Image de la semaine | 18/02/2013
Une éruption de pétrole à Cébazat (Puy de Dôme)
18/02/2013
Résumé
Pétrole et CO2 en Auvergne, une vieille histoire toujours d'actualité. Reportage sur l'éruption de pétrole de fin 2012 - début 2013 dans la banlieue Nord de Clermont-Ferrand.
Source - © 2012 Jean-Jacques Arène / Info Magazine - Puy de Dôme
Le 29 octobre 2012, des travaux de voiries destinés à l'aménagement de la ZAC des Trois Fées (Cébazat, banlieue Nord de Clermont-Ferrand, Puy de Dôme) rompent fortuitement la tête d'un ancien forage qui se trouvait là et qui avait été oublié ou/et que l'on croyait parfaitement bouché. De cet ancien forage a commencé à s'échapper un pétrole très visqueux, intermédiaire entre un pétrole et un bitume, à raison de 3 à 5 m3 par jour. Des digues en terre, puis un petit bassin de rétention ont été rapidement creusés, bassin qu'il a fallu agrandir à la hâte courant novembre 2012.
Fin novembre 2012, un "vrai" bassin a été creusé à quelques mètres de là, bassin relié au point de sortie par un fossé. Bassin et fossé ont été étanchéifiés par une bâche imperméable aux hydrocarbures. Quand le bassin définitif est plein, une entreprise vient le vider partiellement.
À la fin du mois de janvier 2013, une tête de forage avec deux vannes a été fixée sur le tubage de l'ancien puits qui a pu être dégagé, et l'hémorragie de pétrole a pu être (définitivement ?) stoppée.
L'ancien forage responsable de cette sortie de pétrole avait été creusé en 1981, essentiellement pour des recherches géothermiques, mais aussi pétrolières. Ce forage de 1981 avait atteint 1580 m de profondeur. On avait trouvé de l'eau chaude (85°C), mais avec un débit trop faible pour être exploitée à cause de la faible perméabilité des sables argileux la contenant. Vers 800 m de profondeur, le forage avait traversé des lentilles de grès, d'où s'étaient échappés quelques litres de pétrole. Vers 1000 m de profondeur, le forage avait traversé des niveaux riches en CO2, qui s'échappait parfois "violemment" (4000 m3 /heure lors d'une "éruption soudaine"). Il avait été envisagé d'exploiter ce CO2 (pour les boissons gazeuses et tous les autres usages industriels et semi-industriels du CO2). On y a renoncé, en particulier pour ne pas risquer de perturber les champs hydrothermaux des stations thermales voisines. Le puits a donc été condamné définitivement, du moins le croyait-on jusqu'à cet incident d'octobre 2012.
Pendant son émission de 2012-2013 le pétrole ne jaillit pas du fait d'une forte pression dans la roche magasin (les niveaux de grès vers -800 m), mais est remonté par les bulles de CO2 venant de plus profond, bulles remontant le long du forage, et poussant "vers le haut" le pétrole sus-jacent. On parle de gas lift. Ce pétrole est très riche en soufre (7%) et son utilisation nécessiterait de coûteux procédés de désulfurisation, qui ne sont rentables que pour des teneurs beaucoup plus basses.
Source - © 2012 Jean-Jacques Arène / Info Magazine - Puy de Dôme | |
Source - © 2012 France 3 Auvergne |
Le pétrole est trop visqueux pour être pompé par une pompe "ordinaire", surtout en ce mois de janvier 2013 où la température était voisine de 0°C. Pour pouvoir être pompé, le pétrole est d'abord réchauffé par des injections de vapeur d'eau. En s'écoulant entre son point d'arrivée et son point de pompage, le pétrole, très visqueux, engendre des figures d'écoulement qui ne sont pas sans rappeler certaines laves cordées (cf. Açores, Hawaï...).
Cet événement géologico-industriel pose deux types de question : (1) le pétrole et le CO2 en Auvergne, leurs origines géologiques et l'histoire de leur exploitation, et (2) le devenir et la surveillance des innombrables forages, carrières souterraines et mines laissés à l'abandon un peu partout en France.
