Image de la semaine | 09/06/2014
Escargot crétacé en émeraude, mine du secteur de Gachala, Colombie
09/06/2014
Résumé
Conditions de formation des émeraudes et cas exceptionnels de fossiles remplis d'émeraude.
La fossilisation des mollusques est une chose banale (cf. Les fossiles de l'Yprésien inférieur des Corbières (Aude)). Le remplissage de la cavité interne et/ou l'épigénèse (≈métasomatose) de la coquille (ou du fragment de bois) par des minéraux diagénétiques ou hydrothermaux (calcite, silice …) est plus rare, mais relativement classique, et donne lieu à des résultats parfois très esthétiques (cf. Les ammonites calcitisées ... des Monts d'Or lyonnais pour la calcite, Pépérites de Limagne à escargots, limnées et planorbes remplis de lussatite et Troncs d'arbres silicifiés dans une coulée pyroclastique, Sipi Falls (Ouganda) pour la silice).
Dans un tout autre champ géologique, la cristallisation d'émeraude est un phénomène très rare, ce qui explique le prix de cette pierre précieuse. L'émeraude est un silicate d'aluminium et de béryllium (un béryl) de formule Be3Al2Si6O18, coloré en vert par des traces de chrome et de vanadium. Ce béryl se forme dans trois contextes bien différents et qui doivent posséder des caractéristiques physico-chimiques très précises pour former un béryl de couleur verte et de qualité gemme : (1) c'est un minéral accessoire de certaines pegmatites, (2) c'est un minéral de certains filons hydrothermaux siliceux (figures 7 et 8), et (3), dans le cas des émeraudes de Colombie, c'est un minéral accessoires de filons hydrothermaux de relativement basse température (≈300°C) déposant principalement de la calcite (figure 6). Ces filons colombiens recoupent des argilites noires (black shales) du Crétacé.
En Colombie, dans le secteur de Gachala, des circulations de fluides précipitant calcite et émeraude ont rempli les cavités internes et métasomatisé des fossiles de gastéropodes datant du Crétacé inférieur. Il faut se rendre compte de la succession dans le temps d’événements improbables pour arriver à de tels échantillons. Les argilites noires du Crétacé inférieur de Colombie contiennent jusqu'à 3% de matière organique. Or chrome, vanadium et autres métaux lourds ont de grandes affinités chimiques pour la matière organique (affinité qui d'ailleurs pose des problèmes d'environnement dans les pays industrialisés, car ces métaux lourds rejetés par l'industrie sont piégés dans les vases anoxiques des fleuves et estuaires). Ces argilites noires colombiennes contiennent (environ) 5% de fer (50 000 ppm), 150 ppm de chrome et 200 ppm de vanadium, ce qui est "énorme" par rapport à une argilite "classique". Ces argilites contiennent aussi 3 à 4 ppm de béryllium, ce qui est beaucoup. Des eaux "chaudes" circulant dans cette série sédimentaire se chargent de sulfate de calcium en traversant des niveaux évaporitiques sous-jacents. Quand ces eaux sulfatées arrivent au contact des marnes noires très réductrices, les ions sulfates (SO42-) sont réduits en ions sulfures (S2-), et la matière organique des argilites est oxydée en HCO3-. Ces réactions chimiques extraient le calcium, le béryllium, le fer, le chrome et le vanadium des argilites, où ils étaient "piégés" sous forme minérale et/ou organique et solubilisent ces éléments dans le fluide hydrothermal. Plus loin (baisse de pression et/ou de température), le long des fractures, Ca2+ et HCO3- vont précipiter sous forme de calcite, Fe2+ et S2- sous forme de pyrite, et béryllium, chrome et vanadium (associés à SiO2 et Al3+) sous forme d'émeraude.
Pour avoir des émeraudes de qualité (belle couleur, transparence…), il faut des valeurs précises de température, pression, composition chimique des fluides, composition chimique de l'encaissant, qui dépendent elles-mêmes de la profondeur du site de formation, du degré géothermique, de la chimie de l'encaissant, de la chimie des eaux arrivant dans l'encaissant… Qu'un seul de ces paramètres n'ait pas la bonne valeur, et… pas d'émeraude de qualité gemme. C'est la rareté d'une telle conjonction de paramètres qui fait la rareté (et le prix) des émeraudes de "qualité colombienne". Pour avoir, en prime, des escargots « émeraudisés », il a fallu,de plus, que ces fluides circulent au voisinage immédiat de fossiles de gastéropodes qui n'existaient plus que sous forme de moule interne vide, soit qu'ils étaient ainsi depuis la diagenèse des sédiments, soit que les eaux hydrothermales aient dans un premier temps dissous le fossile et son remplissage pour qu'ensuite, après un changement de conditions, elles le remplissent de calcite et d'émeraude.
Nous vous montrons cinq photos d'un de ces fossiles, sans doute Ataphrus sp., prises sous cinq angles différents. J'ai pu photographier cet échantillon de petite taille (≈9 mm) dans une exposition-bourse aux minéraux avec de mauvaises conditions techniques (ni pied photo, ni objectif macro, ni éclairage ad hoc…), ce qui explique la qualité relative des clichés. Mais la beauté et la rareté de l'échantillon devraient compenser la qualité relative des photos. Merci à Pascal Quénaon de mineralys.com/ de m'avoir montré cet échantillon exceptionnel.
De tels fossiles sont tout à fait exceptionnels, et ne semblent avoir été découverts que depuis peu de temps. Leur prix atteint des sommets. Et on ne peut que regretter que les budgets restreints des musées d'Histoire Naturelle (du moins des musées français) ne leur permettent pas d'acquérir de telles pièces. Mais les propriétaires de ces fossiles sont, pour certains, conscients du caractère exceptionnel de ces pièces et font partager leur passion et leur émerveillement en autorisant la publication d'images sur le web.
Voici quelques sites où vous pourrez voir des petits ou des grands frères du fossile de cette semaine :