Article | 07/12/2015
Visite touristique des chutes et travertins du Hérisson (Jura)
07/12/2015
Résumé
Érosion et précipitation en domaine karstique : chutes, gours, travertins (tufs calcaires) en remontant la quasi-reculée des cascades du Hérisson.
Table des matières
Les semaines précédentes, nous avons admiré et disséqué diverses formes d'érosion en pays calcaire (Un exemple de petit lapiaz : le lapiaz de Loulle (Jura), Le lapiaz de la Pierre Saint Martin (Pyrénées Atlantiques), l'un des plus grands lapiaz de France...). L'image de la semaine présente quelques beaux exemples de reculées du Jura, y compris la vallée du Hérisson, de morphologie intermédiaire entre vallée "classique" et reculée (Les reculées du Jura). Le phénomène dominant y est la dissolution des carbonates par les eaux de ruissellement chargées de CO2 suivant l'équation :
- CO2 + H2O + CaCO3 → 2 HCO3- + Ca2+.
Le dioxyde de carbone provient de l'atmosphère et surtout de la respiration des êtres vivants dans les sols (bactéries, champignons, racines des végétaux…). Une part d'érosion mécanique peut bien sûr s'y ajouter. Nous allons, dans cet article, présenter plus en détail la "quasi-reculée" du Hérisson avec ses cascades et dépôts de travertins associés, un beau parcours de visite touristique à thématique géologique.
Pour un rappel sur les structures rencontrées dans un karst, consultez, par exemple : Structures rencontrées dans un karst et Karst et érosion karstique.
Le Hérisson recule pour mieux sauter
Dans un secteur tabulaire, comme le Jura des plateaux, l'érosion peut aboutir à la formation de vallées encaissées, bordées par des falaises, et s'achevant par un « bout du monde », c'est-à-dire un cirque entouré de parois verticales impressionnantes. Cette morphologie karstique typique est nommée « reculée ». Le fond de la reculée est occupé par une source (exsurgence ou résurgence karstique), qui sape par en dessous la falaise calcaire, et éventuellement par une cascade, qui l'attaque par le dessus. Le fond recule donc progressivement sous l'effet de l'érosion, et l'entaille dans le plateau s'allonge peu à peu, atteignant dans certains cas plusieurs dizaines de kilomètres, parfois avec des ramifications complexes.
Toutefois, l'origine des reculées jurassiennes est souvent plus complexe qu'un simple creusement par un cours d'eau : l'érosion glaciaire (lors des grandes glaciations quaternaires) a pu amorcer ou surcreuser des vallées, participant à la formation des reculées. En outre, ces reculées empruntent préférentiellement des zones préalablement faillées.
Un subtil mélange d'érosion chimique et mécanique, glaciaire ancienne et karstique récente, avec une influence de la tectonique, produit donc les reculées.
Le Hérisson est un affluent de l'Ain qui prend sa source au niveau du lac de Bonlieu, dans le Jura, à 800 m d'altitude. Cette petite rivière descend rapidement du Jura plissé vers le plateau de Champagnole, y creuse une belle "quasi-reculée", puis rejoint la combe d'Ain. La vallée inférieure du Hérisson, à fond plat, d'altitude 500 m environ, est une ancienne vallée glaciaire occupée par deux lacs (lacs du Val et de Chambly). Elle débouche dans la combe d'Ain, elle-même une ancienne vallée glaciaire, de 25-30 km de long sur 4-6 km de large, parcourue par l'Ain qui lui donne son nom. Le cours d'eau rejoint donc sa vallée inférieure, dans la "quasi-reculée", en sautant près de 300 mètres de dénivelé sur 3 kilomètres, ce qui constitue les « cascades du Hérisson ». Ces cascades recoupent les calcaires du Jurassique supérieur, principalement le Kimméridgien et le Thitonien (anciennement appelé Portlandien).
