Image de la semaine | 24/09/2018
Aven, lavogne, toit citerne… Comment gérer l'eau sur les causses ?
24/09/2018
Résumé
Retenir de l'eau en surface en domaine karstique.
En juillet-août 2018, j'ai été amené à passer deux jours dans les Causses du Quercy (Corrèze, Dordogne et Lot) et deux jours dans les Grands Causses (Aveyron, Gard et Lozère), cf. figures 21 et 22. En me promenant (presque) au hasard et en évitant autoroutes, routes nationales et lieux trop touristiques, j'ai été amené à faire suffisamment de photographies pour vous proposer quatre “images de la semaine”, dont trois concernent directement les causses. La semaine dernière, nous avons vu les paysages “classiques” des causses : espaces ouverts herbacés à perte de vue, forêts de chênes et de pins, gorges profondes, dolines, chaos ruiniformes… (cf. Se promener sur ou autour des causses)
À part au fond des gorges où coulent des rivières (ayant d'ailleurs souvent pris leur source en dehors des causses), et à part quelques fonds de dolines ou lac très temporaires (cf. Le lac d'Otjikoto (Namibie) et le lac des Rives (Causse du Larzac, Aveyron), une doline et un poljé inondés), le paysage des causses est marqué par la sécheresse et le manque d'eau. Et pourtant, la pluviométrie y est parfaitement normale, et plutôt même élevée sur ces flancs Ouest du Massif Central (environ 1000 mm/an). Pourquoi cette sécheresse superficielle ? Parce que les calcaires et les dolomies qui forment la surface des plateaux des causses, Causses du Quercy comme Grands Causses, sont fracturés. Mais contrairement aux fractures d'un grès, d'un basalte ou d'un granite, les fractures des carbonates sont élargies par la dissolution, alors que les fractures dans les roches silicatées sont souvent plus ou moins colmatées par les argiles issues de l'altération des silicates. Les massifs calcaires sont donc perméables en grand, alors que, sauf exception (comme la craie), le calcaire lui-même est imperméable (on fait des toits en lauzes calcaires). Cette dissolution des carbonates élargit les fractures, et celles qui drainent le plus d'eau deviennent relativement larges et pénètrent profondément dans la masse calcaire. Élargissement par dissolution et par éboulement des bords, soutirage à l'aplomb de galeries souterraines… transforment certaines de ces fissures (en connexion avec les réseaux souterrains) en gouffre, gouffre appelé “aven” sur les causses. Les plus étroits de ces avens, en particulier ceux situés au fond des dolines, sont assez souvent superficiellement bouchés de façon peu étanche par des troncs d'arbres, des blocs de rochers, le tout mal colmaté par des cailloutis, du sable et de l'argile. C'est pour ça que la majorité des dolines ne contiennent pas d'aven apparent dans leur fond, bien qu'elles ne deviennent pas pour autant des lacs à la moindre pluie. Les plus larges de ces avens ne se bouchent pas et correspondent à des trous béants s'ouvrant à la surface du plateau ou au fond des dolines, et sont autant de pièges mortels pour les animaux sauvages ou domestiques.
L'aven que nous vous montrons (figures 1 à 6) est situé au fond d'une doline près de la ferme de Dargilan sur le Causse Noir (commune de Meyrueis, Lozère). Les roches affleurant au sommet de l'aven sont des dolomies du Bathonien. Descendre dans cet aven est réservé aux spéléologues confirmés, mais cet aven “sauvage” est situé à 600 m de la célèbre grotte de Dargilan qui, elle, est aménagée et ouverte aux touristes.
Les figures suivantes correspondent à quatre zooms arrière permettant d'avoir une idée du contexte morphologico-géologique de cet aven.
