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Article | 07/10/2004

Température du sol et variations climatiques au cours des derniers millénaires

07/10/2004

Laurent Guillou-Frottier

BRGM, Orléans

Florence Kalfoun

ENS de Lyon / DGESCO

Résumé

Retrouver les variations climatiques anciennes en étudiant les profils de température des sols.


Comment mesurer directement les changements climatiques du passé ?

La paléoclimatologie consiste à reconstruire et à comprendre les changements du climat, qu'il s'agisse des derniers siècles, des derniers millénaires ou même encore des périodes plus reculées. Un grand nombre de méthodes, dites « indirectes », permettent avec plus ou moins de précision, de déchiffrer les durées anormales des saisons, ou de retrouver des épisodes anormalement chauds ou froids durant quelques années à quelques siècles. On utilise par exemple les carottes de glace dans lesquelles des bulles d'air sont emprisonnées, et en analysant le contenu en CO2 de ces bulles d'air, on connaît mieux l'atmosphère (et donc sa composition) à une période donnée. L'analyse des cernes des arbres (la dendrochronologie) permet également, selon l'espacement entre chacune, de préciser les périodes froides et chaudes du passé. D'autres disciplines comme la palynologie (étude des pollens) renseignent également sur les changements climatiques anciens. La seule méthode permettant de retrouver directement les changements de température à une période donnée consiste justement à mesurer l'évolution de la température en fonction de la profondeur. En effet, tout changement de la température du sol se propage dans le sous-sol, et il suffit que la perturbation soit suffisamment importante et d'une durée suffisante pour que l'on puisse déchiffrer dans un profil de température les changements climatiques des derniers millénaires. Enfin, l'intérêt de la méthode thermique réside dans l'obtention d'informations paléoclimatiques couvrant un domaine intermédiaire entre les données météorologiques et historiques (quelques siècles) et les données géologiques (quelques dizaines à centaines de siècles).

Diffusion des perturbations, atténuation et décalage temporel

Pour donner un exemple concret, les variations annuelles de la température du sol, disons ± 10°C, se diffusent en profondeur à une vitesse verticale de 1,5 m/mois, tout en s'atténuant. Par exemple, le maximum estival (+10°C début août, par exemple) se traduira à une profondeur de 3 m par une perturbation maximum de 3,5°C, mais que l'on mesurera 2 mois après ; à 6 m de profondeur, le maximum de la perturbation atteindra 1,4°C et sera mesuré début décembre (sur la figure 1, les courbes sont décalées par souci de lisibilité, mais les amplitudes des variations sont respectées). Ces valeurs numériques dépendent des caractéristiques de la perturbation étudiée (son âge et sa durée). Une perturbation climatique jouant sur 100 ans pénétrera dix fois plus profondément que la variation annuelle, mais à une vitesse dix fois moindre ; une perturbation durant 10.000 ans pénétrera 100 fois plus profondément qu'une perturbation annuelle mais à une vitesse 100 fois moindre. Ainsi, on distingue l'effet des dernières glaciations (environ 20.000 ans) à des profondeurs de plus de mille mètres. Bien entendu, afin de pouvoir déchiffrer ces perturbations paléoclimatiques parmi les autres perturbations potentielles, il faut utiliser les profils thermiques les plus stables possibles, et ceux pour lesquels la précision des mesures est maximale (généralement autour de 0,005°C).

