Article | 26/09/2018
Comment estime-t-on l'altitude des chaines de montagnes anciennes ?
26/09/2018
Résumé
Métamorphisme, paléo-environnement et isotopes stables comme outils de reconstitution des altitudes atteintes par les chaines de montagnes anciennes.
Table des matières
Les chaines de montagnes anciennes
L'existence de zones orogéniques anciennes, ne possédant plus de reliefs élevés, est reconnue depuis la fin du 19ème siècle, début du 20ème et les travaux de géologues tels Eduard Suess ou Émile Argand. Cette reconnaissance des cycles orogéniques hercynien, calédonien ou encore cadomien est alors principalement basée sur l'observation et la cartographie de marqueurs tectoniques de raccourcissement et d'épaississement crustal (figure 1). La question qui se pose alors est de savoir si ces chaines de montagnes anciennes ont un jour été du point de vue de leur altitude un équivalent des Pyrénées, des Alpes, de l'Himalaya, voire plus.
Les trois principales approches classiquement utilisées pour reconstituer les paléo-altitudes sont présentées ci-dessous.
Paléo-altitudes et métamorphisme
Cette approche est basée sur l'étude des phénomènes qui sont à l'origine de l'altitude des montagnes actuelles. En 1855 Airy a proposé que les anomalies gravimétriques négatives (anomalies de Bouguer) sous les chaines de montagnes étaient liées à l'existence d'une racine crustale, et donc que la croute continentale sous une montagne avait une épaisseur supérieure à celle sous les plaines (30 km). Ainsi, à partir des données gravimétriques et, plus tard, sismiques (à partir du début du 20ème siècle), il a été mis en évidence des épaisseurs crustales de l'ordre de 60 km (Alpes) à 80 km (Himalaya-Tibet). Les racines crustales étant moins denses que le manteau qu'elles remplacent, il en résulte une altitude d'équilibre des zones épaissies supérieure aux zones d'épaisseur classique, c'est le principe d'isostasie. Donc si une croute continentale est épaissie elle doit être associée à une altitude élevée (cf. Gravimétrie et isostasie, deux clés essentielles pour comprendre le fonctionnement de la Terre). L'autre conséquence de l'épaississement crustal est la modification du gradient géothermique. Les mesures du flux de chaleur réalisées dans les chaines de montagnes actuelles indiquent des gradients géothermiques moyens de 40 à 50°C/km contre environ 30°C/km en plaine. Ces gradients de température élevés sont associés à la formation de roches métamorphiques de moyenne pression – moyenne à haute température (faciès amphibolique à granulite, voire fusion partielle) qui définissent le gradient dalradien ou barrovien (figure 2). C'est par exemple le cas des roches du Haut Himalaya ou du Dôme Lépontin[1] dans les Alpes. Ces conditions de température s'expliquent par le rééquilibrage thermique de la croute continentale épaissie.
Si l'on considère le cas théorique d'une montagne formée par la superposition de deux croutes continentales (figure 3), la croute chevauchante sera dans un premier temps refroidie par le bas par la croute chevauchée, qui par contre sera elle réchauffée par le dessus. Par la suite, les températures s'équilibrent en plusieurs dizaines de millions d'années pour atteindre un nouveau gradient géothermique (figure 3). Ce gradient final est supérieur au gradient initial du fait de l'excès de chaleur dû à la radioactivité crustale, les roches de la croute continentale étant beaucoup plus riches en U, Th et K que celles du manteau[2]. Concrètement, la formation d'une racine crustale correspond au remplacement d'une partie du manteau lithosphérique par de la croute continentale. Or, à volume égal, la quantité de chaleur produite par radioactivité dans la croute continentale est très supérieure à celle du manteau d'où un gradient géothermique plus élevés dans 60 km de croute continentale que dans un ensemble constitué de 30 km de croute continentale plus 30 km de manteau.
