Image de la semaine | 05/06/2023
Un “double monstre” géologique et minier, le pipe de carbonatite de Palabora (Afrique du Sud)
05/06/2023
Résumé
Mine de cuivre à ciel ouvert puis souterraine dans un environnement géologique exceptionnel à carbonatite, pyroxénite et foskorite.
Le pipe de Palabora (ou Phalaborwa) est un “double monstre”. Un monstre géologique puisqu'il s'agit d'une formation géologique totalement hors du commun, et un monstre industriel parce que ça a longtemps été la plus vaste et profonde mine à ciel ouvert du monde, mine de cuivre de 760 m de profondeur et presque 1800 m de diamètre. Ces mines à ciel ouvert sont parfois appelées “découvertes”. Celle de Palabora est maintenant dépassée par deux autres mines de cuivre (Bingham aux USA et Chuquicamata au Chili). Ces trois mines sont chacune qualifiée de « mine à ciel ouvert la plus profonde du monde » dans des articles disponibles sur le web. Cela est ou a été vrai… selon la date à laquelle cela est dit.
Rappelons que le terme pipe (“tuyau” en anglais) correspond à une intrusion cylindrique verticale “étroite” (beaucoup plus haute que large) remplie de roches magmatiques, le plus souvent avec une structure de roches volcaniques. Toutes les photographies présentées ici ont été prises (et les échantillons collectés) lors d'un voyage géologique organisé par le Centre Briançonnais de Géologie Alpine en octobre-novembre 2008 et dont l'encadrement scientifique était assuré par Jean-François Moyen (actuellement professeur à l'Université de Saint-Étienne). La description ci-dessous est d'ailleurs largement inspirée du livret guide rédigé par J.-F. Moyen pour cette excursion.
La mine de Palabora (ou Phalaborwa) exploite un pipe de carbonatites (associées à d'autres magmas alcalins et hyper-alcalins), vieux de 2050 Ma, âge voisin de celui du complexe du Bushveld (cf. Le Bushveld (Afrique du Sud), un musée de la différenciation et des roches magmatiques stratifiées) distant de 150 km au Sud-Ouest. Il se passait des choses complexes et inhabituelles dans le manteau Sud-africain à cette époque ! Le complexe de Palabora, d'environ 3 km sur 8 km, est principalement composé de pyroxénites. Au centre de cette intrusion de pyroxénite, le pipe lui-même mesure environ 1 km sur 2 km et se compose d'un cœur de carbonatites, entouré d'une roche (sans doute formée par les réactions entre les carbonatites et les pyroxénites) appelée « foskorite », du nom de la compagnie qui exploitait la mine (FOSKOR), roche formée d'un mélange d'olivine et/ou pyroxène, d'apatite et de magnétite. Aux alentours, des petits pipes secondaires (de syénites surtout) sont observés.
Le complexe de Palabora contient une variété de roches et surtout de minéraux “exotiques”, certains seulement connus dans une poignée de localités du monde. Les carbonatites du cœur sont riches en cuivre (teneur comprise entre 0,5 et 1 %), et sont exploitées pour ce métal. Les réserves de minerai ayant une teneur supérieure à 0,7 % sont estimées à 225 Mt (millions de tonnes). La production annuelle est comprise entre 5 et 10 Mt de minerai. La foskorite est exploitée pour le phosphore. Un certain nombre d'autres minéraux sont d'intéressants sous-produits de l'exploitation : de l'urano-thorianite (qui est aussi riche en terres rares), de la baddeleyite (un oxyde de zirconium, utilisé comme abrasif ou source de zirconium), de la vermiculite (un phyllosilicate voisin des micas et utilisé comme isolant thermique et comme substrat de culture). La magnétite est aussi potentiellement valorisable.
Le cuivre était probablement déjà exploité vers les années 800-1000. Les opérations modernes ont débuté dans les années 1950, et la production a “explosé” en 1965. La carbonatite est exploitée par PMC (Palabora Mining Company, qui appartient au groupe international Rio Tinto) tandis que la foskorite, un “stérile” du point de vue du cuivre, est rachetée et traitée par FOSKOR, à l'origine une compagnie appartenant à l'état Sud-africain. FOSKOR extrait aussi l'apatite des pyroxénites, dans un autre puits, immédiatement au Nord.
De 1965 à 2000, la cavité principale (le PMC Open Pit) a atteint une profondeur maximale de 760 m (le pipe, vertical et de diamètre assez constant, continue beaucoup plus bas). Comme il est nécessaire, pour garantir la stabilité des parois, de ne pas dépasser un angle de pente de plus de 50°, le rapport minerais (du pipe) / stériles (évacuation des bordures du cratère de plus en plus large) devenait de plus en plus faible et il est alors devenu plus rentable de continuer l'exploitation de façon souterraine.
