Image de la semaine | 23/03/2015

Quand le retrait glaciaire permet de voir des stries glaciaires presque en "flagrant délit" de formation : glacier de Saint Sorlin, massif des Grandes Rousses (Savoie)

23/03/2015

Auteur(s) / Autrice(s) :

  • Pierre Thomas
    Laboratoire de Géologie de Lyon / ENS de Lyon
  • Damien Mollex
    Dép. Sciences de la Terre / ENS de Lyon

Publié par :

  • Olivier Dequincey
    ENS de Lyon / DGESCO

Résumé

Stries glaciaires récentes découvertes par le retrait d'un glacier.


Vue globale et zoom sur la bordure du glacier de Saint Sorlin (Massif des Grandes Rousses, Savoie) montrant des stries très récentes (moins de quelques années, voire quelques mois) mises à jour par le rapide retrait du glacier
Figure 1. Vue globale et zoom sur la bordure du glacier de Saint Sorlin (Massif des Grandes Rousses, Savoie) montrant des stries très récentes (moins de quelques années, voire quelques mois) mises à jour par le rapide retrait du glacier — ouvrir l’image en grand

Des stries sont en train de se former au niveau du contact glace-paroi, là où des pierres enchâssées dans la glace rayent la paroi.

Les stries glaciaires sont des éléments morphologiques classiques permettant de montrer le passage d'un ancien glacier à tel ou tel endroit. On peut en voir datant de la dernière glaciation (Würm) dans des lieux aussi variés qu'une haute vallée pyrénéenne (cf. Stries glaciaires en Ariège ) ou que Central Park à New York (cf. Polis, stries glaciaires et blocs erratiques à Central Park, New York (USA)). Depuis la fin du « petit âge glaciaire » (vers 1860), les glaciers reculent, et ce recul s'accélère depuis les années 1970 à cause du réchauffement climatique dû à l'augmentation anthropique du CO2 atmosphérique et de l'effet de serre. Ce recul "actuel" libère des nouvelles surfaces polies, montrant des stries vieilles seulement de quelques dizaines d'années à quelques années. Ces surfaces polies hyper-récentes montrent encore parfois des restes de farine glaciaire (cf. Farine glaciaire et recul des glaciers, massif des Grandes Rousses (Isère) ). Ces surfaces polies et ces stries se formant sous la glace, on ne peut pas les voir se former sous nos yeux. Mais, si on va sur les bords d'un glacier, là où il y a contact roche-glace, on peut voir des pierres et blocs de toutes tailles pris dans la glace et encore au contact de la paroi rocheuse et en train de la "rayer". La glace du bord d'un glacier alpin avançant en moyenne de 50 à 150 m/an, soit 15 à 45 cm/jour, on pourrait suivre la progression d'un bloc et de sa rayure en revenant plusieurs jours de suite exactement au même endroit.

Cette observation pourrait assez facilement être faite sur les bords du glacier de Saint Sorlin dans le Massif des Grandes Rousses. Un chemin pédestre assez facile (9 km de long, 700 m de dénivelé) permet de rejoindre ce glacier en partant du Col de la Croix de Fer (Savoie), haut lieu du Tour de France. Nous vous présentons une série de photographies montrant des vues du trajet vers ce glacier, des vues générales du glacier, des vues de détail du front, des vues de la surface du glacier et des innombrables roches et pierres posées sur et inclues dans la glace, des vues du contact glace/bordure rocheuse et des stries faites les années précédentes. Nous discuterons enfin du recul exceptionnel (et bien documenté) de ce glacier, expliquant pourquoi on peut voir en 2014 des stries faites pour leur majorité après 2005.

