Image de la semaine | 01/10/2018
Les sources karstiques au pied des plateaux calcaires
01/10/2018
Résumé
Exemples de sources, exsurgences et dépôts de travertins au pied de massifs karstiques.
Nous avons vu les deux dernières semaines (cf. Se promener sur ou autour des causses et Aven, lavogne, toit citerne… Comment gérer l'eau sur les causses ?) que l'eau ne restait pas à la surface des plateaux calcaires comme les causses, et s'infiltrait en profondeur par des fractures, des avens… Mais cette eau doit bien ressortir quelque part, en particulier quand elle rencontre des niveaux imperméables. Nous allons voir quatre exemples de ces sorties au pied des plateaux calcaires, avec quatre modalités différentes.
Le premier exemple correspond à un secteur où fissures et avens sont mal connectés les uns aux autres et ne se réunissent pas en d'importants courants d'eau (type rivière souterraine) drainant de nombreux avens et fractures. L'eau ressort alors de façon dispersée, par exemple sous forme d'une ligne de sources localisées à l'interface niveau perméable / niveau imperméable, sources certes nombreuses mais d'un faible débit individuel. Ces petites sources, qui sourdent à l'interface niveau calcaire ou dolomitique perméable / niveau imperméable, sont souvent trop faibles pour engendrer des ruisseaux. Elles peuvent par contre être utilisées pour alimenter des abreuvoirs, des habitations… En témoigne le hameau semi-troglodytique d'Églazines (commune de Mostuéjouls, Aveyron) qui domine les gorges du Tarn. Ces habitations se sont installées à la limite entre le Bathonien supérieur calcaro-dolomitique (J2b), très perméable, et le Bathonien inférieur marneux (J2a) relativement imperméable, là où coulent ces nombreuses sources à faible débit.
Le deuxième exemple correspond à une exsurgence avec un débit notable. Quand les eaux d'infiltration qui pénètrent dans la masse calcaire par les diaclases et les avens se rassemblent, elles peuvent former de véritables rivières souterraines. Quand ces rivières souterraines avec un débit “soutenu” sortent en surface, on parle d'exsurgence. On ne parle de résurgence que si une part notable de l'eau qui sort ne vient pas des infiltrations, mais de la perte d'un ruisseau ou d'une rivière. De très nombreuses exsurgences sortent au pied des causses, que ce soit les Grands Causses (Aveyron, Gard, Lozère) ou les Causses du Quercy (Corrèze, Dordogne, Lot). Quand la source sort légèrement plus haut que le niveau de base local, souvent un moulin y est installé. Nous vous présentons ici les sources de Briance, situées au pied du Causse de Martel, à la limite des communes de Martel et de Saint-Denis-lès-Martels (Lot).
Source - © 2013 Roger Cossemyns | |
D'autres exsurgences peuvent être vues sur Eaux bleues d'origine karstique, sur Quand la nappe de Beauce, particulièrement basse au printemps 2012, ressort dans les alluvions quaternaires de la Loire... Des pertes et/ou des résurgences peuvent être vues sur La perte du Bonheur et l'abîme de Bramabiau (Gard), sur Les pertes de la Goule de Foussoubie (Ardèche) et de la Lesse (Belgique), sur Le Mas d'Azil (Ariège) : la perte et la résurgence de l'Arize...
Toutes ces petites et grandes sources finissent par former des ruisseaux coulant à l'air libre. Ces ruisseaux sont très chargés en en Ca2+ et HCO3− et du CaCO3 peut précipiter dans ou au bord du lit du ruisseau.