Le pétrole auvergnat est une vieille histoire. Le site du Puy de la Poix était déjà un lieu sacré à l'époque néolithique. Au moins un roi de France (Charles IX) voulut le visiter au 16ème siècle. Les suintements de pétroles et de bitumes sont innombrables dans le quadrilatère Royat-Riom-Pont du Château-Vic le Comte. Des mines de bitumes furent exploitées dès la fin du 19ème siècle ; la plus célèbre et la plus productive fut la mine des Rois à Dallet, qui a fourni plus de 58.000 tonnes d'hydrocarbure durant son siècle d'exploitation. C'est d'ailleurs près de ces suintements naturels d'hydrocarbures que furent forés les premiers puits de recherche "pétrolière", le premier en 1883. Plus tard, les forages furent guidés non par les indices de surface, mais par les études géophysiques. Plus d'une trentaine de forages furent effectués en un siècle, avec un résultat pétrolier quasi-nul (quelques litres par-ci, quelques m3 par là). La sortie accidentelle de Cébazat en 2012-2013 fait sans doute de ce puits le plus productif des puits de pétrole auvergnats.
Pourquoi y a-t-il en Limagne tant de suintements d'hydrocarbures en surface et si peu de gisements en profondeur ? La roche mère existe en Limagne : des marnes vertes ou brunes riches en matière organique (black shales) qui se sont déposées à l'Oligocène supérieur (on peut en voir à l'affleurement à Sainte Marguerite). Le pétrole remonte naturellement en suivant certaines des nombreuses failles normales qui affectent la série sédimentaire, et le long de filons et cheminées volcaniques qui percent les sédiments. Il manque deux choses pour avoir de bons gisements d'hydrocarbures "conventionnels" : de bonnes et abondantes roches magasins (par exemple l'équivalent "en grand" des petites lentilles de grès d'où semble provenir le pétrole de Cébazat) et des pièges. Ajoutons que les hydrocarbures de Limagne sont lourds, riches en soufre, et souvent légèrement oxydés, ce qui n'en fait pas du pétrole de qualité supérieure.
On peut également s'interroger sur l'origine de la haute teneur en soufre ce ces hydrocarbures. Le lac de Limagne à l'Oligocène devait parfois fonctionner en bassin endoréique. Sans doute ce lac était-il parfois "salé", en particulier riche en sulfates. Des niveaux de gypses sont d'ailleurs bien connus en Limagne et à l'affleurement, et en forage. L'origine des sulfures des hydrocarbures auvergnats provient sans doute d'une sulfato-réduction bactérienne, métabolisme bactérien fréquent quand il y a coexistence de milieux anoxyques riches en matière organique et de sulfates. Il serait intéressant de confirmer cette hypothèse d'une sulfato-réduction bactérienne, et de déterminer si elle a eu lieu au fond du lac, à l'Oligocène, ou plus tard en profondeur pendant les étapes de diagenèse bactérienne.
On peut enfin se demander ce qui s'est "géologiquement" passé entre 1981 et 2012 pour qu'un puits qui n'avait fourni que quelques litres d'hydrocarbures en 1981 en produise plusieurs centaines de m3 trente et un ans plus tard.
Espérons que cet incident de Cébazat ne donnera pas la mauvaise idée à quelques compagnies pétrolières d'aller rechercher et exploiter par fracturation hydraulique pétrole et/ou gaz de schistes (shale oil or shale gas) qui pourraient se trouver dans la roche mère. La mauvaise qualité des hydrocarbures auvergnats nous protège vraisemblablement de ce risque.
