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Image de la semaine | 13/01/2014

Carrière de serpentinite à Chatillon, Val d'Aoste, Italie

13/01/2014

Pierre Thomas

ENS de Lyon - Laboratoire de Géologie de Lyon

Olivier Dequincey

ENS de Lyon / DGESCO

Résumé

Serpentinisation et serpentinites classiques dans une nappe ophiolitique.


Détail d'une partie du front de taille d'une carrière de serpentinite, Chatillon (Val d'Aoste, Italie)

Figure 1. Détail d'une partie du front de taille d'une carrière de serpentinite, Chatillon (Val d'Aoste, Italie)

La carrière est exploitée pour extraire et tailler des dalles destinées à des usages ornementaux (carrelage, devanture de magasins…).

Cette roche est connue et commercialisée sous le nom de « vert antique », de « marbre vert d'Italie » ou de « vert d'Italie ». Ce front de taille montre que cette serpentinite est constituée d'une "brèche tectonique", brèche de gros éléments de serpentinite présentant une belle schistosité / foliation, parfois replissée, gros éléments en forme de fuseaux emballés dans une "matrice", elle aussi serpentineuse mais constituée d'un "feutrage" de divers minéraux de la famille des serpentines. Ce "feutrage" présente parfois une orientation parallèle à la foliation des éléments emballés. La transition éléments emballés / matrice est alors très progressive. Parfois l'orientation de ce feutrage est parfaitement sécante à la foliation des blocs, et la limite est alors très nette. Ces serpentinites ont donc subi au moins trois épisodes tectoniques : (1) une déformation ductile qui a schistosé la roche ; (2) une déformation ductile qui a replissé cette schistosité ; (3) un épisode de tectonique intermédiaire entre tectonique cassante et tectonique ductile qui a "bréchifié" la roche mais en aplatissant légèrement les blocs. Quelques filonnets blancs (quartz et/ou calcite) recoupent le tout.

Cette carrière est ouverte dans une nappe ophiolitique des Alpes occidentales franco-italiennes au-dessus de la ville de Chatillon dans le Val d'Aoste.


Les serpentinites sont des roches constituées majoritairement de minéraux de la famille des serpentines. Les serpentines constituent une famille de minéraux silicatés (des phyllosilicates, hydratés) dont la formule globale est (Mg,Fe)3Si2O5(OH)4. Les principaux minéraux de cette famille sont l'antigorite (avec Fe et Mg) dont les couches sont ondulées, la lizardite sans fer mais légèrement alumineuse et à couche droite, et le chrysotile, lui aussi sans fer mais dont les couches sont courbes, ce qui, macroscopiquement forme des fibres. Le chrysotile est donc une "amiante", les autres minéraux de la "famille" des amiantes étant des inosilicates, voisins des amphiboles. À côté des serpentines, les serpentinites contiennent des minéraux généralement minoritaires, mais qui parfois peuvent être concentrés et devenir localement dominants : d'autres phyllosilicates (chlorite, talc…), de la brucite (hydroxyde de magnésium) et de la magnétite et aussi des "reliques" d'olivine et de pyroxène.

La très grande majorité des serpentinites provient de l'altération hydrothermale de roches ultrabasiques, et plus particulièrement de leur olivine : olivine [(Mg, Fe)2SiO4] + H2O donnant serpentine [(Mg,Fe)3Si2O5(OH)4] + magnétite [Fe3O4] + brucite [Mg(OH)2 ]+ H2 ("équation" non équilibrée, ici). Leurs principaux gisements sont donc les mêmes que ceux des péridotites :

  1. sommet du manteau sous la croûte océanique, ou directement au contact avec l'eau de mer ou les sédiments dans le cas des dorsales qui fonctionnent sans magmatisme et des marges correspondantes ;
  2. même contexte de formation, non pas en place au fond de l'océan mais inclus dans les montagnes sous formes d'ophiolites ;
  3. fragments de manteau sous-continental incorporés dans les chaînes de montagne lors de phénomènes de collisions ;
  4. cumulats de fond d'intrusions basiques intra-continentales.

