Image de la semaine | 14/12/2015
Stromatolithes vivant dans des ruisseaux du massif du Jura
14/12/2015
Résumé
Exemple de stromatolithes actuelles du Dard, cours d'eau de la reculée de Baume-les-Messieurs (Jura).
Nous avons vu la semaine dernière trois exemples de reculée dans le massif du Jura (cf. Les reculées du Jura). Le fond de ces reculées est parcouru de ruisseaux, dont tout ou partie du débit provient d'exsurgences / résurgences de rivières souterraines karstiques. Dans ces ruisseaux coule souvent une eau saturée ou du moins très riche en ions Ca2+ et HCO3-. La concentration en ces deux ions va entraîner une abondante précipitation de CaCO3 le long du ruisseau sur plusieurs kilomètres de long après leur(s) source(s). La morphologie de ces dépôts carbonatés dépendra énormément de l'énergie du ruisseau, donc de la pente locale, de la vitesse du courant, de son caractère continu ou discontinu avec remous, rapides, cascades… Pendant trois semaines, nous allons voir ces différentes morphologies, en commençant par les eaux calmes et en augmentant progressivement l'énergie du courant. La majorité des photos de ces trois semaines qui viennent ont été prises dans les deux reculées de Baume-les-Messieurs et des Planches, reculées séparées d'à peine 25 km.
La précipitation du carbonate se fait selon l'équation Ca2+ + 2 HCO3- → CaCO3 + H2O + CO2. Tout phénomène physique ou biologique entraînant un départ de CO2 favorisera cette précipitation. Ce départ peut être favorisé par l'agitation de l'eau (courant rapide, remous, cascades…). Mais, en particulier dans les eaux calmes où ce processus physique est très limité, c'est surtout la photosynthèse qui absorbe le CO2 et qui favorise cette précipitation : CO2 + H2O → "CH2O"(glucide) +O2. Dans les parties calmes des ruisseaux des reculées jurassiennes, cette précipitation engendre de véritables "boules", qui sont donc des stromatolithes.
Rappelons la définition des stromatolithes : ce sont des constructions sédimentaires, carbonatées, formées d'une superposition de lamines millimétriques précipitées par des processus biochimiques. Les lamines sont le résultat de l'activité biochimique de micro-organismes photosynthétiques (exceptionnellement chimiolithotrophes), principalement (mais pas exclusivement) des cyanobactéries. Pour parler de stromatolithes sensu stricto, il doit s'agir de structures avec une morphologie qui se développe à partir d'un point ou d'une zone relativement restreinte (par opposition à des encroûtements continus). Ce sont donc des colonnes, des dômes, des boules, des cônes… On voit que les stromatolithes sensu stricto ne sont qu'un cas particulier de toutes sortes de concrétions laminaires liées à l'activité biologique de différentes classes d'êtres vivants allant des cyanobactéries aux eucaryotes (algues vertes), que certains appellent aussi stromatolithes (sensu lato) même s'il s'agit d'encroûtements continus. Les limites de la définition sont donc floues, puisque par exemple des concrétions en boules initialement disjointes peuvent se rejoindre au cours de leur croissance, se "coller" et faire ensuite un encroûtement continu.
La formation d'une lamine vient le plus souvent du piégeage "mécanique" d'un micro-précipité de carbonate, micro-précipité en suspension engendré par le dégazage physique et surtout micro-précipité engendré par la photosynthèse. Le matte bactérien lui-même ou le mucilage produit par le voile de micro-organismes croissant sur la lamine précédente va en effet piéger et "agglomérer" toutes les micros-particules présentes, celles amenées par le courant (ici peu rapide) et surtout celles crées in situ au voisinage immédiat des micro-organismes photosynthétiques. Chaque modification ou arrêt notable de la production ou du piégeage des carbonates va se traduire par une modification de la structure du dépôt, ce qui donnera cette structure laminée. Dans le cas de ces stromatolithes jurassiens, le dépôt peut varier en fonction du débit (et de la vitesse du courant), de la température, de la concentration des eaux en ions qui dépend entre autres de la pluviométrie... Tous ces paramètres variant avec une fréquence annuelle, cela aurait tendance à faire des lamines "annuelles". Encore faudrait-il le vérifier.
Un article de synthèse avait déjà présenté les stromatolithes en général (cf. Les stromatolithes). D'autres stromatolithes vivant dans un contexte voisin (cf. Stromatolithes actuels, travertins et cascade pétrifiante de Saint Pierre-Livron, Caylus (Tarn et Garonne)) montre qu'il n'y a pas que dans le Jura qu'on en trouve de semblables. Des stromatolithes prospérant en Patagonie du Sud (cf. Stromatolithes actuels en Patagonie du Sud) montrent que ces constructions biologiques prospèrent dans des climats encore plus froids que le Jura ; et des quasi-stromatolithes chimiolithotrophes en hydroxydes ferriques montrent que la réalité dépasse souvent l'imagination des biologistes (cf. Stalactites, concrétions et encroûtements quasi-stromatolithiques d'hydroxydes ferriques, Lombadas, île de Sao Miguel, Açores).
Dans les images qui suivent, nous allons voir des zooms sur trois sites distants de quelques centaines de mètres entre le village de Baume-les-Messieurs et le fond de la reculée. Suivant l'angle de prise de vue et l'éclairage, la couleur bleutée caractéristique des eaux avec une suspension de particules fines se verra plus ou moins (cf. Eaux bleues d'origine karstique). Puis, toujours dans le même secteur, nous verrons des stromatolithes avec une morphologie particulière, et enfin des stromatolithes "cassés", ce qui permet d'en voir la structure interne.
Souvent, dans les mers et les lacs, ainsi que dans les 9 images précédentes, les boules stromatolithiques ont une forme d'hémisphère, symétrique, car aucune direction de croissance n'est privilégiée. Quand la direction verticale est privilégiée, on obtient des colonnes. Dans le ruisseau du Dard, parfois, la croissance des constructions stromatolithiques est influencée par le courant, favorisée vers l'aval de la boule, et/ou défavorisée du côté amont. On obtient alors des stromatolithes dissymétriques, comme penchés vers l'aval, avec parfois recouvrement partiel d'un stromatolithe par le stromatolithe situé juste en amont. Une morphologie assez peu illustrée dans la littérature, mais assez spectaculaire.
Il arrive que quelques boules stromatolithiques soient cassés, par quelques travaux entrepris par les agriculteurs, par le piétinement des vaches venant boire dans la rivière... Ce sont les boules élevées, dépassant de l'eau pendant cet étiage de l'été 2015 qui sont le plus fréquemment cassées et les plus faciles à photographier. Ces boules émergeant depuis quelques mois (le printemps 2015 a été très sec dans le Jura) sont souvent en voie de colonisation par des "herbes" (fétuque, avoine, houlque, chiendent…).