Diffusion d'une perturbation thermique en profondeur

Les courbures des géothermes

« La température augmente avec la profondeur ». Cette affirmation - qui est tout à fait correcte dès que l'on considère un intervalle de plusieurs centaines de mètres de profondeur - peut être trompeuse si l'on examine un grand nombre de profils thermiques dans la première centaine de mètres du sous-sol. En effet, le réchauffement climatique du siècle dernier a entraîné une augmentation brusque de la température du sol de l'ordre de +1°C, et comme cela est expliqué ci-dessus, ce réchauffement s'est diffusé dans les profondeurs du sous-sol. Selon les conditions de surface (couvert végétal, histoire des pratiques agricoles), on enregistre ou non ce signal. Dans le cas où les conditions thermiques de surface n'ont pas varié pendant le dernier siècle, on distingue aisément une courbure du géotherme, celui-ci montrant même des gradients thermiques négatifs dans les premières dizaines de mètres de profondeur. C'est le cas de plusieurs profils montré dans la figure 2, chacun étant mesuré dans la même région du bouclier canadien : on distingue aisément l'allure typique des géothermes perturbés en surface par le réchauffement climatique actuel (94-10, 94-11, 94-06, 94-07), mais on peut voir également que cette courbure n'est pas présente sur tous les profils (exemple 94-13), ce qui montre que les conditions de surface varient d'un site à l'autre.

Profils de Thompson

Figure 2. Profils de Thompson

L. Guillou-Frottier, J.-C. Mareschal, J. Musset, 1998. Ground surface temperature history in central Canada inferred from 10 selected borehole temperature profiles, Journal of Geophysical Research, Solid Earth, 103, 4 ,7385-7397.


Les courbures d'origines plus anciennes et moins visibles

Les archives historiques peuvent également nous renseigner sur les changements climatiques. Par exemple, l'enregistrement des dates de vendanges nous indique la présence d'une période froide à la fin du Moyen-Âge, appelé « petit âge glaciaire », et qui correspondrait à une diminution de la température du sol d'environ 1°C. D'autres études paléoclimatologiques nous suggèrent l'existence d'un optimum climatique, de l'ordre de quelques degrés également, il y a 4 à 5 millénaires. Si ces signaux sont présents dans les géothermes, ils sont par contre difficilement déchiffrables "à l'œil", contrairement au réchauffement contemporain. En théorie, un saut de température de -1°C ayant eu lieu il y a 1.000 ans devrait se traduire par une perturbation de -0,2°C à 300 m de profondeur, et de -0,02°C à 600 m de profondeur. Puisque les mesures de température dans les forages sont réalisées avec une précision de l'ordre de 0,005°C, une analyse fine devrait permettre de retrouver les signaux paléoclimatiques des derniers millénaires.

Inversion des géothermes

Pour réaliser ce décryptage des perturbations causées par des événements paléoclimatiques très anciens, on réalise une "inversion" des profils thermiques. En d'autres termes, on suppose que les mesures contiennent non seulement l'augmentation naturelle de la température avec la profondeur, mais également les enregistrements successifs d'un ensemble d'événements paléoclimatiques, dont les caractéristiques (amplitudes et durées) sont à déterminer. Bien entendu, il n'y a pas de solution unique à l'inversion d'un profil thermique, c'est-à-dire que plusieurs épisodes distincts peuvent reproduire plus ou moins le même géotherme. Heureusement, les techniques mathématiques de l'inversion permettent de minimiser les incertitudes et de fournir l'histoire des épisodes climatiques avec un intervalle de confiance satisfaisant. Toutefois, la précision sur l'amplitude et la durée d'un événement paléoclimatique diminue dès que l'on examine des données très profondes, c'est-à-dire des périodes très anciennes. Pour les siècles derniers, l'incertitude reste faible et l'on distingue facilement les petits âges glaciaires de même que le réchauffement actuel (figure 3).


