Image de la semaine | 13/04/2020
Les falaises de Sainte-Honorine-des-Pertes (Port-en-Bessin, Calvados) : un aperçu de la sédimentation jurassique affectée par de la tectonique et des phénomènes superficiels
13/04/2020
Résumé
Les lithologies de la falaise normande de Port-en-Bessin : calcaires, marnes, oolithes et fossiles repères .
Après un aperçu morphologique des falaises de Sainte-Honorine-des-Pertes (cf. Les falaises de Sainte-Honorine-des-Pertes (Port-en-Bessin, Calvados) : un aperçu de la géomorphologie littorale) nous nous intéressons, ici, aux différentes lithologies et à leurs relations de la base au sommet de la falaise. Toutes ces roches sont datées du Jurassique moyen, de l'Aalénien (−174 Ma) au Bathonien (fin à −166 Ma).
La suite présente une à une les différentes lithologies et les contacts entre les différentes unités.
Les oncolithes et les stromatolithes sont des structures regroupées (avec les pisolithes) sous le terme de microbialites, c'est-à-dire des roches dont la formation est liée au métabolisme de micro-organismes. La nature biologique des oolithes n'est pas toujours avérée et est souvent attribuée à une précipitation purement chimique. Dans les cas classiquement observés, elles se forment en condition proches de la surface dans la zone photique. L'explication de telles structures fait intervenir le couplage entre la photosynthèse qui pompe le CO2 par la réaction 6 CO2 + 6 H2O → glucose + 6 O2. La consommation de CO2 tire l'équilibre des carbonates vers la précipitation de calcite : Ca2+ + 2 HCO3− → CaCO3 + CO2 + H2O (voir, entre autres, Le karst de Port-en-Bessin (Calvados) : résurgences sous-marines, pertes, travertins). Ce ne sont pas toujours des bactéries photosynthétiques qui participent directement à cette précipitation, en déposant elle-même de fines couches de calcaire autour d'un germe préexistant. Mais, souvent, des microorganismes photosynthétiques planctoniques sursaturent l'eau de mer en CaCO3. Les grains de sable, micro-fragments de coquilles et oolites préexistantes, sont entourés d'un voile bactérien pas forcément photosynthétique. C'est ce voile bactérien qui sert de germe de nucléation à cette précipitation de carbonate, en particulier ses composés membranaires comme les glycoprotéines.
En milieu agité, les oolithes peuvent “grossir”. On a alors formation de pisolithes (taille de petit pois [piso-] , inférieure à 1 cm) ou oncolithes (taille de tumeur [onco-], centimétrique). En milieu calme, ces structures forment des tapis microbiens dans lesquels toute zone surélevée où la photosynthèse est plus efficace forme un monticule plus haut que le tapis alentour, ce qui favorise ces zones de croissance plus proches de la lumière. Le tapis microbien peut aussi être fragmenté et les fragments être à l'origine d'oncolithes.
Les oolithes et oncolithes de l'Aalénien normand sont parfois différentes. D'abord, pisolithes et oncolithes de l'Aalénien sont souvent beaucoup plus riches en oxyde de fer (Fe3+) qu'en carbonate de calcium. Elles sont parfois composées d'oxydes ou d'hydroxydes de fer presque purs [hématite Fe2O3, goethite FeO(OH)…]. D'autre part, les travaux réalisés par Préat et al. (2000) montrent qu'ici les profondeurs de dépôt et de formation sont souvent sous la zone photique, au niveau de la limite d'action des vagues de tempêtes, et donc que ces microbialites, du moins celles très riches en oxydes ferriques, ne peuvent être expliquées par les processus photosynthétiques. Pour ces auteurs, la formation de ces structures résulterait du métabolisme de bactéries ferroxydantes (et éventuellement de champignons filamenteux) dans un milieu anoxique ou pauvre en O2 et riche en fer (donc réducteur dans lequel le fer est sous forme Fe2+) à l'origine de la précipitation d'hématite et de goethite. Ces bactéries chimiolithotrophes vivaient à l'interface entre l'eau réductrice interne au sédiment et l'eau de mer (ou imbibant les quelques centimètres les plus superficiels des sédiments) qui, elle, est oxydante. Ces bactéries tireraient leur énergie de l'oxydation du Fe2+ mobile par l'O2 dissout dans l'eau de mer, Fe2+ qui deviendrait Fe3+ immobile sous forme de goethite et/ou d'hématite. La nature et l'aspect ferrugineux des différentes formations ne serait donc pas uniquement diagénétique comme on le pensait il y a quelques dizaines d'années, mais pourrait dater de l'activité biologique des micro-organismes formant les oolithes, oncolithes et stromatolithes.
Notons que sous les couches aalénienne et bajocienne (175-167 Ma) contenant ces microbialites ferrugineuses se trouve le Toarcien (183-175 Ma) qui est très riche en sédiments réduits (marnes noires…). Cela explique que les eaux circulant dans les sédiments superficiels non encore diagénitisés pendant l'Aalénien et le Bajocien, remontant des sédiments toarciens plus profonds soient très réductrices et forment des concrétions ferrugineuses biogénétiques à l'interfaces entre eaux réductrices et eaux oxydantes.
