Image de la semaine | 15/05/2023
Le Bushveld (Afrique du Sud), un musée de la différenciation et des roches magmatiques stratifiées
15/05/2023
Résumé
Roches basiques différenciées et litées dans la plus grande intrusion basique litée connue, le complexe du Bushveld.
Source - © 2008 Jean-François Moyen |
L'image de cette semaine et des deux semaines qui suivent correspondent à un “photoreportage” sur le complexe magmatique du Bushveld, la plus importante intrusion basique et ultrabasique du monde en domaine continental. Ce photoreportage fait suite à une excursion géologique organisé par le CBGA en 2008 et dont l'encadrement géologique était assuré par Jean-François Moyen (actuellement professeur à l'Université de Saint-Étienne).
Le but de ces trois articles n'est pas de retracer-interpréter l'histoire fort complexe de cette intrusion, intrusion multiple qui est un véritable “monstre géologique”, mais de montrer une galerie de photographies d'objets géologiques extraordinaires. Pour simplifier à outrance l'histoire du Bushveld, on peut dire qu'il s'agit d'un giga-sill complexe, fait de roches basiques et ultrabasiques, d'une épaisseur de 7 à 8 km et affleurant sur environ 300 km d'Est en Ouest et 200 km du Nord au Sud. Ce giga-sill complexe a été alimenté par une succession d'injections magmatiques, injections suivies de différenciations par cristallisation fractionnée, éventuellement suivies de contaminations par du matériel crustal, tout cela recommençant plusieurs fois pendant un temps géologiquement très bref (temps inférieur à la précision/incertitude des mesures radiochronologiques). Le lecteur intéressé par la géologie du Bushveld, voulant comprendre ce qu'on connait des mécanismes précis de sa formation, recherchant une bibliographie abondante… pourra se reporter à un article de J. F. Moyen disponible sur le web, Le complexe du Bushveld (2007). Les très courts textes d'accompagnement de cette image de la semaine et des deux suivantes “puisent” d'ailleurs largement dans cet article. J'ai rédigé cette image de la semaine (et les deux qui suivent) quinze ans après avoir été sur le terrain, ce qui pourrait expliquer un certain “flou” dans la localisation des affleurements, dans la détermination ultra-précise de certains faciès…
Les neuf photographies qui précèdent ont été prises à la base de ce complexe du Bushveld. L'essentiel des roches de cette base présentent une texture cumulative : il ne s'agit pas de liquides magmatiques ultrabasiques “gelés” sur place, mais de cristaux précipités/déposés au fond d'une “chambre magmatique ” en cours de croissance.
En simplifiant, on peut diviser le complexe du Bushveld en quatre unités. De bas en haut, on trouve :
- La Zone Inférieure (Lower Zone, LZ), épaisse de 1000 à 1300 m, très majoritairement composée de cumulats ultrabasiques. C'est de là que proviennent les photographies 1 à 9.
- La Zone Critique (Critical Zone, CZ), épaisse d'environ 1500 m, spectaculairement litée, et constituée de pyroxénites cumulatives (majoritairement des orthopyroxénites) et localement de cumulats d'olivine assez semblable à ceux de la Zone Inférieure, avec, dans la partie supérieure, de plus en plus de niveaux de norite (gabbro à orthopyroxènes) et d'anorthosite (gabbro constitué presque exclusivement de plagioclases). Les photographies 13 à 25 proviennent du sommet de cette Zone Critique.
- La Zone Principale (Main Zone, MZ), épaisse d'environ 3000 m, majoritairement constituée de gabbro noritique, associé à des niveaux de pyroxénite et d'anorthosite. Les niveaux minéralisés en chrome et en platine (les fameux UG2 – Upper Group 2 – et Merensky Reef – MR) se trouvent au sommet de la Zone Critique et à la base de la Zone Principale.
- La Zone Supérieure (Upper Zone, UZ), épaisse d'environ 2000 m, est constituée de gabbro, leucogabbro et diorite.