Le troisième exemple concerne le village de Saint-Rome-de Tarn, situé au bord du Tarn, là où un ruisseau, le Lévéjac, se jette dans le Tarn, 15 km en aval de Millau et de son célèbre viaduc (Aveyron). Ce confluent est au pied occidental du Causse du Larzac, qui domine le Tarn de 300 à 400 m. De haut en bas, cette partie occidentale du Larzac est constituée de :
- Dolomie du bathonien supérieur (J2b),
- Calcaire et dolomie (avec niveau charbonneux) du Bathonien inférieur (J2a),
- Calcaire à chaille et dolomie du Bajocien (J1a et J1b),
- Calcaire noduleux et marnes aaléniennes (l8 - l9),
- Marno-calcaire et argilites du Toarcien (l7),
- Calcaires et calcaires argileux du Carixien et du Domérien (l5 et l6),
- Calcaires et dolomies du Sinémurien (l3 - l4),
- Calcaire et dolomies de l'Hettangien (l1 - l2),
- Grès et marnes du Trias (tm).
L'essentiel de la série est carbonatée, et, à part quelques niveaux marneux interstratifiés, la série est perméable en grand jusqu'à l'Hettangien compris. Le Trias moyen, lui, est beaucoup plus imperméable. Les niveaux marneux interstratifiés peuvent donner lieu à des sources (voir figures 1 à 4). Mais au-dessus de Saint-Rome-de-Tarn, qui est bâti sur du Trias moyen imperméable (et sur du travertin), la série est principalement constituée de 250 m de calcaires et dolomies hettangiennes et sinémuriennes, karstifiées et perméables en grand. De nombreuses sources sortent de la base de ces calcaires et dolomies, et forment des petits ruisseaux comme le Lévéjac. L'eau de ces sources, et donc celle du Lévéjac, est très chargées en Ca2+ et HCO3−. En arrivant au-dessus du lit du Tarn, une rupture de pente a occasionné une augmentation de la vitesse et de l'agitation de l'eau, donc une perte de CO2 selon la très célèbre équation :
- Ca2++ 2 HCO3− ⇀ CO2 (qui dégaze) + CaCO3 (qui précipite) + H2O.
Une terrasse de travertin (en forme de delta) se dépose au niveau de la rupture de pente, et progresse vers l'aval en comblant progressivement le débouché de la vallée du Lévéjac et en empiétant sur le lit du Tarn.
Un petit ruisseau chargé en Ca2+ et HCO3−, et arrivant au niveau d'une grande vallée ne fabrique pas toujours une terrasse dominant et empiétant sur la vallée principale. Ce cas sera notre quatrième exemple.
Au niveau du Bugey (Sud du département de l'Ain), la limite Monts du Jura / vallée du Rhône correspond à un escarpement topographique, héritage probable et de la tectonique, et de la dernière glaciation (−18 000 ans). Le Gland, ruisseau qui coule dans le Bugey calcaire, est alimenté par de nombreuses sources karstiques et ses eaux sont chargées en Ca2+ et HCO3−. Son lit domine la plaine du Rhône d'environ 60 m. En arrivant au niveau de l'escarpement, le Gland forme une cascade, la cascade de Glandieu (sur les communes de Brégnier-Cordon et de Saint-Benoit, Ain). Cette cascade, comme celle de Saint-Rome-de-Tarn, dépose actuellement du travertin. Mais, contrairement à la cascade de Saint-Rome-de-Tarn, cette cascade ne se trouve pas au bout d'un promontoire ou d'une terrasse s'avançant dans la vallée du Rhône, mais, au contraire, au bout d'une mini-vallée entaillant le versant. Si actuellement la cascade de Glandieu montre que le Gland dépose du travertin, il n'a pas dû en être toujours ainsi, et le creusement par érosion a dû dominer les dépôts par précipitation dans des temps passés. Pourquoi ce changement de régime, avec passage d'une phase érosive à une phase de dépôt ? Peut-être est-ce dû à l'installation, au début du XXème siècle, de captages (en vue d'alimenter des chutes d'eau fournissant la force motrice à une usine, puis à une petite centrale hydroélectrique) qui ont complètement changé le débit et la vitesse du courant ?
D'autres dépots calcaires, largement d'origine biogéniques, peuvent être vus sur Dépôts de travertin à la sortie de sources karstiques, sur Les barrages de travertin, les gours (lacs) en escaliers et les coulées (escaliers) de "tuf" des ruisseaux du Jura, sur Stromatolithes vivant dans des ruisseaux du massif du Jura…