Il est à noter qu'un peu partout dans le monde les mers et océans du Toarcien sont réducteurs [on parle de l'“évènement anoxique océanique” (EAO) toarcien]. Les sédiments riches en fer oolithique se sont formés à de nombreuses époques en France (et ailleurs dans le monde). Mais l'Aalénien, qui suit cet EAO toarcien est l'un des étages les plus riches en fer oolithique. En France par exemple, le principal gisement de minerai de fer, la minette de Lorraine, est constitué d'oolithes d'oxyde de fer et date de… l'Aalénien.
La notice de la carte de Grandcamp-Maisy au 1/50 000 propose la reconstitution des environnements de dépôts suivante (les annotations en gras sont ajoutées pour identifier les différentes lithologies et surfaces présentées) :
L'Aalénien commence par un niveau condensé d'oolithes ferrugineuses, suivi par des calcaires glauconieux et silteux (Malière), montrant une tendance transgressive qui se poursuit jusqu'au Bajocien inférieur (SH1 puis dépôts de la couche verte). Suit une phase d'érosion (SH2), puis une nouvelle phase de sédimentation condensée d'oncolithes et oolithes ferrugineux qui se produit lors du passage Bajocien moyen - Bajocien supérieur (Oolithe ferrugineuse zone (a)). Les données sédimentologiques indiquent un épisode d'ablation et de dépôt condensé intervenu ici sur un haut-fond de mer ouverte, haut-fond qui pouvait aller jusqu'à l'émersion dans la région de Sainte-Honorine-des-Pertes (SH3). Au Bajocien supérieur, transgression et subsidence reprennent, le territoire de la feuille Grandcamp-Maisy est alors situé dans le domaine de plate-forme carbonatée interne en position distale (Oolithe ferrugineuse zones (b), (c) et (d) et Calcaires à spongiaires). Au Bathonien inférieur, il passe brutalement en régime de plate-forme externe avec dépôt de marnes (Marnes de Port-en-Bessin). Au Bathonien moyen la subsidence s'accroît, mais ne parvient pas à compenser le taux de sédimentation. Aussi le comblement du bassin par les sédiments amène le passage progressif des fonds d'un domaine de plate-forme externe dominé par les terrigènes fins à un domaine de plateforme interne à sédimentation bioclastique (Calcaires du Bessin) ; la transgression bathonienne est alors à son maximum.
Sur le rebord de la plage, au-dessus des formations jurassiques, des formations quaternaires classiques des littoraux normand et bretons sont visibles (voir aussi Les plages de l'ile de Groix (Morbihan) : plage convexe, sables à grenats, dynamique sédimentaire et climatique, processus d'altération / érosion côtière).
On distingue deux ensembles : une partie mal triée formée de blocs anguleux liés par des éléments plus fins et une partie totalement composée d'éléments fins. Les éléments fins sont interprétés comme des lœss (fraction granulométrique fine de type argile et silts), sédiment périglaciaires (ici), et les formations avec blocs anguleux comme des coulées de solifluxion formées aussi en milieu périglaciaire lors de la dernière période glaciaire.
Lors de la dernière période glaciaire, les glaciers descendaient aux plus basses latitudes sur le Nord de l'Europe. La Normandie se situaient dans une région périphérique de la calotte glaciaire. Ces régions étaient soumises aux vents froids et rapides (dévalant la calotte glaciaire – l'air froid est dense) : les vents catabatiques. Ces vents ont un fort pouvoir érosif (le phénomène est appelé déflation). Ils transportent de particules de faibles granulométries qui seront ensuite consolidées et forment le loess.
Les phénomènes d'alternances gel-dégel sont aussi responsables de processus de reptation des sols qui peuvent conduire à la déstabilisation des sols et donner des dépôts mal triés appelés coulées de solifluxion mobilisant les roches ayant subi de la cryoclastie.
Dernier point abordé dans cet article, la falaise présente aussi des accidents tectoniques témoins de l'histoire de cette région. La faille présentée est appelée faille des Hachettes.
Sur la plage de Sainte-Honorine-des-Pertes, une faille normale Ouest-Est affectant tout le Jurassique est visible dans les discontinuités de unités sédimentaires soulignées par la végétation. L'âge de cette faille normale (post-jurassique moyen) n'est pas clairement établi et pourrait être lié au rejeu d'une ancienne faille lors de l'ouverture de l'Atlantique (qui débute à la fin du Trias) ou en lien avec la tectonique alpine.
L'accès à ces affleurements se fait uniquement à marée basse à partir de Sainte-Honorine-des-Pertes (accès possible aussi depuis Port-en-Bessin).
Pour les enseignants et curieux de la géologie de la région, de nombreux compléments indispensables à cet article et à la géologie normande sont à consulter sur le site de la Lithothèque de l'académie de Caen.
Si les lithologies les plus visibles de la falaise sont celles présentées, il existe une grande variation de ces lithologies (et de leur contenu fossilifère) qui ont permis à Alcide d'Orbigny, en 1852, de proposer de définir le stratotype du Bajocien à la base de ces falaises. Le contenu fossilifère de chacune des unités et la construction du stratotype seront abordés dans les semaines à venir.
Bibliographie
G. Fily et coll., 1989. Notice de la carte géologique de Grandcamp-Maisy au 1/50 000, BRGM
Doré et coll., 1987. Guide géologique régional, Normandie – Maine, Masson éd.
A. Préat, B. Mamet, C. De Ridder, F. Boulvain, D. Gillan, 2000. Iron bacterial and fungal mats, Bajocien stratotype (Mid-Jurassic, northern Normandy, France), Sedimentary geology, 137, 107-126