Je ne connais pas dans les Grands Causses un aven aménagé pour permettre à des non-spéléologues amateurs de géologie de descendre dans le puits pour admirer la végétation tapissant les parois. Un tel aven aménagé existe dans les Causses du Quercy : l'Abime de la Fage (commune de Noailles, Corrèze). Si l'ouverture du gouffre n'est pas “sauvage” (il y a une maison bâtie juste à côté), un escalier qui ne défigure pas le gouffre (contrairement à d'autres cavités célèbres) permet de descendre les 25 m de profondeur de l'aven, et d'admirer la richesse végétale tapissant les parois de l'abime. Une visite libre où l'on peut prendre son temps est ensuite possible dans des galeries sur un “chemin” bien entretenu, avec stalactites et autres concrétions, chauves-souris, débris d'ossements d'ours des cavernes…
Que ce soit sur les Causses du Quercy ou les Grands Causses, la perméabilité en grand des calcaires et dolomies, les avens qui captent les rares ruisseaux… font qu'il n'y a pas d'eau en surface : ni cours d'eau, ni lac (sauf exceptionnellement, cf. Le lac d'Otjikoto (Namibie) et le lac des Rives (Causse du Larzac, Aveyron), une doline et un poljé inondés). Les fonds des dolines et des poljés, souvent tapissés d'argiles de décalcification sont plus humides et permettent la culture de céréales non gourmandes en eau. Mais les causses sont des terres d'élevage extensif, chèvres, vaches et surtout brebis (entre autre pour le Roquefort, cf. Quand la géologie rejoint la gastronomie : site et glissement de terrain de Roquefort (Aveyron) ). Or un mouton a besoin, en moyenne, de 4 à 6 litres d'eau par jour. Où trouver plus que les 500 litres quotidiens que demande un troupeau d'une centaine de brebis ?
Creuser des puits était très difficile dans les temps anciens, car le toit de la nappe phréatique qui ennoie le réseau karstique souterrain est souvent très profond, en général une centaine de mètres sous les Causses du Quercy, plusieurs centaines de mètres sous les Grands Causses.
Les anciens ont été très créatifs pour récupérer et garder l'eau de pluie. Ils ont aménagé certaines petites dolines. Ils en ont parfois relevé les bordures ; ils en ont imperméabilisé le fond et l'ont tapissé de pavés pour que le piétinement des moutons ne trouble pas l'eau ; ils ont aménagé de vagues réseaux de drainage pour augmenter la taille du “bassin versant” de la doline et ainsi récupérer plus d'eau de pluie… De telles dolines aménagées sont appelées “lavognes” sur les causses. Nous vous montrons ici une lavogne situé sur le Causse Méjean, près du hameau du Veygalier (Lozère). D'autre lavognes peuvent être vues dans Le lac d'Otjikoto (Namibie) et le lac des Rives (Causse du Larzac, Aveyron), une doline et un poljé inondés.
Les toits des bergeries et des maisons des villages étaient faits de lauzes calcaires imperméables, et les eaux de pluies étaient récupérées dans des citernes bâties (ou creusées dans le sous-sol) et imperméabilisées. Loin des villages et des bergeries, des dispositifs originaux ont été bâtis dans les siècles passés : les toits citernes. Une cavité était creusée dans le sol, dans des endroits où les calcaires étaient le moins fissurés possible. Les parois de la cavité étaient imperméabilisées, et la cavité devenait une citerne. Une cavité naturelle (départ d'un aven parfaitement colmaté) pouvait être utilisée. Au-dessus de cette citerne, une sorte d'amphithéâtre de cailloux était construite, et sa surface était “tuilée” de lauzes imperméables. L'ouverture de cet amphithéâtre était dirigée vers l'Ouest, en direction des vents dominants. Toute l'eau de pluie récupérée coulait vers la citerne. Celle-ci pouvait éventuellement être aussi alimentée par un réseau de drainage local. Un puits permet de puiser l'eau dans cette citerne pour remplir un abreuvoir voisin où venaient boire les bêtes.
Source - © 2015 CAUE (Conseil d'Architecture, d'Urbanisme et de l'Environnement) de l'Aveyron |