Outils personnels
Navigation

Aller au contenu. | Aller à la navigation

Vous êtes ici : Accueil RessourcesComment estime-t-on l'altitude des chaines de montagnes anciennes ?

Article | 26/09/2018

Comment estime-t-on l'altitude des chaines de montagnes anciennes ?

26/09/2018

Gweltaz Mahéo

Laboratoire de Géologie de Lyon / Université Claude Bernard, Lyon 1

Véronique Gardien

Laboratoire de Géologie de Lyon / Université Claude Bernard, Lyon 1

Olivier Dequincey

ENS de Lyon / DGESCO

Résumé

Métamorphisme, paléo-environnement et isotopes stables comme outils de reconstitution des altitudes atteintes par les chaines de montagnes anciennes.


Les chaines de montagnes anciennes

L'existence de zones orogéniques anciennes, ne possédant plus de reliefs élevés, est reconnue depuis la fin du 19ème siècle, début du 20ème et les travaux de géologues tels Eduard Suess ou Émile Argand. Cette reconnaissance des cycles orogéniques hercynien, calédonien ou encore cadomien est alors principalement basée sur l'observation et la cartographie de marqueurs tectoniques de raccourcissement et d'épaississement crustal (figure 1). La question qui se pose alors est de savoir si ces chaines de montagnes anciennes ont un jour été du point de vue de leur altitude un équivalent des Pyrénées, des Alpes, de l'Himalaya, voire plus.

Carte tectonique de l'Eurasie (Tectonic Map of Eurasia) dressée par Émile Argand (1928)

Figure 1. Carte tectonique de l'Eurasie (Tectonic Map of Eurasia) dressée par Émile Argand (1928)

La légende distingue plusieurs phases de plissement (folds) : phases alpine, hercynienne, calédonienne et précambrienne.


Les trois principales approches classiquement utilisées pour reconstituer les paléo-altitudes sont présentées ci-dessous.

Paléo-altitudes et métamorphisme

Cette approche est basée sur l'étude des phénomènes qui sont à l'origine de l'altitude des montagnes actuelles. En 1855 Airy a proposé que les anomalies gravimétriques négatives (anomalies de Bouguer) sous les chaines de montagnes étaient liées à l'existence d'une racine crustale, et donc que la croute continentale sous une montagne avait une épaisseur supérieure à celle sous les plaines (30 km). Ainsi, à partir des données gravimétriques et, plus tard, sismiques (à partir du début du 20ème siècle), il a été mis en évidence des épaisseurs crustales de l'ordre de 60 km (Alpes) à 80 km (Himalaya-Tibet). Les racines crustales étant moins denses que le manteau qu'elles remplacent, il en résulte une altitude d'équilibre des zones épaissies supérieure aux zones d'épaisseur classique, c'est le principe d'isostasie. Donc si une croute continentale est épaissie elle doit être associée à une altitude élevée (cf. Gravimétrie et isostasie, deux clés essentielles pour comprendre le fonctionnement de la Terre). L'autre conséquence de l'épaississement crustal est la modification du gradient géothermique. Les mesures du flux de chaleur réalisées dans les chaines de montagnes actuelles indiquent des gradients géothermiques moyens de 40 à 50°C/km contre environ 30°C/km en plaine. Ces gradients de température élevés sont associés à la formation de roches métamorphiques de moyenne pression – moyenne à haute température (faciès amphibolique à granulite, voire fusion partielle) qui définissent le gradient dalradien ou barrovien (figure 2). C'est par exemple le cas des roches du Haut Himalaya ou du Dôme Lépontin[1] dans les Alpes. Ces conditions de température s'expliquent par le rééquilibrage thermique de la croute continentale épaissie.

Comparaison des conditions métamorphiques contemporaines de l’épaississement crustal en Himalaya et dans le Massif Central (lors de l’orogenèse hercynienne)

Figure 2. Comparaison des conditions métamorphiques contemporaines de l’épaississement crustal en Himalaya et dans le Massif Central (lors de l’orogenèse hercynienne)

Les conditions encadrées correspondent aux pics de températures enregistrés.