Si les forages n'ont jamais permis de trouver de pétrole exploitable, ils ont permis, comme celui de Cébazat, de trouver énormément d'eau salée, et surtout de CO2. Le forage le plus connu vis-à-vis du CO2 est celui des Martres-d'Artières, où un forage à vocation pétrolière (1919) se transforma en geyser rejetant force eau gazeuse. Ce CO2 des Martres d'Artières, et d'autres en Auvergne, furent d'abord des "attractions touristiques", puis furent exploités jusqu'en 1987, année où la société la Carbonique Naturelle (devenue la Carboxyque) produisait 1 t/jour de CO2 liquide près d'Aigueperse (Puy de Dôme). Il y eut un geyser temporaire semblable à Saint Nectaire en 1982, à la suite d'un forage pour capter des eaux chaudes destinées à un chauffage géothermique d'un établissement thermal géré par la Sécurité Sociale. Deux geysers "aménagés" sortent encore dans des stations thermales du Massif Central : celui de Bellerive sur Allier (près de Vichy, Allier), et celui de Vals les Bains (Ardèche). Le CO2 du massif Central sort de partout, aussi bien en Limagne que sur le socle, ce qui prouve en passant que ce CO2 n'a pas une origine "sédimentaire". Il n'est maintenant plus exploité qu'associé à de l'eau, sous forme d'eaux naturelles minérales naturellement gazeuses.
Deux articles de Jean Pierre Couturié sont consultables pour connaître cette histoire du CO2 en Auvergne : l'un sur le geyser des Martres d'Artières et l'autre sur les sources minérales intermittentes et les geysers.
Source - © 1919 in, J-P Couturié
Cet incident de Cébazat pose aussi le problème des forages, carrières souterraines et autres vieilles mines abandonnés, répartis un peu partout « aux quatre coins de l'hexagone ». Des milliers de carrières souterraines et de vieilles mines ont été creusées en France, et, ce, depuis les Romains ; des centaines de puits (surtout à vocation pétrolière, mais aussi pour la recherche d'eau notamment artésienne, ont été forés depuis le 19ème siècle. Après la fin du forage et/ou de l'exploitation, et avant que des règles administratives strictes aient été établies vers le milieu du 20ème siècle, ces puits, mines et carrières étaient abandonnés en l'état ou vaguement "rebouchés". En quelques décennies, ils disparaissent de la mémoire collective. Par exemple, combien d'habitants des Martres d'Artières connaissent l'histoire de leur geyser, ou même savent pourquoi leur stade municipal s'appelle stade du geyser ?
Le BRGM (le bureau national et ses agences régionales) inventorie théoriquement tout ce qu'il appelle « ouvrage souterrain » dans sa "Banque du Sous-Sol" (BSS) disponible sur le web (site InfoTerre ). C'est certainement le cas pour les forages les plus récents, comme c'était le cas du forage de Cébazat. Mais ceux du 19ème siècle le sont-ils tous ? C'est la même chose en pire en ce qui concerne les carrières souterraines et les mines, car celles-ci peuvent être abandonnées depuis des siècles et être sorties de la mémoire des plus vieux habitants de la région, des archives municipales ou départementales…
Dans l'état actuel des données mises à la connaissance du public, aucun manquement à la réglementation en vigueur ne peut être mis en avant quant à l'incident de Cébazat. Mais l'incident a malgré tout eu lieu alors que le forage n'avait que 31 ans...
Qu'en est-il des puits vieux d'un siècle, des mines et carrières souterraines antérieures au 19ème siècle ? Qu'en sera-t-il au 22ème siècle si des milliers de forages de gaz de schistes sont effectués durant le 21ème siècle ?
Source - © 2013 BRGM / InfoTerre
Merci à Jean Pierre Couturié de m'avoir averti de ce phénomène inédit et de m'avoir fourni photos et renseignements géologiques et historiques. Merci à François Cariou de m'avoir communiqué son "reportage" effectué pendant une opération de pompage. Merci à la Régionale de l'APBG d'avoir transmis à ses membres ma demande de photos, et merci à Annie Debort et à Cyrille Jallageas d'y avoir répondu. Merci à Jean-Jacques Arène d'Info Magasine Puy de Dôme et à France 3 Auvergne de nous avoir autorisé à utiliser leurs images.