Image de la semaine | 29/11/2021

Les « œufs du Teide », des boules d'accrétion de lave (ile de Tenerife, Canaries, Espagne)

29/11/2021

Auteur(s) / Autrice(s) :

  • Théo Marchand
    Doctorant, Laboratoire écologie fonctionnelle et environnement, Univ. Paul Sabatier - Toulouse 3

Publié par :

  • Olivier Dequincey
    ENS de Lyon / DGESCO

Résumé

Formation de boules de lave à partir de coulées ni trop fluides, ni trop visqueuses.


Les œufs du Teide (Los Huevos del Teide), ile de Tenerife, archipel des Canaries
Figure 1.

Les boules noires visibles sur la gauche de l'image proviennent de la coulée noire visible à droite. Cette coulée de lave aa est située sur les flancs du Teide, massif volcanique et plus haut sommet d'Espagne (archipel des Canaries). Les “œufs” se sont formés par accrétion de lave, à la manière d'une boule de neige roulant dans une pente. Deux personnes au milieu de ces “œufs” donnent l'échelle.

Localisation par fichier kmz des « œufs du Teide », Canaries.

Haut de 3715 m et situé sur l'ile de Tenerife dans l'archipel des Canaries, le Teide est le point culminant d'Espagne. Ce volcan est actif depuis 200 000 ans et sa dernière éruption remonte environ au XIIe siècle. Ses éruptions stromboliennes (mix entre production de lave, de téphras  – fragments solides – et de gaz) à sub-pliniennes (production principalement de gaz et de cendres) sont accompagnées de coulées de lave phonolitique (Figures 11, 20, 22 et 23). La phonolite est l'une des deux roches les plus différenciées de la série alcaline, série dont le magma est initialement riche en alcalins (Na2O et K2O). Les séries alcalines sont justement classiques des iles volcaniques (attention cependant, il existe des iles volcaniques de points chauds qui ne sont pas alcalines mais tholéitiques, comme Hawaï, et des volcans alcalins non relié à un point chaud, comme dans le rift africain, certains secteurs des Andes – cf. La province volcanique du Payun Matru (Argentine) : des volcans de subduction hors normes). Le volcanisme encore actif des iles Canaries est classiquement expliqué par la présence d'un point chaud actuellement situé au niveau des iles les plus à l'Ouest (Hoernle et Carracedo, 2009 [?]). Quelques articles de Planet-Terre décrivent d'autres structures volcaniques des iles Canaries : cônes de scories (cf. Les cônes de scories à forte explosivité et autres tuff-rings, Parc National de Timanfaya, Lanzarote, iles Canaries (Espagne)) ainsi que spatter cones et hornitos (cf. Les spatter cones et les hornitos, des édifices volcaniques à pentes raides mais pourtant engendrés par des laves très fluides).

Les « œufs du Teide » (Huevos del Teide, en espagnol) sont situés sur la Montaña Blanca, sommet volcanique accolé au Teide sensu stricto (Figure 11). Ils sont accessibles par un sentier de randonnée, à 2600 m d'altitude. Ces “œufs” sont des boules noires dont une cinquantaine dépasse les 2 m de diamètre. Leur couleur noire contraste fortement avec le sol blanc formé par les pierres ponces de la Montaña Blanca. Cet aspect esthétique et leur taille impressionnante participent à leur renommée.

La plupart de ces boules de lave noire sont regroupées dans un replat et situées dans le prolongement d'une coulée aa (lave rugueuse à blocs apparents) située sur les flancs du Teide sensu stricto (Figures 7, 13 et 21). Un autre article de Planet-Terre évoque déjà les coulées de lave aa (en gratons) des iles Canaries (cf. Coulées de laves anciennes de type aa (en gratons) : Arizona, Canaries, Islande et Chaine des Puys).

Les figures 2 à 11 présentent différents “œufs” avec des formes et des morphologies particulières, ainsi que leur emplacement dans le paysage volcanique local.

Les « œufs du Teide » sont un exemple spectaculaire d'un phénomène relativement rare : la formation de boules d'accrétion de lave (accretionary lava balls en anglais). Les boules d'accrétion de lave ont été définies par Wentworth et Macdonald (1953 [?]) qui étudiaient le volcanisme hawaïen : il s'agit de boules formées par agglomération de lave visqueuse à partir d'un cœur solide (un fragment ou une boule partiellement ou complètement solidifiée), en roulant parfois sur une coulée de lave et parfois sur la pente en aval du front d'une coulée, à la manière d'une boule de neige roulant et grossissant dans une pente. Ces boules peuvent faire jusqu'à 10 m de diamètre (Macdonald, 1972 [?]).

Murcia et ses collègues (2014 [?]) ont décrit des boules d'accrétion de lave en Arabie Saoudite, et précisent que ces structures sont typiques des coulées de lave aa (ce qui est confirmé ici) et qu'une grande taille indique que les boules ont roulé sur la lave (et/ou des scories) sur une distance importante (distance impossible à estimer ici). L'agglomération de lave suppose une viscosité intermédiaire entre les coulées pahoehoe trop fluides et les laves de piton trop pâteuses.

Exemple contemporain d'une boule d'accrétion de lave au moment de sa formation
Figure 14.

Cette photo a été prise à Hawaï en 1983 sur le volcan Kilauea. L'objet fait environ 75 cm de diamètre.

L'éruption actuelle (commencée le 19 septembre 2021) du volcan Cumbre Vieja sur l'ile de La Palma (autre ile de l'archipel des Canaries) a permis de filmer en direct la formation d'un de ces œufs de lave.

On peut voir sur Twitter deux séquences de la formation d'un même “œuf”, filmées par Harri Geiger, mises en ligne les 28 et 29 octobre 2021. Sur la première(lien externe - nouvelle fenêtre), on voit bien le cadre morphologique où a été filmée la séquence. On voit le début de la course folle d'une boule de lave sur des scories, boule très vraisemblablement issue d'un rebord de la coulée en cours de progression, mais non visible (ou non discernable) sur le film. Sur la deuxième(lien externe - nouvelle fenêtre), on voit mieux la fin de la course, l'arrêt de la boule et son cœur encore rouge.

Localisation de l'archipel des Canaries (encadré) et de l'ile de Tenerife au large du Maroc
Figure 24.

Les iles des Canaries sont situées dans l'Océan Atlantique, au large du Maroc.

Bibliographie