Ainsi, le gradient géothermique final, à l'équilibre, mais aussi son évolution dans le temps, sont directement contrôlés par l'épaisseur de la croute continentale. Donc l'observation de roches métamorphiques contemporaines de la formation de la chaine de montagne et la reconstitution des conditions pression-température de leur formation permettent de reconstituer l'épaisseur crustale et donc d'aboutir à une estimation de l'altitude en appliquant le principe d'isostasie. Cela dit, la reconstitution précise de l'épaisseur crustale à partir du métamorphisme est complexe car il faut aussi prendre en compte les vitesses d'enfouissement et d'exhumation des roches ainsi que les caractéristiques thermiques de la croute, en particulier la production de chaleur par radioactivité et la conductivité thermique, deux paramètres variables d'une roche à l'autre. Enfin, le frottement sur les failles produit également de la chaleur qui s'ajoute à l'effet de l'épaississement. Au final, si l'on prend l'exemple de la chaine hercynienne, la reconnaissance de roches similaires à celle formées lors de l'épaississement crustal en Himalaya (figure 2) permet de proposer qu'un épaississement comparable a eu lieu et donc des altitudes probablement proches.
Paléo-altitudes et paléo-environnements
Les zones de fortes altitudes sont caractérisées par des environnements spécifiques en particulier en ce qui concerne température et pression atmosphérique. Ainsi, les environnements montagneux sont caractérisés par la présence de glaciers et d'espèces animales et surtout végétales particulières organisées en étages (figure 4). La reconnaissance d'espèces végétales spécifiques d'un étage particulier via des pollens dans des sédiments ou la reconnaissance de formations glaciaires (en particulier les moraines) peut donc être un indice de haute altitude.
Cependant l'altitude des étages de végétation et des glaciers est également contrôlée par le climat et la latitude. Ainsi l'étage dit sub-alpin est situé en France entre 1500 m et 2500 m d'altitude et est caractérisé par la présence de conifères dont l'épicéa. Par contre, cet arbre se retrouve au niveau de la mer aux latitudes boréales (par exemple dans la taïga). De même, des glaciers se jettent directement dans la mer en Patagonie. Donc, pour pouvoir interpréter correctement ces marqueurs environnementaux, il faut avoir une idée du climat global et de la latitude à laquelle se trouvait la chaine de montagnes. Par exemples, des galets striés ont été observés dans le bassin carbonifère de Saint-Étienne (Becq-Giraudon et al., 1996). Or, les reconstitutions paléogéographiques indiquent que cette portion de la chaine hercynienne était localisée à proximité de l'équateur[3]. Donc, à ces latitudes, des glaciers ne pouvaient exister qu'à haute altitude ce qui renforce l'idée d'une chaine de montagnes encore haute même au Carbonifère (cf. Pseudomorphoses de cristaux de glace, marqueurs paléo-climatiques, carrière de Loiras, Le Bosc, Hérault et figure 5).
Source - © 2010 D'après Scotese, 2002, (PALEOMAP website), modifié
Paléo-altitudes et isotopes stables de l'oxygène et de l'hydrogène
La mesure des rapports en isotopes stables de l'oxygène (18O/16O utilisés sous la forme classique δ18O) et en hydrogène (2H (deutérium)/1H ou D/H, ou sous la forme δD) des eaux de pluie actuelles montrent une nette corrélation avec l'altitude (figure 6). Cette relation est liée au fractionnement isotopique qui a lieu lors du cycle de l'eau. Ainsi les masses d'air se forment par évaporation au-dessus des océans. Leur composition isotopique initiale dépend alors de la composition isotopique de la mer et de la température d'évaporation. Concrètement, les isotopes les plus lourd (18O, D) vont préférentiellement rester dans la phase liquide (l'eau de mer, ici) et les légers (16O, 1H) passer dans la phase vapeur. Par la suite, une masse d'air ascendante va se refroidir et progressivement perdre de son eau par condensation. Ce processus va à nouveau entrainer le fractionnement des isotopes stables de l'oxygène et de l'hydrogène. Comme lors de l'évaporation, les isotopes les plus lourds (18O, D) vont préférentiellement aller dans la phase condensée et les légers (16O, 1H) rester dans la phase vapeur. Les rapports δ18O et D/H de la vapeur résiduelle vont donc être de plus en plus négatifs ainsi que ceux des eaux se condensant à partir de cette vapeur. Cette évolution permet donc de relier l'altitude avec la composition isotopique de la vapeur d'eau résiduelle et de l'eau qui condense à partir de cette vapeur d'eau et entraine les précipitations (figure 6). En bilan, la composition isotopique de l'eau de pluie dépend de l'altitude de condensation et de la composition initiale de la vapeur d'eau de la masse d'air au niveau de la mer ou avant qu'elle ne commence à monter en altitude. À altitude constante, cette composition dépend de la distance parcourue depuis la zone d'évaporation, ce qui explique que les pluies au centre des continents montrent des δ18O plus négatifs que les pluies côtières.
