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Article | 03/10/2018

Inclusions fluides, isotopes stables et paléo-altimétrie

03/10/2018

Véronique Gardien

Laboratoire de Géologie de Lyon / Université Claude Bernard, Lyon 1

Gweltaz Mahéo

Laboratoire de Géologie de Lyon / Université Claude Bernard, Lyon 1

Olivier Dequincey

ENS de Lyon / DGESCO

Résumé

Isotopes stables et eau de pluie, contrôles du fractionnement, et analyse d'inclusions fluides pour déterminer des paléo-altitudes.


Principes de l'étude

Isotopes : quelques définitions

Les isotopes d'un même élément sont des atomes dont les noyaux comportent le même nombre de protons, mais un nombre de neutrons différent, ayant ainsi une masse atomique différente. Il existe deux types d'isotopes : les isotopes instables (radioactifs), qui permettent la datation radiométrique, et les isotopes stables, auxquels nous nous intéresserons ici et en particulier ceux de l'oxygène (18O) et de l'hydrogène (2H ou D).

Il existe des variations dans l'abondance des isotopes stables qui sont liées au fractionnement isotopique noté α. Celui-ci correspond à la répartition d'isotopes entre deux substances ou entre deux phases d'une même substance, avec des rapports isotopiques différents. Il est causé par les différences physiques et chimiques existant entre les isotopes d'un même élément. En effet, au cours d'une transition de phase, la différence de masse entre les isotopes entraine une concentration des isotopes les plus lourds dans la phase la plus condensée. Le fractionnement isotopique mesure l'enrichissement en isotope lourd d'une phase.

Ainsi, en considérant deux isotopes de l'oxygène, 16O et 18O, lors d'une transition entre deux phases A et B, il est possible de définir les rapports isotopiques R d'un élément donné pour chaque phase. Ici par exemple, pour une phase A : RA = (18O/16O)A.

Le coefficient de fractionnement isotopique αA-B entre deux phases (A et B ici) peut alors être défini en utilisant les rapports RA et RB : αA-B =RA / RB.

Il est aussi possible de normaliser les rapports isotopiques à un standard (std) avec la notation δ : δA = [(RA − Rstd) / Rstd] (exprimé en ‰).

Dans le cas d'un appauvrissement par rapport au standard, le δ obtenu est négatif, tandis que dans le cas d'un enrichissement par rapport au standard, le δ est positif. Pour les isotopes de l'hydrogène et de l'oxygène de l'eau, le VSMOW[1] (Vienna Standard Mean Ocean Water) est utilisé comme standard universel (Coplen, 1994 [4]) depuis 1993, il précise et remplace le “classique” SMOW. Pour les deux composés A et B, les valeurs de δ et le coefficient de fractionnement α sont liés par : δA − δB = ΔA-B ≈ 103.ln(αA-B).

Isotopes stables des précipitations : facteurs de contrôle

Les processus du cycle hydrologique sont reflétés par les ratios isotopiques de l'oxygène et de l'hydrogène des précipitations, ainsi que par les eaux de surface dérivées des précipitations (voir Gat, 1996 [7]). Il existe plusieurs facteurs contrôlant les rapports isotopiques de ces éléments. Le fractionnement isotopique associé à l'évaporation de la vapeur d'eau à partir de sa source est l'un de ces facteurs, en générant une humidité atmosphérique appauvrie en 18O et D par rapport à la source.

D'autres facteurs de contrôle sont : le refroidissement que subit une masse d'air humide lors de son élévation, en se mélangeant avec une masse d'air plus froid, ou par perte d'énergie radiative ; l'échange d'isotopes entre des gouttes d'eau liquide et de la vapeur d'eau au sein des nuages ; les précipitations elles-mêmes, qui enlèvent la phase condensée portant les isotopes les plus lourds de la masse d'air, laissant celle-ci appauvrie en isotopes lourds.

