Image de la semaine | 09/09/2024

Le recul des glaciers d'Aletsch et de Fiesch (canton du Valais, Suisse) du XIXe au XXIe siècle

09/09/2024

Auteur(s) / Autrice(s) :

  • Pierre Thomas
    Laboratoire de Géologie de Lyon / ENS de Lyon

Publié par :

  • Olivier Dequincey
    ENS de Lyon / DGESCO

Résumé

Comparaison de gravures, photographies anciennes et récentes pour constater et quantifier la diminution du volume et le recul du front des glaciers.


Vue d'ensemble du glacier d'Aletsch (canton du Valais, Suisse) photographié depuis la station supérieure du téléphérique de l'Eggishorn au-dessus du village de Fiesch, vue et interprétation
Figure 1. Vue d'ensemble du glacier d'Aletsch (canton du Valais, Suisse) photographié depuis la station supérieure du téléphérique de l'Eggishorn au-dessus du village de Fiesch, vue et interprétation — ouvrir l’image en grand

Sur la rive droite (rive Ouest), à une centaine de mètres au-dessus du glacier, on voit très bien une limite entre une partie inférieure non végétalisée et une partie supérieure végétalisée. Cette limite est surlignée en bleu dans la photo du bas. Cette rive droite est “entaillée” par une vallée (sans glace dans sa partie basse) dans laquelle pénètre la limite terrain végétalisé / terrain non végétalisé. On peut interpréter cette limite terrain végétalisé / terrain non végétalisé comme marquant la hauteur maximale atteinte par ce glacier dans la deuxième moitié du XIXe siècle, au maximum de ce qu'on appelle le « Petit Âge glaciaire ». Si cette interprétation est correcte, la vallée au centre de l'image devait, aux XVIIIe et XIXe siècle, correspondre à un glacier rejoignant le glacier d'Aletsch. Depuis 150 ans, sol et végétation n'ont pas eu le temps de se reconstituer totalement là où le recul du glacier a “libéré” la roche, et la limite est encore bien visible. Ce Petit Âge glaciaire a été abordé plusieurs fois, par exemple dans Les variations climatiques "pour les nuls" ou encore Température du sol et variations climatiques au cours des derniers millénaires.

Localisation par fichier kmz du front actuel du glacier d’Aletsch (Valais, Suisse).

Les images Google Earth montrent que cette limite terrain végétalisé / non végétalisé se retrouve à la même altitude sur les deux rives du glacier, ce qui renforce cette interprétation. Et si cette interprétation est correcte, l'utilisation de la fonction “profil topographique” de Google Earth permet de mesurer l'épaisseur de glace disparue depuis la deuxième moitié du XIXe siècle, ce qu'illustre la figure suivante, qui montre que le glacier d'Aletsch a perdu environ 80 m d'épaisseur ces 150 dernières années.

Utilisation de la fonction “profil topographique” appliquée au glacier d'Aletsch au pied de l'Eggishorn, canton du Valais, Suisse
Figure 2. Utilisation de la fonction “profil topographique” appliquée au glacier d'Aletsch au pied de l'Eggishorn, canton du Valais, Suisse — ouvrir l’image en grand

Sur le profil construit par cette fonction, on voit que la limite terrain végétalisé / terrain non végétalisé (les deux punaises rouges) existe sur les deux rives du glacier, qu'elle est approximativement à la même altitude sur les deux rives, et que la surface du glacier actuel est située environ 80 m plus bas. Le glacier aurait donc perdu 80 m d'épaisseur à l'aplomb de l'Eggishorn. En répétant cette mesure tout le long du glacier, on pourrait faire calculer à des élèves la perte de volume du glacier au cours des 150 dernières années.