Comme expliqué dans l'image de la semaine (Les reculées du Jura), la différence de la vallée du Hérisson par rapport aux reculées "vraies" de Baume-les-Messieurs et des Planches tient au fait qu'une part du Hérisson garde un parcours de surface, générant les cascades. Il n'en reste pas moins qu'une grande partie des eaux se perd dans la barre kimméridgienne en amont des cascades et ressort par de nombreuses résurgences au fond de la vallée, à la base du Kimméridgien, notamment en aval du Grand Saut. Pendant les périodes d'étiage, la cascade du Grand Saut est d'ailleurs à sec, 100% du débit empruntant un parcours souterrain. Si, dans l'avenir, les pertes du Hérisson n'augmentent pas, le débit à l'air libre du Hérisson sur le calcaire kimméridgien perdurera, la cascade du Grand Saut reculera par érosion, et la vallée du Hérisson deviendra une vallée classique. Si, par contre, les pertes amont sont de plus en plus importantes, le cours aérien du Hérisson sur le Kimméridgien va devenir une vallée sèche, et la vallée du Hérisson deviendra une reculée typique.
Les siècles et millénaires à venir nous diront ce que deviendra cette vallée du Hérisson. Et il est tout à fait possible que les reculées de Baume-les-Messieurs et des Planches aient eu, il y a quelques milliers d'années, une morphologie et un fonctionnement identiques à ceux du Hérisson actuel.
Les dépôts carbonatés du Hérisson
En pays calcaire, l'équilibre des carbonates peut aussi jouer dans le sens de la précipitation, déposant en un lieu ce qui a été dissous ailleurs :
- 2 HCO3- + Ca2+ → CO2 + H2O + CaCO3.
Les eaux sont chargées en ions HCO3- et Ca2+ par leur circulation dans les calcaires. Elles déposent ensuite d'autant mieux un précipité de CaCO3 qu'elles relâchent simultanément vers l'atmosphère du CO2.
Cette perte de CO2 peut être favorisée par l'agitation du cours d'eau. Les lieux de dégazage préférentiel (cascades, petits obstacles le long du lit…) deviennent ainsi des lieux de dépôts qui amplifient les obstacles et s'auto-entretiennent donc. Les irrégularités initiales du cours d'eau deviennent ainsi une série de gours et de murets naturels.
La baisse de la concentration en CO2 peut aussi être favorisée par la photosynthèse de mousses, d'algues, de bactéries…
On trouve ainsi fréquemment dans les pays calcaires des dépôts carbonatés encroûtants, plus ou moins poreux et friables (selon leur degré de compaction et de cimentation ultérieure), associés à des débris ou des empreintes de végétaux (bryophytes, algues) ou des biofilms (algues microscopiques, bactéries…). On parle alors de « travertins », ou encore « tufs » (terme qu'il vaut mieux éviter pour ne pas introduire de confusion avec certains dépôts volcaniques autrefois aussi appelés "tufs ").
À consulter aussi à ce sujet : Dépôts de travertin à la sortie de sources karstiques, Stromatolithes actuels, travertins et cascade pétrifiante de Saint Pierre-Livron, Caylus (Tarn et Garonne), Structure interne des dépôts de travertins cabonatés, Concrétions calcaires dans le lit des rivières, Dépôts de calcaire par des cascades pétrifiantes.
Le paysage karstique est donc le résultat d'un équilibre subtil entre érosion (chimique et mécanique) et dépôt de calcaire.
Le Hérisson illustre bien cette notion. On peut y voir, en une seule visite, la "compétition" entre l'érosion "de surface" et l'érosion "souterraine". On peut y voir aussi la "compétition" entre l'érosion "qui enlève" et la précipitation "qui construit". On peut aussi y voir l'influence de la résistance des roches sur la morphologie (bancs résistants à l'érosion et cascades ; bancs moins résistant et cours réguliers). Les "images de la semaine" des trois semaines à venir seront consacrées à des exemples encore plus spectaculaires de ces dépôts karstiques, exemples tous pris dans le Jura.