Les rapports isotopiques des précipitations suivent des tendances systématiques en fonction de certains paramètres. Ainsi, une diminution des rapports isotopiques des précipitations est observée avec une diminution de la température locale : il s'agit de l'effet de température (Figure 1), qui est de ~0,58‰ /°C pour le δ18O, dans des gammes de températures de 0 à 20°C (Rozanski et al., 1995 [14] ; Blisniuk et Stern, 2005 [2]). De même, les rapports isotopiques des précipitations subissent une diminution avec l'augmentation de la distance à la source principale de vapeur d'eau : il s'agit de l'effet continental (Figure 2), de −0,2‰ à −0,4‰/100 km pour le δ18O (Dansgaard, 1964 [5] ; Rozanski et al., 1993 [15] ; Blisniuk et Stern, 2005 [2]).

Isotopes stables des précipitations et paléo-altimétrie

Tout comme l'effet de température et l'effet continental, la topographie a un effet sur la distribution et la composition isotopique des précipitations.

En effet, lorsqu'une masse d'air humide passe au-dessus d'une chaine de montagne, la pression atmosphérique diminue, ce qui entraine une expansion adiabatique, ainsi qu'un refroidissement, engendrant une condensation et des « précipitations orographiques » sur la face au vent de la chaine (Barros et Lettenmaier, 1994 [1] ; Roe, 2005 [12] ; Blisniuk et Stern, 2005 [2]). De ce fait, le δ18O des précipitations varie localement entre −0,1‰/100 m et −0,5‰/100 m (Chamberlain et Poage, 2000 [3] ; Poage et Chamberlain, 2001 [11] ; Blisniuk et Stern, 2005 [2]), avec une moyenne estimée de -0,28‰/100 m d'élévation dans de nombreuses régions du monde,hors latitudes >70° et élévations >5000 m (Poage et Chamberlain, 2001 [11] ; Blisniuk et Stern, 2005 [2]).

Dans les Alpes européennes, les études de variations isotopiques pour le δ18O des précipitations en fonction de l'élévation ont permis de déterminer une variation de −0,2‰/100 m d'élévation dans la partie Nord des Alpes centrales (Schürch et al., 2003 [17] ; Schotterer et al., 1997 [16]), contre −0,18‰/100 m dans la partie Sud (Longinelli et Selmo, 2003 [10]). D'autres transects réalisés dans la partie Sud des Alpes ont révélé des variations de −0,1 à 0,2‰/100 m (Longinelli and Selmo, 2003 [10]), et Yehdegho et Reichl (2002) [19] ont trouvé des valeurs de −0,27‰/100 m au Nord du massif du Semmering (Alpes orientales) et −0,21‰/100 m au Sud de ce massif.

Ainsi, en admettant que les tendances systématiques suivies par les isotopes stables des précipitations modernes sont identiques à celles que suivaient les isotopes stables des précipitations anciennes (principe de l'actualisme appliqué à la géochimie), il est possible en analysant les petites gouttes d'eau piégées dans les inclusions fluides, de retrouver l'altitude des précipitations au moment de leur formation et de leur piégeage dans des minéraux.

Inclusions fluides : concepts et définitions

Au sein d'un minéral (quartz, fluorite, apatite…), les inclusions fluides sont des cavités de l'ordre du micromètre, remplies de fluides piégés lors de la croissance de ce minéral, ou postérieurement à sa formation. Ces inclusions peuvent être composées d'une seule phase (inclusions monophasées), ou de plusieurs phases (bi-, triphasées). Ces dernières peuvent être des phases liquides (H2O et CO2 sont les plus fréquentes), vapeurs (H2O, CO2, CH4, H2S), ou encore solides (NaCl, par exemple).

Il existe plusieurs familles d'inclusions fluides, en fonction de la chronologie de leur formation. En effet, les inclusions fluides primaires (IFP) sont celles qui se forment les premières sur des imperfections à la surface des minéraux. Elles sont souvent grandes, isolées et de formes variables, mimant parfois la morphologie du minéral hôte (cristal négatif) (Roedder, 1984 [13]) (Figure 3). Ces inclusions fluides se forment lors de la croissance du minéral hôte et la composition des fluides qu'elles contiennent est donc susceptible d'être représentative de la composition des fluides présents au cours de la formation du minéral hôte. Sous réserve cependant, que la roche n'ait pas été trop déformée, ou trop altérée par la circulation de fluides secondaires, afin que l'inclusion primaire ne soit pas affectée par des fluides secondaires.