Vue aérienne du glacier de Saint Sorlin
Figure 17. Vue aérienne du glacier de Saint Sorlin — ouvrir l’image en grand

Sur l'écran, cette image est "datée" du 1/1/2006. Comme manifestement cette image a été prise en été, on peut supposer que la date du 1/1/2006 correspond à la date de mise en ligne, et on peut proposer que cette image a été prise durant l'été 2005, 9 ans avant nos images prises sur le terrain. La punaise jaune correspond à l'emplacement (approximatif) du bloc strié des images précédentes. La ligne bleue rajouté correspond approximativement au front du glacier en septembre 2014, environ 60 m en amont du front de 2005.

Le glacier de Saint Sorlin est un petit glacier d'une surface actuelle d'environ 3 km2 (300 ha), et il forme approximativement un rectangle de 2,5 km de long sur 0,8 à 1,2 km de large. Il est réparti sur une tranche d'altitude de 3400 m (Pic de l'Étendard) à 2700 m (front actuel du glacier). La majeure partie de sa masse est située entre 3100 et 2700 m d'altitude. Son épaisseur moyenne est de 30 à 70 m pour un maximum de 140 m. Du fait de sa géométrie assez "simple" et de sa facilité d'accès, le glacier de Saint Sorlin est l'un des glaciers français les mieux suivi. Il fait l'objet d'importantes observations de la part du Laboratoire de Glaciologie et de Géophysique de l'Environnement (LGGE) de Grenoble depuis 1957 (cf. le site GLACIOCLIM du LGGE(lien externe - nouvelle fenêtre) d'où viennent les renseignements ci-dessous).

En 1906, le glacier se terminait en deux langues, l'une se dirigeait au Nord-Est et "s'écoulait" vers l'Arvan, affluent de l'Arc, la seconde se dirigeait vers le Nord et «"s'écoulait" vers l'Eau Dolle, affluent de la Romanche. Depuis cette époque le glacier a perdu une épaisseur de glace d'environ 50 m (perte moyenne sur l'ensemble de sa surface). Durant cette même période le glacier a reculé d'environ 1 km. Le front du glacier qui était en 1906 à une altitude d'environ 2500 m est maintenant remonté à une altitude de 2700 m.

D'autres renseignements concernant ce glacier et son recul peuvent être obtenus en consultant la Fiche des glaciers français / Le glacier de Saint Sorlin(lien externe - nouvelle fenêtre), le communiqué du CNRS Les glaciers subissent le réchauffement climatique à toute altitude(lien externe - nouvelle fenêtre) ou le poster Étude du glacier de Saint Sorlin(lien externe - nouvelle fenêtre).

On peut aussi appréhender soi-même le recul de ce glacier depuis 2012, date de prise de vue des images Géoportail(lien externe - nouvelle fenêtre). Avec toutes les données disponibles sur le Géoportail, on a l'étendue du glacier en 2012, en 1933 (date du fond topographique de la carte géologique de La Grave) et en 1866, date de la première « carte d'état-major » de ce secteur (qui n'est français que depuis 1860) elle aussi disponible sur le site Géoportail.

On peut positionner sur le même modèle numérique de terrain avec la même projection la photo aérienne de 2012 et la carte topographique de 1866, et reporter "à la main" la limite du glacier en 1933. Le retrait du glacier de Saint Sorlin en 150 ans est alors visuellement saisissant ! Qu'en disent les climato-négationnistes (que l'on appelle climato-sceptiques si on veut être « politiquement correct ») ?

Suivi de l'étendue du glacier de Saint Sorlin de 1866 à 2012
Figure 18. Suivi de l'étendue du glacier de Saint Sorlin de 1866 à 2012 — ouvrir l’image en grand

Sur l'image du haut (carte d'état-major de 1866) le glacier de 1866 correspond à la vaste tache blanche au centre de l'image, le front du glacier en 1933 a été reporté (approximativement) en vert, et le front du glacier de 2012 en bleu. Sur l'image du bas, le front du glacier en 1933 a été reporté en vert, et le front du glacier en 1866 en blanc. L'étoile rouge correspond à la position de la paroi striée des images prises en 2014.