Dans le premier cas, l'altération hydrothermale a lieu au niveau de la dorsale par circulation d'eau de mer. Dans le second cas, l'altération hydrothermale est soit océanique (comme dans le premier cas), soit continentale (soit les deux). En effet, une nappe ophiolitique se met en place lors de phénomènes de collision ; elle est souvent prise en "sandwich" entre deux éléments de croûte continentale, hydratée ; l'eau issue des fragments de croûte continentale peut alors circuler et hydrater la fraction péridotitique de la nappe ophiolitique. L'hydratation des péridotites des troisième et quatrième cas a la même origine que ci-dessus : hydratation par l'eau de la croûte continentale dans laquelle est inclus le massif ultrabasique.

La carrière de serpentinite étudiée cette semaine est ouverte dans un gisement "classique". C'est une carrière ouverte dans des ophiolites alpines du Val d'Aoste (Italie), ouverte pour en extraire des pierres ornementales. De tels blocs et dalles de serpentinites peuvent être utilisés pour décorer lieux et objets les plus communs comme des devantures de magasins ou des plaquages des cuisinières (haut de gamme) de nos grands-mères, mais aussi les lieux les plus prestigieux, comme le socle du tombeau de Napoléon aux Invalides ou la tribune de l'Assemblée générale des Nations Unis à New York. De telles serpentinites sont abondamment exploitées depuis l'antiquité dans les Alpes (surtout italiennes, mais aussi françaises, suisses…) et l'Apennin, et connues sous de nom de « vert antiques » ou de « marbre vert d'Italie »...

Les serpentinites des Alpes proviennent de l'hydratation hydrothermale du manteau de l'océan alpin. Cette hydratation est due à l'hydrothermalisme océanique et/ou à un hydrothermalisme intra-continental ayant eu lieu pendant ou après la collision. Ces serpentinites appartiennent à une unité ophiolitique qui est entièrement métamorphisée en faciès éclogite, ce qui ne se voit pas dans ces méta-péridotites, mais se voit très bien dans les quelques méta-basites de la même unité. Elles sont souvent parcourues de fentes ouvertes remplies de quartz et/ou de calcite. Ces serpentinites montrent des évidences de plusieurs épisodes tectoniques, tectonique ductile avec développement et plissement d'une schistosité, et tectonique cassante, avec bréchification et fracturation (fracturation hydraulique probable). Ces événements tectoniques ont pu avoir lieu (1) en profondeur lors de la remontée mantellique associée à l'ouverture de l'océan alpin, (2) près de la surface lors du fonctionnement de la dorsale, avec failles normales et peut-être faille transformante, (3) au niveau du cisaillement basal de la lithosphère océanique glissant sur l'asthénosphère, (4) lors de la subduction qui a porté cette lithosphère océanique dans le faciès éclogite, (5) pendant et après la remontée / exhumation de cette unité, lors des nombreuses déformations ayant accompagné et suivi la collision. Nous ne chercherons pas à débrouiller cette histoire tectonique certainement fort complexe. Les brèches serpentineuses riches en calcite sont connues sous le nom d'ophicalcites (OC), et plus précisément d'ophicalcites de type 1 (OC1) quand la bréchification est d'origine tectonique, par opposition aux OC2 qui sont des brèches serpentineuses d'origine sédimentaire.

Autre détail d'un plan de coupe de cette carrière de serpentinite du Val d'Aoste (Italie)

Figure 4. Autre détail d'un plan de coupe de cette carrière de serpentinite du Val d'Aoste (Italie)

Détail adjacent à la figure 1 qui se trouverait en haut à gauche.


Zoom plus éloigné de ce même secteur de la carrière de serpentinite du Val d'Aoste (Italie)

Figure 5. Zoom plus éloigné de ce même secteur de la carrière de serpentinite du Val d'Aoste (Italie)

Quelques filonnets blancs (quartz et/ou calcite) recoupent le tout.

Le couteau est à la même place que sur la figure 1.


Vue d'une surface encore plus grande de la carrière de serpentinite du Val d'Aoste (Italie)

Figure 6. Vue d'une surface encore plus grande de la carrière de serpentinite du Val d'Aoste (Italie)

Les précédentes figures de la carrière ont été prises au centre de cette photo (on devine le couteau).


Vue globale de la totalité d'un flanc de la carrière de serpentinite de Chatillon (Val d'Aoste, Italie)

Figure 7. Vue globale de la totalité d'un flanc de la carrière de serpentinite de Chatillon (Val d'Aoste, Italie)

Une zone très fracturée et riche en quartz et/ou calcite est visible dans le quart supérieur droit. Les photos précédentes ont été prises à l'extrémité droite de cette photo.