Inclusions fluides primaires

Figure 3. Inclusions fluides primaires

L'inclusion à gauche de l'encadré est en cristal négatif = forme hexagonale du minéral hôte qui est un quartz.


Enfin, les inclusions fluides secondaires (IFS) sont de petite taille et se forment une fois la croissance du minéral terminée. Elles sont aussi regroupées et s'alignent le long de micro-plans (clivages, macles, mais aussi fractures) (Roedder, 1984 [13] ; Van den Kerkhof et Hein, 2001 [18]) (Figure 4).


L'étude d'inclusions fluides est complexe et la validité des données par celle-ci dépend de plusieurs postulats (Dubois, 2000 [6]). Ainsi, en faisant l'hypothèse qu'une inclusion fluide est un système fermé, et donc que le fluide en son sein a conservé sa composition chimique originelle, qu'elle a conservé son volume initial (système isochore) et que le fluide qu'elle contient était monophasé lors de son piégeage, il est possible de préciser les conditions P-T de la roche au moment de la capture de ce fluide en faisant de la micro-thermométrie. Cependant, une étude pétrologique et microstructurale de la lame mince avant analyse micro-thermométrique est nécessaire, afin de distinguer les différentes phases de cristallisation du minéral hôte (le quartz dans notre cas) et les différentes générations d'inclusions fluides à température ambiante.

Technique d'analyse du fluide aqueux contenu dans les inclusions du quartz

Piégeage des eaux de pluie dans les inclusions fluides du quartz

Les contraintes tectoniques appliquées aux roches dans les zones orogéniques (aussi bien en compression qu'en extension) vont permettre la formation de fractures dans les quinze premiers kilomètres de la croute continentale et des zones de cisaillement ductile dans la croute inférieure (Figure 5). Si la zone est émergée, les précipitations qui se forment au-dessus de ces reliefs vont pénétrer la croute continentale par le biais des fractures et des zones de cisaillement.


Les eaux météoriques vont percoler dans la croute, se réchauffer en s'enfonçant en profondeur dans les roches et les dissoudre, si la roche est siliceuse, l'eau se charge en SiO2 dissout. Le fluide aqueux chargé en silice va se concentrer dans les fractures de la roche qui représentent des zones de moindre pression, et quand la saturation est atteinte, le fluide siliceux précipite des cristaux de quarts qui cimentent les fractures (Figure 6). C'est dans ces cristaux de quartz que sont piégés les fluides météoriques qui sont tombés sur les reliefs. Au moment de leur piégeage à grande profondeur et donc à haute température, le fluide est homogène. Lorsque les roches recoupées par les fentes de quartz sont exhumées en surface, le fluide contenu dans les inclusions du quartz subit une baisse de température à volume (des inclusions) constant et donc une décompression : une bulle de vapeur va se former dans l'inclusion (Figure 7).

Affleurement avec fente de quartz

Inclusion fluide biphasique dans un quartz

Extraction de l'eau des inclusions fluide de quartz

Pour estimer l'altitude de relief de la zone orogénique au moment où sont piégées les inclusions fluide, on échantillonne les fentes de quartz à différentes altitudes ainsi que des précipitations actuelles qui serviront de références permettant de calibrer les valeurs obtenues. Les échantillons de quartz sont donc broyés en un granulat millimétrique. Ce granulat est par la suite tamisé (tamis à pores de diamètre 100 μm) et lavé à l'eau distillée. Après séchage, les grains de quartz sont soigneusement sélectionnés à la main sous la loupe binoculaire. Pour une extraction standard, on trie 800 mg de quartz.


L'extraction des gaz contenus dans les inclusions fluides se fait par décrépitation thermique, sur la ligne d'extraction représentée à la figure 8. Le CO2 et l'H2O des inclusions sont alors purifiés, séparés et recueillis. Les gaz recueillis sont analysés par le spectromètre GV PRISM. L'H2O recueillie (environ 1 μL) ne peut par contre pas être analysée telle quelle, l'analyse se fait en deux étapes.

