur cette simple photo), une matrice finement recristallisée, des parties noires (peut-être du fer métallique ou sous forme de sulfures)…


Gros fragment de la météorite d’Ensisheim conservé au Muséum national d’Histoire naturelle (Paris)

Figure 22. Gros fragment de la météorite d’Ensisheim conservé au Muséum national d’Histoire naturelle (Paris)

Ce fragment a une masse de 8,3 kg. On voit très bien sur la face avant et surtout sur la face coupée (et vernie) en haut à droite, que ce bloc est constitué de brèche, avec des éléments sombres emballés dans un ciment / une matrice plus clairs.


Fragment de la météorite d’Ensisheim conservé au Naturmuseum de Freiburg (Allemagne)

Figure 23. Fragment de la météorite d’Ensisheim conservé au Naturmuseum de Freiburg (Allemagne)

On voit très bien sur cette face coupée que ce bloc est fait de brèche, avec des éléments sombres emballés dans un ciment / une matrice plus clairs.


Les météorites correspondent à des fragments d’astéroïdes éjectés d’un corps parent en général situé dans la ceinture principale, entre Mars et Jupiter. Cette éjection débute par une collision ou un choc entre ce corps parent et un autre corps ; puis ces fragments suivent des orbites complexes qui les amènent à croiser l’orbite de la Terre. Les corps parents des chondrites viennent de l’accrétion (sans fusion) de poussières et de planétésimaux. Ce mode de genèse pourrait expliquer leur nature bréchique. Une fois l’accrétion terminée, la surface du corps parent subit encore collisions et impacts, ce qui la “bréchifie” encore sur une certaine épaisseur. Rien d’étonnant à ce que la météorite d’Ensisheim qui provient d’un astéroïde ait une structure bréchique.

Vues globale et de détail de l’astéroïde Bénou (ou Bennu) photographié en décembre 2018 par la mission NASA OSIRIS Rex

Figure 24. Vues globale et de détail de l’astéroïde Bénou (ou Bennu) photographié en décembre 2018 par la mission NASA OSIRIS Rex

Cet astéroïde mesure environ 500 m de “diamètre”. Le champ de la photo de droite mesure environ 60 m de côté. On comprend pourquoi de nombreuses météorites, fragments d’astéroïde, ont une nature bréchique.


L’Hôtel de la Régence d’Ensisheim (Haut-Rhin), devenu depuis le Musée municipal d’Ensisheim

Figure 25. L’Hôtel de la Régence d’Ensisheim (Haut-Rhin), devenu depuis le Musée municipal d’Ensisheim

C’est dans ce bâtiment du XVIe siècle, devenu le Musée municipal d’Ensisheim, qu’est exposée la météorite d’Ensisheim.


L’église d’Ensisheim (Haut-Rhin), où fut conservée la météorite de 1493 à 1793, puis de 1803 à 1854

Figure 26. L’église d’Ensisheim (Haut-Rhin), où fut conservée la météorite de 1493 à 1793, puis de 1803 à 1854

Mais bien que la météorite ne soit plus dans l’église, celle-ci conserve un intérêt géologique. Comme de nombreuses églises alsaciennes, cf., par exemple, Étudier la sédimentation et l’érosion des grès en se promenant dans Strasbourg, celle-ci est surtout faite en grès, grès rose ou grès jaune, véritables musées de figures sédimentaires.




Localisation d’Ensisheim (Haut-Rhin) en Alsace