Vue d'ensemble d'un autre secteur de la carrière de serpentinite de Chatillon (Val d'Aoste, Italie)

Figure 8. Vue d'ensemble d'un autre secteur de la carrière de serpentinite de Chatillon (Val d'Aoste, Italie)

En plus des faciès classiques similaires à ceux vus dans les images précédentes, une partie du front de taille est parcourue de fentes ouvertes remplie de quartz et/ou de calcite, preuve d'une intense circulation de fluide (H2O) sous pression (fracturation hydraulique). Les brèches serpentineuses riches en calcite sont connues sous le nom d'ophicalcites (OC).



Détail de quelques fentes remplies de quartz et/ou de calcite, carrière de serpentinite de Chatillon (Val d'Aoste, Italie)

Figure 10. Détail de quelques fentes remplies de quartz et/ou de calcite, carrière de serpentinite de Chatillon (Val d'Aoste, Italie)

L'allure sigmoïde de certaines fentes montre qu'une composante cisaillante accompagne leur ouverture.


Détail sur le remplissage d'une fissure ouverte, carrière de serpentinite de Chatillon (Val d'Aoste, Italie)

Figure 11. Détail sur le remplissage d'une fissure ouverte, carrière de serpentinite de Chatillon (Val d'Aoste, Italie)

Détail de la figure précédente.

Ce remplissage est constitué d'un mélange de quartz et de calcite, et d'un minéral fibreux, une amiante (sans doute du chrysotile). Les eaux circulant dans ces fractures contenaient donc silice et hydroxyde de magnésium dissous.



Zoom sur le filon parcourant le bloc de serpentinite

Figure 13. Zoom sur le filon parcourant le bloc de serpentinite

On voit très bien les fibres d'amiante et les cristaux allongés de quartz qui ont crû dans ce filon perpendiculairement aux bordures du filon.


Gros plan sur le filon parcourant le bloc de serpentinite

Figure 14. Gros plan sur le filon parcourant le bloc de serpentinite

On voit très bien les fibres d'amiante et les cristaux allongés de quartz qui ont crû dans ce filon perpendiculairement aux bordures du filon.


Vue d'ensemble sur la moitié occidentale de la carrière de serpentinite de Chatillon (Val d'Aoste, Italie)

Figure 15. Vue d'ensemble sur la moitié occidentale de la carrière de serpentinite de Chatillon (Val d'Aoste, Italie)

Toutes les images précédentes ont été prises sur des faces planes, à l'ombre et à droite de la photo.


Vue globale sur la ville de Chatillon, dans le val d'Aoste (Italie)

Figure 16. Vue globale sur la ville de Chatillon, dans le val d'Aoste (Italie)

La carrière est signalée par la punaise jaune. Le sommet pointu sur l'horizon à gauche est le Cervin. Les hauts sommets englacés de droite correspondent au massif du Mont-Rose.


Les Alpes entre Grenoble, Genève et Turin

Figure 17. Les Alpes entre Grenoble, Genève et Turin

La carrière de serpentinite de Chatillon est localisée par la punaise jaune.


Extrait de la carte géologie de France au 1/1.000.000, les Alpes entre Grenoble, Genève et Turin

Figure 18. Extrait de la carte géologie de France au 1/1.000.000, les Alpes entre Grenoble, Genève et Turin

La carrière de serpentinite de Chatillon est localisée par l'astérisque jaune, au sein des unités ophiolitiques (en vert).



On peut signaler qu'il existe aussi quelques rares serpentinites ayant une autre origine, ne provenant pas de l'altération hydrothermale de roches ultra-basiques. C'est le cas, par exemple, de réactions (à relativement haute température) entre des eaux très magnésiennes (par exemple à cause de circulation dans des dolomies) avec des roches riches en quartz (par exemple un granite) : quartz + eaux magnésiennes donnent silicate de magnésium hydraté. Ce genre de réaction fabrique la plupart du temps du talc [Mg3Si4O10(OH)2], mais peut parfois donner des serpentines [Mg3Si2O5(OH)4], minéraux de formules et de structures voisines. On trouve de telles serpentinites "réactionnelles", par exemple, dans les Pyrénées Orientales, là où des failles mettent en contact des dolomies du Jurassique et des granitoïdes hercyniens.

Niveau métrique de serpentinite "réactionnelle" (verdâtre) affleurant au niveau d'une faille mettant en contact des dolomies jurassiques (à droite) et un granitoïde hercynien (à gauche)