Les faux signaux paléoclimatiques

Même si plusieurs techniques d'inversion ont été proposées et même si elles aboutissent aux mêmes résultats, il a été également démontré que les géothermes peuvent être perturbés de façon permanente par des hétérogénéités de la surface, menant à des courbures similaires à ceux des signaux paléoclimatiques. C'est le cas de profils thermiques situés au voisinage d'un corps géologique anormalement conducteur, comme près d'une une zone riche en quartzites par exemple (le quartz est le minéral le plus conducteur). L'inversion de tels profils aurait même permis de proposer une histoire paléoclimatique analogue à celle de la figure 3. C'est également le cas dans les régions froides où des lentilles de pergélisol sont encore présentes. La figure 4 montre trois profils de température réalisés dans trois forages du Nord du Canada, un quatrième forage n'ayant pas permis à la sonde thermique de pénétrer le sous-sol (celui-ci étant gelé). On remarque qu'en s'éloignant de la lentille, le profil thermique montre une courbure identique à un "réchauffement récent". Lorsque ces perturbations sont permanentes (plusieurs décennies à un siècle), alors il y a un risque à confondre les signaux paléoclimatiques avec les signaux d'origine crustale. Par contre, l'influence de l'homme sur le couvert végétal (déforestation), ou l'influence des incendies de forêt, ne sont que de courte durée, et il est facile de distinguer ces signaux perturbateurs des signaux paléoclimatiques de plus longue durée.

Signal à proximité d'une lentille de pergélisol

Figure 4. Signal à proximité d'une lentille de pergélisol

En s'éloignant de la lentille de pergélisol, le profil thermique montre une courbure en surface identique à un 'réchauffement récent".


L'indispensable comparaison

Bien que le plus grand soin soit apporté lors de la sélection des profils thermiques avant de pratiquer une inversion (examen des conditions de surface, de l'homogénéité des terrains environnants, de l'absence de circulation d'eau, etc), certaines équipes ont déduit des épisodes de réchauffement à une période donnée, alors que d'autres prédisaient un refroidissement. Il devient donc nécessaire de comparer les conclusions tirées de cette méthode "directe" avec les autres études, dites "indirectes", qui elles-aussi permettent de proposer une histoire paléoclimatique. On peut par exemple comparer le ring index, correspondant aux signaux filtrés issus de la croissance des cernes des arbres, avec une histoire de la température du sol. La figure 5 montre le succès d'une telle comparaison pour le centre du Canada. L'utilisation de la teneur en CO2 dans les carottes de glace du Groenland est également en accord avec le signal paléoclimatique déduit dans l'ensemble du Canada (figure 6).

Le réchauffement actuel : des variations géographiques, mais un phénomène global

Dernièrement, une équipe a réalisé la compilation globale des enregistrements thermiques provenant de plus de 600 forages sur l'ensemble des continents, excepté l'Antarctique. Le résultat confirme un réchauffement d'environ 1°C sur les 500 dernières années (courbe rouge de la figure 7), et les 150 dernières années montrent un signal cohérent avec les enregistrements de la température de l'air à la surface (courbe bleue de la figure 7). Toutefois, il est à noter que les amplitudes et le démarrage du réchauffement varie d'un continent à l'autre (figure 8), et de façon générale, les études régionales confirment que les épisodes de refroidissement ou de réchauffement ne commencent pas tous à la même période ; des écarts de plusieurs décennies ont par exemple été suggérés entre la France et l'Europe centrale. Ces résultats confirment les modèles climatiques selon lesquels deux régions distantes d'au moins 500 km pourraient réagir différemment à des événements climatiques globaux.

Réchaufffement d'environ 1°C sur les 500 dernières années

Figure 7. Réchaufffement d'environ 1°C sur les 500 dernières années

Compilation des enregistrements thermiques provenant de 600 forages sur l'ensemble des continents, excepté l'Antarctique (courbe rouge). Ce signal est cohérent avec les enregistrements de la température de l'air (courbe bleue).

S. Huang, H. Pollack, P.-Y. Shen, 2000. Temperature trends over the past five centuries reconstructed from borehole temperatures, Nature, 403 (6771), 756-758.


Amplitude du réchauffement du 16ème au 20ème siècle

Figure 8. Amplitude du réchauffement du 16ème au 20ème siècle

Symbolisée par la hauteur des barres d'histogramme (en K par centaine d'années) reportée pour chaque siècle (du 16e au 20e siècle) et pour chaque continent.

S. Huang, H. Pollack, P.-Y. Shen, 2000. Temperature trends over the past five centuries reconstructed from borehole temperatures, Nature, 403 (6771), 756-758.