Pour analyser l'O on procède à une micro-équilibration durant 48 h à 25°C par ajout de CO2 selon la méthode de Kishima et Sakai (1980) [9], le CO2 de composition isotopique connue est mesuré avant et après équilibration, et par bilan de masse on recalcule la valeur de l'O de l'eau des inclusions fluides.

Pour l'analyse de l'H, l'eau est préalablement réduite en H2 (5 minutes à 1000°C en présence de Cr métallique), dont on détermine le δD. Des standards sont également analysés avant et après passage des échantillons au spectromètre de masse. Ces standards, VSMOW (Standard Mean Ocean Water) et GISP (Greenland Ice Sheet Precipitation), de compositions isotopiques connues, vont nous permettre de corriger les valeurs mesurées par le spectromètre de masse. La mesure de la composition isotopique des eaux libres se fait par le spectromètre de masse Isoprime en mode AquaprepTM.

Composition isotopique de l'eau des inclusions fluides de quartz du Massif du Chenaillet et des eaux libres du Queyras

Nous traiterons ici l'exemple d'échantillons prélevés sur le Massif du Chenaillet dans les Alpes (Figure 9). Les analyses des eaux libres (13 échantillons) prélevées vers 2500 m d'altitude dans le Queyras (ronds verts sur la figure 10) et à 1000 m d'altitude (point G sur la figure 10) s'échelonnent sur la droite des eaux météoriques actuelles d'Europe de l'Ouest. Quatre fentes de quartz, d'âge estimé entre 7 et 25 Ma par similitude avec des échantillons de lieux et contextes proches, ont été prélevées à 2500 m d'altitude sur le massif du Chenaillet. Les analyses des inclusions fluides (diamants verts sur la figure 10) ont été analysées et reportées pour comparaison avec la composition des eaux libres.

Les compositions des inclusions tombent parfaitement sur la droite des eaux météoriques, ce qui montre que l'eau des inclusions est de l'eau de pluie ayant gardé sa signature (tout échange avec silicates ou carbonates aurait perturbé la composition isotopique en oxygène).

De plus, comme il existe des sédiments âgés de 25 Ma contenant des galets issus de l'érosion des massifs du Queyras, on peut dire que 1) on sait depuis la découverte de ces sédiments que le massif du Queyras était exhumé, sans idée des altitudes, 2) les compositions isotopiques confirment que le Chenaillet était exhumé et indiquent de plus qu'il était déjà à une altitude de l'ordre de 2000-2500 m lors de la formation des inclusions étudiées.

Ce type d'inclusions fluides semblent ainsi être un bon candidat pour reconstituer l'évolution de l'altitude des chaines de montagne (voir aussi Comment estime-t-on l'altitude des chaines de montagnes anciennes ?).

Bibliographie

A.P. Barros, D.P. Lettenmaier, 1994. Dynamic modeling of orographically produced precipitation, Reviews of Geophysics, 32, 265-284. [pdf]

P.M. Blisniuk, L.A. Stern, 2005. Stable isotopes paleoaltimetry: a critical review, American Journal of Science, 305, 1033-1074

T.B. Coplen, 1994. Reporting of stable hydrogen, carbon, and oxygen isotopic abundances (Technical Report), Pure and Applied Chemistry, 66, 2, 273–276

W. Dansgaard, 1964. Stable isotopes in precipitation, Tellus, 16, 436-468

M. Dubois, 2000. Inclusions fluides : Approche expérimentale, thermodynamique et applications aux phénomènes hydrothermaux et diagénétiques, Mémoire d'H.D.R., Université des Sciences et Technologies de Lille, 234p

J.R. Gat, 1996. Oxygen and Hydrogen Isotopes in the Hydrologic Cycle, Annual Review of Earth and Planetary Sciences, 24, 225-262 [pdf]

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N. Kishima, H. Sakai, 1980. Oxygene-18 and deuterium determination on a single water sample of a few milligrams, Analytical Chemistry, 52, 2, 356-358

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[1] Depuis 1993, le VSMOW est la composition de l'eau océanique “moyenne” ”reconnue par l'International Atomic Energy Agency (basée à Vienne d'où le “V”).