Image de la semaine | 16/09/2024
Le sable du Sahara sur les glaciers suisses, un agent d'accélération de leur recul – Exemple du glacier Pers (canton des Grisons, Suisse)
16/09/2024
Résumé
Neiges de printemps colorées en rose par des algues ou en orange-brun par du sable.
Source - © 2006 Glaciers online / SwissEduc
L'arrivée de poussières sahariennes en Europe est un phénomène relativement classique, cf. Variations sur le coup de sirocco qui a affecté la France le matin du 6 février 2021. S'il pleut ou neige quand de telles poussières sont présentes à plusieurs kilomètres d'altitude dans la troposphère, alors ces poussières tombent au sol. Si les précipitations sont de la neige, alors il tombera de la neige “rougeâtre”. Plusieurs arrivées de poussières ont effectivement eu lieu dans l'Est de la Suisse en cette fin de printemps 2024, bien plus nombreuses que d'habitude. La dernière eut lieu le 21 juin 2024, une semaine avant la prise des photographies des figures 1 à 14. Si ces nuages ont toujours existé, l'observatoire européen Copernicus indique que l'intensité et la fréquence de ses épisodes ont augmenté ces dernières années. Tout un chacun peut se rendre compte de cette augmentation de manière qualitative là où il habite (ça se remarque bien à Lyon, par exemple). Les sites scientifiques “grand publi” la relatent aussi (cf., par exemple, Futura). Cette augmentation de la fréquence et de l'importance de ces « coups de sirocco » est à relier au changement climatique actuel, changement qui modifie la localisation et/ou l'intensité des anticyclones et des dépressions localisés de l'Atlantique à la Scandinavie et à l'Afrique, et donc modifie l'intensité et la trajectoire du déplacement des masses d'air.
Cette augmentation de la fréquence des chutes de neige “colorée” aura une influence sur le recul des glaciers. En effet, une neige rouge a un albédo plus faible qu'une neige bien blanche. Elle absorbe plus le rayonnement solaire et fondra plus vite. Les glaciers (1) seront moins alimentés par les neiges qui disparaitront plus vite, et (2) seront moins longtemps protégés de la fonte estivale par les neiges de printemps plus vite disparues. On voit donc que le changement climatique actuel a un double effet sur le recul des glaciers, effets qui s'ajoutent : (1) un effet majeur, la hausse des températures fait diminuer le rapport neige/pluie et donc diminuer l'alimentation des glaciers, et accélère leur fonte surtout dans leur partie aval, et (2) un effet mineur, à savoir l'augmentation de la fréquence des chutes de neige “sombre” qui augmente la fonte de la couverture neigeuse, même si la température n'augmente pas ; cela participera à la diminution de l'alimentation et à la diminution précoce du manteau neigeux aval, manteau qui protège l'aval de la fonte estivale. Les glaciers n'avaient pas besoin de ce « coup de pouce » supplémentaire !
Source - © 2024 la chaîne météo / Futura
La teinte orangée de la neige (et non pas rose), la très grande surface couverte, et l'arrivée des poussières sahariennes annoncée par la météo une semaine avant ce 29 juin 2024 conduisait naturellement à éliminer une autre hypothèse plausible quant à cette neige colorée : une neige colorée par des Clamydomonas nivalis, espèce d'algue très riche en caroiténoïdes (d'où sa couleur) qui colonise naturellement chaque printemps les plaques de neige fondante (cf. Les milieux froids dans Les extrémophiles dans leurs environnements géologiques - Un nouveau regard sur la biodiversité et sur la vie terrestre et extraterrestre). Sous nos climats, les promeneurs qui parcourent les montagnes au printemps voient en effet souvent des plaques de neige fondante rose (et non pas orangée). Ces plaques de neige contiennent des algues unicellulaires qui appartiennent au groupe des algues vertes (eucaryotes) malgré leur couleur rouge, qui ne vivent que sous ces conditions : Chlamydomonas nivalis. Nous vous montrons ci-dessous trois photographies de plus en plus “détaillées” de neige rose prise en Briançonnais en juin 2015, et une microphotographie de cette algue unicellulaire.
