Image de la semaine | 06/11/2017
Les orgues phonolithiques de la Tour du Diable (Devils Tower), Wyoming, USA
06/11/2017
Résumé
Prismations exceptionnelles dans un corps magmatique phonolithique. Prismes réguliers, prismes grossiers et tentatives de reconstitution de la géométrie initiale à partir des isothermes.
La Tour du Diable (Devils Tower), dans le Wyoming (USA), est un relief volcanique au cœur du Devils Tower National Monument. Ce relief domine le plateau environnant d'environ 250 à 300 m. La moitié supérieure de ces 250 à 300 m est constituée de très beaux prismes phonolitiques, réguliers, d'environ 4 m de largeur pour 150 m de hauteur. Ces prismes réguliers et bien formés sont quasi-verticaux au sommet (pendage de 90°). Ils sont incurvés vers leur base et n'ont plus qu'un pendage d'environ 45° pouvant même être plus faible que 30°. Sous cet horizon de prismes bien formés pendant de 45° à 30°, on trouve un horizon de 100 à 150 m d'épaisseur de prismes plus grossiers, beaucoup moins réguliers et non verticaux. Les prismes bien formés ont sans doute dû se former par un lent refroidissement-rétraction, vraisemblablement assez loin du bord du corps magmatique. Les prismes irréguliers et mal formés se sont sans doute créés lors d'un refroidissement-rétraction plus rapide, vraisemblablement assez près du bord du corps magmatique. Il n'est pas exclu que deux arrivées de magma légèrement séparées dans le temps soient en partie responsables de cette dualité. La base de ces prismes irréguliers est recouverte d'un tablier d'éboulis montant à une hauteur variable le long de la tour. La phonolite constituant la Tour du Diable a été daté (K-Ar) à 40,5 Ma (Éocène). Elle fait partie d'un ensemble phonolitique plus vaste, comprenant entre autre les Missouri Buttes situées quelques kilomètres plus à l'Ouest. Cette phonolite est intrusive dans une série sédimentaire allant du Trias au Crétacé. Les terrains sédimentaires affleurant à la base de la Tour du Diable sont constitués de grès triasiques rouges surmontés de terrains jurassiques argilo-gréso-gypseux jaunes.
Il y a un double problème quant à la géométrie de l'édifice magmatique avant son érosion.
- Du fait de l'absence de manifestation d'un volcanisme aérien régional vers -40 Ma (pas d'affleurement présentant une morphologie de coulée, pas de pyroclastites ni autres projections…), la majorité des géologues américains pense que la phonolite n'a pas atteint la surface. Il ne se serait pas agi d'un volcan sensu stricto dont la Tour du Diable serait un reste de la "cheminée" (neck), mais d'une intrusion crypto-volcanique restée souterraine et dégagée par l'érosion. Mais le débat n'est pas clos, car des manifestations aériennes ont bien pu exister mais avoir été complètement érodées et/ou ne pas avoir encore été découvertes.
- Que ce magma ait ou non atteint la surface, quelle était la géométrie du corps magmatique dont la Tour du Diable est une relique épargnée par l'érosion ? Plutôt en forme de pipe (tuyau) ou plutôt en forme de laccolithe (intrusion d'un diamètre horizontal supérieure à son épaisseur), avec évidement tous les intermédiaires possibles (corps plus ou moins isodiamétriques, en forme de cône… ? La majorité des géologues américains pense que cette intrusion crypto-volcanique avait une forme laccolitique. D'autres auteurs ont suggéré que la tour correspondait au reste du centre d'un remplissage (type lac de lave) d'un maar phréatomagmatique. Là non plus le débat n'est pas clos.
Pour aboutir à ces conclusions, les collègues américains ont dû chercher autour de la Tour du Diable elle-même d'autres affleurements de roches magmatiques. Ils ont dû essayer de localiser les limites extérieures du corps magmatique (quand celles-ci n'affleurent pas de façon évidente) en cartant la zone de transition prismes réguliers / prismes irréguliers, sans doute parallèle aux bords extérieurs du corps magmatique. Ils ont reconstitué la forme des surfaces isothermes au sein de l'intrusion (pour avoir ainsi une idée de la forme de l'intrusion). La géométrie des surfaces isothermes de l'époque de la prismation est en effet facile à reconstituer puisque les isothermes sont toujours perpendiculaires à la prismation (nous ne reviendrons pas en détail sur la formation des prismes, déjà décrite, par exemple, dans La formation des orgues volcaniques, La prismation interne des dykes : exemple des dykes de l'île de Sao Vincente, Cap Vert, Mini et maxi rosaces d'orgues basaltiques, Un type de prismation basaltique spectaculaire et atypique aux îles de la Madeleine (Dakar, Sénégal) : la prismation « en arcs »...). Ils ont dû comparer avec d'autres corps phonolitiques distants de 3 à 9 km à l'Ouest (les Missouri Buttes)...
Il n'est pas autorisé à un touriste de sortir des sentiers balisés dans ce National Monument sans en demander l'autorisation (facile à obtenir dit-on, en particulier pour faire de l'escalade), et je ne disposais que de peu de temps pour parcourir ce site. Dans cet article, nous ne vous montrons que des photographies faciles à prendre depuis les sentiers balisés et leur interprétation de premier ordre. Nous commencerons par faire le tour de la Tour du Diable en partant du Visitor Center, en restant à son pied, puis nous ferons quelques arrêts au bord de la route d'accès. Puis nous vous montrerons quelques schémas faciles à trouver sur le web, schémas résumant ce que pensent les collègues américains. Enfin, nous vous présenterons quelques "à cotés" non géologiques de cette Tour du Diable.
Source - © 1962 A. Spry / Oregon State University | |
Source - © 2016 National Park Service | Source - © 2017 D'après National Park Service, modifié |
Quand la nature montre des paysages extraordinaires, l'humanité, très souvent, invente des légendes. Une légende amérindienne explique la Tour du Diable de la façon suivante : sept jeunes filles qui cueillaient de fruits dans la forêt furent prises en chasse par un ours. Elles se réfugièrent sur un rocher, que l'ours essaya de grimper. Le grand esprit pour sauver ces jeunes filles fit monter la roche sur laquelle elles s'étaient réfugiées. Et l'ours, en essayant de grimper, raya les parois du rocher. Finalement, les sept jeunes filles atteignirent le ciel et devinrent sept étoiles, les sept étoiles de la constellation des Pléiades.
Source - © 2017 Blog "Chez Mumu" - National Park Service
Les sites géologiques exceptionnels sont souvent l'objet de pèlerinages ou de cultes, Uluru (cf. Uluru, l'inselberg emblématique de l'Australie) pour les aborigènes australiens, le Fuji Yama pour les Japonais… La Tour du Diable est encore de nos jours un site où les Amérindiens viennent faire des offrandes, demander une grâce… sous forme de rubans ou de poupées attachés dans les arbres autour du rocher. En quelque sorte, les équivalents amérindiens de pratiques courantes dans les religions monothéistes que nous connaissons mieux : cierges au pied d'une statue, petit papiers glissés entre les pierres d'un vieux mur, pierres que l'on jette sur une stèle…
Il n'y a pas que les légendes et les religions amérindiennes qui se sont "emparées" de la Tour du Diable. Le cinéma l'a fait aussi, en particulier avec le film Rencontre du troisième type (Close Encounters of the Third Kind) de Stephen Spielberg, 1977.
Source - © 2017 Stephen Spielberg, Columbia Pictures