Rappelons enfin que les carbonatites sont des roches magmatiques (plutoniques, filoniennes ou volcaniques) rares (quelques centaines d'affleurements dans le monde, dont un seul volcan en activité) composées d'au moins 50 % de carbonates (généralement de calcium avec un peu de magnésium, beaucoup plus rarement de sodium). Il n'y en a pas en France, mais il y en a dans la plaine d'Alsace, juste de l'autre côté du Rhin en face de Colmar : le Kaiserstuhl. Les minéraux accompagnant les carbonates sont principalement le phlogopite (un mica brun) et l'apatite (un phosphate de calcium). Les carbonatites sont en général riches en terres rares. La très grande majorité des carbonatites se trouve en domaine continental, souvent associées à des zones de rifts et à du magmatisme alcalin ou hyper-alcalin. L'origine de ces magmas rares est discutée, et deux origines (non incompatibles) sont proposées. (1) Les carbonatites peuvent être générées par fusion partielle d'un manteau avec un très faible pourcentage de fusion, ce qui produit un magma très riche en éléments incompatibles et volatils. Cette genèse pourrait être favorisée si le manteau d'origine a été préalablement enrichi en CO2 et en calcium par des circulations de fluides ; cette fusion pourrait alors engendrer directement un magma carbonaté comme le montrent des études expérimentales. (2) Les carbonatites pourraient être générées par immiscibilité à partir d'un magma silicaté. Le principe est de partir d'un magma riche en CO2 et en CaO (souvent un magma sous-saturé en silice) qui subit un processus de cristallisation fractionnée dans une chambre magmatique au sein de la croute. Ce magma peut, à un moment donné, se séparer en deux phases liquides distinctes, d'une part un magma silicaté moins riche en CaO et en CO2, et d'autre part un magma “purement” carbonaté. Ces deux magmas vont se séparer physiquement et avoir des trajets différents dans la croute, pour donner naissance à des roches volcaniques ou plutoniques de composition silicatée ou carbonatée. Cette hypothèse est en bon accord avec le fait que les carbonatites se rencontrent souvent en association avec des roches de type phonolites ou syénites néphéliniques. Pour des compléments sur les carbonatites, voir, par exemple, Qu'est-ce qu'une carbonatite ?, Le Kaiserstuhl et ses carbonatites, et Le Lengaï et ses carbonatites.
Le but de cet article n'est de détailler ni la géométrie ni la genèse complexes du pipe de Palabora, mais de montrer à quoi ressemblent ses carbonatites et autres roches peu classiques associées, des méga-exploitations minières…
Que ce soit de l'ancienne carrière (voir la localisation sur les figures 3 et 4), de la cavité principale (le PMC Open Pit), des exploitations souterraines récentes en galeries, et aussi des usines de traitement, d'énormes masses de déblais sont produites et entreposées sous forme de terrils, le plus souvent à sommet plat. Ces terrils à sommet plat sont souvent utilisés pour y installer des bassins de décantation pour les effluents liquides issus des usines chimiques.
Ni les carrières à ciel ouvert ni les galeries souterraines des mines de Palabora ne se visitent. Il n'est donc pas possible d'observer de près affleurements et roches de ce pipe de carbonatite, de son encaissant de pyroxénite et de l'auréole réactionnelle de foskorite. Mais le terril sur lequel est bâti le point de vue accessible aux visiteurs et d'où ont été prises les photographies est constitué d'un amoncellement de blocs de toutes tailles issus de “quelque part” dans le complexe de Palabora. Il y a de gros blocs de dimension métrique, et aussi des échantillons suffisamment petits pour être ramenés à Lyon pour la collection de la lithothèque de l'ENS de Lyon. Cette “visite” du terril a été une expérience intéressante (des roches inhabituelles qu'on ne voit que rarement dans une vie) mais un peu frustrante car (1) on ne sait pas d'où proviennent blocs et échantillons (pipe, auréole, encaissant…), (2) les photographies prises sur place ne sont pas toujours assez bonnes pour que l'on fasse des identifications sures 15 ans plus tard, et (3) les échantillons ramenés l'ont été après un choix trop vite fait et pas forcément des plus judicieux. Il faudrait y retourner mais l'Afrique du Sud est loin… Dans la suite de cet article, nous vous montrons 9 photographies prises sur le terril, et 8 photographies, prises à l'ENS de Lyon, d'échantillons collectés sur le terril.
Et pour finir cette visite virtuelle de Palabora, voici 8 photographies de 4 échantillons récoltés sur le terril sur lequel est aménagé le point de vue sur le PMC Open Pit.
Source - © 2016 Damien Mollex, Lithothèque ENS de Lyon | Source - © 2016 Damien Mollex, Lithothèque ENS de Lyon |
Source - © 2016 Damien Mollex, Lithothèque ENS de Lyon | Source - © 2016 Damien Mollex, Lithothèque ENS de Lyon |
Source - © 2016 Damien Mollex, Lithothèque ENS de Lyon | Source - © 2016 Damien Mollex, Lithothèque ENS de Lyon |
Source - © 2016 Damien Mollex, Lithothèque ENS de Lyon | Source - © 2016 Damien Mollex, Lithothèque ENS de Lyon |