Les trajets gris définissent, respectivement, les gradients de Haute Pression – Basse Température (HP-BT, dit gradient franciscain, caractéristique des zones de subduction), Moyenne Pression – Haute Température (MP-HT dit gradient barrovien ou dalradien, caractéristique des zones d’épaississement crustal) et Basse Pression – Haute Température (BP-HT dit gradient Abukuma, caractéristique des zones d’amincissement crustal).

And. : andalousite, Dist. : disthène, Sil. : sillimanite, Dia. :domaine de la diagenèse, P.P. : faciès prehnite-pumpelleyite, Zéol. : faciès zéolite.


Si l'on considère le cas théorique d'une montagne formée par la superposition de deux croutes continentales (figure 3), la croute chevauchante sera dans un premier temps refroidie par le bas par la croute chevauchée, qui par contre sera elle réchauffée par le dessus. Par la suite, les températures s'équilibrent en plusieurs dizaines de millions d'années pour atteindre un nouveau gradient géothermique (figure 3). Ce gradient final est supérieur au gradient initial du fait de l'excès de chaleur dû à la radioactivité crustale, les roches de la croute continentale étant beaucoup plus riches en U, Th et K que celles du manteau[2]. Concrètement, la formation d'une racine crustale correspond au remplacement d'une partie du manteau lithosphérique par de la croute continentale. Or, à volume égal, la quantité de chaleur produite par radioactivité dans la croute continentale est très supérieure à celle du manteau d'où un gradient géothermique plus élevés dans 60 km de croute continentale que dans un ensemble constitué de 30 km de croute continentale plus 30 km de manteau.

Représentation schématique de l’évolution du gradient géothermique suite au doublement de l’épaisseur crustale lors d’un chevauchement

Figure 3. Représentation schématique de l’évolution du gradient géothermique suite au doublement de l’épaisseur crustale lors d’un chevauchement

Avant chevauchement, les croutes sont des croutes “stables”, “classiques”, avec un gradient thermique donnant des températures allant d'environ 10°C en surface à presque 600°C à 35 km de profondeur.

En considérant la rapidité, à l'échelle des temps géologiques, des mouvements tectoniques par rapport à la “lenteur” du rééquilibrage thermique (les roches sont de bons isolants), on obtient, suite au chevauchement, une croute “double” avec des températures allant de 10°C en surface à 600°C à 35 km de profondeur, puis de 10°C à 35,1 km de profondeur à 600°C vers 70 km de profondeur (gradients noirs marqués “Initial” sur la figure).

À partir de cet état thermique “initial”, un nouvel équilibre thermique va progressivement se mettre en place (profils thermiques blancs après 10, 40, 100 Ma sur la figure)

Les conditions de la croute chevauchante sont inchangées en surface, mais elle doit évacuer non seulement la chaleur produite en son sein et celle arrivant au sommet du manteau (maintenant à la base de la croute chevauchée), mais aussi la chaleur supplémentaire produite par la croute chevauchée sur laquelle elle repose. Sa base, d'abord refroidie par contact avec le sommet initialement froid de la croute chevauchée, va alors tendre vers une température d'équilibre d'environ 770°C.

Au début, les conditions de la croute chevauchée sont inchangées à sa base. Cette croute chevauchée doit toujours évacuer la chaleur arrivant du manteau, et elle doit aussi évacuer la chaleur produite en son sein. Mais cet échange ne se fait plus avec l'atmosphère à 10°C, mais avec la base chaude de 35 km de croute isolante. D'abord rapidement réchauffée à son sommet par la base chaude de la croute chevauchante, sa température va alors tendre vers des températures d'équilibre d'environ 770°C à son sommet (vers 35 km de profondeur) et de plus de 1000°C à sa base.

Cette évolution thermique théorique ne prend pas en compte les phénomènes d'amincissement crustal qui vont affecter cette croute épaissie : érosion, extension locale, relaxation tardi-orogénique.

Structure thermique d’après Thompson et England, 1984, J. Petrol.