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Source - © 2008 ARSUSDA – Domaine public |
Outre la différence de couleur entre Clamydomonas nivalis (rose) et les poussières sahariennes classiquement orangées, la présence en cette fin juin 2024 dans le même secteur de la Bernina de plaques de neige présentant à la fois la teinte rose et la teinte orangée renforce l'idée que cette teinte orangée visible sur des dizaines d'hectares est bien due à des poussières sahariennes. Mais comme pendant ces vacances je n'avais avec moi ni microscope ni tubes de prélèvement, un sceptique pourra toujours douter…
Nous allons voir maintenant dix autres photographies de cette “neige orangée”. Puis, la semaine prochaine, en comparant des photographies récentes et des documents plus anciens (photographies, cartes, courbes…), nous vous montrerons l'importance du recul des glaciers Pers et Morteratsch vus cette semaine, recul qui bien sûr n'est pas dû aux poussières sahariennes mais que leur probable recrudescence future va accélérer. Cela montre que le recul des glaciers d'Aletsch et de Fiesch vu la semaine dernière (cf. Le recul des glaciers d'Aletsch et de Fiesch (canton du Valais, Suisse) du XIXe au XXIe siècle n'est hélas pas une exception. Avis aux climato-négationistes que les campagnes électorales récentes en France (juin 2024) et aux USA (novembre 2024) ont mis et mettent bien en évidence.
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Source - © 2016 Bgvr – CC0 1.0 Universal |
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L'Institut fédéral de recherches sur la forêt, la neige et le paysage (WSL, Wald, Schnee und Landschaft) a étudié cette question et décrit ainsi cette couverture textile :
La plupart des glaciers des Alpes suisses ont davantage fondu au cours des dernières décennies qu'à tout autre moment depuis le début des mesures, en raison de l'augmentation des températures et des canicules estivales. C'est pourquoi l'évolution de ces fleuves de glace est devenue un symbole du changement climatique. Dans de nombreux endroits, les glaciers représentent un enjeu économique, notamment dans les régions où ils sont importants pour le tourisme lié au ski, et leur retrait remet alors en question la rentabilité du domaine. […]. Des bâches textiles peuvent être utilisées pour protéger certaines parties d'un glacier contre le rayonnement solaire. Le ralentissement local de la fonte des glaces peut alors être rentable dans certaines stations de ski. [….] Un tout petit glacier (ou plutôt un petit névé) sur la Diavolezza (Pontresina, canton des Grisons), qui avait presque disparu, a même été « ressuscité ». En protégeant année après année la neige tombée en hiver sous un voile non tissé pour lui faire passer l'été, on a réussi à obtenir à nouveau l'augmentation de l'épaisseur de glace et prolonger ainsi la saison de ski de printemps ». Les auteurs de l'article concluent ainsi : « La fonte accélérée de glace prévue en raison du changement climatique ne sera pas arrêtée par des solutions technologiques. « La seule façon de limiter efficacement le recul des glaciers au niveau mondial est de réduire les émissions de gaz à effet de serre et donc le réchauffement de l'atmosphère. | ||
--WSL |
Les chutes de neige poussiéreuse comme celle de juin 2024, diminuant l'albédo de la couverture neigeuse, vont évidemment à l'encontre du but recherché (augmenter l'albédo des pistes de ski de printemps), d'où la nécessité de déblayer la neige colorée et de réinstaller les textiles blancs. L'augmentation probable du nombre des chutes de neige poussiéreuse va augmenter la fréquence de ces travaux d'entretien. On « marche sur la tête » ! Les Suisses ont des côtés écologiques certains, leur réseau de transport en commun par exemple. Mais cette “vertu” a parfois de belles failles !
Ce petit glacier/névé de la Diavolezza est un exemple typique de l'attitude bien humaine consistant à soigner superficiellement les symptômes d'un mal plutôt que s'attaquer à sa racine.
Source - © 2019 Matthias Huss / wsl.ch |
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