Image de la semaine | 02/05/2016
Les calcaires à phryganes de l'Oligo-miocène de Limagne, Allier et Puy de Dôme
02/05/2016
Résumé
Un regroupement extraordinaire où des larves d'insectes s'associent à des gastéropodes et à des cyanobactéries, et forment une roche.
Nous avons vu il y a 3 et 4 semaines un festival de stromatolithes auvergnats datant de l'Oligocène terminal / Miocène basal (cf. L'Auvergne, un musée des stromatolithes et Les stromatolithes de Chadrat (commune de Saint Saturnin, Puy de Dôme) : un musée de la structure interne des stromatolithes. Grâce à des fossiles d'hydrobies (gastéropode), de roseau et même de palmier, nous pouvons reconstituer la paléogéographie du lac de Limagne, sa profondeur (très faible), le climat de l'Oligo-miocène (chaud et humide)... La semaine dernière, nous avons vu d'exceptionnels fossiles d'arthropodes crétacés du Liban (langouste, crevette, crabe…) (cf. Les crustacés fossiles du Crétacé supérieur (Cénomanien, 100 Ma) du Liban. Les arthropodes fossiles sont fréquents (les plus fréquents sont les trilobites, au moins au Paléozoïque), mais sont rarement des "constructeurs" de roches. Il existe beaucoup de roches dont la majorité de la masse est faite de tests de coraux, de foraminifères, de coquille de mollusques… Il en existe bien peu (à l'exception notable des calcaires à ostracodes) où des restes d'arthropodes forment le gros de la masse de couches entières. Les calcaires à phryganes constituent un autre exemple, très rare, de roches directement "construites" par des arthropodes, et plus précisément par des larves d'insectes.
Les trichoptères sont une famille d'insecte à larve aquatique et à imago (adulte) aérien. Les larves vivent dans les lacs et les ruisseaux ; elles sont souvent appelées « ver d'eau » et s'entourent d'un fourreau fait de graviers, de grains de sable, de petites brindilles de bois… agglomérés par un mucus. Les pécheurs les connaissent bien sous des noms divers (échevin, porte-bois...). Juste avant la métamorphose, la larve (avec son fourreau) se fixe sur une herbe aquatique, un rocher… juste sous la surface de l'eau. Après la métamorphose, l'insecte aérien s'envole en abandonnant son fourreau dans l'eau.
Source - © 2009 Montage d'après photographies d'Olivier Matellart | Source - © 2013 Avozetto |
Source - © 2015 / 2013 Jan Hamrsky / Avozetto |
À l'Oligo-miocène, le lac de Limagne abritait une abondante faune de larves aquatiques d'insectes (cf. Fossiles de larves de diptères ), et, en particulier, des larves de trichoptères voisins des phryganes actuelles. Très souvent, les larves faisaient leur fourreau non pas en agglomérant des grains de sable, mais des coquilles (ou des fragments de coquille) de tout petits gastéropodes du genre Hydrobie. Des millions et des millions de fourreaux de larves de phryganes fait de milliards de coquilles d'hydrobies sont ainsi fossilisés en Limagne. Il se trouve que ces millions de larves de phryganes venaient se métamorphoser dans des sites riches en cyanobactéries et où croissaient des stromatolithes. On peut supposer que les larves se fixaient sur le haut d'une concrétion stromatolihique en train de croitre et y abandonnaient leur fourreau. Le dépôt de calcaire stromatolithique cimentait les fourreaux et les englobait dans des lamines calcaires caractéristiques. Je n'ai jamais pour l'instant trouvé de publication décrivant précisément ces relations entre la boule stromatolitique en croissance et l'abandon des fourreaux par les phryganes. Je n'ai jamais rencontré un entomologiste connaissant dans la nature actuelle une telle association. Je ne comprends pas en particulier pourquoi les lamines périphériques des boules stromatolitiques sont dépourvues de fourreaux fossiles sur quelques centimètres d'épaisseur. Mais ne pas comprendre dans le détail comment se construisent ces édifices n'empêche pas de les admirer.
Parfois, il devait arriver un "accident de métamorphose", et l'adulte ne sortait pas de sa nymphe. Si cette nymphe n'était pas consommée par un prédateur, elle pouvait se faire "stromatolithiser" (recouvrir de calcaire) avant d'avoir eu le temps de se décomposer. Des fossiles tout à fait exceptionnels !
Nous vous montrons ci-après 6 photographies montrant les relations fourreaux/boules stromatolitiques, 5 photographies de détails des fourreaux, montrant bien qu'ils sont souvent entièrement constitués de coquilles d'hydrobies, et 7 photographies où l'on voit deux nymphes "stromatolithisées".
Et il ne faut pas oublier que ces calcaires à phryganes pouvaient servir de roche-magasin pour des hydrocarbures lourds, et que des phénomènes hydrothermaux associés au volcanisme de Limagne a localement silicifié ces calcaires à phryganes. Dans la mine des rois de Dallet (cf. Un gisement d'hydrocarbures vu de l'intérieur et un trésor du patrimoine géologique français : la mine de bitume de Dallet (Puy de Dôme), dite « Mine des Rois »), on pouvait voir, entre autres merveilles, des calcaires à phryganes à tubes pleins de bitume (figure 25), des calcaires à phryganes dont les intertubes étaient remplis de calcédoine (figure 61), d'autres dont les tubes étaient tapissés de calcédoine guttulaire (figure 62), d'autres dont les tubes étaient remplis de quartz (figure 65)...
Une bien belle roche auvergnate !