Ainsi, le gradient géothermique final, à l'équilibre, mais aussi son évolution dans le temps, sont directement contrôlés par l'épaisseur de la croute continentale. Donc l'observation de roches métamorphiques contemporaines de la formation de la chaine de montagne et la reconstitution des conditions pression-température de leur formation permettent de reconstituer l'épaisseur crustale et donc d'aboutir à une estimation de l'altitude en appliquant le principe d'isostasie. Cela dit, la reconstitution précise de l'épaisseur crustale à partir du métamorphisme est complexe car il faut aussi prendre en compte les vitesses d'enfouissement et d'exhumation des roches ainsi que les caractéristiques thermiques de la croute, en particulier la production de chaleur par radioactivité et la conductivité thermique, deux paramètres variables d'une roche à l'autre. Enfin, le frottement sur les failles produit également de la chaleur qui s'ajoute à l'effet de l'épaississement. Au final, si l'on prend l'exemple de la chaine hercynienne, la reconnaissance de roches similaires à celle formées lors de l'épaississement crustal en Himalaya (figure 2) permet de proposer qu'un épaississement comparable a eu lieu et donc des altitudes probablement proches.

Paléo-altitudes et paléo-environnements

Les zones de fortes altitudes sont caractérisées par des environnements spécifiques en particulier en ce qui concerne température et pression atmosphérique. Ainsi, les environnements montagneux sont caractérisés par la présence de glaciers et d'espèces animales et surtout végétales particulières organisées en étages (figure 4). La reconnaissance d'espèces végétales spécifiques d'un étage particulier via des pollens dans des sédiments ou la reconnaissance de formations glaciaires (en particulier les moraines) peut donc être un indice de haute altitude.


Cependant l'altitude des étages de végétation et des glaciers est également contrôlée par le climat et la latitude. Ainsi l'étage dit sub-alpin est situé en France entre 1500 m et 2500 m d'altitude et est caractérisé par la présence de conifères dont l'épicéa. Par contre, cet arbre se retrouve au niveau de la mer aux latitudes boréales (par exemple dans la taïga). De même, des glaciers se jettent directement dans la mer en Patagonie. Donc, pour pouvoir interpréter correctement ces marqueurs environnementaux, il faut avoir une idée du climat global et de la latitude à laquelle se trouvait la chaine de montagnes. Par exemples, des galets striés ont été observés dans le bassin carbonifère de Saint-Étienne (Becq-Giraudon et al., 1996). Or, les reconstitutions paléogéographiques indiquent que cette portion de la chaine hercynienne était localisée à proximité de l'équateur[3]. Donc, à ces latitudes, des glaciers ne pouvaient exister qu'à haute altitude ce qui renforce l'idée d'une chaine de montagnes encore haute même au Carbonifère (cf. Pseudomorphoses de cristaux de glace, marqueurs paléo-climatiques, carrière de Loiras, Le Bosc, Hérault et figure 5).

Reconstitution paléogéographique du Carbonifère terminal - Permien inférieur

Figure 5. Reconstitution paléogéographique du Carbonifère terminal - Permien inférieur

Il y a 300 Ma, Saint-Étienne était à l'équateur (croix rouge) mais aussi en altitude comme en attestent, entre autres, les pseudomorphoses de cristaux de glace dans les anciennes boues permiennes.