Ainsi, il est possible de reconstituer une paléo-altitude si l'on peut obtenir le δ18O des eaux de pluies anciennes, ou plus précisément la différence en δ18O entre les eaux de pluie à basse altitude (au niveau de la mer) et dans les zones supposées de montagnes.
L'approche la plus classiquement utilisée pour reconstituer le δ18O de l'eau de pluie ancienne est d'utiliser les carbonates pédogéniques ou lacustres. Ces carbonates se forment par précipitation à partir d'eau météorique. Leur δ18O dépend alors (1) du δ18O des eaux météoriques à partir desquelles ils se sont formés, et (2) de leur température de précipitation, qui peut être estimée en particulier à partir des reconstitutions paléoenvironnementales. Donc, la mesure du δ18O des carbonates permet d'estimer celui des eaux météoriques à partir desquelles ils ont précipité. Cependant, en plus de devoir connaitre la température de précipitation, cette méthode nécessite également de connaitre la composition de l'eau de pluie à basse altitude, ce qui n'est pas toujours possible, en particulier pour les chaines anciennes. Actuellement, cette approche est donc surtout appliquée à l'étude de la formation des chaines de montagnes jeunes comme les Alpes, les Andes ou l'Himalaya-Tibet. Ainsi, les données isotopiques sur les carbonates lacustres du plateau du Tibet suggèrent que celui-ci avait atteint son altitude actuelle au plus tard 10 Ma après le début de la collision Inde-Asie. Cependant, il faut noter que les incertitudes sur ces reconstitutions sont relativement fortes, de l'ordre du kilomètre et qu'au-delà d'une altitude de 6000 m la composition isotopique des eaux de pluie ne change plus.
En plus de l'étude des carbonates pédogéniques ou lacustres, il est possible d'avoir directement accès à de l'eau de pluie ancienne, piégée sous forme d'inclusions fluides dans des minéraux comme le quartz (cf. article à venir Inclusions fluides, isotopes stables et paléo-altimétrie).
Conclusion
De nombreuses méthodes et approches permettent de reconstituer les altitudes anciennes, on pourrait aussi citer l'étude des isotopes cosmogéniques, l'estimation de la PCO2 avec les indices stomatiques, ou encore l'analyse des bulles de gaz dans certains basaltes. Cependant, plus on étudiera une zone orogénique ancienne, plus la précision des reconstitutions va baisser. On a donc plutôt accès à un ordre de grandeur des altitudes, ce qui permet déjà de proposer des reconstitutions de l'évolution spatiale et temporelle des reliefs et donc de tester les paramètres qui les contrôlent (climat, tectonique, dynamique mantellique).
[1] Localisation du Dôme Lépontin, figure 28 de Filons d'andésite et les intrusions de diorite oligocènes (post-subduction) d'Italie du Nord, témoins magmatiques d'un détachement lithosphérique également à l'origine des andésites des Alpes françaises.
[2] Valeurs moyennes croute continentale / manteau supérieur, en ppm : U 1,42 / 0,002 ; Th 5,6 / 0,066 ; K 15772 / 24 (D'après Albarède, La Géochimie, 2001).
[3] Avec le climat global actuel, les glaciers ne peuvent exister à l'équateur qu'au-dessus de 5 000 m d'altitude.