Le recul des glaciers depuis la fin du XIXe siècle est un fait bien connu. Il se déduit d'observations géologiques comme dans les deux figures qui précèdent, et aussi de chroniques historiques (textes, gravures, premières photographies…). Ce recul des glaciers est dû à un réchauffement et/ou une baisse des précipitations neigeuses, qui ont deux causes successives : la fin du Petit Âge glaciaire (qui a duré du XVIIe au XIXe siècle), suivie du réchauffement d'origine anthropique. Nous ne discuterons pas ici des causes ou le l'ampleur, ni du Petit Âge glaciaire, ni du réchauffement anthropique dû à l'augmentation des gaz à effet de serre due elle-même à l'utilisation des combustibles fossiles. Mais nous comparerons des photographies des glaciers d'Aletsch et de Friesch prises au XXIe siècle avec des gravures ou photographies anciennes (XIXe siècle), qui révèleront l'ampleur du recul de ces deux glaciers. Pour cela, nous utiliserons des documents d'archives qu'on peut trouver en cherchant sur le web. Nous utiliserons aussi des reproductions de gravures ou de photographies anciennes exposées dans des lieux publics, comme des halls de gare ou des salons d'hôtel. En effet, les Suisses sont moins “frileux” et plus lucides que les Français et n'hésitent pas à sensibiliser le grand public aux effets des variations climatiques. Dans la mesure du possible, nous ferons des allers-retours entre documents anciens et photographies récentes.

Planet-terre a déjà illustré ce recul des glaciers, recul général dans toutes les Alpes, et quasiment dans tous les massifs montagneux du globe, de la Patagonie au Groenland et à l'Antarctique… Citons quelques articles de manière non exhaustive : La Mer de Glace : grandeur (et décadence ?) d'un glacier alpin, Quand le retrait glaciaire permet de voir des stries glaciaires presque en "flagrant délit" de formation : glacier de Saint Sorlin, massif des Grandes Rousses (Savoie), La disparition d'un glacier alpin : l'ex glacier des Prés les Fonts, le Monêtier-les-Bains (Hautes Alpes), Le recul des glaciers et l'avancée de leur glace.

Photographie prise dans le salon d'un hôtel de Fiesch (Suisse) où est affichée la reproduction (≈ 2 m de long) d'une lithographie datant de 1880
Figure 3. Photographie prise dans le salon d'un hôtel de Fiesch (Suisse) où est affichée la reproduction (≈ 2 m de long) d'une lithographie datant de 1880 — ouvrir l’image en grand

Cette lithographie représente le panorama dessiné sur 360° vu depuis le sommet de l'Eggishorn (sommet situé 50 m au-dessus de l'arrivée du téléphérique, mais d'accès interdit aux promeneurs non équipés “montagne” en juin 2024 du fait de l'abondance de la neige. Des zooms sur le titre de la lithographie et sur son auteur (Xaver Imfeld, 1853-1909) sont agrandies et disposés à la base de la figure. Nous utiliserons cinq zooms extraits de cette lithographie pour des comparaisons XIXe / XXIe siècle (figures 4, 5, 8, 12 et 23).

Le canapé donne l'échelle.

Comparaison entre le glacier d'Aletsch en 1880 (lithographie Xaver Imfeld) vu du sommet de l'Eggishorn et en 2024 vue de la station d'arrivée du téléphérique de l'Eggishorn
Figure 4. Comparaison entre le glacier d'Aletsch en 1880 (lithographie Xaver Imfeld) vu du sommet de l'Eggishorn et en 2024 vue de la station d'arrivée du téléphérique de l'Eggishorn — ouvrir l’image en grand

Les interprétations proposées à la lecture du paysage (cf. figure 1) à savoir (1) que la limite terrain végétalisé / terrain non végétalisé correspond bien à la hauteur maximale atteinte par ce glacier dans la deuxième moitié du XIXe siècle, et (2) que la vallée au centre de l'image devait, dans la deuxième moitié du XIXe siècle, correspondre à un glacier rejoignant le glacier d'Aletsch sont vérifiées / validées par les données historiques. Avis aux climato-négationnistes.

Le réseau des observations glaciaires suisses (GLAMOS(lien externe - nouvelle fenêtre)) permet d'avoir des chiffres et des courbes montrant le recul de tous les glaciers des Alpes suisses, en particulier le recul du glacier d'Aletsch. Nous vous montrons deux de ces courbes ci-dessus.

Depuis l'Eggishorn, on peut admirer le glacier d'Aletsch. En se retournant et en regardant vers le Nord-Est, on découvre un deuxième glacier, le glacier de Fiesch. Il s'agit du troisième plus grand glacier de Suisse (longueur de 15 km et surface de 29 km2, chiffres de 2011). Nous allons voir que, comme le glacier d'Aletsch, le glacier de Fiesch a subi un très important retrait depuis 150 ans.

Localisation des glaciers d'Aletsch et de Fiesch (punaise rouge) dans l'arc alpin
Figure 27. Localisation des glaciers d'Aletsch et de Fiesch (punaise rouge) dans l'arc alpin — ouvrir l’image en grand