Ces quatre zones correspondent à quatre injections magmatiques élémentaires (ou plutôt à quatre suites d'injections répétitives presque identiques) se succédant dans un très bref intervalle de temps. Ces quatre zones recouvrent une Zone Marginale, présente seulement localement, et sont recoupées par des intrusions acides (entre autres, le complexe de Lebowa…). Aucune photographie de la Zone Marginale et du complexe de Lebowa ne sont présentées dans ces trois articles consacrés au Bushveld. La Zone Marginale et le complexe de Lebowa sont parfois regroupés avec les quatre zones du Bushveld sensu stricto en un Bushveld sensu lato. Le complexe du Bushveld sensu stricto date de de 2054±1,5 Ma (Protérozoïque inférieur). La Zone Marginale date de 2057±4 Ma et le complexe de Lebowa date de 2053±4 Ma. Tous ces corps magmatiques sont intrusifs dans des roches sédimentaires d'âge supérieurr à 2500-2600 Ma (le super groupe du Transvaal) et sont localement recouverts de roches sédimentaires d'âge inférieur à 2000 Ma.
Source - © 1996 D’après Eales et Cawthorn, 1996, modifié |
Dans la suite de cet article, et après les péridotites des figures 1 à 9 (“Pe” à gauche du log de la figure 12), nous vous montrons quelques aspects des pyroxénites stratifiées (figures 13 à 19, “Py” à gauche du log la figure 12) et des gabbros-noritiques / anorthosites (figures 20 à 25, “An” à gauche du log de la figure 12).
Source - © - Damien Mollex, Lithothèque ENS de Lyon , modifié |
Au sommet de la Zone Critique, en plus de niveaux de pyroxénite, de niveaux de péridotite (plus réduits que ceux de la Zone Inférieure, non photographiés ici mais bien présents), on trouve des niveaux de gabbro à orthopyroxènes (= norite) et des niveaux composés quasi-exclusivement de plagioclases (= anorthosite). Ces gabbros noritiques et ces anorthosites sont souvent magnifiquement stratifiés et lités, de façon plus spectaculaire que les pyroxénites et les péridotites des photographies précédentes. Mais, comme pour les péridotites et pyroxénites, ces lits gabbro-anorthositiques sont d'épaisseur relativement régulière, décimétrique. La formation des litages magmatiques reste un phénomène assez mal compris et cette incompréhension est souvent masquée et passée sous silence. Si des variations de composition à grande échelle (décamétrique, hectométrique voire kilométrique) peuvent être expliquées par des processus classiques (cristallisation fractionnée, réalimentation, mélange de magmas…), il est plus difficile d'expliquer de la même façon des centaines et des centaines de lits réguliers centimétriques à métriques. Il est peu vraisemblable de proposer des centaines de venues magmatiques successives, toutes identiques en volume et en composition. Jean François Moyen, dans son article Le complexe du Bushveld (p. 28-32), discute d'ailleurs des origines possibles de ce litage décimétrique.
Source - © - Damien Mollex, Lithothèque ENS de Lyon |
Au sommet de la Zone Critique, quand on peut voir les relations géométriques entre ces différentes roches, on a souvent la séquence suivante, de bas en haut : les péridotites (pas toujours présentes), les pyroxénites, les gabbros noritiques et les anorthosites. Cette séquence peut se répéter plusieurs fois ; on a identifié huit répétitions de cette séquence dans la partie supérieure de la Zone Critique. Je n'ai pas pu, hélas, photographier en une seule prise une telle séquence complète et je suis obligé de vous la présenter avec trois affleurements distincts. On a là la “caricature” d'une coupe complète d'une série de différenciation d'un magma basique, comme tous les livres et les cours en décrivent dans ce qu'on appelle “chambres (ou réservoirs) magmatiques”. On peut noter que ces réservoirs magmatiques remplis de cette succession de roches est beaucoup plus fréquente dans les livres que dans la nature où l'on n'en connait qu'une trentaine (que l'on nomme souvent des intrusions basiques litées, le Bushveld étant, de loin, la plus grande et la plus complexe). Cette relative rareté (constatation empirique) n'est pas sans poser un problème. En effet, rien que dans le Massif Central cénozoïque, il existe au moins sept séries magmatiques différenciées allant du basalte au trachyte, à la rhyolite ou à la phonolite (Chaine des Puys, Sancy, Mont-Dore, Cézallier, Cantal, Limagne, Velay). Il devrait donc exister en profondeur sous la surface du Massif Central au moins sept réservoirs, sept intrusions basiques litées “potentielles” (certes bien plus petites que le Bushveld), qu'une érosion et/ou une tectonique futures devraient porter à l'affleurement dans les dizaines ou centaines de millions d'années à venir. Sept intrusions basiques litées potentielles sous le seul petit Massif Central, une trentaine à l'affleurement sous l'ensemble des continents… On voit là l'ampleur de notre mauvaise compréhension des mécanismes, des lieux et de la géométrie des sites où a lieu la différenciation magmatique.