Paléo-altitudes et isotopes stables de l'oxygène et de l'hydrogène

La mesure des rapports en isotopes stables de l'oxygène (18O/16O utilisés sous la forme classique δ18O) et en hydrogène (2H (deutérium)/1H ou D/H, ou sous la forme δD) des eaux de pluie actuelles montrent une nette corrélation avec l'altitude (figure 6). Cette relation est liée au fractionnement isotopique qui a lieu lors du cycle de l'eau. Ainsi les masses d'air se forment par évaporation au-dessus des océans. Leur composition isotopique initiale dépend alors de la composition isotopique de la mer et de la température d'évaporation. Concrètement, les isotopes les plus lourd (18O, D) vont préférentiellement rester dans la phase liquide (l'eau de mer, ici) et les légers (16O, 1H) passer dans la phase vapeur. Par la suite, une masse d'air ascendante va se refroidir et progressivement perdre de son eau par condensation. Ce processus va à nouveau entrainer le fractionnement des isotopes stables de l'oxygène et de l'hydrogène. Comme lors de l'évaporation, les isotopes les plus lourds (18O, D) vont préférentiellement aller dans la phase condensée et les légers (16O, 1H) rester dans la phase vapeur. Les rapports δ18O et D/H de la vapeur résiduelle vont donc être de plus en plus négatifs ainsi que ceux des eaux se condensant à partir de cette vapeur. Cette évolution permet donc de relier l'altitude avec la composition isotopique de la vapeur d'eau résiduelle et de l'eau qui condense à partir de cette vapeur d'eau et entraine les précipitations (figure 6). En bilan, la composition isotopique de l'eau de pluie dépend de l'altitude de condensation et de la composition initiale de la vapeur d'eau de la masse d'air au niveau de la mer ou avant qu'elle ne commence à monter en altitude. À altitude constante, cette composition dépend de la distance parcourue depuis la zone d'évaporation, ce qui explique que les pluies au centre des continents montrent des δ18O plus négatifs que les pluies côtières.

Relation entre la teneur isotopique moyenne des eaux de pluie et l’altitude dans les Alpes Centrale

Ainsi, il est possible de reconstituer une paléo-altitude si l'on peut obtenir le δ18O des eaux de pluies anciennes, ou plus précisément la différence en δ18O entre les eaux de pluie à basse altitude (au niveau de la mer) et dans les zones supposées de montagnes.

L'approche la plus classiquement utilisée pour reconstituer le δ18O de l'eau de pluie ancienne est d'utiliser les carbonates pédogéniques ou lacustres. Ces carbonates se forment par précipitation à partir d'eau météorique. Leur δ18O dépend alors (1) du δ18O des eaux météoriques à partir desquelles ils se sont formés, et (2) de leur température de précipitation, qui peut être estimée en particulier à partir des reconstitutions paléoenvironnementales. Donc, la mesure du δ18O des carbonates permet d'estimer celui des eaux météoriques à partir desquelles ils ont précipité. Cependant, en plus de devoir connaitre la température de précipitation, cette méthode nécessite également de connaitre la composition de l'eau de pluie à basse altitude, ce qui n'est pas toujours possible, en particulier pour les chaines anciennes. Actuellement, cette approche est donc surtout appliquée à l'étude de la formation des chaines de montagnes jeunes comme les Alpes, les Andes ou l'Himalaya-Tibet. Ainsi, les données isotopiques sur les carbonates lacustres du plateau du Tibet suggèrent que celui-ci avait atteint son altitude actuelle au plus tard 10 Ma après le début de la collision Inde-Asie. Cependant, il faut noter que les incertitudes sur ces reconstitutions sont relativement fortes, de l'ordre du kilomètre et qu'au-delà d'une altitude de 6000 m la composition isotopique des eaux de pluie ne change plus.

En plus de l'étude des carbonates pédogéniques ou lacustres, il est possible d'avoir directement accès à de l'eau de pluie ancienne, piégée sous forme d'inclusions fluides dans des minéraux comme le quartz (cf. article à venir Inclusions fluides, isotopes stables et paléo-altimétrie).

Conclusion

De nombreuses méthodes et approches permettent de reconstituer les altitudes anciennes, on pourrait aussi citer l'étude des isotopes cosmogéniques, l'estimation de la PCO2 avec les indices stomatiques, ou encore l'analyse des bulles de gaz dans certains basaltes. Cependant, plus on étudiera une zone orogénique ancienne, plus la précision des reconstitutions va baisser. On a donc plutôt accès à un ordre de grandeur des altitudes, ce qui permet déjà de proposer des reconstitutions de l'évolution spatiale et temporelle des reliefs et donc de tester les paramètres qui les contrôlent (climat, tectonique, dynamique mantellique).



[2] Valeurs moyennes croute continentale / manteau supérieur, en ppm : U 1,42 / 0,002 ; Th 5,6 / 0,066 ; K 15772 / 24 (D'après Albarède, La Géochimie, 2001).

[3] Avec le climat global actuel, les glaciers ne peuvent exister à l'équateur qu'au-dessus de 5 000 m d'altitude.